PAS SI BÊTE, LA TRUFFE (2023)
OU LA RABASSIÈRE PROVENÇALE ou Tuber melanosporum
SON ORIGINE AU PÉRIGORD,
La légende raconte qu'un soir d'hiver, une vieille femme vint taper à la porte d'un bûcheron et sa famille, demandant asile. Celui-ci lui offrit le gîte et le couvert. La vieille retrouva alors sa forme de jeune et belle femme et se présenta comme la fée du Périgord. Elle offrit au bûcheron quelques graines en échange de sa bonté. Elle lui conseilla de les planter au pied de ses arbres. Il en sortirait alors des champignons qui feraient sa richesse. Et il en fut ainsi. Toutefois n'ayant rien oublié de sa générosité, le bûcheron partagea ses fruits avec les habitants de son village ; ce qui instaura paix, richesse et prospérité. À sa mort, ses fils héritèrent de son château et de ses biens mais pas de sa bonté. Un soir d'hiver, un vieille femme vint toquer à leur porte et ils la renvoyèrent. La fée, car c'était elle, reprit alors tous les biens de la famille et changea les trois fils en truies. C'est ainsi que les truffes furent ramassées à l'aide de truies.
Mais aujourd'hui les chiens sont les plus utilisés. Plus faciles à déplacer, plus faciles à adopter, plus dociles, plus sociables et moins voraces.
Yolaine nous accueille en cette belle fin de matinée printanière, souriante et disponible.
- Dis Laurent, tu trouves pas qu'elle a un p'tit air de la fée de la légende Yolaine,
- Ah, tu crois ? Une fée moderne alors !
Il me suffit de si peu pour faire entrer le rêve dans mon quotidien.
Nos quatre compagnons, Annette et Claude qui nous ont invités à cette belle escapade en Cévennes et les fidèles amis Arlette et Patrick, ce que l'Alsace produit de meilleur en amitiés.
Donc, notre bonne fée, d'un regard un rien taquin
- Alors que savez-vous de la truffe ?
Échanges de regards perplexes, c'est Patrick qui se jette à l'eau.
- C'est un champignon.
Annette continue,
- On les récolte l'hiver et y'en a peu.
Claude dont l'érudition nous épate toujours
- Ils ont besoin des racines pour se nourrir.
Et moi, qui sait pas grand chose
- On les récolte dans des trufferies
Patrick se marre,
- Et le récoltant est un truffiste....Ha, ha, ha !
Yolaine, hoche la tête en rigolant.
- D'accord pour tout, sauf que les plantations sont des truffières et que les personnes qui travaillent dans les truffières sont des trufficultrices, trufficulteurs...
- J'aimais bien trufferie et truffiste, dommage !
Annette toujours l'esprit éducatif,
- Et y'a des écoles de trufficulteurs.
C'est fou comme elle jongle facilement avec ce mot barbare. Yolaine s'engouffre dans la question pour développer son propos.
- Il n'y a pas d'école dédiée à ce métier. Quelques heures de formation sont organisées par les Chambres d'Agriculture. Après on apprend sur le tas et on se perfectionne avec nos réussites et aussi nos erreurs.
- Est-ce que les truffes poussent uniquement sous les chênes ?
Yolaine, nous entraîne dans la truffière et détaille les arbres qui nous entourent. Ils sont encore en mode hivernal et un peu tristounets, mais ils vont bientôt reverdir. Les espèces plantées à la Maison de Garniac sont : les chênes blancs et verts, tilleuls, charmes, cistes cotonneux. Ils ont beaucoup souffert de la sécheresse cet été et n'ont quasiment rien produit.
- Peut-être que vous devriez planter des pins, ils sont à l'aise en Provence.
Yolaine est estomaquée par cette question,
- Oh là, là, oui, biens sûr, le pin, il peut-être truffier... mais en Provence personne ne commet la folie de planter des pins.
Elle marque une pause, pour nous permettre de réfléchir à ce risque majeur. Je vois danser dans ses yeux un gigantesque incendie de truffières. Total cauchemar.
Puis elle se resssaisit.
- Il faut savoir que la nature du sol ou le type d'arbre n'a aucune incidence sur la qualité de la truffe. Il n'y a pas de terroir. Il y juste différentes sortes de truffes, qui auront partout le même aspect, la même odeur, la même saveur.
La jeune femmes développe ensuite un peu plus l'aspect technique de cette étonnante culture de champignons de luxe.
