ARDENNES BELGIQUE HOLLANDE

ja

CÔTE D'OPALE

 

vendredi 23 mai.

Nous quittons notre refuge du marais de Saint Omer sans la moindre idée de l’idée où nous ranger le soir. C'est notre luxe à tous les deux, improviser l'étape du soir comme nous portent nos pneus, quand ça nous chante. Je remarque aussi que nous sommes incapables de séjourner à un endroit, aussi agréable qu'il soit. Une nuit, deux au maximum et nous éprouvons tous les deux le besoin de décamper... Ailleurs, une autre forme de vie. C'est chouette. Car pas loin d'ici, on se la coule douce à marée basse.

pano phoques

Nous posons le petit camion à quelques pas du Cap Blanc Nez, dans un camping de rêve quasi désert. Première visite à pied. Bien entendu nous dominons la mer depuis le haut de la falaise crayeuse (134 mètres) . Le temps est maussade, pas de touristes pour parasiter cet incroyable espace. Un escalier a été ouvert pour permettre la descente sur l’immense plage. La mer est en « retirage » comme on dirait dans mon doux pays des Vosges. Nous restons fascinés par la hauteur de ces murailles.

falaise

De vrais HLM . Les mouettes ont loué les étage inférieurs pour la saison. Le vol des gardiennes qui croisent leurs cercles en poussant des cris rauques signalent les nurseries. Les étages supérieurs sont habités par les grands cormorans noirs qui tiennent leur distance de sécurité avec les mouettes. Gare à celui qui volerait trop bas.

Au sol une armée d’oiseaux adultes prennent un bain de siège dans les flaques de la marée descendante. C’est une affaire sérieuse car les oiseaux très concentrés, n’émettent aucun son. Soudain, un signal secret est donné et c'est l'envolée d'un immense nuage de mouettes blanches qui nous passe par dessus la tête. Plus loin, le va et vient constant de ceux et celles qui cherchent pitance dans le sable pour les petits.

Le paysage est d’une incroyable variété de couleurs. Des grosses roches plates et rondes s’étalent sur le sable. Leurs coiffes d’algues vertes ont été soigneusement brossées par les mouvements de la marée.

algues

La mer toute proche brille sous le soleil. Il faut imaginer l’impressionnante hauteur de la falaise, la multitude d’oiseaux qui vaquent à ses affaires parentales et les nuées de vols blancs qui illuminent la plage pour mesurer la splendeur de ces images.

Ce monde nous change considérablement de l’ambiance des marais. Un autre charme que nous goûtons sans modération.

Le Cap Gris Nez nous attend. Une rando vélo s’impose. Nous partons à sa découverte  (environ 30 mètres, 40 au plus haut)  Quel circuit ! Nous circulons à travers des pistes vélo, des voies vertes, des petites routes champêtres, pour nous tout seuls. Un incroyable sentiment de vastitude qui donne envie de s' envoler. Les dunes de champs immenses s’étalent à perte de vue. Elles s’arrondissent en pentes vertigineuses, se rejoignent dans les creux et remontent. C’est un pays agricole qui domine la mer.

prés

Quelquefois, notre piste se borde de bois.

Nous plongeons dans une vallée, lorsque nous débouchons de ce labyrinthe, la lumière nous éblouit. Nous retrouvons les immenses champs verts, au loin une bande de mer qui longe la côte anglaise semée de petits points colorés. Ce sont les ferry et cargos qui circulent dans cette espèce de ruban bleu. C’est un pays en montagnes russes. On descend le long d’une dune pendant un kilomètre voire deux, puis il faut remonter pour attaquer la dune suivante, et c’est raide. Surtout que nous économisons les batteries pour pouvoir rentrer avec.

champs

Baie de Somme- Nous nous abritons dans la banlieue de Berck sur Mer sous des pluies torrentielles. Toujours isolés et parfaitement heureux.

-Regarde, une éclaircie. On part en vélo.

- D’accord on va où ?

- Chiche on va à la rencontre des phoques !

