Estival 2006 : N° 8 - Elbe Toscane
Samedi 9 septembre 2006. Une petite course digestive, 9 milles de plaisance. Après une pause de toute beauté dans un vaste cirque de falaises, site parfaitement sauvage et isolé, (Isla della Parmorala). Faut quand même se souvenir que nous sommes en vacances et qu'on peut aussi prendre le temps de s'arrêter. Avec encore du bonheur plein les yeux. La lune apparaît au dessus des falaises, elle frôle le mas du seul voilier qui partage cette belle calanque avec nous. S'y pose quelques instants, "comme un point sur un i". La nuit est tombée et l'ombre rapproche les falaises. Toujours cette impression à laquelle je ne me fais pas. Il est temps d'aller au lit. Surtout que demain c'est 125 milles qu'il faudra dérouler de notre corde à noeuds. C'est décidé nous ferons route par l'archipel Toscan. Aussi touristique et prestigieuse que soit la côte, l'idée de replonger dans la folie urbaine nous dérange vraiment tous les deux. Naples, Rome, tout ça... on se dit qu'on peut le faire en train, ou en moto... Vous croyez pas ?
Je crois bien que nous ne respectons guère notre programme de vacances. Nous avions parlé d'aller en Tunisie et nous y tenions. Mais une fois arrivés en Sicile, nous nous sommes rendus compte que nous avions oublié nos passeports. D'où les modifications de parcours vers Malte.
Les îles donnent une idée de l'Italie que nous n'avons pas envie de quitter. Les gens sont souriants, on se sent en toute confiance. Rien n'est sous clé, les commerçants sont honnêtes. On ne s'y sent pas surpeuplé. Notre seul regret, c'est la pénurie de chocolat et de bon fromages coulants. Peu de choses en somme. Surtout qu'il y a beaucoup d'autres saveurs, inhabituelles, et fort goûteuses pour compenser. Rien que la diversité des pâtes, un vrai festival. Quant aux antipasti, on s'en met plein la dégustation. Le vin aussi est fameux, (celui de Sicile a été une bien heureuse découverte) et bien entendu les incontournables pizzas dont nous avons revisité les saveurs et les couleurs.
Une navigation de 24 heures sans histoires, alternance voiles et moteurs. La routine quoi. Peu de trafic en mer. Lorsque le soir arrive, les lumières de la côte italienne (à plus de 20 milles) nous offrent une nuit très vivante. Vers midi, allo ? ça tombe bien, une daurade est en ligne pour Laurent. Le délice de la mer, qui se fait décidément bien généreuse ces temps-ci.
Notre première étape en pays Toscan est GIGLIO, calla della allume. Encore un magnifique mouillage très tranquille et de toute beauté au milieu des rochers et des falaises. Dans la journée des canots s'éparpillent dans la calanque. La chasse aux oursins est ouverte. Fin d'après midi, avec l'annexe on s'offre de beaux détours à travers les roches affleurantes. Safari photo. On repère un insecte qui se débat tristement sur la surface de l'eau. Ses ailes détrempées, ne lui permettent pas de décoller. Il clapote, barbote, s'épuise. On se rapproche. Un énorme papillon de nuit tout gris, tout moche, tout malheureux. Ma maman disait, papillon du soir : espoir. Ce n'est pas permis de les tuer. (elle disait aussi, araignée du matin : chagrin) On y va pour notre opération sauvetage. Laurent le récupère avec sa rame, le pose sur le boudin avant du canot. On doute qu'il vive encore. Une bonne dizaine de minutes, on rame mollement pour pas l'affoler, on se laisse dériver. Le voilà qui frissonne, il déplace une patte avec prudence, il se tourne vers moi, me dévisage. Je me sens gênée par son insistance. Bon, tu décolles ou tu décolles pas ? Il semble que non. Peut-être que ses ailes ne sont pas sèches. Avec beaucoup de précautions on se décide à le débarquer au bord des rochers, à proximité d'une végétation protectrice. Laurent arrive à le poser sur sa rame, il la "verse" pour glisser l'insecte à terre. Une pauvre bête qui panique et déploie ses ailes brusquement. Il s'échappe dans un vol incertain, mais vers la mer. Va-t-il se rendre compte de son erreur avant de retomber définitivement épuisé sur les vagues ? On a passé un long moment avec le papillon. Les dévoreurs d'oursin sont partis. On rejoins Lune de Miel dans un isolement total. Assise sur le pont, je guette le vol lourd d'un gros papillon, mais en vain. La nuit tombe sur l'incertitude.
