Strait-Canaries

28 novembre 2011

Encore une semaine d'immobilisation qui nous a permis de réfléchir à la manière dont nous allions passer le "strait". Quitter Gibraltar, c'est toute une affaire. Il faut bénéficier à la fois de vent et de marée favorables pour  favoriser le passage du voilier à travers le détroit. Plus d'un voilier s'est vu refoulé du passage à cause de la conjugaison courant de marée et vent contre lui. Les conseils qui pleuvent autant que le ciel sur les pannes exigent un tri très sélectif. On se languissait tous les deux de partir. Nous n'avons pas choisi les conditions météo idéales. Il aurait fallu patienter deux jours de plus. Vent faible mais de face. On s'en accommodera. Il a au moins le mérite de ne pas nous barrer le passage. En exploitant le courant lié à la marée, soit trois heures après la marée haute, pour bénéficier de la marée descendante, On est passé sans problèmes mais au moteur. Il a fallu attendre le bon moment, c'est à dire seize heures, heure locale. Il a donc fait nuit très vite et ce n'était pas rassurant. Nous avons sagement longé la zone de navigation côtière espagnole jusqu'à Tarifa. Il y avait un monde fou. Mais les gros ferries et les tankers et autre semi remorques de la mer ont leurs voies au milieu du détroit et finalement, ils nous doublaient de loin ; ça s'est un peu compliqué au niveau de Tarifa car les lignes Tanger-Tarifa forcément nous coupaient la route. Quelques savoureux moments d'angoisse. Il y avait une houle importante. Nous n'étions pas très à l'aise d'affronter tout ça dans le noir.
- Janou, regarde, on est en atlantique.
Et voilà. La mer avait changé d'aspect. La houle annoncée trois à quatre mètres nous y attendait avec des mouvements croisés tels qu'ils sont souvent en Méditerranée. Le mal de mer a rapidement frappé notre équipage. Laurent a bien résisté mais il ne s'éternisait pas dans le carré. Quant à moi, je suis restée en semi coma pendant vingt quatre heures. La première nuit m'a terriblement impressionnée. Pendant que je faisais ma veille, et quelle veille avec le mal de mer qui me tordait les tripes et la cervelle. Parce que c'est comme ça le mal de mer. Ça vous neutralise aussi bien la plomberie viscérale que la plomberie intellectuelle. Je comprends maintenant à quel point c'est grave de péter les plombs. Je n'utiliserai plus ces termes à la légère. Nous n'avons quasiment pas dormi cette première nuit. Le  bateau était secoué comme un prunier. Le grondement des vagues qui frappaient la coque résonnait affreusement dans le carré. C'était infernal. mer forte 1

Pendant six heures nous avons ainsi été chahutés par une houle croisée détestable. Progressivement les mouvements se sont adoucis. Il y avait toujours d'énormes vagues mais elles sont devenues longues, profondes, régulières. Le voilier suivait leurs courbes dans un ample mouvement de berceau. J'ai d'abord eu un peu peur. La clarté de la lune  révélait des ombres qui fonçaient sur nous par le travers ; et c'était magique parce que ces ombres en arrivant donnaient l'impression de s'écraser sous le bateau. Là où j'attendais un choc violent comme en Méditerranée, il y avait un mouvement d'une extrême douceur. En regardant vers l'avant, je voyais l'étrave monter  le long de la vague qui nous portait. Et ça recommençait. Aussi longtemps que nous avons subi ces assauts de  vagues nous avons eu l'impression de monter une côte qui n'en finissait pas. Ainsi la mer n'est pas forcément plate! Quelle découverte extraordinaire...
Le deuxième jour, j'ai commencé une cure de nautamine de trois jours. Quitte à être à moitié dans le cirage qu'au moins je ne sois pas malade... Très efficace ! J'étais pas folichonne mais je me sentais plutôt bien.
Nous avons navigué une dizaine d'heures au moteur. Dans la matinée, le vent s'est établi. La houle bien formée ne nous gênait plus. Mais elle était dangereuse à l'intérieur. On avait intérêt à bien se cramponner. Je me suis fait piéger en allant aux toilettes. Le choc m'a probablement déchiré un muscle au niveau de l'épaule. J'ai bénéficié de massages parfaitement contrôlés à distance par mes amis radioamateurs et puis surtout j'ai enduré. Ne nous éternisons pas sur ce déplorable incident.