Installés dans la baie d’Authie, les phoques se vautrent à marée basse dans toute la baie, allongés sur les roches plates. Ils sont visibles depuis une longue digue, mais à distance plus que respectable des humains. Ce sont des animaux farouches et les humains sont stupides. Ils s’imaginent pouvoir les approcher et se risquent dans l’eau. Leur curiosité inutile repousse les phoques toujours plus loin sur d'autres bandes découvertes. C’est dommage. Malgré ça, c’est un grand moment de rêve. Leur manière de se déplacer à terre en se tirant sur leurs nageoires à une vitesse incroyable. Leur manière de plonger, nager à toute allure en soulevant des gerbes d’écume, puis de disparaître sous les eaux pour réapparaître là où on ne les attend pas. Leur manière de se croiser dans l’eau, de se télescoper.

phoques

Dimanche 26 mai 2024, Le Crotoy

Dimanche de fête pour les mamans alors forcément je pense un peu plus que d’habitude à mes enfants, qui eux aussi pensent à moi, et me le disent. Quel bonheur la famille !

- Trésor, ça te dirait une grande rando pédestre et  originale pour fêter ça ?

- Bien sûr, mais originale en quoi ?

- Je me déconnecte, je t’impose pas le Gps.

- Vraiment ?

- Vraiment. On va juste suivre un sentier balisé

C’est un départ grandiose, nous circulons sur un sentier très confortable à travers des forêts de dunes, comment dire, des dunes couvertes de forêts. Les pinèdes très claires, au sol taché de sable se mélangent avec les érables enchevêtrés dans des feuillus fouillis. On monte et on descend dans ces dunes sylvestres. Quelquefois on les contourne. J’ai fréquenté des tas de forêts et des quantité de bois, mais jamais sous ce format là. J’adore.

Et puis d’un coup, le sable. Une belle montée qui dérape et nous nous trouvons face à la mer que nous dominons d’une belle hauteur. C’est grandiose.

cote

Nous restons un long moment, le cul dans le sable à l'abri du vent,  contemplatifs et silencieux. On se lève, Laurent me montre une allée dans le sable,

- Le retour doit être ici, à droite, on va rejoindre une piste plus large.

- Et comment tu sais ça ?

- Parce que le circuit fait une boucle et que ça continue par là...pour rejoindre la forêt.

layon

Les broussailles s’épaississent, notre allée devient un layon…  il faudrait un coupe-coupe… Et nous n’avons ni le couteau suisse de MacGyver, ni même un opinel… quant au sentier… J’imite la voix suave du GPS

- Recalcule de votre itinéraire…  Faites demi-tour dès que possible !

On continue cependant,

- Regarde une trouée verte. C’est bon signe, allons-y.

- Crotazut, c’est des marais…regarde y’a de l’eau partout.

Nous voilà à patauger avec précaution dans de l’herbe instable et de l’eau jusqu’aux chevilles quelquefois. Je ronchonne. Laurent se marre.

- Chut ! Si on réveille la sorcière des marais, on en sortira pas...

À peine le temps de finir sa phrase, le terrain par magie, redevient sec, et nous longeons de nouveau la forêt.

Nous voilà sauvés, sauf que nous butons sur une clôture qui n’en finit pas. Et d’un coup la fameuse piste apparaît mais de l’autre côté du grillage, nous continuons à le longer.

Une jolie dame qui tient ses deux chiens en laisse, apparaît de l’autre côté, sur la piste.

- Bonjour, vous êtes prisonniers de la sorcière ?

- Un peu, bonjour, y'a une sortie quelque part ?

- Cherchez pas vous tournerez en rond le long de la clôture. Y’a pas de sortie.

Elle rigole de bon coeur.

- J’ai fait comme vous. Des gendarmes qui passaient par là, m’ont dit que la seule solution c’est de se glisser sous le fil.

Je vous laisse imaginer le cirque. Rien que pour rejoindre le sol avec mes genoux arthrosiques. Et puis, ramper sur le ventre, me contorsionner, me plier, gémir et rigoler en même temps, et mes bourrelets de cellulite qui coincent sous mes vêtements. Oh là, là !

galere ja

Le retour par la magnifique forêt de dunes m’a redonné la forme, enfin presque. Je sais pas où était la sorcière mais le ciel était avec nous. Du grand vrai beau temps, première météo de luxe depuis notre départ.

Nous envisageons des mondes plus civilisés prochainement... Rouen, routes non déterminées....

 

 

 

 

 

 

EN PASSANT PAR LA TOURAINE

treport      

Nous venons de revêtir nos costumes de touristes urbains. Pas trop habitués mais c’est le changement qui fait la diversité des sensations, n’est ce pas ? Notre circuit longe la mer, gris sur gris, ciel est mer confondus dans la même ambiance nuageuse.

