MINORQUE 2007 - Velaux, Fornells

20 juillet 2007.

On oublie trop souvent un aspect incontournable du départ en croisière. C'est à la fois, le plus important, et le plus pénible. C'est celui du préparatoire à terre, l'instant d'avant départ. Depuis des mois on en parle. On rêve d'un ailleurs encore indécis.carenage

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La seule certitude, c'est de partir, quitter le terre à terre. Bien des soirées à deux, nous trompons le quotidien. Sur notre terrasse de Velaux, Laurent et moi, nous scrutons la nuit. Au delà de l'Etang de Berre, plein sud, les collines de la Mède nous promettent la Côte Bleue. Nous savons la mer à portée de quille. Et nous rêvons ensemble.

Nous allons libérer Lune de Miel de ses amarres dans quelques mois, dans quelques semaines, zut alors, dans quelques jours déjà. Le temps se précipite. Serons-nous prêts lorsque notre équipier va sonner à la porte ? Incroyable ce stock de matériel à embarquer, les toiles, l'annexe, la survie, le linge, le carburant... Et tout cet avitaillement. Combien de navettes brouettes ? Entre la maison et la voiture, la voiture et Lune de Miel...
ldm pnton

Ouf, nous y voilà ! A la maison, la serrure du portail tout neuf a été revue, graissée, ajustée, caressée en vue de sa longue immobilisation en position fermée. Même moi, je l'ai testée...Une éventuelle canicule peut chauffer le fer, y'a de la marge. 
Vendredi début d'après-midi, Roger et Marie arrivent à Velaux. Départ imminent. Les hommes ont soigneusement empilé ce qui reste, essentiellement les denrées de produits frais et des liquides. La voiture est bourrée jusqu'à la gueule. Laurent a bouclé toutes les portes, activé l'alarme. Nickel, tout super bien. Tout le monde dehors, dernier tour de clé du portail.... Pardon, qu'est-ce qui se passe ? Ça coince, ah bon, où ça, qui ça ? Non ! La serrure ? Oui, ça coince salement même irrémédiablement ! Laurent pousse, tire, secoue, en vain, impossible de bouger la clé. Roger vient à la rescousse. Impossible, on a beau secouer ce maudit portail, secouer cette maudite clé, suer, suer, (surtout suer...) la clé reste fichée, scotchée à son trou, cette conne. Pause pour tout le monde. Laurent se gratte les cheveux. Il toise son portail en fronçant les yeux, oh la la, ça va mal. Il se gratte encore un peu le front. Voilà, la décision est prise. Il se résout à rouvrir les accès maison, direction l'atelier. Il met en marche l'alarme par inadvertance, quelle importance, ça au moins ça marche. Il reparaît, allure martiale et décidée, armé de ....sa meuleuse d'angle et d'une longue rallonge électrique. Non, mais c'est qui le patron ici... Instant bidouille à la porte de sortie. Ça grince dans la serrure, ça se rebelle, mais Laurent aura le dernier mot... et finalement la clé finira par se soumettre. Je voudrais que vous imaginiez cette image extraordinaire de trois quidams en attente derrière une voiture bourrée de bagages, et un mec sur le départ, en bermuda et birgenstocks, qui lime sa serrure pour pouvoir la fermer. Notre amie Marie ne doit pas être trop tranquille de confier l'avenir de son mari à deux ostrogoths aussi désorganisés que nous. Mais c'est une dame discrète et mesurée. Je crois qu'elle a plutôt trouvé ça marrant. Merci Marie pour ta patience.

 

Samedi 21 juillet 2007. Martigues, panne n°1

Silence totale dans la nuit de nos couchettes. Sommeil à quai de trois futurs navigateurs bien tranquilles. Un quart d'heure avant que sonne le réveil, Laurent, Roger et moi sommes opérationnels. Nous attendons cependant quatre heures du matin pour appeler Fos Port Contrôle et demander l'ouverture du pont. A cinq heures nous nous présentons en même temps que les premiers grincements de pont annoncent notre libération. sortie martC'est la première fois que nous quittons le port de nuit. Y'a un monde fou. Les lumières inhabituelles donnent à notre départ une dimension mystérieuse. Très vite l'armada d'embracations se disperse. Vive la solitude.  Un souffle d'air nous caresse le visage. Je n'ai pas le temps de passer par la phase contemplative. Laurent veut en profiter pour envoyer la grand voile. Pourquoi pas, c'est archi-calme. Roger impatient de passer en phase opérationnelle se poste au pied du mat, hardi petit. Et m.... la drisse se rebelle. Elle s'accroche autour de la lampe de pont. Comment ? une facétie de matériel ? Nous ne sommes pas encore partis et déjà notre installation merdoie. Roger doit commencer à avoir des doutes sur l'équipage, moi, à sa place .... 
Lui, non pas du tout. Dès cet instant, il démontre à quel point il est capable de rester stoïque. C'est lui qui s'harnache à la chaise de mat et c'est Laurent qui le winche. Moi, je reste zen, je barre... Pas bien méchante la récupération de drisse, mais ça ne fait guère sérieux.
Sortie de Port de Bouc, nouveau troupeau d'embarcations en sortie du canal, on s'étale dans le bassin. Cap sur la mer, cap sur Fornells, environ deux cents milles, vent au départ N/NE force quatre puis cinq à six, quasi arrière. On décide de tangonner le génois. Le vent passera à l'ouest puis au Sud Est. Nous naviguons la plupart du temps au grand largue, une allure de rêve, vitesse moyenne de déplacement six noeuds avec des pointes à plus de huit noeuds. Idéal. Le hic, c'est que la mer est agitée, houle croisée, de bons creux qui secouent, et que le mal de mer me prend sournoisement l'estomac et sans prévenir juste avant la nuit. La météo nous annonce une traversée musclée, et moi je dégobille. Dommage que je sois si vieille, j'ose même pas pleurer de déception. Dans ma semi-présence, je remarque par moment que la mer a une couleur inhabituelle, grisâtre, ou bleu nuit, selon la lumière. Mais elle est très agitée, et nous sommes bien bousculés. En fin d'après-midi, une échappée de dauphins en goguette me met en joie, bref enthousiasme que de nouvelles nausées sabordent. 
Nous avons parcouru deux cent dix milles en trente-cinq heures. A une allure idéale, et avec quatre heures de moteur. Retranchons les trois quarts d'heure du canal de Martigues et les manoeuvres de mouillages, en deux fois, la première ancre a été posée dans l'herbe..., nous avons fait moins de trois heures de moteur. Franchement c'est inespéré comme traversée,

roger merparlez-en à Roger et à Laurent.... C'est la plus belle traversée méditerranée que nous ayons faite, et c'est celle dont j'ai le moins profité à cause de mon état semi-comateux. J'ai de vagues souvenirs de ferry qui nous ont souvent croisés pendant la nuit. Il valait mieux, ça me tenait réveillée pendant ma veille. j'ai pris un quart laborieux de une heure du matin à trois heures du matin. J'ai repris à cinq heures du matin car je ne voulais pas rater le lever du soleil, mais je n'étais franchement pas en état de l'attendre. Les hommes ont assumé sans moi, je me suis peut-être un peu laissée aller parce que je pouvais me décharger de mes responsabilités sur Roger.... Allez savoir... J'ai passé la journée à frissonner soit à l'arrière du cockpit, soit dans la couchette du carré... Tu parles d'une traversée.

Dimanche 23 juillet. 16 heures . 40°03,90'N/ O4°08,10'E.

Arrivée musclée à Fornells. Côte nord de Minorque. C'est une immense baie très profonde ; Nous choisissons le bord Est, loin du port et de l'agitation de la ville. Cala Salada. Ouf, je me sens revivre. C'est l'un des premiers abris lorsqu'on arrive. Il est peu fréquenté et on s'y loge facilement.

Nous croisons quelques téméraires qui sortent de l'abri...
sortie mer

Nous organisons notre vie au mouillage, un petit air de plaisance souffle sur le pont.

Lundi 24 juillet 2007.

Une journée sympathique au mouillage et à terre.

cala pequenaNous déambulons avec Roger à travers les sentiers qui traversent des forêts sauvages et giboyeuses. Il n'en revient pas de croiser ici autant de plumes familières, palombes, perdreaux, colombes... Il nous apprend un autre art de vivre, celui de la forêt sauvage. Il détaille avec beaucoup de délicatesses un perdreau qui passe pas loin, son vol au ras des arbustes, les nuances de son plumage, ses piqués dans les broussailles. Pas de doutes, il a une fibre affective profonde avec le gibier à plumes. Et de conclure " non seulement cet oiseau est magnifique mais en plus il est délicieux à manger "... On peut donc aimer joliment, il est même sentimental Roger quand il parle de la forêt. Et en même temps il peut la dévorer. Cela me fascine.