Après 22 heures, bilan météo. Laurent capte chaque jour celle d'Hambourg et il a bien raison de s'y fier, se dit-on. Donc nous savons qu'un avis de coup de vent est annoncé sur Lyon Provence (Mistral) à partir du samedi 15 sept. Qu'une dépression sur les Baléares, maintient le vent d'Est jusque là. La fenêtre idéale pour traverser vers Porquerolles, pourquoi pas Bandol, si le vent est vraiment bon... Mais nous ne voulons pas louper la pause à l'Ile d'Elbe. Donc nous écourtons notre petit bonheur de Giglio. Et l'Ile d'Elbe 35 milles au nord nous attend.
Lundi 11 septembre 2006
L'Ile d'Elbe, c'est une vision toute autre des îles. Nous mouillons dans une vaste baie où nous sommes tout seuls. La plage est bordée de pinèdes dans laquelle se cache un camping discret. Tout autour, des massifs verdoyants, des habitations modestes et pimpantes. Les gens sont détendus. Ils sont chez eux et on se sent chez nous. Magnifique non ? Le vent d'Est est annoncé pour plusieurs jours. Nous allons nous offrir une journée de tourisme. En quittant la plage, regards rapides mais attendris vers Lune de Miel. Vu la place qu'il a, il pourra s'ébattre tout à son aise au bout de sa longe. Nous partons rassurés. A pied ou en bus, le circuit découverte ? Nous n'hésitons que le temps de passer devant une location de scooters... perdue au fond d'une cour de ferme. Pourquoi pas ? Ah Mesdames, si vous aviez vu les deux gars qui s'occupent de cet espèce de hangar. Jeunes, beaux, souriants, affables, délicieux. Rien que d'y penser, j'en souris encore.
Le scooter est mis à notre disposition, pour la journée et pour 28 euros, que nous enfourchons Laurent et moi en rigolant bien. Il est beau l'équipage. Ils ont l'air fin, les deux soixantenaires. Laurent avec son petit short bleu clair, et ses birgenstocks aux pieds. Et moi qui chausse l'espèce de casque qu'on nous prête. Sans visière, sans mentonnière, c'est juste une idée de casque, un bol qui tient par miracle sur le haut du crâne. Je me vois tout à fait comme une parodie de Soeur Marie Thérèse des Batignolles. Je me demande si nous sommes assez habillés pour grimper sur les sommets en "moto". Mais depuis le temps qu'on se couvre de ridicule, on ne risque pas de prendre froid.
Dans les lignes droites, Le scooter fonce à 50 à l'heure. Vous imaginez, c'est de l'ordre de 27, 28 noeuds. Heureusement, la forêt ne gicle pas ses embruns à tort et à travers. Sous notre cyclo, le bitume ondule à travers les eucalyptus, les sophoras, les pinèdes et les chênes verts. Des calanques immenses et magnifiques, promesses de futurs mouillages. Le long des coteaux des vignobles inattendus. Et puis la grande ville. Portoferrario, si jolie, si coquette, si vivante. Une île si généreuse se dit avec des mots simples. Oh là là, que c'est beau.
Reprise de la météo au retour. Monaco radio confirme : Pas d'avis de coup de vent en cours ni prévu, vent d'Est, pour les 36 heures à venir force 3/5 sur Ligure, 4/6 sur Provence. Tendances ultérieures, risque de coup de vent N/W pour vendredi sur Lyon Provence. Parfait.
Mercredi 12 septembre 2006
Nous voulons être à Porquerolles pour nous abriter du mistral jeudi soir. 180 milles à aligner, soit 36 heures de nav... Nous espérons faire mieux car nous serons dans des allures au portant avec du bon vent, mais on ne sait jamais donc on décolle à 6 heures du matin, allure tranquille au moteur. Il fait encore un peu nuit, pas tout à fait jour. Aube ou aurore ? Dans la matinée le vent d'Est s'établit. Allure de grand largue, c'est franchement génial, tout comme a dit la météo. Laurent a remis sa ligne à l'eau. On cravache la houle à plus de 6 noeuds. Un énorme thon rouge course le rapala. Youpi, Laurent l'a eu. Encore ! Mais que vais-je en faire ? On roule nos voiles, pour une heure d'atelier poissonnerie, atelier boucherie devrais-je dire. Elles sont gorgées de sang, ces bestioles. En deux coups de couteau, Laurent prend des allures sanglantes. L'horreur ! Disons-le franchement, j'ai vraiment pas d'estomac. Mes gélules belges ne sont pas loin. Ouf !