Dans l'après-midi, le vent est passé plein vent arrière, la mer s'est assagie. Laurent a décidé de tangonner le génois et le foc Pichon. Que je vous parle un peu de ce foc particulier. Il y en a qui ont un sou fétiche comme Picsou par exemple. Nous en a un foc fétiche et c'est le foc Pichon. Il est formidable. Conforme au nom qu'il porte, il est d'allure modeste mais d'une efficacité remarquable. Amis voileux, ce foc vous fait rêver. Dommage vous ne le trouverez chez aucun maître voilier; nous en possédons l'unique exemplaire depuis des années. Hérité de notre premier voilier, un petit Remora nerveux, nous le gardons précieusement d'un bateau à l'autre, depuis 1985.
Forcément un foc fétiche, ça ne se cède pas.
Donc, notre génois associé à notre foc Pichon forment un sympathique tandem. On a tenu une bonne moyenne d'environ six nœuds et demi. Laurent a cru judicieux d'y joindre la grand voile. On ne changera pas Laurent, il veut toujours tenter mieux. Finalement c'était pas terrible la grand voile.
Elle déventait le génois alors nous l'avons rapidement affalée. Notre vitesse n'en n'a pas souffert et l'allure était plus facile à gérer.
Le pilote automatique s'est débrouillé pour négocier avec la houle et le vent. Il s'est bien tenu.  Faut dire qu'on l'a eu tout le temps a l'oeil ; avec ses engins faut maintenir la pression,. Lorsqu'ils sont livrés à eux-mêmes, il leur arrive de faire n'importe quoi. Nous n'avons pas pris ce risque. Le radar nous a permis des veilles passives. Nous devions rester vraiment vigilants. Nous avons croisé des bateaux de pêche ou des filets jusqu'à plus de soixante milles des côtes. Et puis on a commis une erreur. C'est d'avoir réglé l'alarme radar à deux milles. Sachant qu'on file à six nœuds, qu'on peut croiser un navire qui file à vingt ou vingt cinq nœuds, les vitesse s'ajoutant, ça fait pas beaucoup de temps pour réagir. Mais d'autre part si on élargit le cercle d'alarme du radar, il devient carrément gavant. On passe son temps à sortir pour vérifier la route.
Deux milles, ça nous paraissait bien comme compromis.
Troisième nuit, minuit et demi. Laurent prend le relais. Je me cale comme je peux sur la couchette du carré. La houle s'est radoucie mais le bateau est toujours un peu chahuté. Je dormais depuis au moins une demie heure. Je perçois un grondement angoissé de Laurent;
- Mais qu'est-ce qui fout ce con ? viens voir vite ?
Dans ces cas là, j'ai vite fait de tomber de la couchette. Les nuits de veille on dort tout habillé pour gagner du temps en cas de réveil de ce genre. Pas le temps de récupérer la turbulette. Le stress me tiendra chaud. Vision de cauchemar. A moins de deux milles un gigantesque bâtiment éclairé se dirige  vers nous. Comment l'éviter ? Difficile à dire car il n'a pas de feux de route. On voit un immeuble de cinq étages tout enluminé qui n'a même pas l'air de bouger. De loin dans la nuit les géants de la mer donnent souvent  l'impression qu'ils n'avancent pas, surtout quand ils n'ont pas de feux de route. Pourtant forcément, il bouge. On se pose des questions.
Appel insistant à la VHF, en anglais, en espagnol, en allemand, en français ; le capitaine n'est pas polyglotte ou bien il est sourd. Muet c'est sûr.
Comment imaginer la trajectoire de cet engin  ? On ne sait pas évaluer la distance qui nous sépare dans le noir.  Et puis voilà d'un coup, il émerge franchement à portée de voix. On entend ronfler ses moteurs. C'est terrifiant.
Nous passera-t-il devant, derrière ou dessus ?
"Que fait-on ? Où aller pour l'éviter si on ne connaît pas son intention ?
On est toujours avec nos deux focs tangonnés donc avec une lattitude réduite de mouvements. Je trouve que le bateau se rapproche dangereusement et je ne comprends pas que Laurent à la barre ne réagisse pas.
- Je sais pas quoi faire, tu crois qu'il nous passera devant ?"
J'observe, j'évalue, je prends trois secondes....
- Non, je suis sûre qu'on se le paie. C'est évident que nos routes se croisent. Qu'est ce qu'on fait ? Laurent vite, on va se faire écrabouiller, regarde il est là.
Tous le monde sait qu'en régate, je couine toujours largement avant que quiconque nous approche. Là vraiment,  on ne rigole pas. Nous étions tous les deux tétanisés. Laurent ne s'est même pas gratté Les cheveux. C'est vous dire qu'on n'en mène pas large. Décision !
- Y'a qu'une solution on se met face au vent on s'arrête et on voit ce que ça fera.
