Mercredi 5 mai 2004 - Position : 32°16 N- 54°00 W restent 1320 M/naut
Nous avons passé une nuit difficile. La houle par le travers s'est intensifiée, des vagues courtes qui déstabilisent et nous harcèlent. On fait du rodéo sur les crêtes... Je suis traumatisée par l'accident de spi, dans un véritable état d'angoisse que je n'ose pas dire à Laurent. J'en pleurerais si je n'étais pas si grande...
Je m'endors douloureusement. Peut-être même que je perds conscience. A un moment, j'identifie le souffle géant de la vague sur la trappe de secours sous le plancher. Là non plus le hublot n'est pas étanche. Des giclées d'eau envahissent le puits, et ressortent dans une monstrueuse succion. A quel moment une vague décolle-t-elle le hublot ? Elle envoie le caillebotis à travers le carré et la violence de ce ras de marée sépare le catamaran en deux. Dans un fracas épouvantable Galatée s'ouvre comme un abricot. Je suis couchée dans un flotteur, qui devient kayak et prend l'eau de partout. Je vois de la mousse qui gonfle, qui m'étouffe... Laurent disparaît par moment dans l'autre kayak sur tribord. Il cahote à quelques vagues de moi, mais le boucan de chutes d'eau, de succions, de chocs et de coups dans la coque est tel que je ne comprends rien à ses hurlements. Une drisse voyageuse depuis mon flotteur passe en tête de mat et retourne vers Laurent. Elle est rouge et noire. Un espèce de cordage minable traîne dans l'eau. Zut, l'hélice du moteur ! Je ramène ce bout dangereux qui se transforme en linge gluant et suintant. S'il est toxique tant pis pour moi, je n'ai pas de gants. Je le tire. C'est une écoute qui me rapproche en douceur du flotteur de Laurent. Mais je me demande où se trouve le pilote qui couine comme une souris.
- Janou réveille-toi on a un problème !
Je jaillis en liquette dans la nuit; Il y a bien des étoiles à profusion et même un bout de lune dans le ciel. Il est 3 heures du matin... Le froid me transperce de la nuque aux talons. "Of course" dit le pilote automatique, et ça veut dire qu'il n'est pas d'acccord avec lui-même. Tiens donc... Pas grave, ça arrive souvent. Pourquoi Laurent s'affole-t-il ?
- Peut-être que le vent a fait un caprice. C'est pas la première fois. Remets Galatée dans le lit du vent d'un coup de barre.
Réponse quelque peu irritée, d'un qui est mieux réveillé que moi.
- La barre est à fond, impossible de se remettre au cap. On est à l'arrêt...
- Mets le moteur !
- Oui, mais je crois que quelque chose fait systématiquement tourner le bateau à droite. On est coincé je t'assure. Je ne sais pas quoi faire !
Moteur ! On repart mollement. La bête rechigne, une vraie bourrique ce navire quand il s'y met. Le spido recommence à compter... Ouf, il a pas perdu l'ordre des chiffres.... On passe à 7 noeuds au moteur et on a le bon cap. Où est le problème ? Si on était coincé, pourrait-on avancer à 7 noeuds au moteur ?
On affûte nos réglages de voilure ; on attend un peu. Point mort. Une minute, à peine... et le bateau imperceptiblement recommence à flairer le vent. On dirait qu'il ne peut pas y résister. Quant au pilote automatique, il bloque la barre à gauche mais on remonte toujours au vent. Au milieu de la nuit, c'est insurmontable comme casse-tête. On relève les dérives. On fait marche arrière.
Si quelque chose est coincé dedans ça décoincera peut-être. Trop simple pour être vrai... Totalement inutile. Même après plusieurs tentatives, impossible de rester au cap. Finalement aucune solution cohérente n'apparaît. Laurent se gratte toujours le cheveux, mais l'effet magique ne se produit pas. Ecoeuré, il tente un truc qui n'a aucune chance de marcher.
