- Tu sais qu’Aix est une ville d’eau, une ville thermale même ? Depuis des lustres.

- Des lustres, ça veut dire depuis les australopithèques ? (il se délecte à le prononcer)

Je rigole. c’est ça qu’y est bon avec Laurent, il partage mes délires.

- Imagine, des géants poilus, au visage noir, les lippes charnues, la tête crêpue légèrement oblique, une tignasse incroyable qui dégouline dans leur dos.

- Ils avaient déjà découvert l’Afrique et importé des noirs à Aix ?

- Mais non, il paraît que les premiers humanoïdes se sont verticalisés en Afrique. Alors j'adapte juste la couleur locale.

Laurent se gratte le front. Je ne l’ai pas convaincu. Il a son petit sourire en coin que j’adore. Alors je l'embarque.

- Pas mal de mouvements entre les cases du village. Les australopithèques se croisent mais s’ignorent. La courtoisie n’a pas encore été inventée. L’un d’eux porte un gourdin dans une main (on n'est jamais trop prudent) et son petit balluchon en peau de mammouth sur l’épaule, avec son nécessaire de toilette. Voilà qu'il croise une géante à la chevelure extravagante, mèches boueuses ficelées grossièrement avec des lianes. Quelle allure ! Elle grogne un rire discret, un léger feulement. Elle ralentit à peine. Sa marche se déhanche, une démarche de canard qui se veut séductrice. Elle fait demi-tour, le suit jusqu’aux thermes, arrive à son niveau. Ils disparaissent à travers les murs.

- Oh là, là, Il aurait pu s’en passer de belles dans les bassins en ce temps là !

- Oui, mais, nos australopithèques du jour, s’ils ont trouvé là, à chasser-cueillir, ils ne devaient guère être que des tribus semi-sauvages, quant aux bains publics boueux... dans lesquels, ils se vautreraient. Faut pas exagérer, c’était pas des sangliers non plus.

Le regard de Laurent est toujours souriant mais attentif. Que lui inspirent mes utopiques bains boueux de la préhistoire ?

Donc, La ville d’Aix ne vient au monde civilisé qu’avec l'invasion romaine. Le Général Sextius Calvinius, avait installé là ses garnisons. Le temps de dominer les populations locales. il a laissé sa marque au cours du même nom. Imaginons le monde gaulois, tout aussi boueux et hirsute que le précédent, mais en pleine révolution sociale. Voilà les gaulois soumis au raffinement de la vie romaine. Une cité aux rues qui se sont pavées, des habitations en bois, des cours intérieures coquettes, des bains publics, des lieux de rencontres. Un réseau de canaux qui amenaient l’eau en divers points car les romains sont des maniaques de l’aqueduc. Les toges élégantes séduisent les rustiques locaux, les braies et autres chausses, leur en tombent. Pour ceux qui veulent approndir le sujet de manière sérieuse,  je vous rappelle les excellentes références d'Astérix le futé pour ce qui est de la vie sociétale, et d'Obélix le bienheureux pour ce qui est de la vie quotidienne. Ils nous ont transmis pas mal d'ouvrages sur la guerre des Gaulles autrement documentés que les pages de de l'illustre César...

C’est plus tard aux XVIIème et XVIIIème siècle que les antiques points d’eau, se sont matérialisés en « monuments ». Style florentin ou baroque, et selon les influences artistiques du moment. La circulation humaine autour de ces sources multiples est dense. Les rues sont pavées, étroites, les maisons accolées les unes aux autres, les boutiques en pas de portes ouverts, permettent de saluer les artisans au travail. Des commères papotent, leur corbeille de linge sous le bras. Des notables marchent précieusment en évitant le marasme des eaux ménagères et les souillons courent au service de leur maîtresse...

 

Et puis il y a, le somptueux, LOU COUS

(en provençal, n’oubliez pas de pronconcer le s, sinon de quoi aurez-vous l'air ?)

C'est l'artère principale, où se retrouve le beau peuple de la ville. On y flâne, on s’y exhibe, on s’y repère. On y traite de bonnes affaires, et de moins bonnes.... Les cavaliers fiers déambulent au pas. Des gamins bouclés sagement tenus en mains par des nurses souriantes. Les belles du jour en phaetons luxueux prennent des poses langoureuses.

Elle s'appelait "le cours des carrosses" Ici, les manants ne s’aventuraient point.

Ainsi prennent corps les fontaines d’aujourd’hui à travers ce qui était alors la capitale de Provence.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous partons du cours Sextius, nom du célèbre Général Romain fondateur de la ville.

 

La première fontaine que nous croisons est la fontaine Pascal (nom de l’architecte). Une farandole égaie le sommet de la fontaines, à la base un tambourinaire donne le tempo. C’est une fontaine qui danse à défaut de chanter.

 

 

 

 

Et nous voici aux Thermes. La fontaine est à l’intérieur, l’eau n’est pas destinée à être bue. Les sources chaudes alimentent les différents bassins. Intérieur aseptisé, une sympathique jeune femme est à l’accueil, mais elle ne sait pas grand chose sur les thermes. Elle nous oriente vers une galerie vitrée qui met à jour des fouilles exhumées de l’installation romaine antique. Peu de choses pour les incultes personnes que nous sommes. Cela ne satisfait pas notre curiosité. Mais nous apprenons cependant que les eaux thermales d’Aix sont des eaux qui soignent essentiellement le moral et l’esthétique. Cure anti-stress, cure minceur, cure bien être... La sécurité sociale ne reconnaît pas ce genre de bienfaits.