Sauf que moi je pense toujours aux questions bêtes.
- Face au vent avec deux focs tangonnné ? on ne va pas reculer ? Et s'il passe derrière nous, l'affreux navire ?
Heureusement qu'il fait noir, je ne vois pas le regard mauvais de Laurent mais je l'entends nettement son regard assassin.
- Face au vent, c'est une image. Je voudrais bien m'arrêter et qu'il passe où il veut ce foutu  bateau tueur de voilier...
Bon d'accord. Aussitôt dit aussitôt fait. Je ne respire plus. La manœuvre est délicate et le grossier bâtiment nous ronfle de plus près dans les oreilles et il nous éblouit en plus. Quel bruit ça va faire, quand il va nous cogner ? Combien de temps ça met un voilier pour couler ? Où sont les gilets de sauvetage ? Merde les gilets, où y sont les gilets... Et puis, zut, je ne peux pas descendre dans le carré. Je ne peux pas quitter le pont, pas quitter Laurent, pas maintenant. Si on doit mourir noyé, ce sera ensemble. Quelle horreur ! Ça va pas non, de penser des trucs pareils ! Je me concentre sur les moments qui vont suivre. Laurent donne un tour à la barre à roue. Lune de Miel se met légèrement de travers, et vire doucement mais il est toujours sur la route de collision. Je reste rivée sur l'énorme bâtiment. Je suis incapable de bouger. Je ne peux pas croire qu'on va mourir noyé dans un instant, dans un fracas de ferraille et de flotte emmêlées. Passera, passera pas ?  Les voiles commencent à fassayer, on ralentit et le navire se rapproche dangereusement. Il est monstrueux ce bâtiment. Et il vient à notre rencontre. Quoi que  ?
Voilà les deux focs tangonnés se mettent légèrement à contre. L'idée me traverse que ce n'est guère orthodoxe et j'ai failli sourire. Et il faut sourire car on a l'impression de s'arrêter. L'effet est saisissant. On s'arrête tout simplement et  le monstre lui, il continue. Il nous passe sous le nez, à moins de cinquante mètres,  lentement, lentement, sans le moindre signe de politesse. Il n'y pas une âme de visible à bord.
Quand j'y pense je tremble encore. Parce que ce corniaud il nous aurait coulé et j'ai la certitude qu'il ne s'en serait même pas rendu compte. Je l'ai suivi des yeux jusqu'à ce qu'il se fonde dans la nuit. Je me suis concentrée sur ma colère. J'aurais voulu être une sorcière sous la pleine lune pour le pulvériser d'un seul regard bien appuyé. Je me suis rassemblée sur ma haine et je l'ai fixé, fixé ce navire. Dommage, il y avait la pleine lune, mais je ne suis pas sorcière...
Le navire s'est fondu dans la nuit ;
Nous sommes restés longtemps silencieux, sous le choc. Puis Laurent m'a proposé un thé.
- Faut qu'on parle, qu'on comprenne ce qui est arrivé.
- Mais il n'est rien arrivé. Tu as tout bien fait. C'était nickel. Tu nous a sauvé la vie.
- Non, on est des imbéciles. Nous n'utilisons pas nos équipements d'aide à la navigation.
- De quoi parles-tu ?
- Du radar, Janou ! Au radar, on aurait vu comment se déplaçait le navire ennemi.
- Peut-être mais c'était net qu'il venait sur nous et ça ne nous aurait pas dit quelles intentions il avait, ce con ? Alors c'était de toutes les façons un loto, valait mieux pas passer. T'as tout bien fait comme y faut, je te dis !
Il nous a fallu un moment pour digérer ça. Nous sommes restés dehors, blottis l'un contre l'autre, émerveillés d'être là, deux coeurs qui palpitaient comme un seul humain... Deux siamois on était, c'était terrible.
Bon, on repart ?
Nous avons repris notre cap, nous somme lentement retombés dans la routine de la navigation déjà. Laurent s'est levé pour activer le radar, c'est quand même une aide à ne pas négliger. Les évènements  m'ont bouleversée et je reste en état d'alerte.  Laurent en profite pour aller dormir un peu. Je me confie aux étoiles et je m'apaise peu à peu. Il suffit d'un radar vieillot mais en parfait état de fonctionnement pour que je me sente  vraiment bien dans cette nuit bizarre. Nous bénéficions d'un oeil à balayage constant désormais. Et quel oeil ! Qu'ils y viennent les navires fantômes. Le vent et la mer m'ont repris dans leur mouvement dansant. Et je suis  vite retombée sous ce charme là. Une fois de plus, seule au monde, sauvée du monde. Ça fait tellement de bien de respirer. C'est franchement génial.