Jolie ville de marins pêcheurs du Tréport. Laurent y fera une orgie de moules marinières succulentes… Imaginez son regard comblé vers la marmite qui se remplit de coquilles vides.

Le treport

La météo reste toujours pluvieuse, autant faire de la route. Rouen magnifique ville au lourd passé historique. C’est la faute à Jeanne d’Arc. Quelle idée, une nana, que dis-je, une gamine,  qui se mêle de politique et de stratégie militaire. Ça ne pouvait que mal finir en ce temps là.

rouen

La cathédrale est magnifique mais n'a guère protégé Jeanne d'Arc. C'est bien la peine d'afficher une telle prétention.

cathed rouen

Une pause mystique à l’abbaye de Bel Helloin, bien plus sereine. Encore un espace idéal pour une nuitée de total apaisement.

bel helloin

- Dis Laurent, une cidrerie normande ça vaut bien un p’tit détour, non ?

- Oh, que si, l’été finira par arriver, faut prévoir la désaltération

Cap sur la cidrerie Gautard, nous voilà en terrain connu. On nous offrira un accueil de rêve où reposer le petit camion. Les pneus dans la prairie comme dans de la moquette.

 

Visite agréable d’Alençon. Chouette ville dominée par son château, riche d’une cathédrale romane aussi sobre qu’imposante. Nous flânons dans d’incroyables zones piétonnes. Une bien jolie ville. J’ai guetté en vain les vitrines, nulle trace des somptueuses dentelles aux aiguilles qui ont fait la réputation de la ville. Mais où donc s’est perdu le point d’Alençon ?

alencon

Nous entrons dans l’incroyable espace du circuit du Mans. Laurent s’engage dans une portion de route bordée de glissière, avec un grand sourire

- Regarde, y’a une portion du circuit qui est publique. On y plonge ?

- T’es fou, on va pas faire ça avec le camping car.

- Bien sûr que si, on peut cartonner au moins à 130…

C’est plutôt sympa. On est seul sur cette portion de piste. On longe les tribunes, les espaces ateliers, les dégagements pour les coureurs, d’autres tribunes… un immense parking pour des milliers de véhicules, un autre dédié aux bus et aux semi-remorques...

On finit par se garer vraiment excités.

- C'est pas prochainement les 24 h ?

- whoua ! T'imagines, les parkings géants pour des milliers de voitures, de bus, qui grouillent et qui puent. Des queues qui s'effilochent et des gens qui crient, les hauts parleurs qui hurlent...

- Et nous on sera peinard dans nos fauteuils, ce sera chouette. Peut-être qu'on reconnaîtra "notre" portion de circuit ?

La visite passionnante du musée nous calmera vite pour des sensations plus contemplativesferrari.

Il faut cependant songer à allonger le pas. Les étapes se multiplient, la météo reste pessimiste globalement, et on avance guère. Nous sommes attendus en Touraine, juste au moment où il fera beau. Faut pas mollir. Une dernière nuit solitaire, pleine forêt en Anjou, au bord du lac des Loges, nous comblera de zénitude, entre deux averses.

les loges

La Touraine enfin nous accueille avec ses gigantesques forêts si claires, où percent les tours élégantes de l'un ou l'autre château renaissance. Nous retrouvons ses champs de blé et de maïs. Et ses prairies fleuries, mille couleurs qui éclaboussent la verdure. Mais surtout les incontournables vignes du Bourgueil, mon tourangeau favori.

vignes

Et puis les doux moments, les heureux moments avec nos amis. Ils se décarcassent pour nous faire découvrir de nouveaux aspects de cette belle Touraine. En vélo, Pascal et Nathalie nous embarquent dans leur sillage. Oh là, là que les bords de Loire sont devenus paisibles et divertissants. Et puis, nos délicats amis n'ont pas oublié l'incontournable andouillette Hardoin. Plus tard, ce sera à pied, avec Dandom, autour de la Morelière pour des moments de débauche botanistique. C’est la faute aux grenouilles qui n’en finissent pas de copuler en chantant. Ah l’explosion de « messiculture » de Dominique. Mais plus loin aussi, lac de Rillé, musikenfête à Montoire, village troglodyte de Lavardin. Nous savourons ces moments avec euphorie. Si vous passez par la Touraine, ces lieux méritent le détour.

moreliere

Le potager de Dany est un peu en détresse, quelques vestiges de chou rave, de betteraves, de salade... Jamais le potager n'abandonne.  On s’émerveille, on papote, on rigole… On passe du bon temps, du très bon temps, rien que de l’excellent temps. On "gastrotte" aussi… aÏe, aïe, aïe. En Touraine, les coutures des culottes coincent aux entournures.

