St Barth - St Martin

Il faut vraiment faire une pause aux Saintes. La vie de village y est tranquille, géniale même à bien des égards ; ça me rappelle Porquerolles. Mais les navettes y sont plus rares et les touristes aussi. Ce qui est génial ici, c'est la population. Il n'y a pas eu de trafic d'esclaves comme dans le reste des Caraïbes car l'île trop sèche n'est pas favorable à la culture. Ce sont donc essentiellement des Bretons pêcheurs qui ont colonisé l'île. Il n'y pas de métissage ici. C'est très déconcertant d'aborder une grande femme rousse à peine halée qui vous répond avec les incroyables formules créoles. Ah, le piège des apparences ! Vous vous rendez-compte, ces personnes ont la même allure que nous, de gens civilisés, et ils parlent comme des nègres. Leur langage créole à quelque chose d'indécent qui n'est pas à sa place. Je me moque un peu de je ne sais pas qui en écrivant ces lignes, mais j'adore cette manière d'être déconcertée. Sentiment instantané qui fond aussi vite que du café soluble une fois prise l'habitude de croiser tous ces visages souriants et sympas.
La baie qui encercle le bourg est un mouillage extraordinaire. Les maisonnettes aux toits rouges et blancs bordent la plage à l'abri des palmiers. Au nord, la Guadeloupe étale ses immenses forêts de manguiers, tamariniers et flamboyants en fruits. La pointe grise des sommets se noie sous les nuages. Où que se portent les yeux, je me laisse bercer par une vision de rêve. Je fais partie d'une magnifique carte postale.
Dans la soirée, Laurent m'offrira à terre, le cocktail de fruits crémeux, saveur dominante de fruits de la passion et mangues, à peine acidulé par un peu d'orange et délicieusement rehaussé d'un peu de gingembre. Je me souvenais de ce délicieux breuvage, et ce n'était pas un idéal, il existe pour de vrai et c'est au bourg des Saintes.

Jeudi 22 avril 2004 
Nous quittons les Saintes avec un petit pincement au cœur, mais nous avons une belle promenade d'environ 40 miles à faire le long de la Guadeloupe. Perspective très réjouissante; 
Il est 10 h30, Nous traversons la baie de Pointe à Pitre à 6 nœuds sous un ciel cotonneux. Promesse d'une belle journée sans grains. On s'y loverait... 
Encore que le ciel de Caraïbe soit souvent volage. La galette sombre de Marie Galante disparaît dans l'horizon. On part plein vent arrière avec juste la grand voile et la bôme prise par le palan de retenue de baume. Je suis enthousiasmée par ce palan et je vais tanner Laurent dès notre retour pour qu'il nous équipe ainsi. Le cordage improvisé que nous utilisons sur Lune de Miel nous a souvent joué des tours. Leçon de sagesse à retenir,
Merci Serge !
Côte sous le vent de Guadeloupe, nous reconnaissons le joli village de Rivière Sens, prémices de Basse Terre noyée dans la verdure. Les effets de couloir des montagnes qui dominent provoquent des rafales qui déboulent à 27/30 nœuds de vent. (La Soufrière culmine à plus de 1400 mètres et les montagnes le long des côtes varient de 600 à plus de 700 mètres pour les 3 Mamelles au nord de l'île). On a réduit la voilure, un jeu d'enfant car on l'a prévu assez tôt. 
Nous sommes en terrain familier et on connaît les facéties du vent tout le long de la Guadeloupe, même à 3 miles de la côte. On avance à 9/10 nœuds, au grand largue. C'est vraiment la meilleure allure, quel que soit le navire. La houle ici n'est pas trop gênante, bien qu'annoncée 3 mètres en mer. Faut quand même que la terre nous abrite au moins de ça ! 
A 12h45 nouvel effet de terre, panne totale de vent. On roule le foc et en avant le moteur pour une petite heure de dessalinisateur. Décidément, ça fait trop de raffut cette installation, faudra pourtant que je m'y fasse. C'est appréciable, l'eau douce courante... Et puis il est performant cet appareil, il paraît qu'il produit 150 l/à l'heure. Le nôtre est vraiment discret, mais il ne produit que 60 l/L. A chacun ses priorités n'est il pas ?
Le vent revient à 14h45, avec bien entendu de nouvelles rafales à 28/30 nœuds. Les sommets sont noyés dans la noirceur d'un grain qui ne se décide pas à décoller. Nous naviguons au portant, l'éolienne grillonne follement et le navire s'envole. On reconnaît les mouillages sympathiques déjà repérés avec Lune de Miel, quand on était en vacances et qu'on avait le temps de folâtrer aux Trois Tortues, à l'anse de la Barque... 
15 h 30, Encore un effet dévastateur des sommets, d'un coup le vent tourne et passe à 33 nœuds.  Pas la peine de perdre du temps pour une navigation au près qui devient vite inconfortable. On repart au moteur d'autant plus volontiers que nous pouvons envisager de ferler nos voiles.  Nous sommes à 3 miles du mouillage, les premières maisons s'alignent sur les coteaux. Mais la houle nous secoue pas mal. Nous sommes vraiment soulagés d'entrer dans le mouillage. Y'a plein de places, on peut aligner 60 mètres de chaîne et ce n'est pas du luxe ici. Le mouillage est un goulet entre les collines, gare à l'effet venturi, d'autant que la journée de demain est annoncée pluvieuse et ventée, ....
C'est joli Déhaies. On s'y sent très très bien. C'est aussi un petit village, deux rues principales et parallèles dont une le long de la baie ou s'alignent les commerces. 
Quand le soleil se couche, Laurent et moi, nous nous étalons sur le trampoline. Il fait doux, le vent nous caresse les fesses sous les mailles du filet. Nous rêvons l'un contre l'autre et les étoiles s'allument dans notre ciel.