Parce que c'est vraiment comme ça la navigation. Des moments brefs d'intenses terreurs dont on n'a pas vraiment conscience parce que l'urgence c'est de sortir de ce merdier ;  et des moments d'intenses bonheurs qui nous inondent et dépassent tout le reste.
Par exemple, au large de l'Espagne après Gibraltar, Le pitpit est revenu nous voir. Je l'aime bien cet oiseau. Il a l'air intelligent. Il garde sa tête bien droite et nous observe tranquillement. Il utilise le bateau pour de longues poses. Il est un peu fada ce drôle d'oiseau. Il se cale un peu au hasard sur la grand roue.  Je l'ai pourtant dit qu'elle est traître celle-là et instable. A peine a-t-il fermé un oeil qu'il dérape et se rattrape in extremis d'un coup d'aile. Quelques battements désordonnés,  faut qu'il reprenne ses esprits le pauvre. Finalement il fait comme nous. Il s'abrite sous la capote. On voit tout de suite ceux qui savent où il fait bon vivre.
Deux soirs de suite, juste avant la nuit, une tribu de dauphins nous a rattrapés. Ils nous ont offert un  festival de cabrioles à l'avant du  bateau. Laurent les appelait en tapant sur la coque. Et les dauphins revenaient. C'était impressionnant. Mais ils ne se laissent pas capturer par l'image. Ils sont imprévisibles, apparaissent, bondissent, plongent, nagent à fleur d'eau et disparaissent de nouveau. Ils ne sont jamais là où l'oeil les attend. Laurent était subjugué et heureux , aussi fou que ces facétieux nageurs.dauphins
Et puis la première pêche de Laurent.  C'est notre premier et seul repas de poisson frais. Si, si, je vous jure que c'est vrai. Laurent a pêché une bonite. Un beau thon blanc d'au moins deux kilos. Non c'est pas une pêche de Marseillais. C'est une vraie belle prise qui nous a fait trois repas. Heureusement je dormais pendant ce temps là, je n'aurais pas supporté d'assister à l'assassinat . A mon réveil, je l'ai trouvée magnifique cette bonite. Mon estomac dominerait-il mon âme ?

 

La lune magnifique se levait avant la fin du jour. ldm merLe jour se levait avant que la lune se couche;  Nous n'avons jamais été dans de vraies nuits. Dans la journée on a l'oeil occupé donc l'esprit aussi. Mais Le mouvement des astres est très lent. Il ne se passe rien la nuit. Même le ciel est difficile à lire sous la pleine lune, pour peu qu'il y ait quelques nuages. La nuit modifie l'espace. On a l'impression qu'on pourrait toucher la ligne noire de l'horizon. Quand le jour se lève l'horizon recule.

***********************************************************************************************************************************3 décembre 2001 - Lanzarote
               Nous sommes arrivés hier dimanche vers seize heures aux Canaries soient trois jours et demi en mer.  On est à l'heure TU. On dirait que c'est l'été ici.  Je reste saisie par cette chance. Cette île de Lanzarote qui nous accueille est une chaîne de volcans. La roche est noire et le paysage lunaire. C'est magnifique, saisissant de solitude.
Le port de Puerto Calero est une marina d'un luxe époustouflant. Les bittes d'amarrage sont en laiton astiqué. Faut voir comme ça brille. Les pannes flottantes, ajustables à la marée, sont en teck. Quant aux sanitaires, c'est plein de chromes, de faïences magnifiques, de grands miroirs. Les vasques sont immenses. Grand luxe vraiment.  Les quais sont bordés de palmiers cocotiers. Les parterres sont couverts de fin gravier noir, couleur de la roche ici. On croise des flâneurs élégants de tout âge. A l'entrée des pannes des annonces rappellent que les enfants et les chiens doivent être tenus en laisse. Les navires sont magnifiques. Il n'y a quasiment pas de français. On les reconnaît facilement avant de repérer le pavillon de nationalité. Ce sont les bateaux les plus minables. Les autres, les beaux  brillants entretenus par les marineros du port sont de nationalités diverses, beaucoup d'espagnols, d'allemands, d'américains... quelques anglais. Les britanniques ne sont guère mieux lotis que les français. Nous avons été surpris de trouver des navires immatriculés au canada, à Salt lake City. Il y a beaucoup de catamarans. C'est une pause vraiment sympa après les brutalités maritimes.
