Dimanche 17 août 2003
Nous sommes arrivés à Cagliari le soir du 15 août en espérant bénéficier de places au port, (la plupart des vacanciers finissent leurs vacances à cette date), et en pensant que nous profiterions de quelque festivité locale organisée dans la capitale de Sardaigne. Les ports sont quasi-vides et la ville aussi... Festivité ? Où donc ? C'est une très jolie ville, dont la partie ancienne est construite sur la falaise. Les remparts sont intégrés à la roche et c'est vraiment magnifique. Nous avons fait le chemin touristique comme il se doit. On enfile des ruelles tortueuses qui débouchent sur de chouettes esplanades, il y a quantité de chapelles, de basiliques, très fréquentées par les locaux. Les sardes sont certainement très pieux.
Je dois signaler la cathédrale Santa Maria vraiment merveilleuse où nous avons déambulé plus d'une heure subjugués par les plafonds, les murs, les petites chapelles et le musée. De l'art baroque à profusion, plein les yeux... Dans la basilique, c'était l'heure du culte. Elle était pleine de pieuses personnes très endimanchées. Le curé débitait de l'italien dans son micro. Des papillons de toute les couleurs voletaient autour des têtes plongées dans le recueillement le plus total. Mais ce n'était pas des papillons. C'était le mouvement des éventails que les femmes s'agitaient d'un geste mécanique sous les narines. Etonnant, cette ambiance de messe. Si j'avais été le curé, ça m'aurait vraiment dérangé ce mouvement permanent. Les gens ici font grand usage de l'éventail, même à l'église...
La plus grande surprise c'est que tout, absolument tous les magasins étaient fermés, on était samedi, mais il semble que ce soit la tradition, dès qu'il y a une fête de fermer boutiques, banques et services administratifs une semaine. Un peu comme au Cap Vert. Quelques rares bistros ou restos... On a quand même pu boire un coup !
Nous avons choisi le plus petit port de la Marina, un peu au hasard, nous avons bien fait. Il était sympa et pas cher. Je vous le conseille vivement, Marina del Sole, 24 euros la nuit, tout compris.
Lundi, 18 août 2003
A quelques milles de Cagliari, nous replongeons dans la vie sauvage. Nous avons passé une nuit à Capo di Pula, au bord du village antique de NORA. C'est un site qu'il ne faut surtout pas louper. Une ville romaine toute entière a été mise à jour. Elle s'est développée sur plusieurs périodes, de L'année 100 à 600 avant JC. On y retrouve les fondations des maisons, quelques murs qui donnent une idée de l'organisation de la cité, les thermes sont facilement identifiables, un temple avec 4 magnifiques colonnes en marbre gris et des rues magnifiquement pavées. Drôle de promenade, à la nuit tombée. Le mouillage avait un petit air d'outre tombe. J'ai beaucoup aimé cette ambiance unique. J'étais troublée. J'ai rêvé de ces pierres et mosaïques encore visibles sur les pavés, et je ne savais pas quoi répondre à cette question :
-Mais pourquoi les Romains ont-ils pris l'habitude de construire des ruines ?
Toutefois le mouillage à Capo di Pula a été très agité pendant la nuit et nous sommes contents de lever l'ancre dès qu'une petite brise nous caresse les oreilles.
Cap sur une autre crique de rêve. Malfatano.
Nous sommes à l'extrême Sud de la Sardaigne. Nous n'avons qu'une douzaine de milles à faire. Heureusement car le vent nous lâche très vite. On avance petitement au moteur, et la houle est pénible. Le paysage évolue; On quitte les longues plages de sable bordées de bosquets verts. La roche reprend sa place et tombe dans la mer. A Malfatano, nous retrouvons le site que nous aimons le plus. C'est une sorte de calanque prisonnière de caillasses et de collines d'où dévale un courant d'air bien agréable. La houle est coupée par les rochers qui bordent l'entrée du mouillage. Laurent n'a plus mal au dos
Lorsque le soir tombe, les rares embarcations venues s'expatrier ici retournent à leur port d'attache. Lune de Miel passera la nuit avec deux autres voiliers largement à l'écart de notre ancre.