Dans ma petite musette, je cache un bouquet d’Amourettes pour me souvenir de la délicatesse de toutes ces amitiés. Autour de la Morelière, un vrai harem d'Orlayas les plus belles des fleurs sauvages. Les traîtresses ont séduit Laurent. Leur finesse toute en dentelle, leur blanc éclatant de pureté, leur maintien de princesses… Un charme irrésistible, comment résister ? Merveille qui me rend humble.

orlaya

Retour  par la Creuse qui nous inspire encore de sympathiques pauses dont Laurent a le secret. C'est si bon, pour moi de me fier à lui, sans me poser de question. Seule certitude, je découvrirai des enchantements.

roche

La pluie revient en force, cap vers le sud, mais d'abord La Lozère qui nous retient toujours un peu plus... Splendide région ! Nous flânons volontiers dans la Margeride. Nous sommes attirés, retenus par son isolement, par ses montagnes de granit, ses forêts immenses, ses hameaux discrets en lauzes sombres. (Pour rappel c'est pas loin d'ici, que le pont du rail "garabit" de Gustave EIffel enjambe la Truyère).

Nouvelle pause en total isolement. Le petit camion a retrouvé son espace favori. Faut dire qu'il en a brouté du bitume. Les berges de la Truyère lui feront le plus grand bien. Pendant que nous autres pélerins mécréants,  bâtons en appui, nous repartons en campagne. Notre objectif : Le Malzieu. Un village enchanteur, imprégné du monde médiéval et d'air pur (800m d'altitude). Il mériterait de s'exporter au delà des frontières de la Lozère.

malzieu

Prochaine étape, Velaux, déjà !

J'aimerais bien que la voix suave du GPS nous souffle, "faites demi-tour dès que possible"

 

 

 

AUDOMAROIS

Le 20 mai 2024

A Esquelbecq, nos amis éphémères  nous ont conseillé un p’tit détour par l’Audomarois, (qualification de ce qui existe autour de Saint Omer, dont ses habitants). Nous sommes tous les deux saturés du monde urbanisé, alors nous évitons Saint Omer. Faut pas dévorer tous les plaisirs du premier coup.

arbre lyre

Nous trouvons un sympathique camping minimaliste mais ultra-propre, à Tilques au bord des marais. Nous partageons cette belle campagne avec les blondes flamandes qui broutent leur prairie sans s’émouvoir de patauger dans l’herbe humide. Une compagnie dont je ne me lasse pas.

Comme de grosses pluies sont annoncées pour demain, le patron nous conseille et nous prête des semelles « anti-enlisage » sous les roues avant du petit camion. Sorte de patins en tôle sur lesquels reposent les pneus et et les empêchent de s’enfoncer. Nous voilà bien chaussés pour affronter le gazon boueux.

En attendant, en ce bel après-midi ensoleillé, nous sortons les vélos pour partir le long du sentier du Lansbergue. Sympathique rivière qui prend son temps pour rejoindre le canal de l’Aa (cher aux cruciverbistes) et va se noyer dans la mer du Nord.

velo

Nous croisons des pêcheurs insouciants, des promeneurs nonchalants, des enfants joyeux, des barques somnolentes, des pontons isolés, de riches résidences, et des prairies et des forêts. Les vélos sont rares. Ouf !

velo

Laurent s’arrête soudain, je pile derrière lui.

- Oh, faut prévenir quand tu t’arrêtes. J’ai failli me vautrer sur toi.

- Désolé, je viens juste de repérer le bac qui nous permettra de passer sur l’autre rive.

- Le bac, on doit prendre un bac ?

- Oui, regarde en face, je vais l’appeler.

- Mais y’a pas un chat en vue. Tu risques pas de trouver un pilote

- C’est un bac à chaînes. Pas besoin de pilote.

- Un bac à chaînes ?

- Oui, la navette est reliée aux berges par deux chaînes qui font la largeur de la rivière. Si le bac est du bon côté, il suffit de monter à bord et de se tirer avec la chaîne sur l’autre rive. Sinon, il faut ramener la barque à soi en tirant sur la chaîne fixée au ponton.

