LA SUISSE.... NORMANDE
La Suisse Normande, culmine à des sommets de 200 mètres d'altitude, moyenne plutôt à 170 mètres. C'est donc un environnement vallonné. Mais c'est surtout la vallée de l'Orne et de ses multiples ruisseaux qui ont ciselé les roches. C'est un paysage de dentelles enfouies dans les herbes et les branchages.. Les maisons posées dans cette verdure sont souvent en pierre claire, les jardins engazonnés parfaitement entretenus, pas une herbe folle. Belles demeures paysannes, manoirs à tourelles... C'est propre, c'est léché, une surprenante évocation de la Suisse. C'est le paradis du vélo.
18 JUIN 2022.
C'est par la ville de Falaise que nous entrons en Suisse Normande sous une pluie diluvienne. Choix d'un vaste camping municipal aux pieds des remparts, beaucoup de vide dans ce camping verdoyant. Le soleil tente une approche.
- Wouha, dis-donc, c'est pas la place qui manque ici. La saison touristique a du mal à démarrer on dirait. ?
Laurent avise un bel espace herbeux, fraîchement tondu, proche des sanitaires.
- Nous serons bien ici, en plus y'aura l'ombre des arbres l'après-midi...
- Tu crois qu'on aura besoin d'ombre, regarde le ciel.
- Si, si , si, encore un petit orage cette nuit mais demain il fera grand beau temps. C'est la météo agricole qui le dit.
- Oh, alors si la météo agricole le dit !
Manoeuvre facile, les espaces sont immenses. Je chausse ses sabots au petit camion. Laurent sort son antenne télé, qui ronronne et tournicote tout azimuts un long moment et... se replie. Bip, bip, bip dit-elle, pas de réception ici...Hé oui, les arbres font écran...et pas qu'au soleil. Laurent observe les espaces vides autour de nous, il se gratte les cheveux, attention il cogite dur.
- Faut qu'on déménage. C'est ballot de pas avoir la télé.
- Vraiment ! on la regarde si peu.
- On sait jamais. Et puis, si la pluie persiste, on a quelques films en réserve.
- Super, pourvu qu'il pleuve alors.
- Rigole, tu verras, c'est toi qui demanderas.
Nouvelles manoeuvres, nouvelle place. Malgré les cales, le petit camion donne de la bande à bâbord. C'est moche un camion qui gîte. On peut trouver mieux non ? Quelques tours de roues plus loin, zut nous sommes bien loin des sanitaires. Un p'tit tour dans les allées, voilà le lieu idéal. Il est quasi plat, sur une terrasse un peu en hauteur, sous un marronnier géant, vue imprenable sur le château... aucun voisin.
Très romantique notre soirée face aux flambeaux qui illuminent les remparts et les murs austères du château. Quoique, un peu fraîche, la soirée.
Au milieu de la nuit, la petite tempête annoncée se durcit. La météo agricole l'avait bien dit. Le vent ébouriffe les arbres. Les branches mènent la danse et la grêle sur le toit marque le tempo.
Super ambiance ! Ploc, ploc, ploc, cric, crac , ploc, ploc, ploc, cric boum....
- Laurent tu dors ?
- Comment veux-tu avec ce boucan ?
- Y'a pas que la pluie qui nous tombe dessus.
- T'as raison, je crois que notre toit fait sa récolte de bébés marrons.
- T'entends les branches basses qui récurent le toit ! Oh là, là, ça craint !
- Ouhais, j'aime pas ça du tout.
- On déménage ?
J'ai même pas posé le point d'interrogation que Laurent est déjà debout. En trois enjambées très lestes, il enfile un caleçon et se met au volant. Vite je me harnache anti-pluie. Je me jette dehors, dans les bourrasques. Le vent ronfle en puissantes rafales. Au loin, le tonnerre gronde. Très haut dans le ciel, les nuages qui se télescopent jettent quelques lueurs fugaces. Je suis nus-pieds, en pyjama, emballée dans un poncho dont la capuche ruisselle sur mon nez. La pluie me martèle le visage. Je suis complètement aveuglée par les phares. Laurent, le nez collé au pare-brise avance petitement, puis s'arrête. Il faut qu'il recule pour sortir de son emplacement. Je lui fais signe que je me range à son arrière tribord. Je dois repérer les branches trop basses et les éventuels obstacles, invisibles pour le pilote qui ne dispose pas de rétro intérieur... Ben oui hein ! Il faut avoir piloté cet engin pour réaliser que la vue arrière de la cabine est bouchée par l'habitacle. C'est un inconvénient majeur pour manoeuvrer. La caméra de recul ne montre que le sol et l'arrière du camion. Elle ne voit pas plus loin que le bas de son nez. Les risques d'accrochage sont hélas aussi en hauteur. Donc en reculade, c'est moi, le rétro. Je deviens sémaphore. J'adore ça. Laurent se plie sur son volant pour décrypter dans le rétro extérieur le bel alphabet que je lui dessine dans l'espace.