Le tourisme à terre paraît très intense. Beaucoup de plages sont saturées de parasols. Mais ce monde-là ne nous concerne pas. Rares sont les touristes qui viennent de l'étranger. Même au niveau de la navigation. Presque tous les équipages sont italiens, même quand le bateau est immatriculé en France (Ajaccio, Nice, Antibes...). C'est même très fréquent.
Nous ressentons assez fort, l'identité Sarde et l'écart qu'il y a entre entre cette île et l'Italie. On nous a dit plusieurs fois, "ici c'est interdit, ici c'est payant.... nous devons en tenir compte ; nous sommes Italiens" Mais vous vous êtes étrangers, on vous laissera en paix.
Il est vrai que les autorités, les bateaux de douanes qu'on croise nous laissent une paix royale. Serait-ce vraiment différent si on était Italien ?
Cet échange aussi est significatif dans une boutique :
- Est-ce que vous parlez Français, ou anglais ?
- Non Sarde, mais bilingue.
- ?
- Si bilingue, le Sarde et l'Italien...
Jeudi 21 aout 2003. (à peu près... date incertaine).
Depuis Punto Pino, nous quittons le sud de la Sardaigne. Allons y pour une petite promenade en contournant la très large île de San Antioco, que nous verrons de loin. Au nord ouest de l'île nous nous engageons dans le canal de San Piétro, il est réputé scabreux avec des rochers affleurants pas toujours visibles et des hauts-fonds pas signalés. Mais nous venons du Sud et l'île de San Piétro est finalement facile d'accès. Nous posons l'ancre dans l'immense avant-port de CARLOFORTE, nous sommes les seuls au mouillage. Génial.
Carloforte, ville très touristique est envahie d'Italiens en vadrouille qui investissent les plages et la rue piétonne. C'est un peu comme Antibes. Petites ruelles intimes, escaliers qui débouchent sur des sites panoramiques remarquables. On est posé à terre. On se détend. Tout plein de bars et de panachés bien frais. Quelle opulence ! Lorsqu'on remonte à bord la vie intense du port nous fascine. Les navettes entre Cagliari, Arbatax ou Calasseta nous rappellent l'ambiance de Grand Bourg à Marie Galante. On se sent délicieusement bien dans cet endroit. Cette petite ville estivale nous offre un spectacle permanent, mais nous sommes au milieu de la rade. Nous ne souffrons ni du bruit des voitures, ni de l'agitation des bars, ni des remous des navires qui entrent et sortent de l'autre côté de la digue. On perçoit juste une petite rumeur que couvre régulièrement le carillon sympathique de l'église. Deux jours de vacances à Carloforte, départ et surprise.
Au moment de remonter le mouillage le guindeau d'un coup peine, grince, patine... Je redonne un petit coup de vissage au frein.. et hop, hardi petit.... La chaîne monte avec une lenteur inquiétante... Je m'attends à ce qu'elle s'immobilise définitivement. Serrons les fesses, faute d'autre chose. J'ai beau scruter l'avant de l'étrave, je ne vois rien qu'une eau opaque et trouble.... S'il faut que Laurent plonge, aïe, aïe aïe ! Pour le moment, il a débrayé le moteur, la chaîne est verticale à l'avant, je dois être au dessus de l'ancre.
Je redonne une petite impulsion au guindeau, et hop, une apparition grise sous l'eau. Encore un petit coup, zut, alors, c'est notre ancre. Quelle est cette facétie ? Elle coince bêtement dans ses crocs une chaîne énorme... Réflexion, décision, action. Nous nous démenons avec Laurent pour glisser un cordage sur la chaîne captive, je redescends délicatement mon ancre.... Laurent dégage les mailles rouillées qui nous parasitent grâce au cordage. Plouf, Enfin libres !
Nouveau souci, on craint d'être en panne de gas-oil d'ici le retour. Nous savons que sur la côte ouest, la plupart des entrées de port s'ensablent et ça risque d'être scabreux de s'y engager pour faire le plein. On décide de le faire ici, ce n'est pas le pire... On nous annonce 2,20 mètres de profondeur à la station de carburant des bateaux de pêche, à condition de rester au milieu et de ne pas s'approcher de la digue d'un côté, du large de l'autre car bordés de récifs immergés. Je ne suis pas tranquille mais il nous faut du carburant.