Mais il est fatigué alors ... quand la logique est à court d'idées autant faire avec le farfelu. Le mérite c'est de nous donner l'impression qu'on avance dans la solution. Il choque la grand'voile jusqu'à la déborder complètement. Il l'assure avec la retenue de bôme. Et il borde le génois à fond. Une vraie planche à repasser ce génois et notre allure pour le moment c'est du largue. Décidément, j'ai tout à apprendre en matière d'allure et de vent... Parce que ça marche super bien. On attend au moins une demi-heure. On assure les réglages et on repart à 8/9 noeuds, cap 74, impec. La notice technique Catana conseille de relever plus ou moins les dérives lorsque la vitesse augmente et selon l'allure. (hein Serge ?). On applique la règle. On relèveles dérives, juste ce qu'il faut pour ménager le bateau. On ralentit à 6 noeuds et Galatée se remet instantanément face au vent... Quelle nouille ce cata. Aucune consistance ! Il serait du genre masculin celui là que ça m'étonnerait pas !
Finalement on laisse nos voiles dans leurs positions peu orthodoxes, choquées et bordées à la fois. On redescend les dérive pour se stabiliser et nous reprenons notre route pour finir la nuit bien préoccupés mais avec un pilote qui maîtrise la barre.
Lorsqu'on navigue on peut ainsi être amené à de graves et essentiels problèmes techniques et intellectuels. Ils ne souffrent aucun délai de réflexion. Qu'il fasse nuit, que nous soyons complètement la tête dans le coma, et les yeux pisseux ne doit pas nous empêcher de réfléchir "intelligent". Et vous autres pendant ce temps là, vous vous demandez qu'est-ce que vous allez manger à midi, où est votre dentifrice ou pourquoi votre compte bancaire est en débit ? Que des futilités. Comme je vous envie quelquefois.
Le jour se lève sur un ciel tourmenté. Le vent a passé la masse nuageuse au fer à friser pendant la nuit. Tout autour de nous, les cirrus étalent leurs lignes crantées et les petites virgules qui s'échappent de cette belle chevelure nous inquiètent quelque peu. Un front froid s'annoncerait-il ? Le baromètre est toujours à 1024 Hpa, toujours en hausse. Mystère !
Il y a maintenant une semaine que nous sommes partis de Saint Martin. Nous avons parcouru 1145 M/nautiques, une moyenne de 163 M/naut par jour. Vous remarquerez que nous ménageons notre monture avec une moyenne de moins de 7 noeuds.
Jeudi 6 mai 2004. Position : "33°02 N - 50°50W" Restent : 1155 M/naut.
Nous décalons nos réveils d'une heure. Histoire de rattraper le décalage horaire qui nous attend aux Açores, sachant que là-bas nous vivrons à l'heure TU. C'est l'heure du Réseau du Capitaine. Et c'est Jean-Yves (VE2NOR) qui envoie le premier pavé dans la mer :
- Désolé, les amis, une dépression se forme au nord. Vous y serez dans 24 heures. On parle de 35/40 noeuds de vent. Vous ne pourrez pas l'éviter...Pierre (VE2VO) appuie sur l'alarme :
- Laurent va falloir que tu prouves tes talents de navigateur. Prépare toi, et surtout prépare Janou psychologiquement. Je pense que tu sais faire...
André (VA2AF)avec sa voix si grave assène le coup de grâce :
- Laurent prépare des coussins pour Janou, si ça se passe mal, tu nous appelles on vient la chercher.
Merci les potes pour votre sollicitude, ça me va droit au coeur. Mais franchement j'en mène pas large à ce moment-là. Vous avez vraiment rien de mieux sous la main question météo ? Il est 7 heures du matin, et je n'aime pas la journée qui s'annonce.
Vous connaissez Laurent a force de le pratiquer à travers les coucounets ?
Voilà ce qu'il dit :
- Ne sois pas inquiète. On n'a aucun problème; 35 noeuds de vent, on les a déjà eus avec ce cata sous les grains. T'as bien vu, c'est facile de réduire. A 33 noeuds on a pris deux ris. On a de la marge jusqu'au 3ème ris, et même un 4ème si on veut...
