STRASBOURG-À LA RECERCHE DU TEMPS PERDU-2015

février 2015           lune2                  

Fin février, relations familiales en berne pour Laurent, appel au secours de sa maman, nous décidons de répondre à son appel. Je l'accompagnerai. Mais ma volonté inébranlable est de demeurer hors de leur circuit familial.

Ainsi fut fait. 25 février, 9h du matin, cap sur Strasbourg, face au mistral. Dommage qu'on puisse pas tirer des bords, on économiserait le carburant.

arbres
autorute

Pendant qu'on avale les monts et les vaux, il faut que je vous parle de Claudine, car elle sera le refuge de cette escapade. C'est une petite dame de la soixantaine. Nous avons été très intimes toutes les deux dans les années 1975... Nous avons vécu ensemble nos premières amours...  Ma confiance en elle était totale. 15 ans, 16 ans, 17 ans, j'étais si jeune. Claudine m'embarquait avec ses "vieux" copains, (plus de 20 ans souvent)  j'étais un peu la petite soeur dont on ballade l'innocence avec respect. 

Quelle chance pour moi d'avoir partagé avec eux ces beaux dimanches. Claudine était douce, compatissante. Elle n'a pas changé. Elle est toujours aussi généreuse, franche et honnête... Je ne lui connais aucun défaut pourtant je l'ai pratiquée de très près et dans maintes circonstances compliquées de mon adolescence. En face d'elle je me suis toujours sentie comme une sorte de bulldozer.

C'est donc elle qui met son appartement à notre disposition. La voilà prête à nous accueillir le mercredi soir. Demain elle partira vers le grand nord vosgien pour quelques jours. Elle a rempli le frigo pour nous avec ordre de ne rien laisser « car je ne sais pas quand je rentrerai et tous les aliments seront foutus ! » Enchantés Laurent et moi, qu'elle ait repoussé de 24 heures son départ pour nous accueillir. Enchantés Laurent et moi de nous sentir d'emblée si bien dans son intérieur chaleureux et coquet. Vous n'imaginez pas combien je suis émue de la voir trottiner de la cuisine à la salle à manger, tirée à quatre épingles, son tablier immaculé sanglé autour des reins. Quelle excellente soirée ! Du coup Laurent juque-là, sérieusement perturbé par les soucis internes à sa famille, s'est apaisé.

Je n'insiste pas sur notre visite à Grand maman, casée dans un EHPAD de Koenigshoffen qui n'est rien moins qu'une sorte d'hôpital pour vieilles gens. D'autant que je passe un moment malgré tout sympathique avec la maman de Laurent, et nous voilà déjà jeudi soir.

Vendredi, toute la journée, Laurent a prévu de « co-voiturer » Ses deux sœurs et sa maman pour un long moment à Gundershoffen pour une rencontre au sommet avec leur troisième soeur.

pluie

Une belle journée solitaire s'annonce pour moi. Solitaire est de la même racine que solitude... (solus-solo) Et ça n'a rien à voir. La solitude est un sentiment de perte, d'absence voire de souffrance. Solitaire est un adjectif qui ramène à un choix d'isolement et dans mon cas précis à un vrai bonheur !....

Rien que cette précision me précipite joyeusement sous la pluie.

9h30, je quitte l'appartement de Claudine, sous une espèce de crachin qui fait semblant de pas mouiller. Le ciel est gris, gris, gris... Le tram (qu'on appelle aussi le val à Strasbourg) me dépose à quelques pas de la bibliothèque Malraux que mon amie Danièle m'avait fait découvrir il y a quelques années. Je rêvais d'y retourner à mon rythme, 2000m2 de tourisme intérieur, imaginez qu'avec Laurent, c'est quasi mission impossible. Je m'émerveille sur la passerelle qui mène à la belle façade incrustée de maximes, je me vois déjà pousser la lourde porte. Mes bras ne sont pas assez grands pour tout ce dont je veux disposer... je musarde dans de vastes espaces, j'étale et j'empile... je flaire, je hume... Comme si j'y étais. Sauf que la porte me résiste parce que la médiathèque est fermée. Zut alors !