Mardi 25 juillet 2007.

Le coup de vent qui sévit dans le nord du bassin, et plus particulièrement Golfe du Lion et Provence nous amène des vents guère sympas pour sortir d'ici. La mer au large festonne largement, à l'entrée de Fornells, elle asperge copieusement les rochers. On est bien ici, pourquoi s'y frotter ? Monaco Radio nous promet de belles échappées météo dans les jours à venir, patientons, farnientons, bullons, nous sommes là pour ça.

Mercredi 25juillet 2007 .

Cala de Algayerens 40°03,00'N / 03°55,30'E .

Au moteur, une dizaine de milles de Fornells vers l'ouest.
Le vent promis ne nous a pas gonflé le génois, dommage. Nous apercevons une large ouverture dans les roches, mais l'entrée du mouillage nous paraît incertain, parfaitement invisible. 
Il faut vraiment déborder l'entrée de la baie pour revenir au fond et découvrir le passage entre les rochers. 
C'est bien ça ! Discret, exactement ce qu'il nous faut.
alguerien

Il y a deux plages tout au fond parfaitement abritées du S/SW, ouvertes au nord, mais le temps s'est stabilisé. La mer se calme. Nous choisissons la " playa pequena ". 
Génial, par deux à quatre mètres de fonds, on mouille dans le sable sans problème. Il y a peu de monde. Eau limpide, magnifique. 
Plus tard, nous découvrons à terre une lagune sauvage et très peuplée, refuge d'une multitude de tortues. Ce site est digne des plus belles images de caraïbes. Si vous venez pas là, ne le ratez pas.
 


INTERMÈDE N°1

- Allô, Docteur, ici c'est la Noiraude, vous souvenez-vous de moi ?
- Bien sûr, ça alors, la Noiraude, d'où sortez-vous ?
- Oh la la, il m'en est arrivé des trucs, je vous écrirai mes mémoires un jour, mais là tout de suite, j'ai un problème
- Allons bon, je vous reconnais bien là, dites-moi, que vous arrive-t-il ?
- Voilà, Docteur, je suis à bord de mon navire préféré, j'ai retrouvé mes deux potes favoris, à peine différents, enfin si un peu quand même. Mais franchement, c'est que du bonheur. Et puis, voilà, dès qu'on a pris la mer, je me suis sentie fatiguée, déprimée, nerveuse. La mer était moche, le navire me paraissait hostile, j'avais la bouche pâteuse, dégoût de parole... Le moindre geste me coûtait un effort colossal. J'avais juste envie de dormir, dormir et plus jamais me réveiller. J'ai peur, je crains que ce soit grave ?
- Mais non, la Noiraude, ce n'est pas grave du tout. Ce sont juste les effets pervers du mal de mère.
- Mal de mère ? Docteur, voyons, y'a longtemps que je suis sevrée.
- Je vous parle du mal des transports, le mal de mer, la Noiraude.
- Ah connais pas ! Mais c'est vous le Docteur. Et je fais quoi pour guérir.
- Prenez votre mal en patience, forcez-vous à bouger, à rire, admirer les vagues, les oiseaux, appréciez vos amis à leur juste valeur, et même un peu plus. Nourrissez vous convenablement, buvez beaucoup. Surtout ne parlez plus de peur et réveillez vos rêves.
- Vous croyez que ça suffira.
- Je crois pas, j'en suis certain, bonne nav la Noiraude.

 

 


 

 

 

Minorque sud. Ciudadella,

Vendredi 27 juillet 2007. 39°59,60'N 03°49,70'E.
Onze milles au moteur sur une mer très calme. Navigation relaxe. Un p'tit tour de reconnaissance dans le port de Ciudadela, absolument magnifique. Quel coup d'oeil, ses villas somptueuses qui bordent l'entrée de la calanque, ses quais animés.ciud

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La première calanque, "es Frares" , deux renfoncements étroits sont déjà bien habités. Dommage ! La suivante, cala "en busquets" est désormais organisée en pontons. Marina toute neuve et fort accueillante. Mais le mouillage y est interdit, et l'entrée affiche "NO ENTRAR-FULL". Aucune possibilité d'offrir une pause à notre quille ici. Au ralenti, nous pénétrons le petit bassin bordé de "Minorquines" aux lignes longues et élégantes. Les quais sont rustiques et animés. C'est l'ambiance d'une petite ville très active, pêche et tourisme. C'est un peu au sud, à la sortie du port que nous poserons notre ancre. "Playa Degollador". Roger se mouille allégrement le premier pour aller porter une amarre dans les rochers et stabiliser Lune de Miel par l'arrière. C'est un bien bel endroit. Une fois ou l'autre, un mini-raz de marée se fracasse dans les rochers, Lune de Miel danse comme un bouchon. On se cramponne aux haubans, mais on ne voit pas le monstre qui provoque ce chahut. Surprenant mais rare.
Avec l'annexe nous retournerons en ville. L'accueil nous déçoit. Pas de quai pour les embarcations auxiliaire. Nous devons nous enfoncer tout au fond du port, à la mise à l'eau des barques. Nous nous sentons comment dire, "tolérés mais mal aimés". Nous déambulons dans le centre historique. C'est vraiment plein de charmes authentiques cette ville.

lau ja

Mais quelle chaleur ! Je crois que le tourisme de Ciudadela est destiné aux estivants qui arrivent par les navettes inter-îles, en voiture ou en bus depuis Mahon. Pour la plaisance, c'est pas le top.

 

 

 

Samedi 28 juillet 2007.

La météo s'annonce idéale pour contourner l'ile par le Sud. Nous partons avec enthousiasme et très vite la mer et le vent nous offrent une allure magnifique. Nous sommes tous les trois en pleine forme, et Lune de Miel nage dans l'effervescence.

phareLe vent est au Nord-Est, allure de bon plein dans une mer très sage. Le bleu profond du bon temps avec quelques ridules qui n'annoncent pas l'âge ingrat des météos nerveuses. Je me sens enfin en croisière. Nous barrons à tour de rôle, nous filons comme le vent, avec des pointes inespérées à huit noeuds. Au sud de Minorque nous devons soit contourner l'Ile del Aïre, soit passer dans le chenal. Il est annoncé à 3 mètres de profondeur au milieu. Laurent bien entendu veut tenter ça. Ce n'est pas si simple de garder le cap. Nous prenons progressivement le vent de face, l'allure change, les rafales nous poussent au lof. Et nous ne devons surtout pas nous écarter du milieu de la passe sous risque d'ensablage.

roger barreNous sommes tous les trois concentrés sur ce passage, Roger magistral à la barre, Laurent cramponné à l'écoute de grand'voile pour pouvoir choquer rapidement en cas de survente.Et moi ? Je m'imprègne d'images et de sensations pour le plaisir de vivre ça et celui de vous le raconter. Après-midi bleu.
roger merLes eaux sont limpides à l'abri du bout de l'île. La lumière scintille sur un tapis d'émeraudes. Que la mer est sympathique et attirante. Je vous jure c'est tellement beau, si on s'arrêtait, j'y plongerais... Des journées de navigation comme ça, j'en veux tous les jours.

A seize heures nous entrons dans la passe de Mahon, capitale actuelle de Minorque. Cala Teulera, face à la citadelle Isabelle II de la Mola.

citad

C'est vaste et on peut se poser où on veut. Cinq mètres de fonds annoncés "sable de bonne tenue". Faut pas croire tout ce qui est écrit dans les bibles. Nous reprenons plusieurs fois notre mouillage. Il s'agit de terre et de sable fin, une sorte de boue dure et compacte. Laurent tire trop tôt vers l'arrière pour s'assurer de la prise, ne laisse pas à l'ancre le temps de s'enfoncer. On dérape lentement mais sûrement à chaque tentative. Le vent souffle force cinq, rafales à six, l'ancre aura bien l'occasion de se tendre, y'en a marre ! Laissons faire la nature (dixit Laurent) Vous devez bien vous doutez que ça ne me plaît qu'à moitié. 
Fort anxieuse, je passe la soirée à ajuster les repères à terre qui me prouvent que l'ancre résiste. Et la nuit à guetter derrière le rideau de la cabine arrière dès qu'une rafale me réveille et c'est bien souvent. Joie incontournable de certaines nuits au mouillage, petits yeux bien bouffis au lever. Roger me taquine en voyant ma tronche mais il m'avoue aussi que ça lui est arrivé de se lever dans la nuit pour jeter un oeil. 
roger terreAlors hein ! Y'a que Laurent qui a dormi sur ses deux oreilles cette nuit là. Je l'ai même entendu ronfler.

Nous aimons beaucoup Mahon. Nous y prenons nos marques pour le départ imminent de Roger, notre agréable équipier.

