La Léoube

Mardi 14 juillet 2009. Baie d'Alicastre Porquerolles.
Réveil secoué à 8h. Coup de vent NE annoncé notre abri promet de devenir inconfortable. Décision quasi immédiate de filer vers le nord du bassin, Miramar la Londe par exemple. Même pas le temps de boire un café. Le vent forcit à vue d'oreilles. Nous filons au prés très serré avec deux ris dans la grand voile et un bout de génois. On bondit sur l'écume, vitesse plus de 6 noeuds. Forcément un peu brutale comme navigation. Mais jouissif en même temps.MER FUITE

Au milieu de la passe on  croirait chahuter dans les remous du canal de la Dominique. L'écume déferle à l'avant.  Le pont sera briqué de neuf par la mer. Il n'y a plus grand monde qui navigue. Seul entre la côte et les îles, LDM chahute avec les vagues et s'en donne à coeur joie. Pour Laurent et moi,  malgré la capote, quelques giclées d'embruns qui décrassent la figure... Nous restons stoïques comme toujours.
On se rapproche de la côte. Progressivement la mer se tasse. Notre allure devient franchement agréable. Les embruns ne frappent plus la capote pour inonder le cockpit. Ouf nous pouvons respirer librement !
Bravo,  il est là le site de rêve. Derrière la pointe de Léoube à l'abri d'un magnifique rocher envahi de pins d'alep. Un vrai trou à cyclone. Je vise une trouée de sable entre les algues par 6,50m de fonds. Visons juste pour aligner nos 30 mètres de chaîne !
Il est dix heures du matin. On a toute la journée pour surveiller notre mouillage. Comble de bonheur c'est le désert.
C'est fort intéressant, une fois que nous y sommes, d'autres voiliers viennent tenter cet abri. Beaucoup dérapent. Et le vent commence à nous fatiguer les oreilles. La météo du soir annonce du calme dès cette nuiT. Ouf !
Blottis derrière la capote nous guettons le coucher du soleil sur la presqu'ile de Giens. C'est vraiment chouette.
C'est très étrange la vie de plaisancier. Nous sommes scotchés à bord à cause de la précarité de la météo. Nous menons une vie très contemplative, entre observation des oiseaux qui tirent des bords pour rejoindre la plage, spectacle des autres voiliers et de leurs mouillages plus ou moins hasardeux, lecture intensément, travail informatique sur le court métrage pour Laurent, concertation pour les choix de coupe, de sons... Pause repas, café, vaisselle... Eventuellement toilette très sommaire !

Concert de flûte traversière tous les soirs, Laurent fait au vent une concurrence déloyale.FLUTE
J'adore !

