CÔTE D'OPALE
vendredi 23 mai.
Nous quittons notre refuge du marais de Saint Omer sans la moindre idée de l’idée où nous ranger le soir. C'est notre luxe à tous les deux, improviser l'étape du soir comme nous portent nos pneus, quand ça nous chante. Je remarque aussi que nous sommes incapables de séjourner à un endroit, aussi agréable qu'il soit. Une nuit, deux au maximum et nous éprouvons tous les deux le besoin de décamper... Ailleurs, une autre forme de vie. C'est chouette. Car pas loin d'ici, on se la coule douce à marée basse.
Nous posons le petit camion à quelques pas du Cap Blanc Nez, dans un camping de rêve quasi désert. Première visite à pied. Bien entendu nous dominons la mer depuis le haut de la falaise crayeuse (134 mètres) . Le temps est maussade, pas de touristes pour parasiter cet incroyable espace. Un escalier a été ouvert pour permettre la descente sur l’immense plage. La mer est en « retirage » comme on dirait dans mon doux pays des Vosges. Nous restons fascinés par la hauteur de ces murailles.
De vrais HLM . Les mouettes ont loué les étage inférieurs pour la saison. Le vol des gardiennes qui croisent leurs cercles en poussant des cris rauques signalent les nurseries. Les étages supérieurs sont habités par les grands cormorans noirs qui tiennent leur distance de sécurité avec les mouettes. Gare à celui qui volerait trop bas.
Au sol une armée d’oiseaux adultes prennent un bain de siège dans les flaques de la marée descendante. C’est une affaire sérieuse car les oiseaux très concentrés, n’émettent aucun son. Soudain, un signal secret est donné et c'est l'envolée d'un immense nuage de mouettes blanches qui nous passe par dessus la tête. Plus loin, le va et vient constant de ceux et celles qui cherchent pitance dans le sable pour les petits.
Le paysage est d’une incroyable variété de couleurs. Des grosses roches plates et rondes s’étalent sur le sable. Leurs coiffes d’algues vertes ont été soigneusement brossées par les mouvements de la marée.
La mer toute proche brille sous le soleil. Il faut imaginer l’impressionnante hauteur de la falaise, la multitude d’oiseaux qui vaquent à ses affaires parentales et les nuées de vols blancs qui illuminent la plage pour mesurer la splendeur de ces images.
Ce monde nous change considérablement de l’ambiance des marais. Un autre charme que nous goûtons sans modération.
Le Cap Gris Nez nous attend. Une rando vélo s’impose. Nous partons à sa découverte (environ 30 mètres, 40 au plus haut) Quel circuit ! Nous circulons à travers des pistes vélo, des voies vertes, des petites routes champêtres, pour nous tout seuls. Un incroyable sentiment de vastitude qui donne envie de s' envoler. Les dunes de champs immenses s’étalent à perte de vue. Elles s’arrondissent en pentes vertigineuses, se rejoignent dans les creux et remontent. C’est un pays agricole qui domine la mer.
Quelquefois, notre piste se borde de bois.
Nous plongeons dans une vallée, lorsque nous débouchons de ce labyrinthe, la lumière nous éblouit. Nous retrouvons les immenses champs verts, au loin une bande de mer qui longe la côte anglaise semée de petits points colorés. Ce sont les ferry et cargos qui circulent dans cette espèce de ruban bleu. C’est un pays en montagnes russes. On descend le long d’une dune pendant un kilomètre voire deux, puis il faut remonter pour attaquer la dune suivante, et c’est raide. Surtout que nous économisons les batteries pour pouvoir rentrer avec.
Baie de Somme- Nous nous abritons dans la banlieue de Berck sur Mer sous des pluies torrentielles. Toujours isolés et parfaitement heureux.
-Regarde, une éclaircie. On part en vélo.
- D’accord on va où ?
- Chiche on va à la rencontre des phoques !