- Donc la truffe se développe en symbiose avec les racines des arbres dont elle se nourrit. Elle est souterraine, d'où l'importance des chiens dont le flair exceptionnel permet de les repérer en surface... Lorsque le chien truffier arrive à proximité d'une production, il s'agite, il gratte frénétiquement. Le cavage (du verbe caver) est la recherche de la truffe par creusement du sol. Le chien avec ses pattes, le trufficulteur avec son pic à truffes. Il faut garder le chien en laisse pour l'écarter rapidement car il dévorerait vite la truffe qu'il a repérée.
Mon âme délicate s'émeut :
- Mais c'est pas sympa de le frustrer comme ça !
Sourire rassurant de Yolaine,
- Ne vous inquiétez pas, nos poches sont pourvues de récompenses qui les comblent, mais ce ne sont pas des truffes, il y en a trop peu. Et puis c'est si cher.
Les outils du trufficulteur :
LE CAVADOU- pic à truffes-
FOUGÉ-GRATTOU (en provençal)
ou le TRUFFADOU permettent de creuser puis de dégager la truffe sans l'abîmer.
Donc vous remarquerez autour des arbres, des cercles réguliers de sol complètement nu,
comme brûlé avec une végétation opulente tout autour.
Ce sont des brûlés ou ronds de sorcières.
On trouve les champignons à la périphéries de ces cercles.
C'est un signe évident que là, poussent des champignons.
Le développement de la truffe noire se fait sur plusieurs mois :
février mars : germination
avril mai : colonisation des sols
juin juillet : formation des truffettes
aout-sep-oct : croissance des truffes
novembre : maturation
décembre-janvier : récolte
Il existe aussi une truffe d'été. Lorsque nos forêts étaient opulentes et sauvages, on pouvait récolter 250 tonnes de truffes par an. Cette production est tombée à 20-30 tonnes aujourd'hui. Cela est dû essentiellement à l’exode rural et la désertification des campagnes.
La truffe noire dite du Périgord est cultivée à 80% dans le sud-est de la France, à 20 % dans le sud-ouest. Mais c'est l'Espagne le 1er producteur mondial. Bien entendu, la gastronomie espagnole ne rend pas hommage à la truffe. Ce produit est essentiellement dédié à l'exportation. L'italie est le deuxième producteur et la France n'arrrive qu'en troisième position.
En fonction de la production et de sa qualité, de l'endroit où on l'achète, le prix de la truffe peut varier de 800 € à plus de 2000 €. Il faut compter 10g de truffe par personne pour une consommation gustative. Quand on parle de diamant noir....
Nous pouvons trouver de la truffe "bon marché" appellation truffe de chine, qui est très médiocre et qu'il faut éviter.
À proscrire définitivement les produits industriels dit "à la truffe" la plupart du temps des champignons noirs parfumés. Pour avoir droit à l'appellation "à la truffe" le produit doit être composé de 1% de truffe. Guère détectable pour le palais du consommateur. Des arômes y sont donc ajoutés qui peuvent bien entendu être de synthèse. Autrement dit de la truffe plus vraie que nature, c'est forcément louche.
Le moment est venu de passer à la dégustation de la vraie truffe.
Nous entrons dans un bel espace, salle à manger lumineuse.
Elle se prolonge par une vaste cuisine et plus loin une grande salle.
Nous apprenons que Yolaine organise des ateliers culinaires à base de truffes, avec possibilité d'hébergement.
Elle nous présente ses produits finis élaborés à base de truffes :
brandade à la truffe d'hiver,
carpaccio à la truffe d'été,
foie gras truffé et autres délicatesses...
Nous commençons à nous dissiper, un peu moins attentifs. Tout ça nous a mis l'eau à la bouche et nous sommes impatients.
Nous pouvons enfin nous asseoir à la table de dégustation, ce moment qui nous fait saliver depuis de longues minutes.
Toasts au beurre truffé - fromages truffés - panacota truffée
Nous voilà, les mines gourmandes, les nez en alerte, les palais à l'affût.
- c'est subtil comme saveur
- en odeur aussi
- oh le beurre, j'adoOOOre !
mais aussi
- Oh c'est bon, ce fromage, étonnant !
et puis une grincheuse
- Pour moi, le beurre est légèrement salé, le fromage délicatement fait, la panacotta sucrée... Zut alors, qu'est ce qu'on doit sentir d'autre ?
De toute évidence nous n'avons pas tous le palais assez délicat pour en détecter la subtile saveur.
Le débat se fait discret autour de notre petit cercle, la truffette serait-elle affaire de sensibilité, de mode, ou de marque de standing ?
L'idéal pour se faire une véritable idée de la truffe serait de faire cette expérience au moment de sa récolte, toute fraîche, c'est à dire en hiver.