 

 

La fontaine Villeverte se trouvait à l’époque en pleine campagne, d’où son nom. Une vaste coquille à hauteur d’homme permettait l’accès pour le quotidien et l’eau potable. A l’opposé le grand bassin permettait aux animaux de se désaltérer.

 

La fontaines Espeluque (nom du propriétaire de la source) date de 1718 destinée aux moines du cloître. Déplacée ensuite pour profiter à la population. En médaillon Marcel de Provence, illustre artiste qui ne m’a pas été présenté jusqu’à ce jour.

 

 

 

 

La fontaine des Lumières d'une étrange forme cubitale est d’inspiration moderne (inaugurée en 1998).

Elle est ornée d’une étoile de bronze à 12 branches dorées. La source d’eau chaude qui l’alimente est à 33°

 

 

 

 

Hypnotisée  par de beaux atlantes fort musculeux  qui soutiennent l'entrée du plus vieil hôtel d'Aix, Hotel Maurel de Ponteves(du nom du riche drapier qui l'a fait construire) dit aussi Crésus de Provence (XVIIè)

 

C'est aujourd'hui le Tribunal de Commerce.

 

Pfuit... Je n'ai pas vu disparaître Laurent... Lui c'est à l'affut des fontaines qu'il se consacre.

Et je le retrouve  à l’arrière de la cour,  complètement séduit par la fontaine Pontevès,

aussi discrète que romantique appuyée sur un mur à colonnades de toute beauté...

 

 

La majestueuse et svelte fontaine de l’Hôtel de Ville. Au milieu de la place aux hôtels particuliers magnifiques nous invite à une pause romantique.

 

                                                                     

La plus célèbre des fontaines d’Aix, place d’Albertas,

bordée de pavés rustiques dans une belle ambiance renaissance.

     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

Le cours Mirabeau, que les puristes disent  "Lou Cous",

s’ouvre sur la lumière crue de cette belle journée d’hiver.

En fin d'année, il s'illumine d'un fabuleux marché de Noël.

Le grand marché du mardi matin reste un lieu à fréquenter avec nonchalance.

Aujourd'hui, le ciel scintille à travers les branches nues des platanes.

C’est une vision épurée, reposante de cette belle artère qui reste le lieu par excellence

où flâner et musarder.

Et rêver au bord des fontaines...

 

Le Roy René, majestueux en sa fontaine, vue impenable sur le Cours Mirabeau, surveille de son œil affuté tout ce peuple nonchalant. 

Il paraît qu’il ne se ressemble pas. Les artistes parisiens l’ont fait tout maigre. Il a l’air un peu dur, peut-être qu’il en a sa claque des manières peu respectueuses de la gente actuelle.

Le sculpteur a délicatement déposé quelques livres et symboles artistiques à ses pieds, histoire de le distraire et de nous rappeler que ce bon roi était aussi un mécène, défenseur des arts...

Dans sa main, Une grappe de muscat offerte, rappelle qu’il a introduit le muscat en Provence.

Quant aux transporteurs parisiens qui ont livré ces quelques six tonnes de marbre blanc couché sur une charrette à plateau, il leur a fallu un mois pour arriver à Aix...

 

La fontaine moussue ; encore une source d’eau chaude- 22° en ce mois de janvier 2021.

Trois sortes de mousses différentes ont noyé les détails de la fontaine dans leur filaments et rameaux enchevêtrés.

Revenons à nos moutons si j’ose dire.

La fontaine des neuf canons. Deux vasques superposées envahies elles aussi de verdure, se partagent neuf becs verseurs. Sa margelle basse permettait un accès facile pour l’usage domestique et l’abreuvoir des animaux de passage. (Aix était une étape pour les moutons qui transhumaient depuis la plaine de la Crau vers les Alpes du sud.

 

 

 

 

- Regarde là-bas des dauphins.
- Des dauphins, tu rêves.
- Non, viens voir.

Je me précipite derrière Laurent. Son œil de photographe voit toujours des images qui m’échappent. C’est chouette de déambuler avec lui.

La fontaine des quatre dauphins (que l’ont doit au prestigieux Jean Claude Rambot XVIIe) indique les quatre points cardinaux.

Ouf on se perdra pas. On retrouve à son sommet, l’incontournable pomme de pin, symbole d’éternité.

 

 

 

 

Et puis nous quitterons LOU COUS, en saluant au passage les statues allégoriques (arts-sciences et industrie) qui marquent l’entrée du Cours Mirabeau depuis la rotonde.

         

 

Et voici la merveille des merveilles, l’immense fontaine de la Rotonde.(H 12m-D 32m-alimentée par le canal de Provence). C’est le clou des fontaines d’Aix, le bouquet final. Il faut s’attarder à ses pieds. Faire abstraction de la circulation trop dense. Aujourd’hui, les Aixois flânent dans les bassins asséchés pour l’hiver. Les curieux les yeux éblouis par le ciel tombent amoureux des Trois Grâces, qui dominent le bassin : Justice (face au cours Mirabeau)-Commerce et Agriculture (face à Marseille)-Beaux Arts (face à Avignon).. Les romantiques se lovent contre les lions débonnaires qui veillent sur ce peuple de pierre. les sensuels caressent les dauphins, les angelots, coquillages, ou cygnes chevauchés par des anges.

Et nous, assis sur une margelle, on se laisse pénétrer de cette ambiance paresseuse presque printanière.

 

Dans peu de temps, ce sera la belle saison. La fontaine alors prendra vie. Une débauche de cascades et majestueux arceaux d’eau vive.

Une autre vision du monde aixois et de sa splendeur.