Lors de notre dernière réunion d'équipage de bord, je vous rappelle que nous sommes deux à bord, nous avons décidé que désormais, en cas de séjours en port, on choisira de préférence les plus chics. Parce que si on s'offre du confort alors il faut que ce soit le meilleur. Sinon au va au mouillage. On est d'accord là dessus. Elle est géniale la vie...
Enfin en Espagne ça ne pose aucun problème car les ports sont bon marché. A Carthagène c'était moins de dix euros la nuit. Ici, c'est vraiment ce que nous connaissons de plus fabuleux pour moins de quinze euros la nuit... Je ne suis pas certaine qu'il existe des ports si raffinés en France. Et à quel prix ?
Il est tard. Laurent affamé commence à cuire les crêpes. Je le sais, il ne résistera pas au plaisir d'en faire sauter une. Et ici, les crêpes sautées n'ont pas hauteur sous barrot. Je crains le pire.
L'urgence m'appelle une fois de plus.

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Las Palmas - 6 décembre 2001

C'est la Saint Nicolas ; il fait 25 ° à Las Palmas, Gran Canaries. J'ai pris mon premier bain en atlantique. L'eau était sympa. Je me suis offert quelques brasses. Le cul au ras du sable, ne perdez jamais de vue que je suis terrorrisée par la flotte et que je déteste me baigner. A la maison, je ne prends que des douches et jamais l'eau ne coule d'en haut. J'ai toujours la douchette à la main et je m'asperge avec d'infinies précautions. Donc quelques brasses, pour faire celle qui s'éclate en Atlantique. Mais n'y croyez pas trop, c'est rien que du semblant.

ldm las palmas
Nous avons hésité à venir ici, moi j'étais même carrément contre.  Notre guide déconseille fortement cette escale. Port dangereux, anarchique, mal équipé et saturé, que des horreurs. Mais Laurent avait contacté par radio SUBSOU, le bateau du copain Jean Pierre (celui de Carthagène dont je connaissais pas le nom). Donc Jean Pierre venait de s'y poser. Les deux hommes avaient envie de se revoir. Première révélation de ce voyage, Laurent a plus besoin que moi de communiquer avec les gens. Faut dire que moi, j'écris  pour me défouler,  pour rêver,  pour rire. A chaque escale ma petite cure internet me permet de vous rencontrer. Je suis donc fort accompagnée. Ce n'est pas le cas de Laurent. Donc, j'ai fini par céder, après tout faut pas croire tout ce qui est écrit dans les livres. En fait depuis l'édition de notre guide pourtant tout neuf, la ville a fait un effort remarquable pour réhabiliter ce port. Il a été agrandi, dépollué, organisé. C'est récent et du coup il est quasiment vide. Entre nous et nos voisins on pourrait caser au moins trois autres bateaux. Donc nous sommes ici pour notre première démarche de vie sociale depuis le départ. Changement d'ambiance. Beaucoup de bateaux sont là parce qu'ils sont avariés... victimes d'avaries, si vous préférez. Notre voisin, un somptueux trimaran a cogné un objet non identifié en plein jour à dix huit nœuds. Un autre a des problèmes de régulateur d'allure, un autre des problèmes de pilote. un certain nombre des problèmes de météo. Et nous on voudrait traiter sérieusement notre problème de vide mulet, vice de mulet, vit de mulet. On  voudrait aussi refaire de l'avitaillement en produits frais et puis des bricoles. Nous devenons plus intime avec le skipper de SUBSOU. Jean Pierre SUbsous

C'est pour lui qu'on est là. Il s'appelle Jean Pierre. Il doit avoir à peu près l'âge de mon fils aîné. Il nous parle beaucoup de sa compagne et de ses deux filles. Je les prends tous en affection. On passe avec lui d'excellents moments d'intimité et de partage. On attend ensemble que la météo nous aide à partir. Lui, il ira directement vers la Guadeloupe où doivent le rejoindre ses trois femmes.
Nous on veut s'offfir une escale par le Cap Vert. Mais on sait qu'on se retrouvera quelque part en Caraïbes. Il est radioamateur, aucun riqsque qu'on se perde.
Nous côtoyons et communiquons avec d'autres équipages. Les navires sont de tous styles. Ils  viennent de partout et souvent de loin. Nos voisins sont Bulgares, Hongrois, Canadiens, Américains, Français. On cause ici toutes sortes de langues.  Nous sommes passés du monde de la plaisance au monde de la navigation. Nous sommes tous en instance de grand départ. Les uns vers Dakar, les autres vers les Antilles direct ou le Cap Vert. On a le sentiment réel d'être entre gens du voyage. C'est un vrai bien être. Laurent et moi nous ne sommes plus tout à fait des plaisanciers. Même si nous ne sommes pas encore des navigateurs nous pouvons enfin nous identifier au monde de la mer. Et malgré notre ignorance des choses de la mer.
