On disait, s’il continue de pleuvoir faudra attendre combien de temps le soleil ?
On disait ensuite, on attend encore milieu de semaine, ça devrait s’arranger !
On disait encore, crotazut, il pleut toujours et partout !
Il pleuvait, il pleuvait, il pleuvait toujours.
Alors nous sommes partis. "Autoroute du soleil" c’est écrit sur les panneaux
- Dis Laurent pourquoi il pleut si fort sur l’autoroute du soleil.
- C’est parce qu’on la prend dans le mauvais sens.
- le mauvais sens ?
- Ben oui, on va vers le nord, donc il pleut.
- Tu crois que c'est une bonne idée d'aller vers le Nord ?
- Bien sûr, on voulait voir le Nord, on verra le Nord.
Presque à Dijon. Une petite éclaircie,
- Et si on quittait cette sinistre aurotoute ?
Vite échappons nous vers la campagne. Route cernée de belles coulées d’or noyées dans des prairies et forêts inextricables. Champs de Colza, prairies et forêts, mais de vignoble bourguignon, point. Les vaches, le pis au ras de l’herbe, semblent embourbées dans leur pré. Je m’attendris, quel triste sort pour ces beaux animaux.
- Au fond, y'a un peu de la vache en toi, non ?
- Qui ça moi ?
- Oui toi.
- Pfuit !
Châlons en Champagne, nous sommes accueillis par une sympathique famille de maraîchers. Nous inaugurons leurs premières fraises et profitons d’une orgie d’asperges fraîches. Quel heureux moment !
Une belle étape encore à Reims. Nous flânons dans de magnifiques avenues bordées d’immeubles chics. De la cathédrale nous déambulerons de longues heures jusqu’à la basilique Saint Rémi. Car c’est à Reims que St Rémi a baptisé Clovis. Un évènement qui ne se rate pas, vous en conviendrez.
Le soleil nous accueille avec délicatesse dans les Ardennes. La route aussi rectiligne que déserte est un enchantement. Le petit camion décrasse le bitume. Les champs fraîchement retournés, caillouteux sont tout blanc. Nous sommes cernés de belles forêts dont les sommets couronnent notre route. Ici tout est vert, le printemps a pris du retard. Quel contraste avec les prairies vallonnées, cernées de bosquets fleuris de Bourgogne.
Cap sur Charleville. Notre parking est au fond d’une sorte d’usine désaffectée dont les murs ont été mobilisés par des artistes. Illustration des poèmes les plus populaires de Rimbaud ou d’extraits des Illuminations, et autres créations aussi riches en images et mouvements... L’immersion est totale. Je ne me lasse pas de lire et relire, ces textes que je connais par coeur. Je vous en offre un, pour la route...
Laurent s’impatiente, nous n’avons pas que ça à faire. La ville nous attend. La place Ducale est mobilisée par le festival des Confréries des Ardennes. Quelle chance. Nous déambulons toute la matinée, d’une confrérie à l’autre, Confrérie des fromages, Confréries des viandes salées, Confrérie de l’escargot de Bourgogne, Confrérie des amateurs de bleu, Confrérie des cassis de Dijon, Confrérie de la moutarde, Confrérie du marron, Confrérie gastronomique de l’ordre du poireau… Et la plus sympathique, Confrérie des « mollets d’Ardenne », un délice de mini-kougelopf qui fond dans la bouche. Les chevaliers sont tous plus beaux, plus colorés, plus chatoyants les uns que les autres. L’ambiance est festive, joyeuse, les fanfares se donnent à fond.
Et Rimbaud dans tout ça. Saturés d’odeurs, de saveurs et de faste, nous partons dans les pas de ce «sale gosse » dont je suis imprégnée depuis l’adolescence. J’ai été fascinée par son génie, par son culot, par la puissance de ses textes et la délicatesse de leur musique. Et je ne m’en suis jamais remise. Et voilà que j’ai soudain rendez-vous avec moi-même, vieille femme devenue soudainement jeune et palpitante. Et puis, je regardais Laurent qui ne m'a pas connue en ce temps... Mais toi, Danièle, et toi Claudine (qui m'a offert mon premier Rimbaud pour mes 16 ans) si vous saviez comme je pense à vous. Et puis je reviens à l'instant présent. Comme c’ést étrange cette sensation de marcher sur un nuage, cramponnée à Laurent qui me tient debout dans ce monde. Et je chantonne...
“ J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse.” Les illuminations
Nouveau départ, quelques tours de roues à travers la vallée de la Meuse et déjà Charleville me manque. Mais Laurent nous a dégoté un accueil de nuit qui va balayer mes états d’âme. Nous faisons étape à Tremblois le Rocroi. Le petit camion se range au bord de la forêt, espace mis à notre disposition par Claude et Claudine. La pluie nous tient toujours compagnie. Dès qu’apparaît un rayon de soleil, les branches essorent leurs feuilles en dégringolades de gouttes sur notre toit. J’aime bien l’ambiance. On se croirait dans Lune de Miel, quand la pluie martelait la coque en alu.
Une éclaircie ! Un tour dans les sous-bois, à patauger dans des mares immenses, des ornières traîtresses, nos grolles s’alourdissent considérablement.
Au retour nous rejoignons nos voisins d’un soir qui papotent joyeusement avec nos hôtes. Mais je trouve qu’il fait froid.
- On peut faire connaissance en buvant l’apéro à bord, ça vous va ?