Toutefois, le coup de vent qui secoue le Golfe du Lion, Provence et Corse depuis quelques jours, perturbe notre ciel. Parole, ça souffle dur par moment, et il fait froid à l'ombre du bimini. Mais pour la découverte de la ville à pieds, c'est idéal.

Lundi 30 juillet 30 juillet 2007.

Réveil pour tout le monde à sept heures trente. Il s'agit de trouver un quai pour déposer Roger et ses bagages à proximité de son embarquement vers le continent. Merci à Marie-Jo qui nous a prêté son mari ces quelques jours.


roger

Roger, l'équipage restreint de Lune de Miel, s'est un peu senti abandonné après ton départ.

Pour nous consoler, en soirée nous sommes allés visiter le Fort Isabelle à deux coups de rames de chez nous. Si tu reviens par là, vas-y, tu seras captivé. 
A la nuit tombé, l'appel insistant du "Petit Duc" nous parle de toi. C'est la pleine lune. Magique ! 

Mardi 31 juillet 2007.
Une vraie journée de vacances. Le vent est tombé. Nous tournons gentiment autour de notre ancre. Un coup au sud, un coup au nord... Vision panoramique de Cala Teulera. Je déclare l'eau trop froide pour le bain. Il fait doux sous le bimini. Nous décidons d'en profiter toute la journée à bord. Flemme quand tu nous tiens ! Quelle bonne vie, nous avons là.

Minorque Albuferas-Colom

Mercredi 1er aout 2007 - 39°58'N - 04°16,60' E

Nous avons passé hier une journée de grand ménage à bord. C'est pas qu'on encrasse tant que ça la cabine ou le carré, mais à force de s'éparpiller, de poser vite fait n'importe quoi, n'importe où, ça me démangeait de faire l'espace un peu plus net. Comme disait la Noiraude en nous regardant d'un oeil sournois, "une femme n'y retrouverait pas son nourrisson dans votre boxon".

Aujourd'hui, la météo annonce du sud, nous prendrons donc la route vers le nord, cap Isla Colom, moins de dix milles nautiques. C'est vraiment un magnifique espace entre île et terre. De jolies plages dans des petits creux abrités... et une foule considérable d'embarcations qui entrent et qui sortent... Mouillage vraiment encombré. Un corps-mort disponible. trop tentant. Laurent se précipite à l'avant avec un cordage et je me mets à la barre. Hardi petit, face au vent, au ralenti. Manoeuvre impec et facile. Quel confort d'un coup ! lorsque tombe le soir, l'espace se vide en une heure. En sirotant notre pastis bien frais, nous dégustons un moment génial. Arrive l'heure du contrôle officiel du mouillage. Un grand homme en uniforme, la cinquantaine avantageuse, pilote son zodiac à travers les bouées. Il prend des notes... Allure fort intéressante à la Harrisson Ford (vous voyez ce que je veux dire les filles). A notre niveau, il ralentit, un grand sourire, "Holà !" et continue son chemin. Du rêve plein les yeux. Donc, nous sommes autorisés à rester là. Deux jours sur bouée gratuite. C'est pas beau Minorque !

es graoQuelques mots sur ce site, ne le ratez surtout pas, si vous passez par là. En arrivant du sud, juste avant l'île de Colom où nous sommes mouillés bien à l'abri du vent du sud, il y a une grande anse de sable fin, un petit village,"Es Grao"

et un accès balisé à terre, lagune des Albuferas. Ce village d'Es Grao, que nous avons abordé en annexe, est un magnifique endroit pour des vacances en famille. Les habitations à louer y sont nombreuses. C'est calme, à quinze kilomètres de Mahon (Maö), la capitale. On y trouve l'essentiel pour des vacances isolées et tranquilles. Et cette lagune ! Sentier de sable fin à travers une grande forêt de pins et chemins à travers d'énormes bouquets de joncs et d'asparagus. Des buissons verdoyants où les oiseaux en sécurité ne s'effarouchent même pas à notre passage.

albuferras 1

Danièle et Dominique (de DDT) nous aurions aimé que vous puissiez jouir de cet endroit avec nous.

albuferras 2

Ici, pas de pêche, pas de chasse. Faire silence. S'asseoir, prendre le temps d'entendre et de voir. Pur instant à engranger. Au retour, nous cédons le passage (priorité à droite oblige) à une tortue nonchalante qui mâchouille son brin d'herbe en nous croisant. Prends ton temps, ma belle, nous n'avons que ça à faire.
Fin d'après-midi, nous n'avons plus de pain, c'est moi qui m'y colle pour cette fournée. Option farine intégrale. Ouha, ça fleure bon la boulageaille dans ce navire.
Jeudi soir. Vraie journée de plaisance. Le total bonheur. Je me sens tellement bien, que je m'offre enfin mon premier bain de mer.


Vendredi 3 aout 2007.

On a bien fait d'en profiter. Nous sommes réveillés au milieu de la nuit par une agitation incroyable. Que disait la météo du soir ? C'est quoi ce cirque, ça devrait pas secouer autant !
C'est vite l'enfer. Laurent excédé de se faire bousculer par les mouvements intempestifs déménage dans le carré à deux heures du matin. J'ai toute la place pour me caler, je me rendors aussi sec, mais mal. Nuit chaotique, en sécurité puisque nous sommes sur bouée, mais très inconfortable. Le vent est passé au nord. La houle rentre à fond de train. Nous sommes vraiment malmenés et ça grince dans tous les coins du navire, et ça hurle dans les haubans. Qui c'est qui parlait de plaisance ? Le jour s'est levé, mauvais poil pour tout le monde, Noiraude comprise. Toujours grand secouage à bord. Météo annoncée, NE force quatre à six pour deux jours. Sans espoir d'amélioration immédiate, tempête sur le continent, mer forte... Cassons-nous vite fait. Petit-déjeuner ? Pas le temps, pas envie. D'abord, retrouver le havre si doux de Mahon. Vite sortir d'ici.
Nous quittons le mouillage avec trois ris dans la grand'voile et trois ris dans le génois. Petit toilage de midinette, mais Laurent ne veut pas se risquer à des manoeuvres scabreuses, on ne sait pas comment sera la mer à la sortie de notre abri.ldm mer

Très vite nous prenons une allure au travers, qui serait sympa si la mer l'était. Aussi petitement toilé que nous sommes, nous fonçons sur l'écume à plus de sept noeuds. Impressionnant. Le safran qui entre en vibrations au delà de six noeuds et demi nous offre un concert qui nous démoralise. Je crois que je n'ai jamais vu la méditerranée dans cet état. Les creux peuvent dépasser trois mètres. Ce sont les plus terribles. Ils nous bousculent salement. Nous plongeons dans les creux, il n'y a plus d'horizon. Les vagues sont courtes. Lorsqu'on court sur les crêtes, l'écume crache sa bave sur l'horizon. Drôle d'effet. C'est fort impressionnant et magnifique. Les vagues se brisent sur nos flans, éclaboussent le pont qui ruisselle. Les coups de déferlantes arrivent quelquefois par l'arrière. Les poussées au cul de Lune de Miel sont alors bien trop violentes. Restons vigilants. Nous nous relayons pour barrer. Guère de souplesse dans la conduite. On ne croise pas âme qui vive, même pas un goéland qui aurait envie de se faire décoiffer. Ma parole, y'a que nous dehors ! J'aimerais bien qu'on ralentisse. Ça va trop fort pour mon âme délicate. Nous sommes perplexes. Nous avons souvenirs de creux bien plus impressionnants que ça en atlantique. Notre problème c'est l'effet que ça fait ici. Cette mer n'est pas assez vaste pour d'aussi grosses vagues. Les creux et les bosses de houle n'ont pas de place pour s'étaler. Ils se poursuivent à toute allure et nous talonnent à coups de trique, et sans relâche. Des rafales plein les voiles, de la violence plein la coque, à peine une heure de déferlements, une éternité !
Oh la, la ... Que c'était long !


ouf, remparts

 Les remparts de la sympathique citadelle de la Mola apparaissent. Dès que nous entrons dans la passe de Mahon, le calme revient. J'adore Mahon et le mouillage de Teulera. En plus, y'a plein de place pour se poser.

 

 


Nous laisserons le sud de l'île aux plaisanciers du dimanche. Un peu de tourisme à Maho, en voilà une bonne idée. Pour info, le club nautique de Mahon affiche complet, le prix de la place pour un bateau de douze mètres est de soixante-dix-huit euros par jour. Ne venez pas à Minorque avec l'idée de profiter des ports, l'option résidence-hôtel est plus sûre et surtout plus économique.