- Tu parles d'un 4ème ris. La bosse n'est pas passée et y'a même pas de poulie disponible dans la bôme. A quoi il va bien pouvoir nous servir ?
- On peut en libérer facilement une. On utilisera la poulie d'un ris qui ne sert pas. C'est une super option du cata ce 4ème ris.
- Comme si tu dis qu'une voiture a cinq roues. Belle option la roue de secours, si tu veux t'appuyer dessus et qu'elle est dans le coffre.
- Allez regarde comme la mer est belle, le baromètre monte à 1025, elle n'est pas encore sur nous la dépression.
A 16h 30 on retrouve Michel (F5DV) qui nous donne la météo précise préparée depuis le Canada par Jean Yves. Normalement dans ce contact radio, on prend notre tour. Nous passons en 3ème ou 4ème position Laurent et moi en fonction du trafic. Je panique presque quand j'entends Michel annoncer d'office.
- Je m'adresse en priorité à Laurent, F6FEH, j'ai de la météo d'urgence pour lui...
Il confirme la cata-strophe pour très bientôt, et renouvelle les incitations à la prudence.
Condoléances des potes navigateurs qui naviguent dans des zones plus calmes, au moteur. Aïe aïe aïe ça se confirme et c'est grave !
Commence alors pour nous une véritable fuite devant la dépression. On ne vit plus qu'au rythme de la météo. Celle du Réseau, le matin, qui nous assure de toute sa compassion et nous taquine un peu, mais nous inquiète vraiment. Ils ont raison d'ailleurs, il ne faut jamais prendre ce genre de menace à la légère. Nous nous référons à la météo fine et personnalisée que Michel nous transmet le soir pour 24 heures. Elle a été préparée par Jean Yves, elle est d'une précision remarquable. On recoupe avec la météo de soirée que Laurent capte en BLU de Boston sous forme de cartes. Boston nous donne les prévisions sur 48h et 96 h. l'alerte donnée par Jean Yves s'y retrouve. La dépression s'enroule joliment derrière nous. Elle s'étale dans une zone terriblement vaste et nous poursuit de ses assiduités.
Le décor de ce texte se complique; nous subissons toujours une houle profonde de plus de 3 mètres. Des vagues croisées brisent cette houle et transforment la mer en soupe mixée. Nous subissons toujours le fracas des vagues et leurs secousses dans le carré ; on se casse toujours la figure, et on pompe toujours l'eau dans les fonds des flotteurs. Boire un thé, une soupe ou un café relève toujours du défi. Vous vous souvenez des Jeux télévisés de Guy Lux. Une équipe devaient transporter un verre d'eau sur un plateau en se déplaçant sur un tapis que l'équipe adverse secouait frénétiquement... Nous devenons des champions dans ce domaine... mais il nous arrive encore de boire par inadvertance avec un oeil ou une narine... Il nous arrive aussi de nous affaler sur la table du cockpit alors qu'on veut s'asseoir à l'arrière du flotteur. Géniale la stabilité sur cette savonnette; comme les cata sont réputés pour leur stabilité, rien n'est prévu pour retenir les objets posés. Le pire c'est l'espace cuisine; c'est très joli, plus joli que chez moi. Bien entendu ce très beau plan de travail ne supporterait pas les cardans que nos installations de cuisson sur moncoque doivent subir. Comme toutes les casseroles camboulent systématiquement pendant la cuisine, nous fixons deux pinces étaux de chaque côté des ustensiles qui sont sur le feu. Si Laurent n'avait pas eu cette idée, il fallait se résoudre à quelques ébouillantages et à lécher notre soupe sur le plancher.
La dépression qui s'annonce pour aggraver ces incommodités, ça ne m'emballe pas du tout. Je voudrais bien être à la maison à rôtir sur la terrasse au lieu de me faire courser par de gros nuages gris.