La manip semble facile, mais la barque ne m’inspire pas. Ça ressemble de loin à une cuvette en bois géante dont les fonds plats sont pleins d’eau. Et puis, elle est pas de première jeunesse cette barcasse. Le ponton ne vaut guère mieux.

bark

Je m’approche avec précaution de notre débarcadère.

- T’as vu l’état du ponton. Avec le poids des vélos, on va passer à travers avant d’avoir posé un pied dans la caisse à savon.

Mais Laurent aime bien les défis technologiques. Il prend les commandes. Il ramène facilement ce baquet hors d’âge jusqu’à nous.

- Monte à bord et retiens la navette pendant que je monte ton vélo à bord.

La manœuvre n’est pas si simple. Les vélos assistés sont lourds. Mais ça se passe bien pour le premier. Plus compliqué pour le deuxième. La béquille baissée se coince dans le bois du ponton et Laurent n’arrive pas à dégager le vélo. Je me précipite pour l’aider. Le bac libéré recule. Grand écart et hurlement.

- Qué s tu fais ? Retiens le bateau.

Je lâche le vélo qui fait une étonnante référence, une roue dans le fond de la barcasse, l'autre dans le vide, le côté le plus lourd bien sûr.  Je tire à fond sur la chaîne. La foutue barque ne bouge pas d’un poil. C’est une vision étrange, d’un vélo, guidon de travers, qui fait ponton entre la berge et cette sorte de baquet et Laurent qui fulmine, un pied sur la berge, un pied sur le plat du bateau pour retenir le vélo…

Je tire un grand coup et le baquet cogne avec violence le ponton. Plouf, La planche d’accostage tombe à l’eau. Laurent a juste le temps de s’affaler sur les vélos.

Je hurle de rire. Guère charitable !

                                                                          La photo zénitude, c'est avant qu'on entreprenne notre embarquement.

bark 2

Quelques tours de roues plus loin.

- T’as libéré la chaîne avant de partir ?

- Heu, je sais pas, peut-être

- … Ou peut-être pas ?

Nous sommes maladroits mais pas insouciants. Demi-tour pour nous assurer que les prochains usagers de la barcasse pourront la récupérer quel que soit le côté de leur embarquement. Ouf, le cuveau se berce mollement au milieu du canal, y’a pas d’embarcation plus libre dans ce monde difficile.

Nouvelle facétie Gps. Nous nous trouvons au bout d’une impasse, faut faire demi-tour et repasser le bac à chaînes… Non ! Si, si, si !

Nous avons la chance d’y rejoindre deux locaux habitués de la manœuvre. Notre embarquement se fait sans histoire, à quatre c’est fastoche, enfin trois. Moi, j'ai pour habitude de laisser faire ceux qui savent.  Quelques minutes de traversée. Nous papotons gentiment...

- C’est la première fois que vous prenez ce bac ?

- Non, non l’avons déjà pris dans l’autre sens.

- Ah, pas évident avec des vélos aussi lourds, vous avez dû galérer.

- Non, pensez-vous, aucun problème.
Laurent me jette un regard qui rigole.

- Et puis, ma femme était là pour m’aider… !

 

Mercredi 22 mai

Nouvel endroit idéal. Un petit village noyé au coeur du marais, CLAIRMARAIS. Nous prenons le temps de visiter l'église de briques roses. Elles sont particulières ici les églises. Elles sont très sobres et massives. Leur clocher  carré semble chétif. Ce sont de belles matrones, toutes sur le même modèle. Je les aime bien.

Nous parquons le petit camion au fond d'un site dédié au marais et à sa découverte. La vue est imprenable sur les canaux et les prairies. Nous voilà seuls au fond du monde. Nous y passerons deux nuits, le temps de réserver une embarcation pour un tour dans l’eau, le lendemain sous le soleil, paraît-il. Ça vaut la peine de s’attarder.