Vite au sec. Il est cinq heures et j'ai sommeil.
19 juin 2020
Nous prendrons notre petit déjeuner dehors sous le soleil du matin, emballés dans nos lainages.
À 10 heures, nous partons à l'assaut de Falaise. Longue montée vers la cité médiévale qui encercle le château forteresse (Xème siècle) de Guillaume le Conquérant, qui deviendra roi d'Angleterre. Une photo s'impose du fougueux roi sur son cheval armé. Il parade en face de la Mairie. Il ferait un peu peur.
Dimanche de Province. La ville est endormie, peu de monde dans les rues. Les boutiques sont désertes. Les portes sont closes. Seules des lampes discrètes éclairent les vitrines. Il n'y a pas un seul rideau de fer qui soit descendu. Les magasins ne sont pas barricadés. La ville n'est pas morte comme souvent ailleurs avec des rideaux de fer sinistres, qui bouchent les vitrines. Elles est juste endormie. Ambiance tranquille oubliée d'un dimanche urbain.
Nous flânons le long de l'Ante qui s'ouvre au bord du château de la Fresnaye, XVII-XVIIIème siècle. Ces immenses salles hébergent des expositions temporaires, des masters class, des artistes en résidence. En ce jour gris, Le grand parc est encombré de stands. Un vide-grenier géant s'y est installé. Peut-être pourrons-nous y boire un café... Entre les gouttes, nous déambulons dans les allées. Quelques chalands s'attardent au stand "café-grillades". Le bar ne fera guère d'affaires aujourd'hui. Il faut un certain talent et de la persévérance pour fouiner sous les bâches. Un soupçon d'éclaircie, vite on débâche. Nos cirés dégoulinent, et nous échangeons des banalités réjouissantes avec les exposants et les badauds. Les normands ne sont pas bêcheurs, ils ont l'âme rurale ou bien ouvrière, propre et honnête, un rien moqueuse. La pluie fait partie de leur quotidien, pas de quoi rendre la vie morose. Je me sens en confiance. Il y a en eux des ondes familières... Un peu de mon doux pays des Vosges, probablement.
20 juin 2022
Nouveau départ, vers le nord... plusieurs journées clémentes sont annoncées (par la météo agricole, bien entendu) Nous prévoyons de découvrir en vélo cette belle vallée de l'Orne, joyau de la Suisse Normande. A Saint Rémy, une aire municipale est ouverte au bord de la voie verte. Donc nous enfourchons nos bicyclettes.
Notre piste cyclable longe une ancienne voie ferrée qui serpente à travers la vallée. Nous devinons des ruines d'usines, briqueterie et métallurgie. D'immenses colonnes bouffées de rouille, des poutres explosées, des toits dévastés se disputent l'encombrement végétal. La bordure s'éclaircit. Une magnifique maison de maîtres, entourée d'un grand jardin à la française s'étale juste à côté de ce qui fut une usine... Et nous replongeons dans l'ombre des chênes, des hêtres, noisetiers et robiniers. De hautes fougères cachent la vie rurale qui nous entoure.
Un coq trompette au milieu de caquètements. Pour motiver la ponte des poules ? Les oiseaux en concert font silence dominés par les trilles vibrantes du rossignol. Une pause dans les trilles, le concert reprend.
Une sympathique odeur de laits fermentés nous fond dessus. Quelques tours de roues, le fond de l'air s'allège. C'est alors une fragrance acidulé de pommes, ... Laiteries, cidreries, cette vallée nous plonge dans des bouquets d'arômes. Je roule dans une totale ivresse.
Nous longeons l'Orne, autre ambiance. Ses rives ici sont dédiées à une multitude de loisirs aquatiques, rafting, canoying, navigations légère, pédalos, paddles, nages en eau vive, et bien entendu la pêche. Des bivouacs y sont matérialisés en grands nombres, pour les sportifs et les randonneurs. Solitaires ou en groupes, tous les accueil sont prévus, pour tous les goûts, toutes les bourses. C'est la première fois que je vois ça. Peu de touristes encore. C'est très tranquille. Un vrai paradis. C'est ballot, j'ai pas pensé à prendre un maillot de bain.
