Capri-Pontines

  Estival 2006 - n° 7

lipari

Dimanche 3 septembre 2006

Nous quittons à regret le petit port si accueillant de Lipari. Nous quittons les îles éoliennes pour Capri, 130 milles de navigation. 
Nous savons que nous avancerons au près serré. Le vent est annoncé force 2/4, c'est une bonne route qui nous attend. Toute la journée nous alternons voiles ou moteur, voiles et moteur... Finalement, nous décidons de tirer un bord franc vers l'Italie, ça nous détourne de 30 degrés mais nous "fonçons" à plus de 6 noeuds. La VMG prend un coup de fouet, on gagne deux heures sur la prévision d'arrivée... 
Dans l'après-midi, je suis scotchée sur le bord du voilier, j'admire un arc en ciel qui défile dans le rejet des eaux du moteur. D'un coup j'hallucine.
- Laurent viens, voir ça c'est inattendu !
Laurent arrive, se penche par dessus la filière.
- Regarde, juste dessous, des gros champignons qui se laissent dériver entre deux eaux. Tu crois qu'il y a des champignons en pleine mer ?
- Faudra en parler à nos amis cévenoles, mais je crois pas. C'est peut-être un cargo qui les a perdus.
- Incroyable, t'as vu la taille du chapeau.
De belles couleurs brillent sur le dessus, lumineuses que la mer enrichit. Un brun doré qui s'ourle de grenat. Des jaunes brillants comme des paillettes d'or. Pour être si beaux, ils sont probablement vénéneux ces champignons.
Laurent me tire de mon observation béate.
- T'as vu, tes champignons, ils ont des pattes.
N'empêche que si les tortues nous avaient dépassés au lieu de nous croiser, j'en connais un qui se gausserait pas tant que ça.
Fin de soirée, le vent se détourne, pétole, moteur...

mer nuit
Je suis en pleine forme et je prends le premier quart vers 22 heures. La lune est déjà haut dans le ciel. Son bel éclairage éclabousse la mer. Elle a éteint la plupart des étoiles. Elle habite tout le ciel. Sa lumières est géante. On ne croise pas un chat. Le ron ron du moteur à 1500 tours, la mer toute plate qui étincelle, l'etouffement sourd des vagues à l'avant du bateau. Comme sur la plage par beau temps. Elles donnent l'impression de s'affaler d'épuisement sur la coque. A l'arrière l'écume phosphorescente de notre sillage, vert, bleu ou jaune ? Magnifique. Le souffle mouillé, intime des vagues qui se brisent sur les deux bords. Quelle plénitude.
A deux heures du matin, je prends un nouveau quart, juste avant que la lune se couche. L'horizon lui a ouvert une parure rose et orange qui illumine notre route. Et la lune se laisse glisser mollement dans ses draps pendant que moi, je marine dans ma polaire, car il fait frisquet. A l'horizon, les draps se referment, la nuit devient grise. Les étoiles peuvent enfin sortir du néant. Je repère mes lignes familières d'un éclat à l'autre. Des étoiles filantes fusent et disparaissent. A chaque fois, un choc, un émerveillement. 
Je repense à mon dernier coucounet, encore sous le choc de Syracuse, je n'avais rien d'autre dans le chou. Vous ai-je dit qu'avant Vulcano nous avions fait une étape à Milazzo. Ben oui, parce que je ne l'ai peut-être pas précisé mais à la sortie de Messine, le courant contraire nous a durement frappé. Nous avions 15 milles à faire, que nous avons parcouru en 5 heures. Arrivée de nuit à Milazzo, avec l'idée de s'abriter au port, de nuit c'est plus sage quand on arrive en terrain inconnu. On repère de très loin une immense raffinerie construite sur la mer. Chaque citerne, chaque cheminée est enguirlandée de lumières du haut en bas. Une véritable ambiance de Noël. Comme il fait nuit on ne voit pas de fumée, pas la triste allure d'une usine, on est bien surpris par cette forêt éblouissante. Le port est juste après. On y entre avec précaution, ça circule dur dans le passage. Cargos, tankers, navettes inter-îles... Quelle circulation et que des gros bâtiments. Le port est très mal éclairé. On y va sur la pointe des pieds. Où diable se trouve le port de plaisance. Ah, voilà, une dizaines de mats bien alignés. Approchons nous, oh merveille une immense place le long d'un "catway" et deux mecs qui nous attendent. Bien plantée à l'avant du bateau prête à leur balancer mes amarres, je baragouine en anglais que nous arrêtons seulement une nuit.
Impossible, Ils attendent un yacht à cette place. Le port est complet, qu'il me rebaragouine en anglais aussi approximatif que le mien. Où peut-on aller ? De l'autre côté, au mouillage sur ancre, c'est la seule solution ! Ecoeurée je repose mes amarres et réintègre le cockpit pour une concertation d'urgence avec Laurent. On zone une bonne demi-heure dans l'obscurité redoutable du port entre les entrées et sorties des gros navires. Finalement, nous repérons juste après la digue du port, un petit mouillage de corps morts. Nous nous y encastrons. Heureusement le vent est nul, il n'y a que la houle des ferries qui nous perturbe. Sur le quai de gauche une araignée de mer attend l'aurore pour reprendre du service. Sur le quai de droite un énorme ferry ronronne comme un matou géant. La nuit sera calme cependant. Même si on se lève trois ou quatre fois pour s'assurer que tout est en ordre lorsque le passage d'un gros navire nous réveille en nous secouant. 
A 7 heures du matin, nous sommes pressés de quitter cette zone peu reposante. Avec quelques regrets cependant, le fond de la baie, au dela du port promet une ville fort sympathique. Mais il faut aller mouiller ailleurs alors autant faire quelque milles (5) et changer de site, choix de Vulcano, dont je vous ai déjà parlé. 