 

Minorque, Cala Moli

Lundi 6 aout 2007. 40°0O,40' N - 04°12,00'E

Nous sommes saturés de vie citadine. La météo nous met un petit vent du sud dans les voiles, donc cap vers le nord. La Cala de Addaya, nous inspire.On y va tranquillement, voiles et moteur. Profitons-en pour faire de l'eau douce. Le guide (Imray 2007 est assez nul). Il aligne mise en garde sur mise en garde, alors que l'approche est balisée. C'est vrai que la cala se présente comme un très long couloir bordé de petits îlots et de cayes qui pourraient être traîtresses par mauvais temps.

passe1

passe2

 

 

 

 

 

Mais d'une part, les rochers affleurants et les taches claires des remontées de sable sont très visibles. D'autre part, l'entrée vers le port est parfaitement balisée par des bouées en S, vertes et rouges, qui canalisent la marche de manière très sûre. Aucun problème vraiment. Quant au port, il affiche complet, (tarif 2007 pour 12/14 mètres: 63 euros). Le mouillage prometteur de l'avant-port est minuscule. Il est encombré de bouées privées et l'espace disponible n'accorde de places que pour trois ou quatre mouillages par six mètres de fonds. Il vaut donc mieux arriver assez tôt si vous voulez vous caser dans de bonnes conditions. (l'heure idéale, nous semble être le début d'après-midi). Il est possible de s'engager très profond dans la lagune, terres sauvages et inaccessibles. C'est plein d'algues, et les fonds remontent très vite. Avec nos deux mètres de tirant d'eau nous ne sommes pas allés très loin. Par contre, nous avons exploré en annexe, et au delà de la zone du port, (fonds de sable et de vase), c'est un vrai champ d'algues. Prudence selon votre type d'ancre, la tenue risque d'être douteuse.  Dans le port d'Addaya, il n'y a pas grand chose, mais un petit supermarché local permet de refaire du plein de produits frais. L'eau est livrée par des camions citernes. Nous avons la chance de pouvoir nous caser devant le port au sud de l'islas Monas. C'est génial. Parfaitement abrité, de tous les vents et de la houle. C'est merveilleusement calme. Nous avons pas mal crapahuté d'une cala à l'autre et dans les rochers. On s'y plaît.

cala moli

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une longue matinée, safari photos, entre Addaya- Cala Moli_ Punta Nou-Cous et plus au nord, au delà de la lagune.

panoLe village de Na-Macaret. D'ici deux ou trois ans, nous ne reconnaîtrons certainement pas les terres intérieures car un immense programme d'urbanisation estivale est annoncé et une multitude de lotissements ont déjà posé leurs premières pierres. Dans les quartiers actuels, une maison sur 5 est à vendre. Est-ce projet juteux ?

La météo annonce un coup de vent sur Lion-Provence. L'endroit est idéal pour attendre que les cieux se calment. A propos de vent, nous observons que les BMS  Nord/Ouest, qui sévissent entre Lion-Provence-Corse et Ligure, génèrent dans la zone météo de Minorque des vents de Nord-Est assez forts, et surtout lèvent une houle très pénible sur la côte nord. Qu'il faut prendre en compte pour vous déplacer, même si le vent local est modéré. Surtout si vous marchez dans une allure que vous avez souhaité idéale.

Mardi soir, la météo ne s'arrange pas. Toujours Nord/Est, quatre à six, avec en prime des ondées orageuses. C'est toujours le mistral du nord qui met la pagaille ici. Quelle époque !

Mercredi 8 août 2007. 
La météo s'aggrave. Cette nuit le vent doit passer au Sud/Ouest dans les Bouches de Bonifaccio, avec un BMS sévère, pas gâtés les expatriés en Corse. Ici, on annonce du NW force sept... (environ trente noeuds) au minimum pour cette nuit et demain toute la journée.  Nous voici prisonniers d'Addaya. Laurent s'ennuie à bord. Alors il a une idée fumeuse. "Si on relâchait une dizaine de mètres de chaîne (on a déjà 30 mètres dehors) on prendrait la bouée juste derrière nous. Elle paraît libre depuis deux jours. Comme ça, si notre ancre ripe, nous serons quand même tenus... par l'avant;

- Et si le propriétaire arrive ?
- Y'a peu de chance, pas en pleine tempête. Sinon, on lâche notre cordage, et on sera toujours tenu par notre ancre qui n'aura guère été sollicitée.
- Et si notre ancre se mêle à celle du corps-mort ?
- Aucun risque, le vent va tourner NW donc de l'autre côté...
- Et si, et si.. et si...

Elle est osée, cette manoeuvre, je trouve. Nous allons squatter une bouée privée... Nous aurons 50 mètres de chaîne à l'avant, alors y'aura forcément un mec qui se posera dessus... Et le mêli-mêlo de chaînes au départ, y as-tu pensé ?

Et patati, et patata. Plus d'une heure de réflexions, de cogitations, d'anticipations, et de contradictions. J'ai beau réfuter, plus je dénigre, plus il a envie de tenter le diable. Bon, on le fera mais on se calme, d'abord.

D'accord ! Entre le dessert et le café, nous engageons la manoeuvre. Ouf, c'est fait, Laurent est ravi, c'est toujours ça de pris sur l'adversité. Si complications, ce sera pour plus tard. Nous voilà, amarrés parfaitement au calme, comme a promis Laurent. 

L'art de vivre pleinement l'instant présent, c'est quelquefois d'envoyer le futur aux oubliettes. Dégustons l'instant sécurisé de notre trou à cyclone.

laurent

 

INTERMÈDE

- Allô, bonjour, c'est la Noiraude, je voudrais parler au Docteur !
- Bonjour la Noiraude, qu'est ce qui ne va pas encore ?
- Ah Docteur, il faut que je vous dise, il m'est arrivé un truc génial.
- Mais alors vous n'avez pas besoin de moi, pourquoi m'appelez vous ? 
- Vous dites que je me plains toujours alors là, pour une fois, j'ai un truc dans l'âme qui me chatouille, qui me démange, qui m'ensorcelle. A qui d'autre le dire ? Vous m'écoutez ? 
- Bon, allez-y la Noiraude, je vous écoute. 
- Merci. Voilà Docteur. C'est la mer qui m'a fait ça. Je l'ai reçue. Vous comprenez, comme si elle était pour moi, pour moi toute seule. On naviguait. J'étais à l'avant du  bateau. Il y avait par le travers des vagues énormes, qui déferlaient sur le pont. Quelquefois, l'écume me brûlait les yeux. Alors je pleurais. Je fermais les yeux. Le navire chassait par l'arrière. Ma panse glissait sur le pont. C'était rigolo, excitant. Je rouvrais les yeux. Il y avait autour de moi tout plein d'ondes mouvantes, d'un bleu profond, qui m'encerclaient, qui bourdonnaient. J'étais seule, absolument seule, sur la mer dévastée par le vent. L'écume giclait sur la coque et les embruns me ruisselaient sur l'échine. C'était glacé. C'était grandiose. Comprenez-vous Docteur, depuis, j'ai enfin repris du poil de la bête. Mon cuir traité au sel est devenu souple, mon crin bien brillant. J'ai retrouvé l'oeil vif et mes vingts ans. Et mes gros sabots ont envie de danser la bourrée... du plancher des femmes.

 

        

Minorque, Addaya

Samedi 11 aout 2007. Puerto Addaya - Mouillage -

A partir de dix heures du matin, le mouillage s'anime, et s'encombre, essentiellement des Français. Cela signifie que la mer est navigable. On ne voit plus l'écume qui dévore les rochers en bavant joyeusement à l'entrée de la cala. Sortons de notre léthargie. Le vent devient sud, nous irons le long de la côte nord. De nouvelles étapes nous sont promises. Pourquoi pas vers Fornells. Nous aurons ainsi bouclé notre tour de Minorque. 
Heureusement que le vent est nul quand nous quittons notre lit de vase. Je tire la chaîne au guindeau, mètre par mètre. Laurent à grands seaux d'eau de mer récure les maillons englaisés par gros paquets. Et Lune de Miel piétine sur place. Vous vous souvenez de Barbate les enfants ? Voilà, tout comme pareil exactement. Mais là on a mieux joué, car nous avons rentré peu à peu tout le mouillage dans sa baille tout beau, tout propre. Vingt minutes de détartrage. Nous n'avions jamais mis autant de temps pour lever une ancre. J'en transpire encore. 
Nous sortons gentiment du mini Fjord de Puerto Addaya. Le village de Na Macaret magnifiquement éclairé resplendit dans les rochers. Nous étirons le S qui sinue à travers le relief sous-marin. Les îlots affleurants, grosses taches claires au ras de l'eau, nous narguent discrètement. Mais la lumière les trahit. Le chemin comme à l'aller est parfaitement balisé. Totale sécurité. On prend le rythme lent du chenal. On prend dans les images, le secret du maquis. On prend dans la lumière, la sagesse du port de pêche. On prend et on s'imprègne d'une bienveillante nonchalance. Puerto Addaya est une étape vraiment sympathique. Pour info, Le quai d'accueil permet aux bateaux du mouillage un approvisionnement en eau potable. (1 euro les 100 litres). Il n'y a pas de cybercafé.ayada

