AUDOMAROIS
Le 20 mai 2024
A Esquelbecq, nos amis éphémères nous ont conseillé un p’tit détour par l’Audomarois, (qualification de ce qui existe autour de Saint Omer, dont ses habitants). Nous sommes tous les deux saturés du monde urbanisé, alors nous évitons Saint Omer. Faut pas dévorer tous les plaisirs du premier coup.
Nous trouvons un sympathique camping minimaliste mais ultra-propre, à Tilques au bord des marais. Nous partageons cette belle campagne avec les blondes flamandes qui broutent leur prairie sans s’émouvoir de patauger dans l’herbe humide. Une compagnie dont je ne me lasse pas.
Comme de grosses pluies sont annoncées pour demain, le patron nous conseille et nous prête des semelles « anti-enlisage » sous les roues avant du petit camion. Sorte de patins en tôle sur lesquels reposent les pneus et et les empêchent de s’enfoncer. Nous voilà bien chaussés pour affronter le gazon boueux.
En attendant, en ce bel après-midi ensoleillé, nous sortons les vélos pour partir le long du sentier du Lansbergue. Sympathique rivière qui prend son temps pour rejoindre le canal de l’Aa (cher aux cruciverbistes) et va se noyer dans la mer du Nord.
Nous croisons des pêcheurs insouciants, des promeneurs nonchalants, des enfants joyeux, des barques somnolentes, des pontons isolés, de riches résidences, et des prairies et des forêts. Les vélos sont rares. Ouf !
Laurent s’arrête soudain, je pile derrière lui.
- Oh, faut prévenir quand tu t’arrêtes. J’ai failli me vautrer sur toi.
- Désolé, je viens juste de repérer le bac qui nous permettra de passer sur l’autre rive.
- Le bac, on doit prendre un bac ?
- Oui, regarde en face, je vais l’appeler.
- Mais y’a pas un chat en vue. Tu risques pas de trouver un pilote
- C’est un bac à chaînes. Pas besoin de pilote.
- Un bac à chaînes ?
- Oui, la navette est reliée aux berges par deux chaînes qui font la largeur de la rivière. Si le bac est du bon côté, il suffit de monter à bord et de se tirer avec la chaîne sur l’autre rive. Sinon, il faut ramener la barque à soi en tirant sur la chaîne fixée au ponton.
La manip semble facile, mais la barque ne m’inspire pas. Ça ressemble de loin à une cuvette en bois géante dont les fonds plats sont pleins d’eau. Et puis, elle est pas de première jeunesse cette barcasse. Le ponton ne vaut guère mieux.
Je m’approche avec précaution de notre débarcadère.
- T’as vu l’état du ponton. Avec le poids des vélos, on va passer à travers avant d’avoir posé un pied dans la caisse à savon.
Mais Laurent aime bien les défis technologiques. Il prend les commandes. Il ramène facilement ce baquet hors d’âge jusqu’à nous.
- Monte à bord et retiens la navette pendant que je monte ton vélo à bord.
La manœuvre n’est pas si simple. Les vélos assistés sont lourds. Mais ça se passe bien pour le premier. Plus compliqué pour le deuxième. La béquille baissée se coince dans le bois du ponton et Laurent n’arrive pas à dégager le vélo. Je me précipite pour l’aider. Le bac libéré recule. Grand écart et hurlement.
- Qué s tu fais ? Retiens le bateau.
Je lâche le vélo qui fait une étonnante référence, une roue dans le fond de la barcasse, l'autre dans le vide, le côté le plus lourd bien sûr. Je tire à fond sur la chaîne. La foutue barque ne bouge pas d’un poil. C’est une vision étrange, d’un vélo, guidon de travers, qui fait ponton entre la berge et cette sorte de baquet et Laurent qui fulmine, un pied sur la berge, un pied sur le plat du bateau pour retenir le vélo…
Je tire un grand coup et le baquet cogne avec violence le ponton. Plouf, La planche d’accostage tombe à l’eau. Laurent a juste le temps de s’affaler sur les vélos.
Je hurle de rire. Guère charitable !
