PAYS BAS
Jeudi 9 mai… sous le soleil… Ouf !
L’autoroute Anvers-Amsterdam est très roulante. Ici pas de péages, pas de radars. Limitation à 100 km (120km/h la nuit) ici, Tout est vert, vert, vert… Des armadas d'éoliennes plombent le ciel du plat pays. Sentinelles des temps modernes, elles brassent mollement l'air de leurs bras géants. Dans un champ, j'en ai dénombré plus de 150, sagement alignées en rangs de 10. Dans les fermes opulentes, éparpillées, Les moulins traditionnels ont cédé leur place à ces moulins à vent modernes, chacun dans sa cour. Les toits de tuiles émaillées rouges ou noires étincellent. C’est chouette.
13h30. L’arrivée à Amsterdam est hasardeuse, un seul camping, bondé, qui nous arrangerait bien car proche du métro. Sur le parking d'accès, les campings-cars font la queue pendant que les passagers courent vers l’accueil. Agitation bien bordélique. Une bonne heure de queue, c’est heureux d’être en vacance et d’avoir le temps. Le tarif du camping est très coûteux, 81 € deux nuits sans électricité, sans accès douche. Et nous serons aux portes de la capitale...Nous achetons donc deux tickets pour les douches.
Le réseau des transports en commun est formidable, pas économique au ticket (3,40 €-validité 1h). Le choix de forfait jour (9 € pour 24h) nous laisse une totale liberté de déplacements. Car la ville est vaste et nous userons et abuserons du métro et du tram.
Il est souvent aérien. Banlieue chic, nous roulons à travers les canaux le long de larges avenues ombragées. Banlieue proche, nous sommes épatés par la profusion d’immeubles résolument modernes. C’est remarquable. Angles arrondis, biseautés, cubes empilés en décalage. En façade, alternance d’aluminium, de verre cathédrale, de mur émaillé. Une architecture ultra-moderne qui nous flatte l'oeil.
La gare Centrale d’Amsterdam nous plonge dans une foule compacte et joyeuse de gens pressés. Elle est magnifique cette gare des années 1880. Toute proche, nous repérons la façade étincelante du palais royal. C'était, paraît-il la salle d’attente des carrosses. Mais l’agitation moderne, gêne un peu l’imagination des princesses. Toutes sortes de langues se confondent ici et beaucoup de français. Des nuées de vélos nous foncent dessus, nous doublent sans prévenir. Je ne suis guère à l’aise. Je risque ma vie à tout instant. Les vélos locaux ne sont pas assistés, même pire que ça, il n’y a même pas de dérailleur. Nous avons aussi repéré des freinages torpédo, sur des vélos d’allure très neuve.
Nous déambulons au p’tit bonheur la chance. De vastes avenues vertes, qui suivent les canaux. Un petit pont, un autre. Les vélos sont les rois de la rue. Les voitures, c’est évident mais aussi les piétons leur cèdent le passage. Faut dire qu’ils ont de l’allure ces vélocipédistes.
Le guidon haut relevé , le poignet souple, leur assure un maintien d'une élégance irréprochable. Le regard lointain, le dos raide,
« les épaules en arrière, la poitrine en avant, .... » allure martiale des gamins dans le choeur de Carmen. Mais je m’égare.
C’est donc par inadvertance que nous pénétrons dans le quartier « rouge » (rouge parce que toute les boutiques et vitrines s’affichent en rouge) Et là, y’a du monde. Boutiques érotiques voire plus, bureau de vente d’herbes voire plus. Théâtre, scènes musicales et streap-tease voire plus, Musées, (de cire, photos, peintures…)
- Le musée Rembrandt, figure célèbre, ça te tente ?
- Je préférerais celui de la Marijuana, autre figure célèbre.
Finalement, nous n’avons fait aucun des deux.
Quelques vitrines de dames souriantes ou blasées, poitrines généreuses et cuisses avenantes sous peu de dentelles. Les vitrines sont belles, rouges et ors, petits boudoirs intimes. On aurait envie de s'y inviter pour boire un thé. Quel étonnant folklore. Les rues sont très animées. Certains touristes sont blagueurs. Ils chahutent, se bousculent. Les autres le nez en l'air (parfumé à l’herbe) se laissent porter par l’ambiance. Comme nous autres par exemple. Pas de clope au bec. Fumer le cannabis n’est pas autorisé dans la rue. Quoi que, des petits futés doivent se planquer par là, car l’odeur est prégnante. Les bars à herbes et autres lieux sympathiques pullulent. Le cannabis s’y négocie autour de 12,00 € le gramme, un joint autour de 5 €. Ce quartier est sale, encombré, carrément glauque. Mais il est aussi dynamique, vivant, joyeux, coloré, carrément exotique.