A midi, le vent tombe, retour du moteur. C'est l'heure de la récré pour les dauphins. Ils nous accompagnent jusqu'au bord du cap Corse. Ils sont une multitude. Ils jouent à se pourchasser d'un bord à l'autre du bateau. Ils font de grands sauts devant l'étrave. Ils passent sur un bord en nageant sur un flanc et nous narguent de leur oeil visible. Ils nagent sur le dos, sur le ventre, ils se frottent l'un contre l'autre, se télescopent.
14h30, on dépasse le cap corse sans eux. On les retrouve quelques milles plus tard. Sont-ce les mêmes ? On a fait un sacré bout de route avec eux. Toujours la même réjouissance. Excellent pour notre moral qui a pris une claque avec la météo de demi-journée.
Avis de coup de vent d'Est sur Lyon-Provence, jeudi à minuit (c'est à dire cette nuit) fin de validité jeudi 18 heures, orages, grains, rafales... Pile quand on doit arriver, c'est quoi ce gag !
D'ailleurs la mer prend une couleur bien sombre tout à coup et la houle se creuse. Pas loin d'un mètre. Violente, courte, croisée. Détestable.
C'est quoi qui s'annonce ? Consternation à bord. Nous on avait choisi la fenêtre idéale.
Il semble que le coup de vent se décale lentement vers l'Est. Rester en mer de Ligure, côté Est, est-il plus sage ? La mer et les vents, y sont annoncés plus cléments. Peut-on encore se fier à la météo ?
Choisissons l'option la moins pire. Modification de cap. on allait au 270 depuis le cap Corse vers Port Cros, Bagaud. On fera du 285.
Nous atterrirons à Saint Raphael,
Rade d'Agay...
Et on avisera une fois à l'abri. En plus ce sera moins loin, on gagne une vingtaine de milles donc nous arriverons avant que ça se dégrade, peut-être. La nuit est infernale, les avis de coups de vent sont quasi permanents et les échéances se rapprochent de plus en plus. Les nuages ont noirci le ciel. Laurent a pris deux ris en fin d'après midi et on bouffe des embruns à 7/8 noeuds. Comme souvent mes sensations sont très partagées. Il y a ce souci de météo, l'état du ciel vraiment sinistre. Il y a une mer vraiment désagréable. Dans la soirée, la houle s'est encore creusée. Elle nous dépasse par l'arrière. Laurent relâche un peu de génois pour se tenir devant le déferlement des vagues. Lune de Miel adore ça. Il caracole et s'offre de longues courbes extravagantes. Aussi sympathique que ce soit quant à l'allure et à la vitesse du bateau, l'ambiance à bord est tendue. Au loin, des éclairs déchirent la nuit, quand cela va-t-il nous tomber dessus ? Pas un chat en vue. C'est la solitude absolue dans une mer qui ne nous veut pas du bien. Nos quarts sont chaotiques. Au milieu de la nuit le vent se durcit, je suis seule dans le cockpit et le spido affiche 9 noeuds et demi. Le temps que j'hésite à réagir, il est retombé dans la zone des 7/8. Aussi sec (si j'ose dire) une trombe d'eau s'abat sur ma capuche.
Nous finirons ainsi la nuit, sous la pluie, avec des poussées capricieuses du vent et Lune de Miel qui paraît glisser sur tout ça en pleine crise d'exubérance. A 10 milles de la côte on ne voit que du brouillard. A 5 milles aussi. A 3 milles, la silhouette de la côte se dessine vaguement. A un mille, une apparition. Un creux dans la côte, une route blanche qui s'arrondit au fond de ce qui ressemble à une baie, il y a même très nettement un camion qui roule, comme dessiné au crayon. Et tout autour un rideau de pluie.
A 8 heures du matin, nous entrons dans la rade d'Agay, que nous avions découverte du temps qu'on explorait la côte avec Athor. C'est plus génial qu'avant. Mouillage organisé sur bouée. Sécurité totale. (Pour info, le vent dans le mouillage souffle pour le moment à 35 noeuds par rafales) c'est quand même bon d'être arrivé.
Nous attendrons que se calme la dépression pour filer vers l'ouest, Porquerolles.
Presque chez nous, à bientôt à terre !