On a fait la moitié de la traversée, on devrait faire la fête, manger des crêpes au Nutella et boire du Chinon. Mais le coeur n'y est pas. On se met cette charmante soirée de côté pour fêter l'après dépression si on y survit. L'idée d'ailleurs me traverse qu'on ferait mieux de s'offrir une charmante soirée tant qu'on est encore de ce monde... J'ai rêvé d'avoir une petite fille. Elle est presque prête et si ça se trouve j'entendrai même pas ses premiers "ouinements"... Zut alors, ça je ne le dis pas à Laurent. Il a un moral d'enfer. Il a calculé qu'en surveillant notre vitesse, surtout en aucun cas ne descendre en dessous de 7 noeuds, nous arriverons à Horta avant le grand frais.
- On va traverser en 14 jours et sans le moteur. T'es chiche ?
Et moi qui suis toujours prête à toper, je ne me sens pas l'âme joueuse. Je dis oui, bien sûr, mais si peu convaincue.
Vendredi 7 mai 2004 position " 35°07 N - 47°OO W" distance à parcourir : 945 M/naut
Le baromètre grimpe toujours, 1026 Hpa, mais la dépression ripe sur l'anticyclone des Açores qui descend mine de rien vers le sud. On évite la route nord, le mieux qu'on peut avec le vent qu'on a. On se relaie la nuit pour surveiller les humeurs du vent, les frissonnements des voiles et les états d'âme du pilote automatique; la journée c'est plus facile on a l'oeil et l'oreille en alerte permanente et on réagit beaucoup plus vite. Ce sont d'étranges nuits. Nous sommes réveillés par un changement imperceptible de battement de voile; ou par un couinement inattendu, ou par un ralentissement du brassage d'eau dans le sillage. C'est subtil mais ça dénote dans le raffut ambiant. Nous passons vite fait un ciré sur nos vêtements de nuit. (vieux pantalon en coton et liquette, ou vieux jogging bien ample). N'oublions pas que la mer est toujours facétieuse et que la vague qui va nous inonder ne prévient jamais. Premier coup d'oeil dehors, état de la voilure, direction du vent, cadrans indicateurs, vitesse du vent apparente, vitesse réelle, vitesse du bateau, cap... On retouche ou on retouche pas. Si un ris est à reprendre ou à relâcher on le fait à deux. Sinon celui qui s'est levé le premier laisse l'autre au chaud et fait comme il pense que c'est bien de faire. Quand tout est en ordre avant de se recoucher, dernier regard vers le ciel... nuages, pas nuages... gros grain, ou petit grain... Avis du radar...l'analyse globale est bonne on se recouche; on oublie la vie envahissante des choses qui bougent, vibrent et crient en permanence dans le carré. C'est peut-être pas cette nuit que la dernière vague explosera le cata. Et quelquefois on se rendort avant la prochaine alerte...
Nous vivons au rythme des astres et des catastrophes qui n'arrivent pas. Nous nous couchons vers 20 heures, des nuits très agitées, très houleuses, épuisantes... Nous sommes installés dehors à l'affut du soleil dès 4 heures du matin. On en a grand besoin pour se réchauffer les os et le moral.
Lorsque le jour se lève, jusqu'à ce que le soleil soit sorti de l'horizon, la mer se creuse. La houle monte vraiment à l'assaut des bordées. On se fait inonder par l'écume. Nous croisons des cohortes de méduses à voile et je les observe fascinée. On dirait qu'elles sont ballottées par la houle, qu'elles se laissent porter à la va comme je te pousse. Lorsqu'elles se trouvent au portant, le vent gonfle leur minuscule voile qui se dresse et les méduses partent d'un grand élan. Elles avancent en remontant au vent. Lorsqu'elles sont face au vent, leur voile retombe. Elles se laissent de nouveau porter jusqu'à ce que la mer les remette dans le lit du vent. Elles sont si jolies les petites méduses à voile avec leurs reflets irisés de mauve et de rose. Elles reculent pas, elles, quand elles sont face au vent. Ce sont les bijoux de l'atlantique. Si dangereuses aussi. Mes doigts s'en souviennent encore, de la caresse des filaments, il y a deux ans.... Alors j'admire béatement, je rêve mais je ne touche surtout pas.
