Mare de Deu de Gracia Mahon

Couounet n°9 - septembre 2007

lundi 3 septembre 2007.
Minorque est toujours sous domination de Nord-est, virulent. Des creux annoncés de trois mètres de houle, quand on sait que les vagues scélérates font allégrement deux fois la hauteur annoncée, pas d'hésitation, il fait trop bon ici. Nous avons quitté le mouillage de l'Isla Plana pour prendre une bouée face à la ville. C'est génial comme option, et peu coûteux. Nous avons vraiment exploré tous les coins et recoins de Maô. On s'y sent désormais comme chez nous.

sa font mahonVendredi 7 septembre. Nous avons une folle envie de partir, ça fait trop longtemps que nous sommes scotchés ici. Consolation, depuis jeudi soir, se prépare la grande fiesta annuelle, de Mahon. Si vous passez par là début septembre, je vous la recommande."Mare de Deu de Gràcia". Elle tient, comme toutes les fêtes folkloriques, d'influences historiques, religieuses et païennes. Y'en a vraiment pour tous les goûts.
La folie démarre jeudi soir, avec la sortie des géants depuis la Mairie, en procession dans le centre historique de la ville. Musique, danses et chants les accompagnent. A 21h30, c'est le grand cri public d'envoi officiel des festivités. On sort pour l'occasion les "diables de Maô" par mégaphone, en choeur avec la foule. Fanfares à gogo. Ca promet et ça remue les tripes.
Vendredi fin de matinée. Toute la ville s'organise pour affronter l'ouragan de la fête pendant trois jours; les boutiques du centre ville construisent de vraies protections devant leur vitrine, ça cloue, ça visse, ça calfeutre. Les menuisiers ont du boulot par dessus la tête. Fin d'après-midi, toutes les vitrines sont occultées. Plutôt sinistre l'aspect des rues. Elles ont été couvertes de sable. De tels excès sont si redoutés que des postes de secours d'urgence sont prévus à chaque coin de rue. Les pavés sont couverts d'un matelas de sable. C'est rigolo de marcher en  ville comme sur une plage. Mais c'est préoccupant.
Tout ce sable en ville, c'est pour absorber le sang ? Les vitrines blindées, protection contre les violences, bagarres et projections de pavés ? A quoi faut-il s'attendre ? 
- Dis Laurent, tu crois que c'est recommandé de venir zoner par là ce soir ?
- Bien sûr, on ne va pas rater ça. On évitera la foule et si c'est trop chaud. On rentrera.
Qu'il dit Laurent.
Il est bien bon, parce que éviter une foule en délire c'est impossible. On est vite pris dans la masse. Mais  bon, ça chante, ça rigole, ça danse, laissons-nous faire. Pas d'émeute en vue. Le bruit est phénoménal mais j'ai pris la précaution de me boucher les oreilles. Je suis parée au pire. Pas de panique, y'a pas de raison et c'est bien joyeux tout ça.
Plus tard, la foule se centralise et se calme. C'est l'arrivée des Caballeros.jaleo

Ces chevaux sont de véritables artistes. Ils arrivent sur un thème musical unique qui se répète, se répète, se répète. L'homme-cheval comme un seul corps danse sur cette boucle musicale. Ses pas sont légers, magnifiques... Quelle maîtrise ! Les cavaliers costume noir et blanc, sont fiers et concentrés. Hors d'atteinte du public. Quel panache ! Lorsque c'est une femme qui monte le cheval, les figures deviennent plus sensuelles, magnifiques et inaccessibles. Quelle élégance dans cet équipage. Lorsqu'ils sont au centre de la place, la mélodie change de registre, une brusque montée de notes. C'est le signal. Le cavalier tire sur les rênes, le cheval se cabre. Il avance alors dressé sur ses pattes arrière. Ses pattes avant moulinent l'air devant lui à la recherche de son équilibre.  L'harmonie parfaite de l'instant d'avant vole en éclats. Tumulte et anarchie. C'est le moment que choisissent quelques fêlés complètement hystériques pour se jeter sous le cheval dressé. Le jeu, c'est de toucher l'animal quand il est debout; le top du top c'est de lui caresser le poitrail. Et y'en a qui ose. Folie totale. Juste avant que le cheval retombe sur ses quatre fers, les quelques fondus qui sont dessous s'éparpillent avec enthousiasme. Pensez, s'ils nagent dans l'euphorie, ils ont réussi à toucher le cheval. Petit tour fanfaron du cavalier sur la même rengaine, sur le même pas... Sortie d'un, entrée de l'autre. Les chevaux se succèdent, toujours sur le même thème. Et propose inlassablement le même jeu. Toujours le même défi pour les spectateurs. A certain moment, je me suis trouvée propulsée près du cheval par des tarés dont j'empêchais la ruée. La vitesse que je me suis rapatriée vers l'arrière... OUha ... Comment font les chevaux pour résister à ce bordel collectif. Ça me sidère. Peut-être que comme moi, ils se protègent les oreilles avec des boules quies...  C'est un excellent filtre. Après tout, ils ont juste à capter le rythme qui ordonne leurs mouvements. La folie des hommes ne les concerne pas.
Le mystère des vitres blindées, (il faut s'attendre à des coups de sabots malheureux dans le décor et la rue est étroite),des tapis de sable, et de l'assistance médicale est ainsi éclairci. forcément il doit y avoir quelques accidents... Ce sport équestre est fort prisé à Minorque. Il fait partie intégrante des festivités locales dans toute l'île. Etonnant mélange de frayeur, de défi et d'harmonie... Ce n'est pas le seul grand moment de ces festivités. Si nous avions été sérieux comme des Minorquins, nous serions allés à la messe.

 

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