Laurent dans le carré, les yeux scotchés à l'écran de son PC me dicte la route à suivre entre les hauts fonds... Quelle histoire ! Mais ça marche magistralement... à condition qu'il parle assez fort...
Désormais nous remontons vers le nord, nous faisons route d'un mouillage à l'autre. Des navigations du dimanche, entre 15 et 25 milles. Je me gave de bonheur avec cette croisière côtière idéale. Nous attendons le vent favorable pour quitter les mouillages, nous arrivons tôt dans les baies qui nous accueillent.
PORTIDEXXU. Un mouillage pas signalé dans le guide, épatant sous brise côtière. D'un côté il est bordé de dunes de sable, de l'autre de forêts de chênes verts. La plage pile en face est très animée, mais nous sommes tous seuls dans le mouillage.
CAP SAN MARCO. Magnifique et vaste. Nous nous installons au milieu de la baie, entre deux tours. Nous sommes à 2 km du village de San Giovanni. On se coltine la balade pour refaire provision de pain. Nous longeons un autre champs de ruines antiques avant de tomber sur la ruée des voitures vers les plages. Cela nous confirme que si les abris en mer sont presque déserts, il en va tout autrement du tourisme à terre. Le caravaning est très développé. Aux abords des villes les plages sont envahies. Dans les endroits où nous posons le bateau c'est en général tranquille et les baigneurs ne se marchent pas dessus, mais peut-être que l'accès depuis la terre n'est pas fameux, là où pénètre un voilier.
CAP SAN MANNU. Nous avons eu la sotte idée de faire confiance à la météo pour nous arrêter dans cet abri recommandé. Une nuit infernale. Le vent totalement contraire aux prévisions, pousse la houle dans le mouillage, dès notre arrivée on se dit que ce n'est guère fréquentable cet endroit, mais le vent doit virer à la tombée de la nuit. Loupé, il y a un coup de vent dominant du large qui fout la pagaille dans notre mer. Non seulement la houle est forte et nous ballote salement. Mais les touristes ont envahi l'espace avec leurs engins motorisés et font un raffut épouvantable. Il y a juste en face une toute petite île, "du mal au ventre", elle s'appelle. C'est là que nous aurions dû nous réfugier. A 6 heures du matin nous quittons cet enfer, ce maudit vent au moins doit être favorable à notre navigation... C'est un petit déjeuner bizarre ce matin. Il fait à peine jour, on avale chacun son bol le cul posé de travers dans le carré. On n'ose pas se parler Laurent et moi, nous n'avons que des plaintes à formuler et pas de temps à perdre. Pas rigolo tout ça. On se casse ? allez zou, j'empile la vaisselle dans l'évier, et en piste pour lever de l'ancre
La baie au petit jour est magnifique, les dunes brillent dans la lumière du soleil levant. La plage est déserte. On a mis les plagistes au lit avec leurs engins motorisés. quelle plénitude.
Ca se vérifie maintenant, la météo, c'est un jeu de hasard.... dès la sortie de la baie, le vent nous prend pile de face. Laurent de mauvais poil ne veut pas tirer de bords, moi, je suis dégoûtée, je n'ai pas d'opinion. Il décide de mettre le moteur. Après tout on a fait le plein de gas-oil. Une petite heure comme ça à travers des vagues de 1m50 à 2 mètres, juste assez pour l'inconfort... On passe laborieusement le cap San Mannu. Avez-vous déjà remarqué qu'après un cap difficile, la vie au quotidien devient plus savoureuse. Exactement pareil ce coup-là. Après le cap, le vent revient avec nous. Allez Laurent, rigole un peu, nous voilà repartis comme en vacances.
Une chouette navigation de 17 milles au travers. C'est l'allure que je préfère, l'amble du chameau... Un rien de roulis qui nous berce et le chuchotement de l'étrave qui fend les vagues. On oublie instantanément le cauchemar de cette nuit. C'est quoi déjà le Cap Mannu ???