Des baroudeurs de tous poils, jeunes en général, hantent les pannes à la recherche d'embarquement. Je n'aurais jamais cru qu'il y avait autant de candidats pour ce genre d'aventure.
Trois heures du matin. Je me réveille en sueurs. Laurent ronfle à côté de moi dans la cabine arrière. Que fait-il là ? Panique dans ma conscience. Le navire est livré aux fantaisies du vent et du pilote automatique. 0n fonce je ne sais où dans la nuit noire. Pas un soupçon de lune. Pas une lueur d'étoiles. C'est le noir absolu, le gouffre total. Le bateau glisse sur une mer d'huile. Mon estomac se contracte sévèrement. Je n'entends aucun son, pas de fuite d'eau sous la coque, pas de râle de gréement, pas de crissement de cordages, pas de bruissement de voiles. Il se passe vraiment quelque chose de pas ordinaire.
Je suis coincée au fond de la couchette. Laurent me barre le passage. Mais pourquoi n'est il pas en veille ? Je suis immobilisée, impossible de m'extirper pour jeter un oeil dehors, reprendre les choses en main et me rassurer. Terrible moment de panique. Je secoue Laurent
- Laurent réveille toi, qui fait la veille, qui surveille notre route ?
Laurent hagard se dresse sur sa couchette, complètement dans le cirage.
- Je sais pas, tire le rideau..
Puis il réalise que c'est grave.
Il saute comme un démon de la couchette et soudain retombe sur le lit.
- Andouille, on est amarré au port, on dort à Las Palmas, regarde.
Je tire le rideau. Pas de doute, on est scotché au port. Les lueurs bienfaisantes de la ville sont là. La rumeur sympathiques des voitures me chante dans les oreilles. De loin en loin un camion plus proche troue cette rumeur. L'odeur sourde des gaz d'échappement, des usines et de la ville me chatouille merveilleusement les narines. J'éternue. Quel soulagement. Je me laisse tomber sur le lit estomaquée.
Et on rigole, et on rigole.
Croyez moi, il y a de vraies nuits d'enfer à bord....
Nous n'avons pas eu le temps de découvrir vraiment l'immense ville qu'est Las Palmas. Il semble que ce soit une ville moderne, affairée, bruyante fatigante. Mais il faudrait que je prenne le temps d'aller vers la vieille ville pour avoir une idée plus juste des charmes secrets de ce site. Pour le moment cela m'échappe complètement. Toutefois, le port est vraiment très agréable. Notre panne est à au moins trois cents mètres du quai. Nous ne sommes pas gênés par la vie citadine. Je vous confirme que ce port est vaste, facile d'accès. Quant aux places, on a l'embarras du choix. Nous sommes sept ou huit par pannes, elles sont prévues pour une trentaine de bateaux.
Laurent avec le réseau radioamateur établit des liens. Hier nous avons eu la visite d'un couple qui habite là depuis deux ans. L'homme est venu lui apporter un autre type de cartes météo. Personnellement je n'ai pas saisi l'intérêt, car nous sommes extraordinairement soutenus par le "Réseau du Capitaine". Ce sont des hommes qui font un travail remarquable et dont nous apprécions la fiabilité. Bien sûr que c'est vrai ! C'est de la météo marine qu'ils nous transmettent. Par exemple, ils nous disent depuis trois jours que probablement nous ne partirons pas mardi. Bingo, ça se confirme. ! On sait qu'à Gibraltar et au delà ça bastonne dur. Ici Pétole ! Partir pour faire trois jours au moteur, ce n'est pas raisonnable. D'accord !
Donc on est toujours là et probablement jusqu'à jeudi ou vendredi. La fenêtre météo idéale serait jeudi avant midi. C'est pas beau ça ! Et le plus génial c'est qu'à partir de là, on  bénéficie enfin des alizés mythiques. Un bon vent pour filer au largue, au large.  Y'aura théoriquement un petit problème. Grâce à la dépression du Nord, la houle sera d'environ six à sept mètres. Joli chahutage, chahutage n'est pas forcément chalutage, en perspective. Après tout, ce ne sont que des prévisions.
On garde donc la direction et la force des vents qui nous conviennent parfaitement. Pour l'état de la mer d'ici jeudi,  ça changera peut-être.
Actions :
Laurent a fait usiner une pièce idéale pour sécuriser notre hale-bas rigide qui a fini par avoir vraiment mauvaise mine. Théoriquement on l'installe demain.