Nous retrouvons avec soulagement, les larges allées qui bordent les canaux, des demeures très chics, opulentes mêmes du gratin d’Amsterdam. Et notre tourisme en métro aérien.
Au retour, J’ai envie de me décrasser de la faune Amstellodamoise. J’inaugure mon jeton douche. Après quelques minutes, retour à bord carrément furieuse. Laurent se marre.
- T’as pas eu d’eau chaude ?
- Si, mais si peu que j’ai un doute.
- Comment ça ?
- Une fois déshabillée J’ai enclenché le minuteur. J’ai à peine eu le temps de me savonner … Et l’eau s’est coupée.
- Normal t’as du mettre plus de cinq minutes.
Là, je m’énerve un peu.
- Non j’ai même pas mis trois minutes. Le pire c’est que j’avais pas non plus d’eau froide pour me rincer.
Petit sourire en coin de Laurent qui attend la suite...
- Je suis sortie à poil pour tester les trois autres douches, pas d’eau, nulle part…
- Tu devais être sexy couverte de mousse à déambuler dans les douches.
- Je sais pas, j’ai vu personne. Et puis, j'y voyais rien. Donc, bien dégoulinante de mousse, je me suis rincé les cheveux et les yeux au robinet du lavabo.
Laurent rigole de bon coeur. Je m'en rends à peine compte, toute à ma colère.
- Je suis revenue dans ma douche pour essuyer le savon dont j’étais couverte et me voici, qui fleure bon la vanille et les talons qui dérapent dans mes nu-pieds.
Laurent se gratte le menton perplexe.
- Je crois que je préfère me doucher à bord. Tu crois que je peux revendre mon jeton douche ?
J’ai désormais hâte de quitter Amsterdam, c'est une ville avec de belles architectures, mais trop peuplée, trop urbanisée, trop touristique pour moi. Mon choix se porte vers le nord du pays, au coeur des polders. C’est l’endroit où j’ai impérativement besoin d’aller nous perdre.
- T’as vu sur la carte, y’a un pont gigantesque pour passer la mer du Nord. Au moins 30 km, c’est possible ça ?
- Tu crois que c’est gratuit ?
- On verra bien.
C’est pas un pont mais une digue extraordinaire. Nous nous arrêterons à mi-chemin pour humer l’air du large. Puis, nous traversons Harlingen. Nous avons fait je ne sais combien de campings, tous très familiaux et tous archi-complets. Hé oui, c’est le week-end de l’Ascension, et nous, on n’y avait pas pensé. Nous poussons jusqu’à Leeuwarden. Coup de foudre. C’est là que nous nous poserons.
Sauf que là encore tout les campings sont saturés. Nous réservons pour le lendemain. En attendant, on improvisera. Ouf, Laurent a le coup d'oeil génial pour les "parks" de secours, isolés et tranquilles, voire inespérés. Nuit paisible donc.
Leeuwarden est une ville formidable. Très vivante, de jolies boutiques, des canaux parfaitement entretenus et très animés. Les plaisanciers et les canots locaux y offrent une ambiance maritime exceptionnelle. Les parcs sinuent entre les canaux. Et les embarcations circulent en permanence. Une belle activité maritime, sans hâte et sans précipitation.
Une bière fraîche dans un bar qui étale sa terrasse à travers un pont piéton… Quel luxe ! On admire l’allure altière des cyclistes qui déambulent dans tous les sens. Ils sont d’une adresse incroyable, roulent vite souvent, mais d’un coup de guidon précis évitent un piéton distrait. Je les admire et ils me font peur.
Notre camping est familial, et dimanche, les citadins sont retournés à leur boulot de citadins et nous sommes quasi seuls. Quel repos, quel tranquillité, esprit champêtre et confort assuré. Rien à voir avec les conditions de vie à Amsterdam. Quel bonheur.
A nous de jouer. Vive le vélo en Nederland. Nos minis cycles pliants (motorisés en plus, quelle honte) sont plutôt miteux comparés à ceux que nous admirons depuis quelques jours. Laurent a beau redresser le buste, relever la nuque, l’allure impériale n’y est pas tout à fait. Mon train à moi est plutôt celui du sénateur. C’est un art ici de rouler chic. Je ronchonne un peu parce que les voies sont étroites et se partagent souvent avec les piétons. Quant aux croisements avec les autres cyclistes, c’est hasardeux. D'autant que si je culbute, ce sera pour un bain assuré vu qu'on est cerné de flotte de tous les côtés. Je serre souvent les fesses. Peut-être que ce sera bénéfique pour ma musculature.