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Samedi 11 août 2007. Fornells

fornells

L'arrivée nous permet d'apprendre qu'on peut s'ancrer sur bouée. Le mouillage est gratuit mais n'est possible que pour deux nuits (par semaine). Prendre la bouée nous séduit beaucoup car des orages sont annoncés et il faut s'attendre à de sérieux coups de vent. Cette partie du mouillage est envahie d'algues, donc la tenue est plus que douteuse. Géniale l'option bouées. Les bouées rouges devant le port sont destinées aux petites embarcations (moins de douze mètres). Les bouées blanches (aux embarcations intermédiaires (+ de douze mètres) et les jaunes aux très grosses unités. L'inconvénient des bouées blanches et jaunes, c'est qu'elles sont de l'autre côté de la cala, donc assez loin de la ville.  Une petite virée pédestre. magasinage dans la ville lointaine. Et puis faut s'en retourner chez nous. C'est le moment que choisit le moteur de l'annexe pour tomber en panne. Pas dramatique. Après tout on a des rames, une petite demi-heure de traversée en ramage, c'est pas la mer à boire... On se lance donc,  parfaite synchronisation de gestes. Sauf que le vent du sud a développé une houle très pénible qui roule depuis le fond de la cala. Elle ne nous aide pas la vache ! (bon, je raye l'allusion à l'animal, je vais désobliger la Noiraude, qui n'a d'ailleurs pas l'air dans son assiette aujourd'hui) C'est un vrai boulevard que nous traversons. Incroyable ce qui circule ici. Annexes de tous gabarits, jets skis, skis nautiques. Va-et-vient constant de yachts, voiliers, minorquines. On n'était pas loin de risquer la collision avec nos coups de rames pas toujours si sûrs, entre la houle de fond et les déferlantes provoquées par les engins. Mais ça nous a permis d'accoster, de faire quelques courses de frais  et d'envoyer les messages n°3-4 depuis un bar.  Ah, la généreuse, la savoureuse "cerveza grande" servie si fraîche, si mousseuse... Pourvu que ça nous coupe pas les bras pour le retour, la bière, c'est pas mon truc en temps normal. Requinqués à fond, moi, un peu pompette...  On embarque nos courses, on saute dans l'annexe. tentative sans conviction de mise en route du moteur. Qui bien entendu boude toujours. Ramer ça déssaoule non ? on se télescope nos manches. je brasse de l'écume mais je n'avance guère. Un canot un peu rapide nous asperge et nous pousse dans les amarres d'un yacht en nous dépassant.
- Bon sang, rame...
- Bin toi, rame pas tant !
On se traite l'un et l'autre de tous les noms imbéciles qu'on peut inventer, ça grince dans les boudins. Arrive tout doucettement un petit canot, un gentil garçon brun, style ce qu'il y a de mieux comme y faut... Et ce sourire, ah les filles, vous auriez vu ça ! Je capte le mot "ayudar".. "Si, si, si... gracias mucho" que je réplique aussi sec... On a vite fait de lui balancer notre cordage. Son moteur fait moins de trois chevaux, nous allons donc à travers le chenal gentiment tractés par ce généreux hispanique. Nous admirons le paysage. C'est assez rigolo de traverser dans cet équipage. Il nous dépose délicatement à l'arrière de chez nous. Je lui baragouine une invitation à boire un verre. Il n'a pas le temps. Il est attendu, un peu plus loin, sur un autre voilier, une autre planète. Dernier sourire ravageur, virement d'hélice et il disparaît. Y sont supers les Espagnols, vous trouvez pas ?

Sérieux coup d'enthousiasme dans notre moral. Faut se ressaisir et comme nous ne doutons plus de rien. demain on désosse ensemble le moteur hors-bord. D'accord moi, je ne servirai pas à grand chose. Mais je serai solidaire de Laurent à fond. Je peux lui passer les outils, ranger au fur et à mesure les petites pièces indispensables qui ne demandent qu'à se jeter à l'eau... Et puis, il va m'expliquer d'autres mystères mécaniques...

brico lauPresque au saut du lit dimanche matin, on pose notre moteur sur la plate forme arrière, délicatement couché sur le flanc. On ne met pas longtemps à voir que la turbine de refroidissement fixée sur l'embase du moteur a perdu tous ces pétales.  Laurent ne jette rien, je le maudis assez pour ça. Il y a sous le plancher du carré une cache personnelle avec un tas de fourbi dont je ne veux même pas entendre parler. Voilà-t-y pas que dans ce boxon innommable, il a trouvé l'hélice qui irait "à peu près" sur l'arbre de son moteur hors-bord. C'est l'à peu près qui me séduit. Elle a plus de vingt ans d'âge cette hélice, autrement dit, elle est comme neuve. Elle a six pales au lieu de trois. Elle est bien trop longue, un chouia trop épaisse... Et la goupille de l'embase n'est pas adaptée à sa fixation. Broutilles tout ça ? D'accord ! Grattage, limage, découpage... Le seul outil qui nous fasse vraiment défaut, c'est un marteau.

Quelques heures laborieuses, minutieuses et appliquées. Fin de soirée, l'instant de vérité ronfle. Qu'il pétarade bon ce petit mais indispensable moteur. Ça mérite bien une autre "cerveza grande"... hein Laurent !

Le soir s'en va. Un arrivage massif d'émigrants français a envahi le mouillage. Les estivants qui viennent de traverser. On se frôlerait presque tellement les bouées sont proches les unes des autres. S'agit pas qu'un non initié vienne poser son ancre à proximité. Prudence si vous passez par là. La nuit tombe. Le tonnerre s'annonce de loin, les éclairs déchirent les nuages. Nuit tumultueuse.

Lundi 13 août 2007. - 40°02,20'N - 04°09,80'E.

Une petite heure au moteur pour passer de l'autre côté du cap Fornells, revenir sur nos pas en prenant notre temps. Le ciel est bordé de gros nuages noirs vers l'Est, et des averses sont promises. Pas la peine d'aller très loin. Nous laissons la cala Pudenta à tribord, qui s'enfonce au milieu des rochers et nous nous engageons dans la baie vers la Calla de la Olla.

la ollaolla2

 

 

 

 

 

 

Le vent annoncé SW, doit nous permettre un moment des plus agréables au bord de cette jolie plage. Beaucoup de places, fonds de sable. Trois voiliers au mouillage. Nous avons juste le temps de poser l'ancre avant que tombe la première pluie. Un rêve!

 

INTERMÈDE

- Allo, c'est la Noiraude, urgent, c'est urgent, où est le Docteur ?
- Allo, bonjour la  Noiraude, je suis là, que vous arrive-t-il de si urgent?
- Ah Docteur,  bonjour, c'est une horreur mon bon Docteur. Je suis trahie, bafouée, humiliée, désespérée. Je ne ferai plus jamais confiance à aucun humain, ils sont pires que les taurillons les plus primitifs. Docteur, sauvez-moi, je ne peux plus m'arrêter de beugler.
- Calmez-vous, respirez lentement la Noiraude et dites-moi un mot après l'autre ce qui vous arrive.
- Dans la cabine arrière, c'est insoutenable, j'ai vu, j'ai vu, ah , je ne peux pas le dire, je souffre trop.
- Allez doucement, prenez le temps de respirer et dites-moi, calmement. Qu'avez vous vu la Noiraude dans la cabine arrière.
- Docteur, pardon, je  beugle encore. Voilà, il y a dans la cabine arrière des jolis portraits d'une petite vachette qui me ressemble comme une soeur. Ils ont osé me remplacer, ils me jettent au museau les images de ma rivale. Ils n'ont aucun respect pour moi. Je ne suis pas la seule, je ne suis pas l'unique... Docteur je ne guérirai jamais de cette trahison.
- Mais voyons, la Noiraude, je suis tout à fait au courant. que vous êtes bête à force d'être vache. C'est de vous les portraits. Je les connais imprimés dans les draps de la couchette. C'est un cadeau, un clin d'oeil des neveux. Si, si, si, c'est Delphine et Denis qui ont déposé cette délicatesse pour que l'équipage pense à vous. Il n'y a pas de rivale. Alors, heureuse ?
- Ah Docteur, vous êtes bien bon, mais je ne vous crois pas. C'est écrit "Pâquerette". Je ne suis pas une fleur, je suis une vache. Je ne m'appelle pas  "Pâquerette", c'est débile comme nom de vache.
- Mais "Pâquerette" c'est la signature de l'artiste. Vous ne comprenez rien. Vous êtes une animale foutu bête. Vous n'êtes pas du genre qui raisonne, mais de celui qui résonne, avec beaucoup de vide sous vos cornes.
- D'accord Docteur je vous crois. J'ai compris. J'arrête de beugler. J'arrête de ruminer. Je suis peut-être bête mais pas idiote. Je ne suis pas sûre de résonner, mais je suis capable de panser...