Mercredi 15 juillet 2009
Le temps s'est bien radouci. A 4h du matin, je me suis levée stressée par des poussées violentes de NE. Je suis restée 1h sous le cockpit à veiller dans la nuit claire. Les nuages s'effilochaient autour de la lune. Les îles du Levant au sud faisaient de grandes taches grises à l'horizon. Des éclairs intempestifs, silencieux, loin vers l'Est annonçaient de l'orage. Une fois sortie de la couchette, j'étais prête au pire, apaisée. Le vent est tombé d'un coup. Les éclairs ont disparu du ciel. A 5h, je me suis allongée toute habillée dans le carré avec une couverture, prête à réagir si le temps se dégradait. Mais j'ai dormi comme un loir jusqu'à 9h du matin.
La météo promet des brises estivales.  Le régime idéal est annoncé pour demain. Ce matin la temprérature de l'eau affiche 24°, nous sommes en marche vers les vacances.
En fin d'après-midi un voilier s'installe à babord, distance très respectable. Une fine et joyeuse équipe s'y agite. Ils nous intriguent car ils jettent une première ancre à l'arrière. Ils y ajoutent une deuxième ancre et long de chaîne. Diantre, qu'est-ce que ça signifie et puis, est-ce bien raisonnable ? Un bon moment plus tard, tout le monde passe à l'avant du bateau. Ils se rassemblent en poussant de grands cris autour d'une voile colorée qui pourrait être un spi. Nous ne comprenons pas ce qu'ils mijotent. Peu après, quatre d'entre eux sautent à l'eau. Les autres envoient le spi  (au mouillage ?). Une écoute flotte jusque
dans l'eau, que l'un des nageurs maintient. L'autre écoute est nouée aux deux points d'amure du spi qui se gonfle joliment comme une baudruche. En voilà une étonnante balançoire. Ça braille à bord et ça braille dans l'eau.
- Lâche la drisse.
- Lâche pas l'écoute.
- Cramponne toi
- Qu'est-ce tu fous, retiens la drisse...
Un des nageurs se cramponne à la " balançoire ".  Le vent est léger, une quinzaine de noeuds mais il secoue l'écoute. ll'acrobate est vivement traîné, soulevé au ras de l'eau, replongé. Il en fait de l'écume celui-là.
- Oh zut, oh la là, ouille ouille ouille
SPI LEOUBED'un coup en même temps que la balançoire s'élève dans le ciel, le garçon comme une araignée au bout de son fil gigote en l'air.
- Youpi, ça marche, je vole, je vole....SAUT SPI
Il s'assied sur son cordage, il se met debout, il se bascule en " cochon pendu ",  suspendu par le spi et balancé vaillammant par les courants d'air. Un bien joli spectacle et des sensations terribles que ces jeunes garçons et filles se disputent.
Plus tard nous pourrons parler à l'un d'eux qui s'est approché de LDM à la nage. Il viendra récupérer sur une clé USB les photos faites par Laurent. Quelle agréable compagnie au moment de l'apéro ce jeune garçon de 16 ans. Il navigue en famille et cousinage depuis qu'il est né... L'eau, la mer, la voile sont vraiment ses éléments.  Il est plein d'enthousiasme. Un bien beau monde. Oui, mais,
jeudi matin, météo du matin, chagrin. Et vlan, la dépression s'était comblée sur l'Algérie. Une autre se forme juste sur nous. Y'en a marre. Nouveau coup de vent annoncé force 7/8 vendredi soir, samedi toute la journée, la nuit et journée de dimanche. (Force7/8 pour ceux qui n'ont pas l'échelle beaufort en tête, ça représente une moyenne de 35 noeuds soient 70km/h). Ne parlons pas des rafales et de leurs vagues traîtresses. Mais alors ce sera quand l'été ? Pour l'heure, tout le monde aux abris.   Vous feriez quoi vous ? Chiche on rentre ?  Ras le bol de ces coups de vent. Un coup de l'Ouest, un coup de l'Est, mer
chahuteuse et vent capricieux. Vous croyez que c'est de la plaisance ça ! En même temps, aujourd'hui régime de brises, on pourrait en profiter pour continuer vers l'Est. On ne fera pas grande distance sous  brise, Une quinzaine de milles à la voile, ça paraît jouable. Cap sur Cavalaire peut-être !

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- Allo, bonjour, je voudrais parler à la Noiraude s'il vous plaît.
- Oui, c'est moi bonjour. C'est toi Grignot-age ? Encore quelque chose qui cloche ?
- Hélàs, je suis très inquiet, je voudrais savoir comment réagir ! C'est bien embêtant ça.
- Bon de quoi s'agit-il ?
- Tout allait bien et d'un coup, voilà l'ambiance à bord devenue très morose. Je ne comprends pas. Leur mal de dos recule, leur toux s'éclaircit, ils ont retrouvé tous les deux leur verticalité. Ils ont l'air plutôt en forme. Mais ils ronchonnent et tous les deux en plus, et je ne sais pas comment leur remonter le moral. J'ai même pas intérêt à me trouver dans leurs jambes.
- Oh, je connais ça, c'est inévitable, ça fait partie des vacances en mer. Ils rouspètent parce que le vent est trop violent, jamais dans le bon sens. Ils rouspètent parce qu'ils ont froid. Ils rouspètent parce qu'ils se croient prisonniers de leur mouillage. Ils rouspètent parce que les voisins font du bruit, parce que quelqu'un dérape sur leur chaîne. Ils rouspètent parce que l'eau est trop froide, le vent leur casse les oreilles et la houle leur donne mal au coeur. Ils rouspètent parce les moteurs voisins puent.  Ils rouspètent parce que la vaisselle tinte dans les équipets et que les bouteilles de vins chantent dans leur  casier. Ils rouspètent parce que leur vie est précaire. Ils rouspètent parce qu'ils ont envie de rouspéter. Rien à faire contre ça !
- Je ne comprends pas. Si c'est si chiant la voile, pourquoi ils naviguent et surtout pourquoi ils appellent ça de la plaisance alors là, je comprends vraiment pas.
- Parce que tout ça est passager. Dès que la météo s'arrange, ils boivent un pastis ou un whisky  pour évacuer le mal au coeur et l'alcool leur ouvre de beaux horizons. Bientôt ils seront émerveillés, souriants et tendres. Après l'esprit bongon, y'a l'esprit bourbon... Et vive la plaisance !
- Et je fais quoi en attendant l'esprit bourbon ?
- Planque-toi dans ta couchette et dors !

 

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