Quant à moi j'ai fini les rideaux tribord du carré. Un petit coup d'oeil à droite en regardant vers l'avant du bateau. Ils sont or, de couleur jaune si vous voulez banaliser, avec de magnifiques soleils en surimpression. Ouah, comment ça crache ! Super.  D'accord les ourlets sont un peu hésitants, une ligne ondulée, une sorte de vague. Est-ce que ça choque vraiment dans un bateau ? Mesuré, taillé et surtout cousu main. Bel ouvrage ma foi ! Laurent ne partage pas mon enthousiasme. je me demande bien pourquoi.
Le propre de la vie à quai, c'est de flâner, de s'attarder sur les pontons. Boire un café par ci, un apéro par là, une coupe de vin, c'est un acte social important. C'est rudement intéressant de faire parler les compagnons. Ils ont tous plus vécu que nous; on en raconte de belles sur nos futures destinations.
Entendez ça : les autorités locales du Cap Vert sont fouineuses, enquiquineuses,  pointilleuses en un mot emmerdantes. Donc armez-vous de patience lorsque vous voulez passer par les services d'immigration. Vos nerfs quelque peu émoussés devront s'y faire. Il ne s'agit pas de rigoler dans ce monde là.
La sécurité est douteuse en particulier dans la capitale à Mindelo. Pour les autres villes, les ports sont sympas mais les mouillages, c'est l'horreur. Le temps d'arriver sur la plage avec votre annexe, votre bateau a été dévalisé ; le temps de faire trois pas pour vous dégourdir les jambes,  votre annexe à disparu. Si  vous pouvez vous dépatouiller pour remonter à bord,  c'est sympa parce qu'à ce moment là, un jeune garçon souriant arrive avec une annexe qu'il a "trouvée un peu plus loin". Il est prêt à vous la vendre un bon prix. Super, c'est la sœur jumelle de celle que vous avez perdue. Dommage, elle est livrée sans le moteur. !C'est pas dramatique on ne s'éternisera pas au Cap Vert et peut-être qu'on dormira à tour de rôle dans l'annexe...

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Las Palmas - Gran Canaries

La météo est toujours défavorable pour les jours qui viennent. Vent sud/sud ouest, deux à quatre nœuds ! Nous n'allons tout de même pas partir au moteur, pour un périple annoncé de huit cent cinquante milles. Le rendez vous Alizé est pour samedi. D'accord.  Ainsi nous ferons un peu de tourisme. Nous décidons de louer une voiture et d'aller à la découverte des terres.

l &j las palmas
Premier moment de jouissance totale lorsque nous nous asseyons dans la voiture. Incroyable comme on se sent bien lorsqu'on a le derrière calé dans les coussins. Nous sommes fascinés de la vitesse à laquelle nous avançons dans les rues pourtant fort encombrées. J'en conviens aujourd'hui, vivre en ville à pieds lorsque les services de transport urbain sont rares, c'est épuisant. Epuisant pour nos jambes, épuisant pour nos têtes, nos oreilles en particulier, épuisant surtout pour mon dos.
Les quartiers autour du port et la partie de la ville appelée Isleta sont des centres urbains modernes, affairés et bruyants. La concentration urbaine à Las Palmas est affolante. Nous sortons difficilement de cette zone.
Autoroute du Sud, une direction "Vallée Juvamar" nous paraît de bonne augure. A ne se fier qu'au nom indiqué on se retrouve à échelle plus réduite au quartier "frais vallon" de Marseille. Ce ne sont pas des endroits destinés aux touristes. Les immeubles font trois  ou quatre étages.
Ils sont posés un peu n'importe comment. On a l'impression que les façades ont été peintes avec ce qui restait de pots de peinture d'un immeuble à l'autre. Depuis le front de mer, c'est du meilleur effet. Ça fait des taches colorées et vivantes sur la roche noire. Mais de près c'est autre chose. Les bords de route et tout l'environnement sont envahis de plastiques, gravats, détritus de toutes sortes. Nous croisons des enfants qui sortent de l'école, des gens affairés qui rentrent chez eux. Nous sommes déconcertés. Le peuple que nous croisons n'est pas en harmonie avec le quartier. Ce sont des gens très soignés. Les gamins ne jouent pas au foot avec leur cartable. Ils sont en uniforme. Les femmes poussent de magnifiques landaus.