                            

Minorque, Arenal d'en Castell

Mardi 14 août 2007.- 40°01,50'N - 04°10,90'E

Réveil grincheux. Pas terrible par houle de Nord/Est, la calla de la Olla. Elle nous charrie les senteurs infâmes de la station d'épuration qui est derrière les immeubles. Plus grave, nous avons été secoués comme des pruniers toute la nuit parce que le vent de terre nous a mis au travers de la houle résiduelle. Elle nous a brassés mollement mais continuellement. Nous avons tous les deux des courbatures. On se tient le dos de traviole et on marche comme des petits vieux. Cassons-nous vite avant de retrouver nos vertèbres en miettes.

Levée de mouillage qui ne traîne pas. Les falaises qu'on longe sont vraiment chouettes. Pas un pet d'air, tranquilles au moteur. Nous ne ferons que quelques milles. Un très p'tit tour à Cala Pudenta que nous n'avons pas pris le temps de voir d'assez près hier. Elle nous paraît étroite, encaissée, prisonnière des rochers. Arenal d'En Castell est plus attirante.

en castel

Une grande plage de sable, en demi-cercle fermée par des falaises. Ambiance très estivale. Ici la houle de N/NE n'entre pas. Ouf ! Quel bien être de retrouver un mouillage sage et reposant. Quel bonheur d'y décontracter nos vieux os à l'ombre du taud. Images : deux voiliers dans le mouillage plus LDM.

 

Début d'après-midi, la plage se peuple de parasols.

castelQuelques canots s'installent à proximité. Les engins de plage commencent à nous tourner autour. Mais c'est plutôt sympa. Pédalos, matelas qui dérivent, bouées colorées... Et puis un engin bizarre, moteur très discret. Tout rond, protégé à la base par un gros boudin. De face, il me rappelle l'ancienne cireuse électrique de Thérèse (enfin sans le manche). De profil on dirait un fer à repasser... Y'en a des rouges, des jaunes, des blancs... C'est très gai sur l'eau. Et alors, ça c'est inouï, à bien regarder leur course, on s'aperçoit que ce sont des engins tamponneurs. Autos tamponnantes aquatiques. J'avais jamais vu ça. C'est mieux qu'à la foire ici.

Mercredi  15 août.

Quelle nuit sympathique. Quelle ville agréable. Nous avons trouvé un supermarché très bien équipé, de fruits, légumes et surtout viande fraîche. Les boucheries sont quasi inexistantes partout où nous nous sommes arrêtés. Et souvent le choix en produits frais est restreint et peu alléchant. Quant au pain... Celui du bord est nettement meilleur. Donc je projette pour un de ces jours, grâce à nos achats, une méga ratatouille, et pour ce soir, des spaghettis  bolognaises, des vrais comme à la maison avec de la vraie viande... Pour le dessert des vrais fruits qui on l'air juteux et savoureux... Y'a des jours comme ça où on nage dans l'opulence.

Nous avons fait un long tour ce matin. Déposé l'annexe contre les rochers au bord de la plage encore déserte. Tout le maquis qui borde la côte est destiné à un immense projet de résidences, les routes d'accès sont bétonnées, les parcelles déjà tracées. "Bonnin-Sanso, s'affiche partout, c'est le grand manitou de l'urbanisation de Minorque. En attendant qu'il finisse de tuer le paysage,  l'accès le long des falaises est encore possible. Nous avons donc crapahuté vers l'Est, de l'autre côté de notre baie. Nous dominions l'entrée d'Addaya, avec la grande île et la petite île, et sous nos pieds le village de Na Macaret.

na macaret

C'était marrant de voir tout ça depuis la terre. Nous aimons bien les villages avec leurs maisons trop blanches. Même les toits sont blancs. Franchement, teindre les tuiles en blanc, c'est une  bizarre idée, mais il faut l'avouer c'est très seyant à Minorque. Je délire un instant en imaginant le mec qui rénove le blanc de ses tuiles, debout sur le toit en brandissant un pistolet à peinture...

Allô Saint Météo... Le Mistral de Provence et Lion fait rien que nous embêter. Nous revoilà avec une promesse de Nord Est violent dès demain. C'est fatal, nous n'avons pas le choix. Retour aux abris. Mahon, ça nous paraît bien comme choix. C'est devenu familier, un peu comme chez nous. Et puis c'est la capitale. Avec un peu de chance nous y trouverons l'hélice idoine et plus sûre pour le hors-bord.

Jeudi, 16 août 2007.

Nouveau départ en douceur et à la voile. Je n'ai pas eu le temps de tester les cireuses tamponneuses. J'aurais bien aimé faire un p'tit tour de ce manège là. Si je peux, je reviendrai à En Castell rien que pour ça. Nous avons été très sérieux hier. Nous avons profité de la sérénité de notre mouillage pour gratter la coque (sous-marine) de LDM qui promène la mousse de Martigues depuis trois semaines à travers la méditerranée. Moi, je cramponnais l'annexe contre le bateau et Laurent à plat ventre dans le fond du canot, avec le balai brosse récurait sous l'eau. Rude boulot, mais quelle révolution dans notre allure. Aujourd'hui au départ, petit vent de NE (il arrive comme promis), on affiche huit à dix noeuds à l'anémomètre, vitesse moyenne plus de six... Les falaises se déroulent sous nos yeux, plus haut les étendues désertiques du bord de mer. De la solitude, du calme et de la volupté. la mer commence à se bosseler mais nous fendons la houle avec enthousiasme. Un excellent moment de navigation comme je les aime. Pas pressée d'arriver à Mahon.

Paragraphe culturel, clin d'oeil pour José et tous les accros de la mayo... J'ai lu dans un livre que parmi les différentes guerres entre Français et Anglais pour s'approprier Minorque, Richelieu en 1756 ayant été vainqueur fit servir à Paris un banquet pour fêter ça. Son chef cuisinier fraîchement débarqué de Minorque accommoda pour ce festin une spécialité minorquine, savoir-faire importé de Mahon,  "la mahonesa", genre d'aïoli locale, qui devint notre mayonnaise.

 

 

Mare de Deu de Gracia Mahon

Couounet n°9 - septembre 2007

lundi 3 septembre 2007.
Minorque est toujours sous domination de Nord-est, virulent. Des creux annoncés de trois mètres de houle, quand on sait que les vagues scélérates font allégrement deux fois la hauteur annoncée, pas d'hésitation, il fait trop bon ici. Nous avons quitté le mouillage de l'Isla Plana pour prendre une bouée face à la ville. C'est génial comme option, et peu coûteux. Nous avons vraiment exploré tous les coins et recoins de Maô. On s'y sent désormais comme chez nous.

sa font mahonVendredi 7 septembre. Nous avons une folle envie de partir, ça fait trop longtemps que nous sommes scotchés ici. Consolation, depuis jeudi soir, se prépare la grande fiesta annuelle, de Mahon. Si vous passez par là début septembre, je vous la recommande."Mare de Deu de Gràcia". Elle tient, comme toutes les fêtes folkloriques, d'influences historiques, religieuses et païennes. Y'en a vraiment pour tous les goûts.
La folie démarre jeudi soir, avec la sortie des géants depuis la Mairie, en procession dans le centre historique de la ville. Musique, danses et chants les accompagnent. A 21h30, c'est le grand cri public d'envoi officiel des festivités. On sort pour l'occasion les "diables de Maô" par mégaphone, en choeur avec la foule. Fanfares à gogo. Ca promet et ça remue les tripes.
Vendredi fin de matinée. Toute la ville s'organise pour affronter l'ouragan de la fête pendant trois jours; les boutiques du centre ville construisent de vraies protections devant leur vitrine, ça cloue, ça visse, ça calfeutre. Les menuisiers ont du boulot par dessus la tête. Fin d'après-midi, toutes les vitrines sont occultées. Plutôt sinistre l'aspect des rues. Elles ont été couvertes de sable. De tels excès sont si redoutés que des postes de secours d'urgence sont prévus à chaque coin de rue. Les pavés sont couverts d'un matelas de sable. C'est rigolo de marcher en  ville comme sur une plage. Mais c'est préoccupant.
Tout ce sable en ville, c'est pour absorber le sang ? Les vitrines blindées, protection contre les violences, bagarres et projections de pavés ? A quoi faut-il s'attendre ? 
- Dis Laurent, tu crois que c'est recommandé de venir zoner par là ce soir ?
- Bien sûr, on ne va pas rater ça. On évitera la foule et si c'est trop chaud. On rentrera.
Qu'il dit Laurent.
Il est bien bon, parce que éviter une foule en délire c'est impossible. On est vite pris dans la masse. Mais  bon, ça chante, ça rigole, ça danse, laissons-nous faire. Pas d'émeute en vue. Le bruit est phénoménal mais j'ai pris la précaution de me boucher les oreilles. Je suis parée au pire. Pas de panique, y'a pas de raison et c'est bien joyeux tout ça.
Plus tard, la foule se centralise et se calme. C'est l'arrivée des Caballeros.jaleo