Vers 9 heures, on se love dans la chaleur du soleil, à l'abri des retours intempestifs de vagues qui grimpent lestement à l'avant des flotteurs et balaient inlassablement le trampoline. La houle diminue et peut descendre à moins de deux mètres. Le problème c'est la mer du vent, qui ébouriffe la surface de l'eau et provoque de grands déferlements d'écume. Lorsque nous somme moins secoués, Galatée avance toujours en cahotant, ses deux pieds trop grands ne se synchronisent pas. Il reste en déséquilibre permanent. Mais les mouvements deviennent plus doux. On est moins bousculé, on a le temps de se rattraper à un chandelier, une filière ou un hauban.La météo annoncée si désastreuse nous incite à fermer le plus possible nos issues qui font de Galatée une pissoire. Nous décidons de scotcher tous les hublots du pont par l'extérieur. Nous décidons de virer tout ce qui évoque du danger à bord ou de l'insécurité. Le barbecue est désinstallé et mis au fer ainsi que les cannes à pêche. Bien fait pour eux. Nous déplaçons la planche à voile vers le milieu du bateau, mieux arrimée, car tous les cordages ont pris du jeu. Le surf, et les wishbones, descendent aussi au fond du cata. Ceux là ne nous voleront pas sur la tête si notre navigation s'aggrave.Tout ce travail qui nous déplace vers l'avant du bateau nous offre en prime de belles aspergées d'eau de mer. En fin de matinée j'abandonne pour préparer le repas et Laurent continue ses navettes entre l'avant et l'arrière, le dehors et le dedans, dans son ciré ruisselant.Après le repas, il décide d'aller fixer plus solidement la housse de baume (excusez-moi, j'adore cette malice d'écriture, et j'en ai tant besoin de "bôme" au moral).
La partie avant du lazzy-bag qui passe autour du mat offre trop de prise au vent. Et là, les filles ouvrez grands les yeux; Imaginez que je parle ainsi de votre compagnon, votre favori.
Il transpire à s'agiter ainsi sous sa capote plastique (je parle du ciré). Il décide donc de travailler à l'aise. C'est l'après-midi, le baromètre grimpe toujours et le ciel est limpide. Donc, cet homme si élégant, d'un geste définitif, enlève son caleçon. Mais comme la mer mouille sérieusement à l'avant, là où il va pour travailler, il garde la veste de ciré. Vision très érotique d'un homme qui gambade tout nu dans sa veste rouge, d'où dépassent très subtilement les rondeurs de son joli derrière offert aux vagues. Cette petite folie mise à part, nous sommes très sérieusement préparés. Je ne crains même plus le coup de vent. Et puis je suis complètement d'accord avec Laurent. Aussi longtemps qu'on est devant la dépression, elle nous rend service puisqu'elle nous assure le vent qu'il faut pour avancer... Franchement on ne peut pas rêver mieux, mais faut surtout pas mollir.
Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DANS LES VOSGES
Coucou, la Denise, t'es toujours là ! je suis de nouveau avec toi. C'est moi, Ouin-Ouin, le Bon Canard. Je suis content d'écrire à quelqu'un qui me comprend. Des fois j'ai l'impression que j'entends sourd. Par exemple, à bord il y a une radio. Elle m'a d'abord enthousiasmé. Cette modulation que mon oreille à perçue, c'était du Ouin-Ouin tout craché. Incroyable non, des humains qui ouin-ouinent.
J'ai écouté attentivement. Très étrange, je comprenais tous les mots, et pourtant les phrases n'avaient aucun sens. Quelqu'un passait des chiffres ou des lettres, le correspondant les reprenait. Ils n'en finissaient pas de se balancer des listes de chiffres et de lettres chacun leur tour, ils les répétaient, répétaient ; un autre correspondant reprenait avec un autre système de chiffres de lettres. Et ça recommençait. Mais de quoi s'agit-il vraiment ?