J’adore cette campagne, ses moulins à vents, chaque éolienne qui alimente sa ferme. Les fermes sont immenses, les corps d’habitation luxueux, et les dépendances animales excessivement propre. Hors l’odeur inévitable des lisiers et des fumiers, ce serait parfaitement aseptisé. J’adore les incroyables troupeaux de vaches qui ne viennent pas à bout des herbes immenses dans lesquelles elles disparaissent à moitié. Il y a aussi d’étonnants troupeaux de moutons. Leur laine épaisse est tachetée de noire. Se seraient-ils trompés de robe ? Se prendraient-ils pour des vaches ? Sont-ils la version hollandaise du carnaval des animaux ?
Notre piste longe un grand pré, un « ruisseau » nous en sépare. Deux magnifiques alezans nous guettent le mufle tendu par dessus le ruisseau. Nous ralentissons, ils nous emboîtent le pas. Lorsque nous accélérons, ils trottent en parallèle le long de leur pré. Le dos souple, le museau tendu, crinière qui danse dans le vent, ils sont magnifiques. J’en pleurerais.
Avec nos vélos assistés nous avalons goulûment 30-50 km le long de pistes quasi plates.
Nous passons d’une île à l’autre, d’un village ou d’une ferme isolée à l’autre, et des champs et des prairies à perte de vue. Quelques moulins agitent mollement leurs ailes. Le monde ici est immense, et s’étale à perte de vue. Je ne risque pas de perdre Laurent lors d’un changement de direction.
14 mai.
Après grand ménage à bord et lessive, nous quittons Leeuwarden, c'était chouette. Nous avons décidé d'engager notre course à la tulipe. Retour vers le sud du pays, cap sur Lisse, haut lieu de la culture du bulbe avec le Keukenhof, plus grand jardin de tulipes du pays. Qu'il ne faut surtout pas rater.
Verdurette, verduré, comme dit la chanson.
- Dis Laurent, on est noyé dans d'immenses champs. Feuillages verts au ras du sol. T'en penses quoi ?
- Des bulbes de tulipes pas mûrs ?
Plus on roule, plus les champs sont désertés de fleurs. Le comble, c'est que le Keukenhof est fermé. Fermé un mardi ? Guérite avec un brave gars qui semble mourir d'ennui et prend le temps de baragouiner avec nous. En gros, les hordes de cueilleurs ont fait la razzias des fleurs dont la cueillette se termine en général début mai. La floraison est courte. Présentement, elles sont stockées dans les chambres froides et préparées à l'embarquement des gros camions qui sillonnent l'Europe. Mais ça, impossible de le visiter.
Qu'à cela ne tienne. Tant pis pour les champs de tulipes. Nous voulions visiter le nord, nous visiterons le nord.
Le petit camion reprend la route et moi je chantonne dans ma tête.
Moi, je suis la tulipe, une fleur de Hollande ;
Et telle est ma beauté, que l’avare Flamand
Paye un de mes oignons plus cher qu’un diamant,
Si mes fonds sont bien purs, si je suis droite et grande... (Théophile Gautier)
A Gorinchem, au coeur du pays, le petit camion s'engage sur une île. L' aire de camping est idéale, sur le port du canal. Nous partageons l'espace avec les plaisanciers et les mariniers. Quelle belle ambiance. La ville est traditionnelle, entourée de remparts. Les façades sont toujours en briques rouges ou roses. Quelquefois alternées de rose et de rouge. On dirait qu'elles ont la rougeole. Au pays bas, comme en Suède ou Norvège, les maisons prennent la lumière par de grandes baies vitrées souvent décorées de fleurs ou de petites faïences, avec juste une dentelle qui souligne le haut de la vitre. Pas de volets extérieurs, pas de barreaux. Ce sont des habitations délicieusement ouvertes sur le monde qui les entourent.
Nuit paisible annoncée dans ce port sympathique. Sauf que, dans la nuit...
Caresse délicate sous la couette, pour un semi-réveil en douceur...
- Trésor tu veux bien arrêter de ronfler ?
Grognement d'un pas content d'être dérangé
- Je ronfle pas. C'est toi qui ronfles. Si fort que ça te réveille.
- Même pas vrai.
Chacun se renfrogne dans son bout de couette. Oreilles aux aguets.
- Oh, mais t'as raison, c'est la péniche contre la digue qui ronronne si joliment...
- C'est ça, quand c'est une péniche elle ronronne...
- Et quand c'est toi, tu ronfles... Hé oui !
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