Ces chevaux sont de véritables artistes. Ils arrivent sur un thème musical unique qui se répète, se répète, se répète. L'homme-cheval comme un seul corps danse sur cette boucle musicale. Ses pas sont légers, magnifiques... Quelle maîtrise ! Les cavaliers costume noir et blanc, sont fiers et concentrés. Hors d'atteinte du public. Quel panache ! Lorsque c'est une femme qui monte le cheval, les figures deviennent plus sensuelles, magnifiques et inaccessibles. Quelle élégance dans cet équipage. Lorsqu'ils sont au centre de la place, la mélodie change de registre, une brusque montée de notes. C'est le signal. Le cavalier tire sur les rênes, le cheval se cabre. Il avance alors dressé sur ses pattes arrière. Ses pattes avant moulinent l'air devant lui à la recherche de son équilibre.  L'harmonie parfaite de l'instant d'avant vole en éclats. Tumulte et anarchie. C'est le moment que choisissent quelques fêlés complètement hystériques pour se jeter sous le cheval dressé. Le jeu, c'est de toucher l'animal quand il est debout; le top du top c'est de lui caresser le poitrail. Et y'en a qui ose. Folie totale. Juste avant que le cheval retombe sur ses quatre fers, les quelques fondus qui sont dessous s'éparpillent avec enthousiasme. Pensez, s'ils nagent dans l'euphorie, ils ont réussi à toucher le cheval. Petit tour fanfaron du cavalier sur la même rengaine, sur le même pas... Sortie d'un, entrée de l'autre. Les chevaux se succèdent, toujours sur le même thème. Et propose inlassablement le même jeu. Toujours le même défi pour les spectateurs. A certain moment, je me suis trouvée propulsée près du cheval par des tarés dont j'empêchais la ruée. La vitesse que je me suis rapatriée vers l'arrière... OUha ... Comment font les chevaux pour résister à ce bordel collectif. Ça me sidère. Peut-être que comme moi, ils se protègent les oreilles avec des boules quies...  C'est un excellent filtre. Après tout, ils ont juste à capter le rythme qui ordonne leurs mouvements. La folie des hommes ne les concerne pas.
Le mystère des vitres blindées, (il faut s'attendre à des coups de sabots malheureux dans le décor et la rue est étroite),des tapis de sable, et de l'assistance médicale est ainsi éclairci. forcément il doit y avoir quelques accidents... Ce sport équestre est fort prisé à Minorque. Il fait partie intégrante des festivités locales dans toute l'île. Etonnant mélange de frayeur, de défi et d'harmonie... Ce n'est pas le seul grand moment de ces festivités. Si nous avions été sérieux comme des Minorquins, nous serions allés à la messe.

 

Retour Provence

Coucounet n°10. Minorque, le retour. 2007
Samedi 8 septembre 2007.
Une météo acceptable s'annonce enfin. La mer s'est bien calmée et le vent annoncé sur Minorque Nord/Est 2/4, mollissant,  virant Ouest en soirée, Nord Ouest la nuit. Lorsque nous entrerons dimanche dans la zone Lyon/Provence, il passera Nord- Nord/Ouest faible à modéré. Nous commencerons au moteur, un peu de voile en tirant de petits bords au milieu, nous finirons au moteur, mais globalement, ça devrait être relaxe. Les creux seront de moins de un mètre. Ça nous va, mais nous mettrons sûrement 48 heures...
Onze heures du matin, nous quittons notre sympathique bouée d'amarrage. En passant près de Patricia et Bernard sur "Mama Bê", nos récents amis de mouillage, nous envoyons un signal sonore. "Adios, on se casse !" Patricia sort du carré, nous fait de grands signes suivie de Bernard couvert de mousse à raser. Il a ainsi des allures de Père Noël en caleçon. Plaisante image que celle de ce départ de Minorque. Nous sommes euphoriques.LDM NAV 1

Nous longeons la côte Est de Minorque. Voile et moteur, au plus près du vent, doucettement. Nous tirons un léger bord vers l'Ouest.
La côte nous est familière et nous passons un heureux moment à retrouver nos sites favoris. Un peu plus de quatre heures de navigation, doucement l'île s'efface.
La houle  nous arrive par le travers. Elle est douce. Elle caresse les flans de notre embarcation. Elle glisse sous sa coque, s'écrase contre la quille. Lune de Miel domine les vagues. Complaisant et joyeux de se mettre en route, il se laisse caresser. De belles retrouvailles entre lui et la mer. Les couleurs sont sombres, le soleil cuivre les creux de houle. Glissement, ronronnement, mouillures et léchages en tous genre. J'avais oublié combien la mer est belle. Béatitude totale.
En fin d'après-midi, Laurent me signale de jolies échappées de poissons qui sautent allégrement sur tribord. Ils sont  bien gras, argentés et brillent dans le soleil. Dans leur sillage, une bande de dauphins jouent et cabriolent. Jouent-ils à "attrape" avec les poissons ? Moment ludique ou moment féroce ?
A 19h30, Monaco radio envoie l'annonce d'un BMS sur Provence pour lundi soir, et dès dimanche un vent de NW assez fort à fort.
Consternation à bord, car si nous comptons arriver avant le coup de vent, l'entrée dans le golfe du Lion risque de poser problème avec le vent dans le nez, et la houle qui sera formée.
Sérieux coup au moral. Que fait-on ? Le plus sage nous semble-t-il. Tirer un long bord vers l'Ouest pour avoir un vent portant lorsque nous entrerons en Provence et devrons remonter vers le Nord Est.

Première nuit. Le vent est constant. Nous avons pris un riz dans la grand voile, et nous ajusterons le génois selon les besoins de notre allure. Nos veilles s'alternent de deux heures chacun. Je trouve que ça passe très vite. Nuit sans lune. La voie lactée diffuse une lueur discrète.  La mer est une ombre mouvante, trouble. L'écume qui se casse sur les bords de Lune de Miel explose de luminescences roses et vertes. Rien de rien à l'horizon. Que ce trou obscur vers lequel nous fonçons à environ 6 noeuds. Laurent dort dans la cabine arrière. Calée sous la capote, le nez au ciel, je chante dans les étoiles.
Je me sens merveilleusement bien. 6h15 du matin. C'est l'aube qui s'annonce, le ciel s'éclaircit, l'horizon se borde d'une large bande saumonée. Le soleil sort de ses draps. Je me couche.
voilesDimanche matin 9H30. Nouvelles infos météo. Ce n'est plus de la consternation, c'est une véritable dépression qui s'abat sur nous. Le BMS se développe plus vite que prévu, dès cette nuit, nous serons en plein dedans en quittant la zone Minorque.  Que décider ?
Laurent consulte ses cartes PC. Quel dommage d'avoir fait tout ce chemin vers l'ouest. Car nous décidons de virer vers l'Est, pour profiter tout de suite du vent de NW encore sympa. Lorsque nous entrerons dans la Zone Provence nous serons déjà à l'est et nous échapperons au coup de vent. D'ailleurs, quoi de plus réjouissant que d'atterrir à Porquerolles quand on est en vacances ?
Nouveau virement de bord. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais nous avons 220 miles à faire depuis Maô et nous les faisons en tirant des bords. C'est beau d'aimer la voile à ce point-là !
Le voyage prend ici des allures de cauchemar.