Et Capri dans tout ça.

capri
Capri ça jette. Révolution complète de notre vision des îles éoliennes. Ville discrète, tourisme de haut vol, boutiques de luxe. Capri, de la mer, c'est comme une montagne qui se serait fendue en deux, la ville s'est construite depuis les hauteurs jusque dans le creux du vallon. Tout y est opulence. Les habitations, les hôtels, les arbres, les fleurs... C'est aussi l'île du silence. Tout le service se fait par engins électriques, livreurs, facteurs, bagagistes... Nous nous sommes offert une chouette déambulation dans la vieille ville, sur les hauteurs, gentiment portés là haut par le funiculaire. J'ai adoré, pour y passer un moment de détente totale. Je n'aimerait pas y vivre, cette vie feutrée, ce luxe, toutes ces facilités à la longue doivent peser. Evidemment le mouillage est du même topo et les yachts qui mouillent ici ont des allures phénomènales. Bien heureux que nous y soyons tolérés. 

Mardi 5 septembre 2006
Capri se perd très vite dans la brume épaisse d'une belle journée qui s'annonce. 22 milles en vue, cap sur Ischia, mouillage de San Angelo. Encore une merveille où Lune de Miel pose son ancre solitaire. A mi-chemin entre Capri et Ischia, perte de réception du GPS. Le GPS portable de secours, affiche la même défaillance, niveau de réception insuffisant. Donc nous ne sommes pas en panne. Nous sommes bien surpris tout de même car ça dure une bonne vingtaine de minutes et comme nous sommes à l'avant d'une large bande de brume ça n'a rien de rassurant. Connaissez-vous ce phénomène ? 
A propos de problèmes, Laurent a profité d'un mouillage en eau claire pour aller inspecter la quille du voilier. Suite à sa cure de boue, au pealing qu'il a subi dans le marais de Syracuse, toute la peinture a été poncée de très près jusqu'à l'epoxy, sur environ 40 cm, jusqu'à l'alu à l'arrière. Bon on rentrera comme ça. C'est un moindre mal, une sortie au port à sec était prévue cet hiver, ça fera partie des travaux envisagés.

Jeudi 7 septembre 2006.
8ème repas de thon, et c'est toujours un régal. J'ai improvisé du fenouil aux citrons confits pour changer un peu.Ca mouille le thon agréablement et c'est très goûteux. La météo affiche toujours du Nord ouest, quasi nul. Nous renonçons à l'idée de rentrer par la côte italienne. Les îles se dévoilent à profusion et elles sont magnifiques. Nous réfléchissons à une modification de parcours. 
Nous sommes à Ponza depuis hier. Cette ville nous enchante. Autant profiter de cette météo clémente pour vivre à terre, un peu. Dès que le vent passera à l'est, samedi ou dimanche, nous aimerions quitter les îles pontines pour prendre le cap des îles toscanes. Mais rien n'est certain. C'est toujours la météo qui décide pour nous. 
Anecdote pour finir. Nous gardons le thon qui reste au sel, donc en venant ici Laurent a remis ses lignes à la flotte, il ne peut pas s'en empêcher. A mi-parcours nous avons croisé l'îsola di San Stefano, encore un panier de belles images... de près c'est toujours mieux.
- Dis Laurent, t'as vu les marques spéciales un peu avant d'arriver ici, y'en avait deux dans la direction du port.
- Oui, mais je ne les ai pas vues sur la carte, elles doivent concerner la navigation à l'entrée de la ville, nous on passe derrière l'île, on s'en fout...
Donc on se rapproche des rochers. On est au moteur, c'est pétole, autant en profiter pour faire du tourisme. 
On voit soudain foncer sur nous un canot de garde-côte. Laurent leur fait de grands signes pour leur montrer sa ligne; franchement y sont pas un peu cons de passer si près, comme s'il n'y avait pas assez de place en mer... Laurent mouline sa ligne arrière le plus vite qu'il peut. Il me fait signe de laisser celle de tribord. Elle est plus courte et doit leur permettre de passer. Ils sont presque à notre niveau, ils ralentissent... trop tard... Ils calent. L'un ou l'autre se penche à l'arrière du canot, ils fulminent en italien. Nous on ne rigole pas, ils pourraient nous entendre et mal le prendre. Mais on se dit que c'est bien fait pour eux, ils avaient qu'à aller jouer plus loin. Finalement leur moteur se remet en marche et Laurent a rangé sa ligne qui semble n'avoir pas souffert. (ouf, encore un rapala qui a eu chaud !) Les gardes par gestes (ils sont trois) nous font comprendre qu'on navigue en zone protégée donc interdite à la circulation et... à la pêche. Je claironne bêtement : "mais c'est même pas signalé !"
Trois doigts tendus au large montre l'ombre d'une bouée qu'on devine à peine, que j'avais prise pour un voilier lointain... Derrière ça il faut passer... On s'excuse mollement, on se décape. Au revoir Messieurs, merci messieurs.... 
On attend que le canot disparaisse derrière les rochers pour remonter la ligne tribord qui a échappé à leur vision perçante. Et qu'y trouve-t-on, une belle daurade coriphène morte d'épuisement... Ça c'est un morceau de dégustation. Le goût de l'interdit, vous connaissez ?
Un vrai bonheur de naviguer avec Laurent.

A presto ! Janou B