2012 CONCERT À LA CHÈVRERIE-Lançon de Provence
Jeudi 19 juillet 2011 / La Chèvrerie.
Un concert à notre mesure, pour un départ de vacances en Provence. Nous sommes en bonne compagnie. Un anti-conformiste (Debussy), une star ombrageuse (Beethoven), un poète grinçant (Hindemith), un Slave que nous courtisons peu (Rachmaninov)... Compositeurs dont l'un ou l'autre nous laisse interrogatifs, mais nous aimons connaître d'autres côtés du connu.
C'est surtout le choix des instruments qui me rend si impatiente, flûte traversière, violoncelle et piano.... Le trio roi !
Nous avons réservé nos places, nous avons l'adresse, un lieu pastoral, pas loin des chez nous, la "chèvrerie Honnoré" à Lançon de Provence.
Le festival piano de la Roque d'Anthéron nous habitue à des lieux insolites et dans une ferme, il y a moult endroits d'idéale acoustique. Pourquoi pas ?
On arrive à l'heure, nous trouvons des places sympas, pas trop loin de la scène... Nous sommes bel et bien dans la chèvrerie. Dès l'entrée de la cour, l'odeur puissante du fourrage, des mangeoires et des bêtes nous coupe le souffle.
Les chaises sont alignées en rangs serrées dans la partie "grange" des mangeoires, en tête à tête avec les dortoirs des bêtes. C'est le plein été, les animaux gambadent dans les prés. Les lieux sont déserts. Plus loin, du dehors on perçoit de discrets chevrottements... Ça devrait pas trop parasiter l'écoute.
Quelques ajustements de chaises, de pupiptres, un hommes vaque... Puis des essais de spots... La salle est discrète, les auditeurs-spectateurs s'installent. Une soudaine agitation, me distrait des nausées que l'odeur lourde de la chèvrerie m'inspire. Battements d'aile, cris de poule.... Elle nous toisait du haut des mangeoire... Pas précipités, gloussements mécontents. On a réussi à la saisir, elle traverse l'allée centrale fermement empoignée contre son geolier, bec coincé contre sa poitrine. Il traverse au pas de course et s'éloigne. Évacuation d'une poule mélomane.
Une nouvelle agitation, des piétinements, des bêlements, des chocs sourds... Là, y'a pas de doutes, ce sont les chèvres qui intègrent leur bercail. Je suis appuyée contre les mangeoires et je vois s'agiter au dessus de ma tête, des cornes joliment arrondies. De temps en temps, un regard brun, aussi profond que vide passe à travers les planches. Fichtre, ça brille les yeux d'une chèvre dans sa mangeoire.
Tout le temps du concert, nous serons en continuelle bascule entre le troupeau qui corne, rumine et mangeaille et les envolées extraordinaires des musiciens.
Jamais je n'ai entendu des sons aussi puissants, aussi délicats dans le "prélude à l'après-midi d'un faune"... Des deux sonates violoncelle, l'une résolument moderne m'a presque réconciliée avec l'art néo-classique, l'autre réosolument romantique m'a chaviré l'esprit, et du coup je vais revoir mon avis sur Rachmaninov.
Comme pour Debussy, la manière d'Emmanuelle Cala, si neuve, si personnelle, si délicate...
Un concert d'excellente qualité. Pas compliqué de faire abstraction des chèvres dans ce cas-là.
Sauf que,
Se laisser imprégner de douceur ou de violence, se laisser emporter dans des vagues musicales, chanter dans sa tête... et BANG ! un grand coup de sabot dans une cloison qui résonne, tous ces gnaf-gnaf-gnaf, qui dominent les silences, silences si précieux dans la musique.... Gnaf-gnaf, strong, blong, blong ! Mais que viennent foutrent là ces chèvres ? Que c'est brutal d'atterrir dans une chèvrerie.
Alors oui, concert à la chèvrerie c'est exotique, oui vous pouvez y aller pour expérimenter un lieu insolite.
Mais si vous voulez vous livrer intensément, exclusivement à la musique, ce n'est pas, vraiment pas, le bon endroit.