Le vent devient beaucoup plus fort et complètement aléatoire, selon que notre progression passe plus à l'est ou plus à l 'ouest de la zone. nav 2

La nuit qui suit sera épouvantable. Les veilles éprouvantes. Pour la première, vers minuit, lorsque je m'installe sous la capote, le vent force 5/6 forme une mer qui se hérisse. On roule sur des caillasses. Ca tangue, ça roule. Je n'ai pas le temps de m'assoir pour enfiler cirés et chaussures, je suis propulsée contre la table du carré. Cramponnons-nous bien. C'est prometteur vraiment, comme ambiance !  Nous avançons au près le plus serré possible, et ça chahute terriblement. C'est long, c'est dur et c'est déprimant.
nav 3Une heure de veille, on ralentit, panne de vent ? Je surveille la girouette. Le vent refuse. Je ne veux pas réveiller Laurent, tant pis pour le cap. J'abats de quelques degrés. Lune de Miel se relance, 5/6 noeuds, ouf... Mais je suis contrainte à cette manoeuvre trois fois en deux heures. Peut-être qu'on passera par la Corse, finalement. Laurent se lève. La Corse, ça ne le séduit que mollement. Même pas y rigole. Il a les yeux plissés, je ne crois pas qu'il ait pu dormir. Nous décidons de changer de bord, et repartir plus vers le nord, tant pis pour Porquerolle. Demi tour pour se remettre dans le vent. Je me couche. Dans le carré l'agitation est terrible, vaisselle secouée, bouteilles qui tintinnabulent, cardans de gazinière qui grincent, et ce vent qui souffle comme un orgue déchaîné. Sans parler de la gîte qui m'écrase contre la bande anti-roulis de la couchette. Qui dormirait dans ces conditions ?
A 4 heures du matin. J'aperçois le feu du cap Cepet loin à l'horizon. La côte s'esquisse grâce aux lumières des villes. Nous avons viré de bord je ne sais combien de fois. Un moment d'inattention et hop, on se retrouvait à contre, rugissement du moteur à 2000 tours pour tourner et se remettre dans notre axe. Le noir est absolu, on perd nos marques. Dis Laurent, c'est où le nord. La Grande Ourse aurait-elle bouffé Polaris ? Et le compas, qu'est-ce qui dit le compas... Je ne sais pas, j'en ai marre...  réduire la voilure, une demi-heure et puis renvoyer. Hisse petit ! J'en peux plus, si seulement le jour se levait. Nuit épouvantable. Lorsque le jour se lève, nous ne sommes pas frais Laurent et moi. La côte est à 30 miles, le GPS nous annonce que nous mettrons 12 heures pour arriver à Porquerolles. Encore ? Il est fou ce GPS. Nous décidons de réduire nos souffrances et d'aller vers  Bandol, moins près du vent; nous avançons sur une mer dure, des vagues courtes qui déferlent sur le pont et nous inondent les cirés. Et ça me glace. A 20 milles de la côte, la mer s'assagit. Tout le monde se calme. Mais le temps nous paraît terriblement long. On est gelé. Finalement le vent de Nord Est (allez savoir pourquoi) qui sévit sur la Provence à ce moment là, nous posera lundi dans la matinée, dans la calanque de Morgiou, avant le déchaînement du coup de mistral attendu pour la prochaine nuit. . Pas si mal. Mais on est dégoûté de la vie.
La soirée à Morgiou nous requinque. fal

La veille Laurent a pêché un joli thon germon que je vais cuisiner avec des pommes de terre grillées. De quoi nous réconcilier avec la mer.
Le coup de vent est largement confirmé mais la calanque est super bien abritée. Mon seul souci c'est que les fonds sont invisibles et nous ne les connaissons pas. Sable ou algues ? Laurent a tiré comme un sauvage sur la chaîne avec le moteur. Ca n'a pas bronché. Nous sommes presque tranquilles. Début de soirée le vent promis se déchaîne, force 7... On tient bon; Pour la nuit on ajoute encore 10 mètres de longueur, ça nous fera 50 mètres.  Si nous sommes dans les algues, est-ce que le poids de la chaîne va suffire à nous retenir. Plus on ne peut pas mettre car nous serions dans la falaise si le vent tourne. Il y a toute la nuit des accalmies et des reprises de violence. Nous nous levons plusieurs fois. Lune de Miel tire sauvagement sur sa chaîne mais reste prisonnier de son mouillage. Sécurité, sécurité, sécurité !
Mardi. 7h30.  Le vent paraît se calmer, mais nous savons qu'il va reprendre force 8 dans la matinée. Laurent prend la météo. Je profite de ce répit pour me lover dans les draps si doux. Ah que c'est bon. Une belle journée s'annonce, BMS d'accord mais notre mouillage a bien résisté. Nous sommes réveillés, nous aurons l'oeil, tout ira bien Il suffit de tromper cette attente en écrivant ce coucounet par exemple.
Je rêvasse... Une question de Laurent me réveille, une pointe d'angoisse.
- Dis-donc on est bien prêt des rochers.
Moi, relaxe et très confiante,
- Normal, on a rajouté dix mètres de chaîne, on doit être à une quinzaine...
Je  ne finis pas ma phrase. Un hurlement
- Merde on dérape !
Ruée de Laurent vers le moteur. Moi en pyjama. Ça ne souffle même pas tellement fort. Coup d'oeil circulaire. Zut on se barre vers la falaise. Laurent est au moteur et s'énerve et tempête.
- Tu vas démarrer saleté.
Il ne faut jamais insulter un moteur quand on est pressé de partir... Voilà, il boude. Impossible à mettre en route. Lune Miel recule, inexorablement.
En 3 minutes, il suffit de tendre la gaffe pour toucher la falaise hérissée de pointes traitresses. Vite une défense ! On est à un mètre des rochers. Je me bagarre avec un pare-battage dérisoire pour protéger l'arrière. Une première projection contre la roche. Raclement affreux de la coque, oh que ça doit faire mal... J'ai l'air fine avec ma défense, c'est dessous qu'elle serait utile. Dès que le rocher est contre, elle roule sur la coque... Nouvelle projection contre la roche... nouveau défoncement de matière... Je vous jure que c'est insupportable. J'ai l'impression de me déchirer. Une rafale nous éloigne provisoirement de quelques mètres.
- Vite Laurent, s'il te plaît démarre...
Heureusement qu'il ne m'entend pas, ça l'énerverait.
D'un coup, le ronflement du démarrage, suivi d'un rugissement d'accélérateur. Vite, on dégage.
- Tu crois qu'on a une entrée d'eau ?
Visite du carré, pas de pompe qui ronfle. Coup d'oeil à ma fenêtre de fonds, sécheresse absolue dans le carré. Coup d'oreille à l'arrière, pas de ruissellements...
Il semble que tout aille bien et que nous ne coulerons pas tout de suite.
Sauvons-nous de ce néfaste endroit. Je cours relever le mouillage. On est pris de travers, on  chasse, on recule, c'est folklorique mais bon nous sommes désormais au milieu de la calanque et nous pouvons prendre notre temps. Une fois l'ancre relevée, quelques brins d'herbe entre les dents, (le cure-dents, tu connais pas, stupide objet ?), nous décidons de fuir vers Sormiou, 

que nous connaissons et que nous espérons plus sûr. Nous longeons les falaises à l'abri du vent, guère de houle, mais de violentes rafales avec les effets de relief par moments. Le moteur peine pour avancer. Une éternité. Pourtant nous y voilà.

morg Sormiou est un havre magnifique. Nous y étalerons une fois de plus nos 60 mètres de chaîne quelle que soit la profondeur parce que la météo s'aggrave. Et advienne que pourra.
Les dégâts à l'arrière de Lune de Miel sont mineurs malgré les bruits affreux. Mon pare-battage a eu le mérite semble-t-il de dévier l'arrière et il a touché sous la jupe dans l'angle. La partie la plus résistante finalement. Il faudra refaire un peu d'enduits et de peinture. On a l'habitude. Quelle bonne idée la coque aluminium.
Nous avons retrouvé notre enthousiasme. Le vent se déchaîne. Trois bateaux dans le mouillage. Comme les voisins, je reste dehors, encapuchonnée, à braver les rafales. ja

Laurent dans le carré, surveille au GPS la danse de Lune de Miel autour de son ancre. On relève des pointes de vent à plus de 40 noeuds au dessus du pont.  Il ne doit pas faire bon en mer. Il paraît que nous nommes à l'abri ici. Restons joyeux. Panne de pain.

Laurent enfile son costume favori de boulanger. boulange

En voilà un carré qui sent bon la vie terrestre.
- Dis Laurent, c'est quand qu'on arrive à la maison ?
- Mercredi la météo annonce Nord-est, c'est super pour rentrer.
- Super mais ce n'est que de la météo...

     

 

 

Bec de l'Aigle, La Ciotat, enfin, presque chez nous !

INTERMÈDE

- Allo, c'est la Noiraude,  je voudrais parler au vétérinaire.
- Ah, la Noiraude, bonjour, alors, toujours en croisière.
- Oui Docteur mais nous sommes sur le retour. Je vous appelle de la pleine mer. La nuit, c'est beau vous savez. J'adore la voie lactée. Vous le saviez, vous, que les étoiles produisaient du lait. Je trouve ça merveilleux et ça m'intrigue. Alors je vais m'échapper sur la pointe des sabots. Je veux profiter de cette voie royale pour rejoindre mon joli clocher des Vosge.
- Vous abandonnez votre équipage en pleine mer, c'est pas sympa ça !
- Ils sont tout à leurs projets de rentrée. Il n'y a pas de place pour moi en ce moment dans leur tête.
- Vous savez la Noiraude, vous êtes un peu envahissante, mais vous me manquerez.
- Ne vous inquiétez pas Docteur, je les ai entendus dire que dès 2008, ils repartent vers le Sud Est de la méditerranée pour un autre long voyage. Vous pensez bien qu'ils vont m'embarquer. Alors, salut Docteur. Hasta luego !