Nous finissons par sortir de la ville. Plus une âme qui vive. La campagne est lugubre. Des montagnes de roches noires nous cernent. On a l'impression de grimper sur d'énormes crassiers. Des palmiers rachitiques et même les figuiers de barbarie font peine à voir. On prend la direction de Santa Brigida. C'est un autre monde. Ville dortoir, magnifiques villas, magnifiques rues ombrées. En face d'un hôtel cinq étoiles on trouve un alignement de restos. Ouf, on meurt de faim et on ne trouve pas une boutique dans cette ville résidence.
Repas économique et sympa, bouclé en moins d'une heure. C'est vrai qu'on apprécie la vélocité des serveurs. A peine êtes-vous assis que la carte vous tombe sur la table. A peine la carafe d'eau est-elle sur la table que l'entrée vous est servie. Vous avez tout juste fini votre assiette que la suivante est déjà posée à côté. Génial.
On repart vers le centre de l'île. Sur l'autre versant le panorama change complètement. La campagne devient verte et opulente. Des arbustes magnifiques qui sont en France des plantes d'appartement, inondent l'espace. Il y en a le long des routes, il y en a dans les jardins, il y en a dans les terrains en friche, il y en a partout. Ce sont de grands arbustes qui donnent un air de fête à la campagne. Les feuilles du bas sont vertes et plus haut sur la tige, elles deviennent rouges. En haut des tiges il y a une espèce de grappe de fleurs jaunes. Celles que nous trouvons chez les fleuristes sont un peu les petites sœurs de celles-ci. Les palmiers sont immenses et n'ont pas été dépouillés de leurs vieilles branches qui pendent le long du tronc comme de la paille. On dirait qu'ils sont en robe de chambre. Il y toutes sortes de cactus géants. Le fameux candélabre toujours minable sur nos terrasses étire ses grands bras pour toucher le ciel. Les figuiers de barbarie sont larges et gras. Il y a aussi de grands eucalyptus. Nous nous demandons comment cette végétation si diversifiée peut cohabiter. Mais nous ne sommes pas des spécialistes et cette question ne nous étonne pas longtemps. C'est si bon de se laisser émerveiller.
Après Vega de San Matéo nous montons vers le parc national. D'un coup on tombe dans une nappe de brouillard et nous ne voyons plus rien. Nous continuons de monter jusqu'au sommet dans le brouillard. On ne s'arrêtera que quelques instants pour faire quelques pas entre les eucalyptus dans l'air humide avec un rien de déception.
Sur le versant sud vers Telde on quitte le brouillard pour retrouver la mer. Tous les villages qu'on traverse bénéficie de la même architecture complètement anarchique. Il n'est pas rare que le mur d'une maison soit de plusieurs couleurs. Le bleu outremer s'oppose au vert billard sans le moindre souci d'harmonie. Quand au jaune (canari ?) c'est la couleur maîtresse des habitations souvent mélangée à du blanc ou à une autre couleur. La plupart des édifices publics et souvent les églises sont de ce jaune plus ou moins ocre. Les villes ont l'aspect béton des villes nouvelles. Rien à retenir. On revient à Las Palmas et nous avons un aperçu du vaste espace touristique du littoral et des plages immenses et magnifiques. Mais à part les plages, je crains qu'il n'y ait pas grand chose de passionnant à faire à Gran Canarie. Nous profitons de la voiture pour repérer la cathédrale et les vieux quartiers de Las Palmas. Découverte à faire demain, à pied, à trois kilomètres du port. Une promenade de santé !
La cathédrale de Las Palmas est un édifice en espèce de grès gris-noir; probablement la roche volcanique locale. Elle date de 1570, mais à part son énorme silhouette, elle n'a rien d'admirable ; deux clochers de chaque côté et une sorte de tabernacle ouvert et vide dépassent du fronton. Pas une statue, pas de découpes de pierre façon dentelles. C'est sombre, c'est sobre. Il paraît que l'intérieur est riche et magnifique mais le portail est fermé lorsque nous nous présentons. Nous ne sommes hélas pas du genre à piétiner  des heures devant une église. Nous quittons les rues piétonnes dont la foule déborde des boutiques pour nous enfoncer dans les petites rues de quartier. Notre promenade prend une autre dimension. Les appartements donnent directement sur le trottoir. Les gens qui passent s'arrêtent, toquent à la fenêtre pour parler à leurs voisins, voisines. On croise un homme endormi sur son canapé.  On salue un autre qui regarde la télé vautré dans son fauteuil. Les gens disent bonjour, ils sont souriants.  Ils sont à la fois dedans et dehors. C'est la vie intérieure des familles posée à fleur de trottoir.
La météo se prolonge dans les mêmes conditions mais on a décidé que si le vent ne venait pas à nous, c'est nous qui irions à lui. Ras le bol d'attendre. C'est décidé nous partirons demain...

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