Un code de communication ? Ce navire innocent est-il un repaire de bandits, d'agents secrets ?
Dialogue entendu hier vers 16 heures :
- Est-ce qu'il y a encore des canettes dans la cabine ?
- Bien sûr tu veux que j'en monte une ?
- Oui, si tu veux....
Alors là, je n'en crois pas les oreilles que je n'ai pas. Il y aurait des petites canes à bord de Galatée et j'en n'aurais rien su. Je suis pris de tremblements, j'ai la tête qui bourdonne, j'ai le coeur qui palpite, l'estomac qui chavire et mon âme qui ouin-ouine, qui ouin-ouine.... Je roule littéralement sur les talons de la femme qui descend chercher la canette. Sera-t-elle blanche, grise ou brune, ma petite canette ? Moi, j'ai un faible pour les brunes. Je rêve d'une jolie brune à la pupille sombre et veloutée... Avec un gros croupion clair... Alors là, je ne me contrôle plus... Je m'empêtre dans les marches, je dérape en virant dans la coursive, je suis pris de spasmes nerveux lorsque la femme se penche dans le coffre à canettes. Aucun son ne sort du coffre. Que signifie ce silence ? Mes amies auraient-elles été droguées. Si ça se trouve c'est un navire espion qui fait la traite des canes blanches ?
Je vais mener une enquête discrète mais je n'aime pas trop ça.
Bon je suis peut-être en danger, faut que je me protège. Je vais connecter mon plumier sur www/ausecours.nav. Je te reparlerai plus tard, si je survis !
Samedi 8 mai 2004 position " 35°06 N- 43°14 W" restent : 740M/naut
Je subis de nouveau la pression de la dépression dans ma tête. On se fait rattraper par le mauvais temps ! Le baromètre est tombé à 1025 Hpa au milieu de la nuit.
Il est 4 h du matin, une faible clarté passe par les hublots. Dans mon sommeil je sens un effleurement dans les cheveux. Une présence discrète, à peine un souffle, une brise toute douce. Le froissement d'une aile sur mon front. Je n'ouvre pas les yeux, c'est doux comme un rêve. Mais je suis intriguée. Je passe la main dans mes cheveux et j'y rencontre ceux de Laurent plus courts, plus soyeux.. Il sait que je suis inquiète. Il sait que je ne suis pas enchantée par la journée qui s'annonce... Simplement il me dit, "ne t'inquiète pas. Je suis là et tout va bien". Il a raison Laurent. Rien de mauvais n'arrive après le baiser du papillon.Toutefois lorsque je me décide à mettre le nez dehors parce que nous subissons une violente accélération, le ciel ne me fait pas de cadeau. C'est partout de la grisaille. La ligne de front froid est sur nous, bien chargée de pluie. Le vent passe à 35 noeuds en un instant. On prend un 3ème ris in extrémis. Galatée se ressaisit. Le problème de ces coups de vent sous grain, c'est qu'il lève une mer courte, violente et hachée. C'est épuisant à bord. J'en ai vraiment marre aujourd'hui mais je ne peux pas changer de bord. Il faut bien que je me contente de celui-là.
Nous serons malmenés, secoués, bousculés dans le tambour d'une machine à laver qui n'en finit pas de nous rincer et de nous essorer jusqu'à 14 heures. D'un coup les nuages reprennent un aspect plus clair; ils s'arrondissent, se font bonasses. L'allure revient au largue. Mais la houle est toujours fantasque avec de grandes vagues qui nous poussent de travers. Le navire devient volage.
Il fait d'incroyables embardées. Serait-il ivre ? Le vent apparent revient à 2O/25 noeuds. Ainsi nous nous sommes rapprochés de la dépression qui nous a chassés devant elle. Intéressant comme effet... Je reprends espoir parce que si nous accélérons lorsque la dépression s'approche de trop près, elle n'a aucune chance de nous rattraper. Qu'en dites-vous ?
