Minorque, Addaya

Samedi 11 aout 2007. Puerto Addaya - Mouillage -

A partir de dix heures du matin, le mouillage s'anime, et s'encombre, essentiellement des Français. Cela signifie que la mer est navigable. On ne voit plus l'écume qui dévore les rochers en bavant joyeusement à l'entrée de la cala. Sortons de notre léthargie. Le vent devient sud, nous irons le long de la côte nord. De nouvelles étapes nous sont promises. Pourquoi pas vers Fornells. Nous aurons ainsi bouclé notre tour de Minorque. 
Heureusement que le vent est nul quand nous quittons notre lit de vase. Je tire la chaîne au guindeau, mètre par mètre. Laurent à grands seaux d'eau de mer récure les maillons englaisés par gros paquets. Et Lune de Miel piétine sur place. Vous vous souvenez de Barbate les enfants ? Voilà, tout comme pareil exactement. Mais là on a mieux joué, car nous avons rentré peu à peu tout le mouillage dans sa baille tout beau, tout propre. Vingt minutes de détartrage. Nous n'avions jamais mis autant de temps pour lever une ancre. J'en transpire encore. 
Nous sortons gentiment du mini Fjord de Puerto Addaya. Le village de Na Macaret magnifiquement éclairé resplendit dans les rochers. Nous étirons le S qui sinue à travers le relief sous-marin. Les îlots affleurants, grosses taches claires au ras de l'eau, nous narguent discrètement. Mais la lumière les trahit. Le chemin comme à l'aller est parfaitement balisé. Totale sécurité. On prend le rythme lent du chenal. On prend dans les images, le secret du maquis. On prend dans la lumière, la sagesse du port de pêche. On prend et on s'imprègne d'une bienveillante nonchalance. Puerto Addaya est une étape vraiment sympathique. Pour info, Le quai d'accueil permet aux bateaux du mouillage un approvisionnement en eau potable. (1 euro les 100 litres). Il n'y a pas de cybercafé.ayada

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Samedi 11 août 2007. Fornells

fornells

L'arrivée nous permet d'apprendre qu'on peut s'ancrer sur bouée. Le mouillage est gratuit mais n'est possible que pour deux nuits (par semaine). Prendre la bouée nous séduit beaucoup car des orages sont annoncés et il faut s'attendre à de sérieux coups de vent. Cette partie du mouillage est envahie d'algues, donc la tenue est plus que douteuse. Géniale l'option bouées. Les bouées rouges devant le port sont destinées aux petites embarcations (moins de douze mètres). Les bouées blanches (aux embarcations intermédiaires (+ de douze mètres) et les jaunes aux très grosses unités. L'inconvénient des bouées blanches et jaunes, c'est qu'elles sont de l'autre côté de la cala, donc assez loin de la ville.  Une petite virée pédestre. magasinage dans la ville lointaine. Et puis faut s'en retourner chez nous. C'est le moment que choisit le moteur de l'annexe pour tomber en panne. Pas dramatique. Après tout on a des rames, une petite demi-heure de traversée en ramage, c'est pas la mer à boire... On se lance donc,  parfaite synchronisation de gestes. Sauf que le vent du sud a développé une houle très pénible qui roule depuis le fond de la cala. Elle ne nous aide pas la vache ! (bon, je raye l'allusion à l'animal, je vais désobliger la Noiraude, qui n'a d'ailleurs pas l'air dans son assiette aujourd'hui) C'est un vrai boulevard que nous traversons. Incroyable ce qui circule ici. Annexes de tous gabarits, jets skis, skis nautiques. Va-et-vient constant de yachts, voiliers, minorquines. On n'était pas loin de risquer la collision avec nos coups de rames pas toujours si sûrs, entre la houle de fond et les déferlantes provoquées par les engins. Mais ça nous a permis d'accoster, de faire quelques courses de frais  et d'envoyer les messages n°3-4 depuis un bar.  Ah, la généreuse, la savoureuse "cerveza grande" servie si fraîche, si mousseuse... Pourvu que ça nous coupe pas les bras pour le retour, la bière, c'est pas mon truc en temps normal. Requinqués à fond, moi, un peu pompette...  On embarque nos courses, on saute dans l'annexe. tentative sans conviction de mise en route du moteur. Qui bien entendu boude toujours. Ramer ça déssaoule non ? on se télescope nos manches. je brasse de l'écume mais je n'avance guère. Un canot un peu rapide nous asperge et nous pousse dans les amarres d'un yacht en nous dépassant.
- Bon sang, rame...
- Bin toi, rame pas tant !
On se traite l'un et l'autre de tous les noms imbéciles qu'on peut inventer, ça grince dans les boudins. Arrive tout doucettement un petit canot, un gentil garçon brun, style ce qu'il y a de mieux comme y faut... Et ce sourire, ah les filles, vous auriez vu ça ! Je capte le mot "ayudar".. "Si, si, si... gracias mucho" que je réplique aussi sec... On a vite fait de lui balancer notre cordage. Son moteur fait moins de trois chevaux, nous allons donc à travers le chenal gentiment tractés par ce généreux hispanique. Nous admirons le paysage. C'est assez rigolo de traverser dans cet équipage. Il nous dépose délicatement à l'arrière de chez nous. Je lui baragouine une invitation à boire un verre. Il n'a pas le temps. Il est attendu, un peu plus loin, sur un autre voilier, une autre planète. Dernier sourire ravageur, virement d'hélice et il disparaît. Y sont supers les Espagnols, vous trouvez pas ?

