Soirée cinéma à Popenguine
Salut les Hivernois,
Allez, zou, encore un excellent moment de vie à Popenguine pour vous réchauffer les zygomatiques et c'est au cinéma au coeur du village, sous l'arbre à palabres que ça se passe.
Hé oui, séance fin d'après-midi pour les petits avec "le livre de la jungle" ; séance en soirée pour les grands avec "tableau ferraille".
Dans l'après-midi, le réalisateur Moussa SENE (né dans la banlieue de Dakar en 1958) et son équipe très professionnelle, bien rodée aux techniques locales, (ils sont deux technos) ont installé un immense écran de tissu blanc tendu entre deux poteaux, au fond de la place du marché juste sous la pharmacie. Des bancs, des chaises ont été alignés en demi-cercle par un peu tout le monde. Ici on va au cinéma avec son tabouret sous le bras, une chaise pliante, voire un fauteuil et des coussins... Il faut savoir que la projection est gratuite ce qui autorise à chacun de placer le luxe de sa place comme il le souhaite. Moi, j'ai prévu de m'asseoir par terre pour être bien devant.... L'agitation est fort sympathique, vivement ce soir.
21h, nous guettons depuis la terrasse les bruits ambiants guère différents du quotidien, ânes, cris d'enfants, rares voitures, cloches du couvent... Nous décidons d'aller faire un tour (une centaine de mètres) jusque sur la place. Silence totale, chaises vides, pas âme qui vive, ni chat, ni chien, pas l'ombre d'une chèvre. L'écran est tout blanc, tout propre, stérile. Il ne se passe absolument rien ici. Peut-être que ce n'est pas la bonne heure, pas le bon jour. Retour à la maison. Nous gardons l'oreille aux aguets.
22h, nous croyons percevoir une sorte de rumeur, des grondements, des piaillements. Mais les vagues sur les rochers nous perturbent, nous doutons. Retour sur la place. En quelques enjambées impatientes nous déboulons sur une place noire de monde. Des enfants pour un bon tiers du public... Tous les sièges sont occupés, bien des gens debout. Nous nous approchons. Moussa est devant l'écran blanc, face au public. Il parle en wolof. On distingue à peine ce qu'il dit, d'ailleurs je n'ai pas tout de suite saisi qu'il ne parlait pas en français. Le bruit ambiant est énorme. Ça discute, ça crie, ça se bouscule, ça gesticule et ça s'interpelle. Quelqu'un nous fait signe d'avancer. Les enfants assis sur la dernière rangée de chaises sont vivement expédiés ailleurs.
- Allez ouste, c'est pas pour vous, la séance du soir, laissez la place aux grands (ça me fait plaisir d'être traitée de "grande")
Les gamins se faufilent entre les chaises, prestement casés au mieux. L'orateur commence à manifester de l'agacement. Il fait de grands gestes, de grands pas face au public, il essaie d'interpeller, de retenir l'attention.
... Bon, puisque personne n'écoute je continue en français.."
Super qu'on se dit Laurent et moi. On va savoir de quoi il cause. Mais vu le bruit ambiant et les sonorités particulières du sénégalo-français, on capte rien du tout à son discours. Il semble que l'ensemble du public se désintéresse aussi de ce monologue.
Mousssa lève les bras vers le ciel, "Et M... j'abandonne, envoyez le film !"
Le public se calme un peu, puis tout à fait. C'est presque incongru ce soudain silence, à peine le temps qu'on s'étonne. Des murmures reprennent, à droite, à gauche, un peu partout. Puis un éclat de rire, un autre, quelques autres... Mais bon, on peut suivre l'intrigue et très vite les images nous captivent. Enfin quand y'a pas de voiture qui passe. La route est juste derrière l'écran alors il arrive que des phares éblouissent et on ne voit plus rien du tout pendant quelques instants. Mais c'est hors écran que nous sommes le plus fascinés. Il y a maintenant des scènes un peu crues... On ne comprend toujours pas les dialogues en wolof vaguement sous-titrés en français très approximatif. Mais la gestuelle des acteurs, les mouvements, les expressions sont très explicites. Un mot, un geste, les gamins hurlent de rire, ils crient, ils se tapent sur les cuisses. Les hommes engueulent une actrice qui paraît être une vraie putasse.... elle malmène un brave ministre intègre... si si si ça existe au Sénégal, au cinéma. Les femmes poussent des petits cris et chuchotent. Le long de la route, les moutons poussent des bêlements réguliers, les chèvres donnent la réplique... qui ponctuent efficacement les dialogues. L'action se complique, les relations entre l'homme et ses deux femmes sont tendues. .. trois ânes passent derrière l'écran, leur silhouette est fantastique. L'un d'eux un peu plus curieux passe la tête sous le drap, pardon sous l'écran. Hilarité et adhésion totale du public.
Le bestiau nous brait un bon coup dans les yeux... Les deux potes de l'âne font le tour et passent devant l'écran. C'est du cinéma 3D mais La compréhension des images se compliquent. Un gamin assis par terre rampe un peu trop vite pour les chasser. Il s'emmêle les pieds, les mains, la tête dans les connexions du lecteur vidéo. ... Ecran noir. Mais où est la télécommande ? Moussa revient devant le public hilare.
"J'ai oublié la télécommande chez moi. Nous allons résoudre facilement cet incident. "
Il tergiverse avec les techniciens. On attend, on papote, on s'informe, on rigole. On en profite pour connaître les derniers potins. Quelqu'un fait passer des biscuits, des dattes. C'est l'entracte en quelque sorte. On est vraiment bien là au chaud sous le manguier.
Nouvelle intervention de Moussa "nous allons chercher la télécommande à la maison, on ne peut pas faire sans. Attendez nous quelques minutes, ce ne sera pas long". Puis il s'éloigne vers sa voiture avec les techniciens.
Alors, les spectateurs qui n'ont vraisemblablement pas tout compris quittent progressivement leur place. L'espace se vide dans la bonne humeur et comme chacun sait, la bonne humeur c'est contagieux. Donc l'espace se vide. Vraiment c'était un excellent film, nous aimerions voir la fin . Nous attendons stoïques. Lorsque Moussa revient après plus d'une demi-heure, (nous sommes trois sur les bancs) et il annule la séance.
Le soir suivant, "Madame Charrette" nouvelle projection, toujours avec Moussa qui est héroïque dans son genre. Au 1er tiers du film, coupure de courant, je m'étonnais aussi que ça ne soit pas arrivé la veille.
Quand Popenguine fait son cinéma, c'est dans la joie et l'insouciance. Le réalisme illumine la fiction, les acteurs hors écran sont époustouflants de naturels et les images 3D ne sont pas virtuelles. Quant au spectateur, il ne sait absolument pas ce qui l'attend. C'est du cinéma à haut risque.
Pour les jours prochains de nouvelles rencontres sont prévues dans les villages de brousse et une grosse journée avec les pêcheures de Guéréo. Et puis toujours notre intense vie sociale associée à de rares moments touristiques. Toutefois nous avons prévu une escale d'une journée à Saint Louis avec Birane et Diarhère.
Le temps se rafraîchit et les moustiques se planquent. 30/32 ° dans la journée et autour de 20 °le soir.
Les codes de fonctionnement, le rythme du quotidien, tout ce qui manque de superflu, tout ce qu'on gagne d'essentiel.... nous apprenons une autre vie et nous aimons cette vie là. Notre retour est imminent. Ce sera étrange l'opulence dans la petite maison de Velaux.... JanouB