Samedi 24 avril 2004
Le téléphone sonne juste après notre petit déjeuner. Une gentille nymphette annonce sa visite en fin de matinée. La jolie Marion viendra partager notre repas. Un agréable moment de rencontre entre passé et avenir. Merci, mille mercis, amis Danièle et Lucien de nous avoir adressé ainsi votre joyeuse présence.
14 heures, nous rendons Marion à la terre et à ses fantastiques projets de voyage avec Luc et nous décollons pour une virée de 120 miles vers Saint Barthélemy, notre remontée vers le Nord.
Les branchés de la "nav", ils disent St Barth comme d'autres auraient dit, St Trop... En ces quelques mots je vous donne un aperçu de L'île. Mais d'abord y'a de la route à faire. Et quelle route !
Le vent nous cueille à bras raccourcis dès la sortie du mouillage. Toujours de travers, on démarre à 7/8 nœuds pour rapidement passer à la vitesse qui secoue, plus de 10 nœuds. L'anémomètre affiche rapidement 33 nœuds, on s'amuse à prendre un deuxième ris. Histoire de s'étirer un peu les muscles défraîchis; La grand voile tombe toujours facilement et ça ne pose aucun problème. On roule presque la moitié du foc. Nous passons à 8/9 nœuds mais nous avons l'impression que les vagues nous frappent plus brutalement. 
Jamais je n'aurais imaginé un tel boucan avec si peu de houle, elle est annoncée moins de deux mètres. C'est franchement inconfortable mais le ciel est magnifique, que des bons nuages blancs dans un ciel parfaitement bleu. Je me cale donc le mieux possible à l'arrière du cata. Et je me laisse secouer et balancer et ballotter comme sur des montagnes russes. Après tout y'en a qui paie pour ce genre de sensations à terre.. Réjouissons-nous camarades, ça secoue et même quelquefois ça mouille... 
Nous sommes rapidement en vue de Montserrat. Le soleil couchant derrière l'île traverse les lourdes fumées noires du volcan qui bouillonne au sud. Lorsque nous arrivons sous le volcan, il se fond dans la nuit. Les sorcières sont en vacances et le chaudron magique ne rougit pas sous les flammes. On voit nettement les larges coulures refroidies des coulées de lave qui balafrent le versant est. Le paysage est dévasté, désolé, triste et noir, tout paraît à l'abandon. A l'Est, même la longue silhouette d'Antigua se dissout tristement dans l'horizon. La lune montante diffuse une lueur blafarde qui blanchit la mer à bâbord. A tribord, l'écume festonne sous les étoiles de bien jolies phosphorescences.
On se félicite Laurent et moi d'avoir pris nos deux ris pour la nuit. Car le vent ne faiblit pas et même il nous arrive de grimper à plus de 9 nœuds. On s'installe à tour de rôle dans le carré pour un moment de détente, dormir pas la peine d'y compter. Le bruit est infernal. Les vagues qui viennent du travers se cognent dans les flotteurs, elles giclent sous la coque, d'énormes coups de masse qui font vibrer tout le navire. La vaisselle dans les coffres est prise de folie, gling gling grincent les tasses, glong, glong, résonnent les casseroles... Et l'éolienne grillonne à grands tours de pales.
Quelle nuit de folie !
Dehors, mais dehors c'est nettement plus chouette. D'accord, ça secoue et on tibube... mais le navire file sa route tout droit entre les îles sans s'accorder le moindre écart. 
A 3 heures du matin, les lueurs de St Barth s'allument à l'horizon. La Grande Ourse culbute au-dessus de l'île. Quel merveilleux chargement verse-t-elle ainsi juste sur St Barth avant de sombrer à l'Ouest ?
5 heures du matin, le jour se lève, les étoiles se sont éteintes, et la lumière devient bleutée. Nous dépassons le mouillage urbain de Gustavio, nous contournons de sympathiques rochers aux allures étranges. Les îles qui embrassent St Barth nous accueillent à bras ouverts dans leur creux douillet. Depuis notre dernier passage, la zone est classée réserve marine, et des bouées gratuites ont été installées pour les plaisanciers. Ca c'est de la vraie protection de l'environnement.
Bon, moi, je me pieute, à bientôt !