Notre boucle passe par Clécy, et son célèbre viaduc. Nous revenons Le Bô, le Pain de Sucre, Thury Harcourt... Détours et contours, un peu déroutants quelquefois. Entre Thury Harcourt et Grimbosq, un feu clignote au bord de la voie ferrée abandonnée... Ralentissement, arrêt... Un panneau annonce Tunnel du Hom. Nous n'avons pas le choix, notre voie deviens souterraine. Fichtre ! Il y fait complètement nuit, sur presque 200 mètres... J'en mène pas large, ma lumière n'éclaire que ma roue avant, la voie est caillouteuse. Je crains de frôler les rails et de me vautrer. Petitement, j'avance en serrant les fesses. Y'a belle lurette que Laurent a retrouvé la lumière du jour lorsque j'émerge enfin de ce cauchemar. Il m'attend tout sourire sous un panneau, que nous n'avons pas vu à l'entrée : "cyclistes mettez pied à terre pour passer le tunnel".
Tiens donc !
Mercredi 22 juin
Entre tartine et tartine, petit matin doucereux,
- Dis Laurent, ça fait plus d'un mois que nous sommes partis. Tu veux t'attarder ici ou tu préfères rentrer ?
- T'as pas envie de retrouver notre petite maison de Velaux ?
Ça c'est Laurent ! Il répond souvent à une question par une autre question. Je ne m'y ferai jamais. Question directe, légèrement orientée cependant.
- J'ai pas envie de rentrer. Et toi ?
- Je suis bien ici, mais je serai bien aussi à la maison.
Traduction, il a envie de rentrer. Je vais donc devoir quitter cette vie de vadrouille qui me convient si bien. Un jour ici, un autre là. Ne pas savoir l'après-midi où je dormirai le soir. Improviser des repas simples avec ce qu'on a, et souvent fort peu de choses. Le frigo n'est pas vaste. Rencontrer une brave personne, papoter quelques minutes et se quitter le sourire aux lèvres. Découvrir d'autres mondes, d'autres quotidiens. Et de longues virées vélo, ou pédestres. Lire ou écouter de la musique les jours de pluie. Qui sont finalement assez rares, même si le ciel est souvent gris. N'avoir que ça à faire... Peut-on rêver de meilleure vie ?
J'aime pas les retours, sentiment désolant de perte définitive.
Laurent me rassure.
- Oh, les vacances sont pas finies ! Y'a encore juillet qui est même pas commencé. Moi, j'ai envie de traîner en route. On va flâner en Touraine, dans le Cantal, dans les Cévennes...
Je négocie pour la forme.
- Maximum, 100 kilomètre entre deux étapes. Ça te va.
- Ça me va. Allez zou,
24 juin. Départ en douceur donc.
Notre première étape vers le sud sera à 40 km. Ça c'est de la distance !
Saint Christophe le Jojolet au sud d'Argentan. C'est la pause obligée des automobilistes, motards, vélocyclistes, des errants, et des "éperdus"... Saint Christophe étant le saint patron des voyageurs et des routards. Deux fois par an, un pèlerinage lui est dédié dans cette petite église nichée dans un vaste parc aujourd'hui désert. Laurent toujours attentif à mes petits bonheurs me propose un concert flûte, dans le choeur de l'église.
Image troublante, émouvante de Laurent qui entre dans l'église avec sa flûte à l'épaule, et les partitions en mains. J'entre derrière lui. Calée au fond de l'église, je me laisse porter par des lieux imprégnés de tant de prières. Laurent devant l'autel à trouvé un lutrin. Il feuillette son répertoire. ll ajuste sa flûte. Soudain, un son cristallin fuse à travers les pierres, puis les notes s'enchaînent sans hésitation. Je retiens mon souffle. Il va se lancer dans une impro. Dégringolade de notes qui cherchent à s'équilibrer. Le léger écho entre les voûtes (l'église n'est pas bien grande) donne de l'ampleur, de la profondeur aux aigus qui filent allègrement. Les graves reprennent, délicieusement feutrés, plus sages, et la montée reprend. Des mélopées nostalgiques, des hésitations comme s'il prenait son élan pour de tendres cascades. Quel heureux moment !
Ici s'achève joliment, notre tour de Normandie. Et un nouveau cap pour découvrir autrement, des régions déjà évoquées dans d'autres Coucounets, La Touraine, La Mayenne, Le Cantal, Les Cévennes.
Pendant ce long retour, Laurent investit d'autres églises ouvertes, souvent dans des petits villages. Il déniche d'autres campagnes, d'autres sympathiques accueils avec d'autres vélo-circuits ou pédestres. Pour le petit camion, d'heureux "mouillages" en forêts, en prairies, au bord d'un lac, le long d'une falaise... Autant d'aubaines, petits bonheurs semés sur cette route, qui nous ramènent mine de rien vers l'été provençal.