Strasbourg m'attend, et mon désappointement est de courte durée. Au détour de la passerelle, je m'attarde, en léchant la pluie qui goutte au bout de mon nez. J'oserais jamais faire ça, si Laurent était près de moi. Dans le bassin Malraux, un escadron de cygnes s'est rassemblé, pas moins d'une soixantaine que je prends joyeusement le temps de dénombrer, comment font-ils pour pas se geler le croupion,

 

cygn 2

 
 

(question :  les volailles peuvent-elles se geler les fesses ?)

kruten

 

 

 

Je traverse la Krutenau, quartier considéré comme « mal famé » dans ma jeunesse. Réhabilité dans les années 1980, c'est aujourd'hui un quartier artistes-bobos, très prisé des investisseurs. Mais il n'est pas si différent que ça et je me sens en terrain très familier.

Bien entendu, le quai St Nicolas, puis le plus beau pont de ce monde (Corbeau), demi tour, j'ai failli rater le musée alsacien que j'avais visité dans les années 70...

Je pousse la porte, ça me permettra de respirer un peu au sec. Le musée s'est considérablement enrichi, mais je suis un peu mal à l'aise. Germain Muller y a pris ses quartiers, il y prend trop de place. Cet artiste politique mort en 1994 est une figure incontournable du monde alsacien. Ces gags en dialecte traduits me laissent en marge de son humour... et je ne trouve pas ça drôle. Dans son langage, il taille aux français de l'intérieur (que je suis et vosgienne en plus !) un costume qui coince aux entournures. Quelque peu poussiéreux tout ça. Je passerai cependant deux bonnes heures à travers les coursives et chambrettes joliment aménagées à la mode d'antan. C'est magnifique, un autre monde, et qui sent bon celui-là.

La belle Strasbourgeoise m'émeut et me fascine.

Quel Chic ! Quel chapeau ! Quelle robe ! Vous l'imaginez qui avance pieusement dans l'allée centrale de la cathédrale, s'agenouille en relevant ses dentelles au pied de l'autel, penche son chapeau vers l'arrière, les yeux mi-clos pour recevoir l'ostie...

Quelle classe ! 

Rien que pour voir ça, faudrait aller à la messe !

belle

Flâneries du coté de la cathédrale, je peux m'y sentir très seule. C'est pas un temps à mettre les touristes dehors. Mais c'est un temps idéal pour voyager dans l'intemporel. Je marche à la recherche de sensations anciennes que je retrouve avec émotion. J'avais 15/17 ans en ce temps là. La place de la cathédrale était mon fief, je logeais à deux pas, un foyer sympa, rue des échasses. La rue du Dôme que j'enfile avec impatience car je veux me perdre dans la librairie « Berger Levrault », qui est devenue la librairie Broglie... tiens donc. Je m'attarde dans le magasin de musique qui prolonge la librairie... dommage qu'Olivier soit pas là, on aurait eu des gammes à faire... C'est décidé au retour j'achète un piano neuf... si ça se trouve ce sera un numérique à marteaux... si, si, ça existe, faut juste envisager le budget... en souvenir de cette formidable journée qui me ramène à moi seule...

Me voilà place Kleber, d'autant plus immense qu'elle est quasi déserte. Trop tôt pour rentrer. Je repars sous les arcades, cap sur les quais... Guère raisonnable car ma cheville me taquine... Tant pis pour elle, j'aime trop ces précieux moments. Je repère une jeune fille grassouillette qui marche devant moi, et si c'était « la moi » d'un autre temps. Je me cale sur ses déplacements. Marche rapide, arrêt vitrine, départ, ralentissement, accélération... Elle se rend compte de rien. Je délire, j'ai 15 ans, j'ai 17 ans, je m'amuse follement. C'est rigolo de jouer à la « filateuse » surtout quand je décide de me filer moi-même. Zut, voilà qu' elle entre dans une boutique « colifichets », c'est pas possible, je ne me reconnais plus. Je n'ai jamais eu un centime de franc à gaspiller dans ce genre de commerce. finalement je quitte ce moi, qui ne me va pas si bien que ça.

J'ai 65 ans et Strasbourg est magnifique. Je n'en finis pas de respirer, d'entendre et de voir, je m'imprègne, je me laisse engloutir, Le ciel aussi menace de m'engloutir. Voilà qu'il pleut des cordes. L'humidité m'imprègne, et je frissonne.

Cap sur le tram... Je meurs de faim, j'ai oublié le repas de midi, et c'est déjà l'après-midi. Vite, au sec, l'appartement de Claudine m'attend et si ça se trouve Laurent aussi !

VOL CIG

 

 

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