Dimanche 24 avril 2004.
Nous n'avons dormi que deux heures ce matin. L'impatience de profiter de St Barth a eu raison de notre fatigue et nous a jeté en bas de notre couchette un peu trop vite. On est tous les deux vasouillard. Mais la magie du lieu nous remet d'aplomb dès qu'on s'installe pour un petit-déjeuner de luxe dans le cadre magique du Colombier.
Quel endroit magnifique ! Les eaux sont d'une pureté incroyable et des reflets tantôt outremer intenses, tantôt brillance de l'émeraude sont émis par les fonds. Les tortues viennent zoner autour de nos flotteurs. Je suis hypnotisée par leurs facilités de déplacements. Des mouvements très mesurés de mémères en promenade et une allure très vive, pleine de charme, ah que j'aimerais savoir nager comme ça. Leur petite tête pointue qui se dresse comme un périscope, avant qu'elle replonge pour nager entre deux eaux. C'est vraiment rigolo.
En fin de soirée Laurent qui flâne sur les fréquences radio-amateur BLU, entend notre ami André, VA3AF, au Québec. Nous en profitons pour lui annoncer notre présence prochaine sur le Réseau du Capitaine. Pour rappel le Réseau du Capitaine est une assistance formidable pour les navigateurs radio-amateurs qui assurent ses vacations depuis le Québec. Nous nous retrouvons tous les jours, en fonction de notre position, de la route parcourue et du cap prévu, ils nous tracent notre carte météo remise à jour en permanence. C'est pour Laurent et moi une aide de navigation inestimable. Mais c'est bien plus que cela. C'est un contact chaleureux, souriant, parfaitement fiable. C'est un fil palpable entre nous et la terre, c'est une équipe de potes. C'est la magie du fonctionnement radio-amateur dans toute sa force et sa générosité. Il n'y a que des radio-amateurs pour assurer comme ça ! Ce sont les mousquetaires du fil qui chante. Vous avez du comprendre combien je les aime. Quel bonheur de les retrouver !

Lundi 25 avril 2004.
Nous quittons L'île paradisiaque de Saint Barthélemy à 10 heures du matin. Nous avons un peu plus de 20 miles à faire au portant pour atteindre la baie de Marigot à St Martin. La mer est un peu agitée mais notre allure en vent arrière est franchement géniale. Les vagues arrivent avec juste ce qu'il faut de vigueur pour nous pousser aux fesses. Le foc seul nous permet d'avancer à plus de 5 nœuds. Cette allure me comble. C'est l'amble du chameau. On balance gentiment d'un bord sur l'autre, les vagues se défrisent le long de notre coque. Elles y perdent leur couleur et leur vivacité. C'est trop bon !
Laurent envoie une petite heure de moteur pour refaire un peu d'eau douce. Quel soulagement quand on revient à la navigation à voile !
Depuis que je pratique le catamaran de Sylvie et Serge, c'est la première navigation vraiment idyllique que nous partageons Laurent et moi. Ce qui me permet enfin de croire en des moments extraordinaires pour les prochains jours.
Nous faisons le plein de gasoil à notre arrivée à Marigot. Demain nous nous préparons psychologiquement, intellectuellement, et techniquement pour la traversée. Je vous enverrai un mot rapide pour vous dire quel jour est prévu le départ.  
 

Saint Martin. 
Nous nous sentons merveilleusement bien dans la baie de Marigot. Nous retrouvons avec enthousiasme tous les charmes de Saint Martin avec bien sûr une multitude de rappels concernant notre précédent passage avec notre ami Serge F de Stenella; Vous nous manquez Stenella et toi, ami Serge, je t'embrasse fort en passant.

Le vent fonce à 25/30 nœuds de manière très soutenue dans le mouillage. Ce n'est pas pratique pour aller à terre. Mais ça amuse follement Laurent. Et moi bien entendu je ronchonne parce que, avec l'annexe si on ne veut pas se faire inonder par les vagues de face, il faut mettre des gaz. Comme vous savez, le cheval au galop, ce n'est pas mon truc !
Nous avons fait le tour des cata pour voir si on trouvait un pote de traversée. Mais la plupart retournent vers les Bahamas. Nous ferons donc route avec le Réseau du Capitaine, pour nous soutenir... 
Hier a été une sympathique journée de loisirs tranquilles, en ville avec un peu de magasinage, reconstitution de l'avitaillement en produits frais, après-midi musique dans la fraîcheur de la cabine, et soirée resto dans la Marina Royale de St Martin.
Ici s'achèvent les vacances, on entre dans le vif du sujet. Notre boulot maintenant, c'est de rapatrier Galatée aux Açores...  avec pour le moment un vent annoncé de l'Est, 15/20 nœuds. Nous ferons donc route vers le Nord pendant quelques jours... 
Nous décollons aujourd'hui dans la matinée, après avoir envoyé ce message et organisé le navire pour la traversée. Pour le moment je baigne dans une douce impatience, un peu d'appréhension aussi. 
Dans 15/20 jours, à notre arrivée, je vous adresserai une nouvelle tranche de vie comme nous les aimons Laurent et moi..
Nous étions une fois, deux rêveurs...

 

A bientôt. Janou B