Installés dans la baie d’Authie, les phoques se vautrent à marée basse dans toute la baie, allongés sur les roches plates. Ils sont visibles depuis une longue digue, mais à distance plus que respectable des humains. Ce sont des animaux farouches et les humains sont stupides. Ils s’imaginent pouvoir les approcher et se risquent dans l’eau. Leur curiosité inutile repousse les phoques toujours plus loin sur d'autres bandes découvertes. C’est dommage. Malgré ça, c’est un grand moment de rêve. Leur manière de se déplacer à terre en se tirant sur leurs nageoires à une vitesse incroyable. Leur manière de plonger, nager à toute allure en soulevant des gerbes d’écume, puis de disparaître sous les eaux pour réapparaître là où on ne les attend pas. Leur manière de se croiser dans l’eau, de se télescoper.
Dimanche 26 mai 2024, Le Crotoy
Dimanche de fête pour les mamans alors forcément je pense un peu plus que d’habitude à mes enfants, qui eux aussi pensent à moi, et me le disent. Quel bonheur la famille !
- Trésor, ça te dirait une grande rando pédestre et originale pour fêter ça ?
- Bien sûr, mais originale en quoi ?
- Je me déconnecte, je t’impose pas le Gps.
- Vraiment ?
- Vraiment. On va juste suivre un sentier balisé
C’est un départ grandiose, nous circulons sur un sentier très confortable à travers des forêts de dunes, comment dire, des dunes couvertes de forêts. Les pinèdes très claires, au sol taché de sable se mélangent avec les érables enchevêtrés dans des feuillus fouillis. On monte et on descend dans ces dunes sylvestres. Quelquefois on les contourne. J’ai fréquenté des tas de forêts et des quantité de bois, mais jamais sous ce format là. J’adore.
Et puis d’un coup, le sable. Une belle montée qui dérape et nous nous trouvons face à la mer que nous dominons d’une belle hauteur. C’est grandiose.
Nous restons un long moment, le cul dans le sable à l'abri du vent, contemplatifs et silencieux. On se lève, Laurent me montre une allée dans le sable,
- Le retour doit être ici, à droite, on va rejoindre une piste plus large.
- Et comment tu sais ça ?
- Parce que le circuit fait une boucle et que ça continue par là...pour rejoindre la forêt.
Les broussailles s’épaississent, notre allée devient un layon… il faudrait un coupe-coupe… Et nous n’avons ni le couteau suisse de MacGyver, ni même un opinel… quant au sentier… J’imite la voix suave du GPS
- Recalcule de votre itinéraire… Faites demi-tour dès que possible !
On continue cependant,
- Regarde une trouée verte. C’est bon signe, allons-y.
- Crotazut, c’est des marais…regarde y’a de l’eau partout.
Nous voilà à patauger avec précaution dans de l’herbe instable et de l’eau jusqu’aux chevilles quelquefois. Je ronchonne. Laurent se marre.
- Chut ! Si on réveille la sorcière des marais, on en sortira pas...
À peine le temps de finir sa phrase, le terrain par magie, redevient sec, et nous longeons de nouveau la forêt.
Nous voilà sauvés, sauf que nous butons sur une clôture qui n’en finit pas. Et d’un coup la fameuse piste apparaît mais de l’autre côté du grillage, nous continuons à le longer.
Une jolie dame qui tient ses deux chiens en laisse, apparaît de l’autre côté, sur la piste.
- Bonjour, vous êtes prisonniers de la sorcière ?
- Un peu, bonjour, y'a une sortie quelque part ?
- Cherchez pas vous tournerez en rond le long de la clôture. Y’a pas de sortie.
Elle rigole de bon coeur.
- J’ai fait comme vous. Des gendarmes qui passaient par là, m’ont dit que la seule solution c’est de se glisser sous le fil.
Je vous laisse imaginer le cirque. Rien que pour rejoindre le sol avec mes genoux arthrosiques. Et puis, ramper sur le ventre, me contorsionner, me plier, gémir et rigoler en même temps, et mes bourrelets de cellulite qui coincent sous mes vêtements. Oh là, là !
Le retour par la magnifique forêt de dunes m’a redonné la forme, enfin presque. Je sais pas où était la sorcière mais le ciel était avec nous. Du grand vrai beau temps, première météo de luxe depuis notre départ.
Nous envisageons des mondes plus civilisés prochainement... Rouen, routes non déterminées....