On se retrouve donc à huit empilés dans notre mini-carré… Le whisky, le rosé de Provence, la pastis, quelques toasts improvisés à la cancoillotte, quelques carrés de lard fumé… carrés de pain tartinés d’huile d’olive et de la chaleur humaine. Avec des invités d’une exceptionnelle gentillesse. Nos hôtes sont des camping-caristes passionnés, que des revers de santé immobilisent pour le moment. Claude est un grand gaillard, allure de routard, un rien de Einstein avec son auréole de cheveux blancs. Claudine beaucoup plus discrète assure une présence rassurante et sage. Un chouette couple qui nous enchante. Nous avons le même âge, les mêmes désillusions et les mêmes espoirs. Le début d’une amitié durable, qui sait ?
Nous quittons Rocroi pour un pèlerinage vers l’abbaye de Chimay, dégustation de bière à la clé. Juste ce qu’il faut pour reprendre la route en toute sécurité et parfaitement requinqués.
- Dis Laurent c’est pas le petit général là, sur la butte ?
- Drôle d’allure ton cheval, on dirait un lion...
De plus près, c’est bien un lion qui domine le champ de bataille à plus de 40m de hauteur. Hé oui, nous traversons Waterloo, tristement célèbre par l’ultime défaite de Napoléon contre Wellington. 1815 son dernier quartier général. Si vous êtes passionné, arrêtez-vous, prenez le temps d’une immersion dans cette douloureuse épopée. Différents sites et reconstitutions prennent en compte aussi bien les points de vue civils que militaires.
BRUXELLES
Bien entendu, nous serons obligatoirement attirés par le gigantesque Atomium. Hauteur 102 mètres. Réalisée pour l’exposition universelle de 1958. Sur les thème des sciences, ce monument représente un « cristal élémentaire» ou maille de fer agrandi 165 milliards de fois.
Nous y passerons une longue matinée. La visite commence au 3ème étage, la sphère la plus haute qui permet une vue panoramique de Bruxelles. Ensuite on redescend à travers les 8 autres par des escaliers mécaniques ou des ascenseurs hyper rapides.
Mais à Bruxelles, c’est dans les pas de Jacques Brel que nous nous perdrons.
Quelle ville magnifique. Si somptueuse, riche en monuments classiques. La Grande Place est époustouflante, toute en dorures et murs dentelés, balcons ouvragés. Des monuments magnifiques, Hôtel de Ville, Maison du roi, Corporation des brasseurs… Que de merveilles.
Nous nous égarons à travers de vastes avenues… qui ont des allures de « remblas » Nous nous laissons éblouir par la Galerie de la Reine, boutiques qui s’alignent le long d’une verrière (commode pour magasiner sous la pluie) mais malcommode pour le budget, toutes boutiques de grand luxe, tailleurs, modistes, ganterie, chapelier, bijoutier, et puis les incontournable boutiques chocolats, gaufres…
Nous avons trouvé un park-Camping, à deux pas du métro, sécurisé et tranquille. Idéal pour la nuit. A notre arrivée un combi tchèque est bloqué devant la porte. Je vais voir le conducteur. Je vous fais grâce de notre baragouinage réciproque en « anglais »… Ils ont réservé leur place par le Net mais leur code ne fonctionne pas. Je leur ouvre donc avec le mien, je referme consciencieusement le portail derrière nos deux véhicules.
Plus tard, l’homme vient vers Laurent. Puis il repart vers son combi de l’autre côté du parking.
- C’est moi qui invite pour l’apéro ce soir, ça t’embête pas ?
- Non, t’as trouvé des Belges francophones ?
- Non un couple qui vient de Prague… Ceux à qui t’as ouvert le portail.
Ils ne tardent pas à se pointer avec une bouteille de vin portugais et de délicieux biscuits hollandais. On papote en « anglais » que l’homme parle aussi mal que nous, en allemand avec la dame qui le parle comme je parle anglais… Daniel est musicien par passion mais amateur. D’un coup, il se lève, un geste,
- A moment, I go back…
Il sort… Romana tue le temps en banalités compliquées avec Laurent qui essaie de décrypter son allemand chaotique.
L’homme revient avec sa guitare et un curieux petit chapeau sur le haut du crâne. Son habit de scène ? Quelques ajustements d’accords et il nous envoie une sympathique mélodie tendre et romantique. Et puis sa voix s’élève. Il chante juste et doux. Il continue guitare seule et Romana prend la relève au chant. Puis ils chantent en duo, puis l’un, puis l’autre, puis ils reprennent. Ils nous enchantent les oreilles de quelques chansons traditionnelles. Il y est toujours question de brigand et d’amours contrariés.
Le petit camion baigne dans un cocon. Ensuite, nous continuons de papoter. Entre Google qui traduit de manière fantaisiste et nos hésitations de polyglottes maladroits, on rigole de bon coeur.
Quelle soirée extraordinaire. Ils nous ont laissé un alcool de leur pays, uniquement à base d’herbes, 53° un délice de saveurs qui arrachent la gorge mais réjouit le coeur. Nous leur avons laissé quelques bouteilles de Provence et la promesse de se revoir...
Le début d’une amitié éphémère mais profonde.
Nous reprendrons la route tardivement le lendemain, quasiment midi.
Pause de nuit dans une banlieue chic d’Anvers. Un immense parc bordé par l’Escaut, en soirée des lapins nous visitent. Au petit jour ce sont les oiseaux qui se déchaînent pour fêter l’arrivée du soleil. Le petit camion fienté sur toutes les coutures (j’ose pas imaginer le toit ) a piteuse mine. Y’aura bien une pluie torrentielle pour rincer tout ça.
C'est pas les frites qui font grossir, c'est la bière qu'on boit avec... (proverbe belge)
Maintenant cap sur Amsterdam…. Il paraît qu’il fera beau demain….