Dimanche 9 mai 2004 position : "35°58 N- 39°34 W" distance qui reste : 553 M/naut
La distance à parcourir se réduit sérieusement. Les prévisions météo sur 96 heures nous permettent de penser que nous avons échappé à la dépression. Du moins son centre se déplace nettement vers le nord des Açores. Nous devrions pouvoir bénéficier des effets secondaires jusqu'à notre arrivée à Horta, île de Faïal. Ma main ne me fait plus souffir. elle est tout à fait désenflée. Elle a bien des couleurs un peu étranges qui varient entre bleu et noir... Mais nous ne la mangerons pas en ratatouille. J'avais tellement de soucis que je n'ai pas pris le temps de vous dire que nous n'avons pas vu un chat depuis notre départ. Trois immenses cargos au large à deux jours d'intervalle qui nous ont croisés de très loin, deux de jour, un de nuit. Quelques oiseaux qui ont fait un bout de route en piaillant derrière le sillage et nous ont laissé tomber. Nous n'avions rien de satisfaisant à leur mettre sous le bec. Mais aujourd'hui est un grand jour qui voit apparaître les premiers dauphins. Ils jouent entre les deux flotteurs. Ils nagent par groupe de 3 ou de 4. Ils caracolent. Ils sautent, ils plongent, ils nous guignent de leur petit oeil vif, et repiquent du museau. Nous nous sommes précipités à l'avant pour faire partie de leur jeu. Laurent tape en cadence du pied et moi je chante à tue-tête "ma commère quand je danse"... ou bien je pousse des petits cris comme ouin-ouinerait un bon canard. Entre les dauphins et nous c'est un festival de plus d'une heure.
Ils réapparaissent dans l'après-midi et juste avant le coucher du soleil.
Quelle journée de charmante compagnie.
Lorsque la nuit tombe, nos feux de routes ne veulent pas s'allumer. On verra ça à Horta. Pourvu que le feu de hune suffise à nous rendre visibles...
Le soleil se couche dans un flamboiement de couleur rose. Laurent dit que cela nous assure un temps idéal jusqu'à l'arrivée.
Lundi 10 mai 2004 position "36°46 N - 36°18 W" restent : 388 M/naut
Les dauphins ne nous quittent plus. Ils caracolent et louvoient comme s'ils étaient les cousins de Galatée. Peut-on rêver plus belle escorte ? Vers midi, je laisse flotter mon regard sur les imposantes dunes que la houle roule d'une ligne à l'autre de l'horizon. Les reflets sont superbes. Le soleil écrase le bleu outremer des vagues pour faire dans les risées une frisure d'argent. Je vois apparaître au loin un peu en arrière une immense gerbe de pluie. Etonnant giclée d'écume; Y aurait-il un rocher inattendu où se brisent les vagues par là-bas ? L'immense corolle de pluie réapparait plusieurs fois au travers. Non seulement ce rocher est immense mais en plus, il se déplace. J'appelle Laurent et ses jumelles. Ils confirment tous les trois qu'il s'agit très probablement d'une baleine. Elle avance à belle allure et nous suivons des yeux son magnifique jet d'eau, comme de la pluie qui tomberait sur une ombrelle invisible. Mais ça se passe vraiment très loin de nous. Je crois que je préfère ça. Vu la taille de la corolle, je n'aurais pas aimé me trouver sur la route de ce monstre marin. Echapper à une vilaine dépression pour que Galatée se retrouve bouleversé cul par dessus tête parce qu'une baleine distraite ne veut pas céder le passage. Ce serait vraiment trop bête ! J'ai rendez-vous avec une petite fille moi, dans quelques semaines et il faut que je lui apprenne à chanter, "ma commère quand je danse..." pour jouer avec ses premiers dauphins...
A propos du spi que nous avons fusillé, Laurent en lisant distraitement le livre de bord, s'aperçoit qu'il avait déjà souffert de déchirures en 2002... On comprend mieux, notre malchance.