Sérieux coup d'enthousiasme dans notre moral. Faut se ressaisir et comme nous ne doutons plus de rien. demain on désosse ensemble le moteur hors-bord. D'accord moi, je ne servirai pas à grand chose. Mais je serai solidaire de Laurent à fond. Je peux lui passer les outils, ranger au fur et à mesure les petites pièces indispensables qui ne demandent qu'à se jeter à l'eau... Et puis, il va m'expliquer d'autres mystères mécaniques...

brico lauPresque au saut du lit dimanche matin, on pose notre moteur sur la plate forme arrière, délicatement couché sur le flanc. On ne met pas longtemps à voir que la turbine de refroidissement fixée sur l'embase du moteur a perdu tous ces pétales.  Laurent ne jette rien, je le maudis assez pour ça. Il y a sous le plancher du carré une cache personnelle avec un tas de fourbi dont je ne veux même pas entendre parler. Voilà-t-y pas que dans ce boxon innommable, il a trouvé l'hélice qui irait "à peu près" sur l'arbre de son moteur hors-bord. C'est l'à peu près qui me séduit. Elle a plus de vingt ans d'âge cette hélice, autrement dit, elle est comme neuve. Elle a six pales au lieu de trois. Elle est bien trop longue, un chouia trop épaisse... Et la goupille de l'embase n'est pas adaptée à sa fixation. Broutilles tout ça ? D'accord ! Grattage, limage, découpage... Le seul outil qui nous fasse vraiment défaut, c'est un marteau.

Quelques heures laborieuses, minutieuses et appliquées. Fin de soirée, l'instant de vérité ronfle. Qu'il pétarade bon ce petit mais indispensable moteur. Ça mérite bien une autre "cerveza grande"... hein Laurent !

Le soir s'en va. Un arrivage massif d'émigrants français a envahi le mouillage. Les estivants qui viennent de traverser. On se frôlerait presque tellement les bouées sont proches les unes des autres. S'agit pas qu'un non initié vienne poser son ancre à proximité. Prudence si vous passez par là. La nuit tombe. Le tonnerre s'annonce de loin, les éclairs déchirent les nuages. Nuit tumultueuse.

Lundi 13 août 2007. - 40°02,20'N - 04°09,80'E.

Une petite heure au moteur pour passer de l'autre côté du cap Fornells, revenir sur nos pas en prenant notre temps. Le ciel est bordé de gros nuages noirs vers l'Est, et des averses sont promises. Pas la peine d'aller très loin. Nous laissons la cala Pudenta à tribord, qui s'enfonce au milieu des rochers et nous nous engageons dans la baie vers la Calla de la Olla.

la ollaolla2

 

 

 

 

 

 

Le vent annoncé SW, doit nous permettre un moment des plus agréables au bord de cette jolie plage. Beaucoup de places, fonds de sable. Trois voiliers au mouillage. Nous avons juste le temps de poser l'ancre avant que tombe la première pluie. Un rêve!

 

INTERMÈDE

- Allo, c'est la Noiraude, urgent, c'est urgent, où est le Docteur ?
- Allo, bonjour la  Noiraude, je suis là, que vous arrive-t-il de si urgent?
- Ah Docteur,  bonjour, c'est une horreur mon bon Docteur. Je suis trahie, bafouée, humiliée, désespérée. Je ne ferai plus jamais confiance à aucun humain, ils sont pires que les taurillons les plus primitifs. Docteur, sauvez-moi, je ne peux plus m'arrêter de beugler.
- Calmez-vous, respirez lentement la Noiraude et dites-moi un mot après l'autre ce qui vous arrive.
- Dans la cabine arrière, c'est insoutenable, j'ai vu, j'ai vu, ah , je ne peux pas le dire, je souffre trop.
- Allez doucement, prenez le temps de respirer et dites-moi, calmement. Qu'avez vous vu la Noiraude dans la cabine arrière.
- Docteur, pardon, je  beugle encore. Voilà, il y a dans la cabine arrière des jolis portraits d'une petite vachette qui me ressemble comme une soeur. Ils ont osé me remplacer, ils me jettent au museau les images de ma rivale. Ils n'ont aucun respect pour moi. Je ne suis pas la seule, je ne suis pas l'unique... Docteur je ne guérirai jamais de cette trahison.
- Mais voyons, la Noiraude, je suis tout à fait au courant. que vous êtes bête à force d'être vache. C'est de vous les portraits. Je les connais imprimés dans les draps de la couchette. C'est un cadeau, un clin d'oeil des neveux. Si, si, si, c'est Delphine et Denis qui ont déposé cette délicatesse pour que l'équipage pense à vous. Il n'y a pas de rivale. Alors, heureuse ?
- Ah Docteur, vous êtes bien bon, mais je ne vous crois pas. C'est écrit "Pâquerette". Je ne suis pas une fleur, je suis une vache. Je ne m'appelle pas  "Pâquerette", c'est débile comme nom de vache.
- Mais "Pâquerette" c'est la signature de l'artiste. Vous ne comprenez rien. Vous êtes une animale foutu bête. Vous n'êtes pas du genre qui raisonne, mais de celui qui résonne, avec beaucoup de vide sous vos cornes.
- D'accord Docteur je vous crois. J'ai compris. J'arrête de beugler. J'arrête de ruminer. Je suis peut-être bête mais pas idiote. Je ne suis pas sûre de résonner, mais je suis capable de panser...

                            

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