La photo zénitude, c'est avant qu'on entreprenne notre embarquement.
Quelques tours de roues plus loin.
- T’as libéré la chaîne avant de partir ?
- Heu, je sais pas, peut-être
- … Ou peut-être pas ?
Nous sommes maladroits mais pas insouciants. Demi-tour pour nous assurer que les prochains usagers de la barcasse pourront la récupérer quel que soit le côté de leur embarquement. Ouf, le cuveau se berce mollement au milieu du canal, y’a pas d’embarcation plus libre dans ce monde difficile.
Nouvelle facétie Gps. Nous nous trouvons au bout d’une impasse, faut faire demi-tour et repasser le bac à chaînes… Non ! Si, si, si !
Nous avons la chance d’y rejoindre deux locaux habitués de la manœuvre. Notre embarquement se fait sans histoire, à quatre c’est fastoche, enfin trois. Moi, j'ai pour habitude de laisser faire ceux qui savent. Quelques minutes de traversée. Nous papotons gentiment...
- C’est la première fois que vous prenez ce bac ?
- Non, non l’avons déjà pris dans l’autre sens.
- Ah, pas évident avec des vélos aussi lourds, vous avez dû galérer.
- Non, pensez-vous, aucun problème.
Laurent me jette un regard qui rigole.
- Et puis, ma femme était là pour m’aider… !
Mercredi 22 mai
Nouvel endroit idéal. Un petit village noyé au coeur du marais, CLAIRMARAIS. Nous prenons le temps de visiter l'église de briques roses. Elles sont particulières ici les églises. Elles sont très sobres et massives. Leur clocher carré semble chétif. Ce sont de belles matrones, toutes sur le même modèle. Je les aime bien.
Nous parquons le petit camion au fond d'un site dédié au marais et à sa découverte. La vue est imprenable sur les canaux et les prairies. Nous voilà seuls au fond du monde. Nous y passerons deux nuits, le temps de réserver une embarcation pour un tour dans l’eau, le lendemain sous le soleil, paraît-il. Ça vaut la peine de s’attarder.
Pour l'heure il pleut à seaux. Moment idéal pour fréquenter l'estaminet du village (sorte de taverne). Nous allons nous frotter à la gastronomie locale, le welsh.
Le welsh, c’est un gratin savoureux de tranches de pain trempées dans la bière brune, couvertes de jambon (ou dans notre cas, plus festif, d’aiguillettes de porcelet confites, épice moutarde) le tout enseveli sous une incroyable couche de cheddar. On peut l’enrichir d’oeufs mais nous l’avons évité. Un festin recommandé à midi et bien à jeun. Nous étions prévenus, tout va bien.
Comme prévu, exploration du marais audomarois à bord d'une barque traditionnelle, le bacôve, qui servait dans l'ancien temps au transport des légumes depuis les champs aménagés dans le marais. Nous avons la chance d'être seuls avec une jeune femme à la fois pilote et guide. Enfin surtout pilote car nous sillonnons pendant 1h30, une multitude de canaux et watringues (plus petits canaux) et bien entendu le canal de l'Aa.
Les zones maraîchères sont distribuées en parcelles que les canaux isolent les unes des autres. On peut y accéder par la route, mais à l'intérieur du marais, beaucoup de maisons ne sont accessibles que par voie d'eau. Chacune dispose du fameux bac à chaînes ou de petits canots pour rejoindre les pistes urbanisées. Quant à la faune et la flore du marais, elles ne se distinguent guère de ce que nous connaissons tous.
Couvées de colverts, nichées de foulques, les soulets avec leur bec en forme de spatule, le foulque macroule si chic avec son costume noir, sa bande frontale et son bec tout blanc. La grèbe huppé qui s'effarouche et le héron cendré que rien ne perturbe. Les saules sont les arbres dominants, saules pleureurs bien entendu, saules blancs, saules jaunes, saules tortueux. Les iris aux fleurs jaunes forment un rempart épais le long des berges. Nous perturbons de belles plaques de nénuphars blancs.
Et le soleil qui nous éblouit et nous enchante...
Demain cap vers la côte d'Opale... A bientôt.