Nous captons les premiers signes de vie humaine à la VHF, Susa'Na qui appelle Nérée. Comme les deux navires ont du mal à communiquer, Laurent s'interpose. On se lie ainsi par VHF avec deux voiliers qui font route pas loin de nous, vers Horta. On sympathise. Ok les amis, on ira ensemble boire un verre chez Peter Zee !
Mercredi 12 mai 2004 à 52 miles de l'arrivée.
Nous sommes levés avant l'aurore. Le ciel est parfaitement dégagé. On avance bon train, au grand largue, avec toujours les larges embardées propres à Galatée qui ne dessoule jamais. On s'y est habitué. Galatée est un bateau ivre, ivre de vent, ivre de mer, ivre de ciel... un peu comme nous. Ainsi nous baignons tous dans une joie impatiente; nous sommes heureux, vraiment heureux Laurent et moi de savoir que nous allons bientôt toucher Les Açores. Nous y avons de merveilleuses traces à revivre.Nous scrutons l'horizon avec avidité. A 9h, nous sommes à 35 miles de la terre. Une ombre pointue se détache du ciel, mais les contours sont encore flous. Une écharpe de nuages se déroule sous la tête de ce sommet qui paraît immense, Pico, c'est le Mont Pico...
Faïal est bientôt visible, avec ses sommets brumeux, ses prairies qui dévalent des collines, ses petites maisons blanches comme des maisons de poupée, dont les détails peu à peu se dessinent. Une route en lacets apparaît, les toits et les volets se teintent. L'énorme rocher éclaté du volcan baigne toujours son gros pied noir et torturé en avant de la falaise. C'est un moment tant attendu et si vite arrivé. Nous finissons ainsi d'enrouler notre corde de noeuds marins à travers l'atlantique. C'est un moment intense, et je crois bien que Galatée aussi vibre d'allégresse.
Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DANS LES VOSGES
- Coucou, la Denise, t'es là. Tu m'attends toujours. C'est moi Ouin-Ouin, le Bon Canard. On touche presque la terre. Je suis si content. La traversée a été excellente. Regarde ce bilan.
- Distance parcourue de Saint Martin à Horta : 2436 M/nautiques
- Durée : 14 jours
- Pas du tout de propulsion moteur. 2 heures occasionnelles pour remettre le navire au cap ou pour faire de l'eau douce.
- Notre vitesse moyenne a été de 8 noeuds.
Nous nous réjouissons de ne signaler aucune perte humaine, ni animale. Nous déplorons toutefois quelques pertes matérielles :
- un verre
- une assiette plastique
- Un spinnaker très usagé.
- Une gaffe
- des feux de routes dont le plastique fendu avait pris l'eau.
L'équipage est en pleine forme.
Je me sens magnifique. Influencé par la mode créole, je me suis fait friser les plumes. J'ai l'air d'au moins 6 mois plus jeune. Je suis beau, mais beau...
Mais surtout, la mer iodée et salée qui m'a régulièrement lustré le dos a laissé dans mon plumage des reflets gris du plus bel effet. Je vais faire un malheur dans la Basse-Cour.
Il faut maintenant que je sangle mon plumier pour l'envol, que je lubrifie mais ailerons. Sois patiente, la Denise, le Bon Canard arrive, à tire d'aile.
A plus...
Nota Bene de Horta, île de Faïal (ACORES)
Nous laissons passer le mouvais temps sur Horta. Dès que la météo nous paraît favorable nous filons sur Punta Delgada, (Sao Miguel) où nous laisserons Galatée. (147 miles, une petite croisière que nous espérons sympathique entre les îles, les cachalots et les dauphins).
En attendant des vents favorables, nous tracerons comme la tradition l'exige notre empreinte En attendant la météo idéale, nous allons peindre notre empreinte sur le pavé de la Marina; pendant la traversée nous avons fait une esquisse de Lune de Miel (en 2002) et de Galatée (en 2004). Dessin polychrome dont nous sommes très fiers.
Notre retour par avion à Marignane est prévue avant le 24 mai. Salut l'ADIS, je fais tout ce que je peux pour être là, mardi matin.