Pour l'heure il pleut à seaux. Moment idéal pour fréquenter l'estaminet du village (sorte de taverne). Nous allons nous frotter à la gastronomie locale, le welsh.

estaminet

Le welsh, c’est un gratin savoureux de tranches de pain trempées dans la bière brune, couvertes de jambon (ou dans notre cas, plus festif, d’aiguillettes de porcelet confites, épice moutarde)  le tout enseveli sous une incroyable couche de cheddar. On peut l’enrichir d’oeufs mais nous l’avons évité. Un festin recommandé à midi et bien à jeun. Nous étions prévenus, tout va bien.

welsh

Comme prévu, exploration du marais audomarois à bord d'une barque traditionnelle, le bacôve, qui servait dans l'ancien temps au transport des légumes depuis les champs aménagés dans le marais. Nous avons la chance d'être seuls avec une jeune femme à la fois pilote et guide. Enfin surtout pilote car nous sillonnons pendant 1h30, une multitude de canaux et watringues (plus petits canaux) et bien entendu le canal de l'Aa.

canot

Les zones maraîchères sont distribuées en parcelles que les canaux isolent les unes des autres. On peut y accéder par la route, mais à l'intérieur du marais, beaucoup de maisons ne sont accessibles que par voie d'eau. Chacune dispose du fameux bac à chaînes ou de petits canots pour rejoindre les pistes urbanisées. Quant à la faune et la flore du marais, elles ne se distinguent guère de ce que nous connaissons tous.

Couvées de colverts, nichées de foulques, les soulets avec leur bec en forme de spatule, le foulque macroule si chic avec son costume noir,  sa bande frontale et son bec tout blanc. La grèbe huppé qui s'effarouche et le héron cendré que rien ne perturbe. Les saules sont les arbres dominants, saules pleureurs bien entendu, saules blancs, saules jaunes, saules tortueux. Les iris aux fleurs jaunes  forment un rempart épais le long des berges. Nous perturbons de belles plaques de nénuphars blancs.

Et le soleil qui nous éblouit et nous enchante...

Demain cap vers la  côte d'Opale... A bientôt.

EN PASSANT PAR LA BELGIQUE

Mercredi 15 mai 2024

Retour en pays flamand. Nous reprenons l’autoroute dès notre entrée en territoire Belge. Les prairies changent d’allure. Les alignements d’éoliennes ont disparu, les fermes sont moins opulentes, les troupeaux plus modestes, mais la grisaille reste fidèle.

- Dis Laurent, pourquoi y’a des boîtes aux lettres grises sur l’autoroute ?

- C’est pas des boîtes aux lettres, c’est des radars !

Pas de doute, nous avons quitté Nederland.

GAND

À Gand (Gent), nous trouvons à nous garer le long du jardin des BeauxArts, à quelques pas de l’ accès au centre ville. C’est un bel endroit. La cité s’étale entre la Lisse et l’Escaut. Le centre historique a des allures de musée à ciel ouvert avec sa riche architecture flamande du XVIIè. Nous nous perdons dans de chouettes ruelles pavées comme partout dans ces villes du nord.

GAND

GAND

Nous cédons le passage à une horde d’étudiants en vélos, qui braillent des slogans et les brandissent en faveur de la paix. Nous les retrouvons un peu plus tard rassemblés autour du Centre Universitaire. Par petits groupes animés, une estrade encombrée. Des allures de mai 1968. C’est troublant.

A Gand, on remet les pendules à l'heure.

GAND

 

Cap sur BRUGES

A 30 km de la ville, nous trouvons un endroit de rêve pour la nuit. À l’intérieur d’un parc complètement ouvert sur une grande forêt. Dans une clairière une maison de retraite, dont la brasserie nous séduit. On s'isole dans ce paradis avec enthousiasme.

Sauf qu’on se fait déloger à 22h30. Paraît que c’est pas un parking autorisé… que Laurent avait pourtant  repéré sur son application comme ouvert au public.  On change donc de mouillage, en pleine nuit, sous une pluie diluvienne… Quand je vous parle de mouillage ! Le suivant est un peu hasardeux, au bord d’une ferme, le long d’un parc, d’une petite route discrète. Ça nous rappelle de bons souvenirs de navigation, ça nous rend euphoriques.

Le lendemain nous trouverons une place pour une nuit dans la périphérie de Bruges. Le soleil réapparaît. C’est le printemps de Bruges. On adore. Si Bruges est une ville riche en architecture, c’est aussi une ville très touristique. Nous déambulerons pendant des heures parce que c’est magnifique et qu'on ne s’en lasse pas. Cependant rien à voir avec les venelles intimes de Venise, l’animation des petits canaux enchevêtrés et des ponts dédiés aux amoureux.

BRUGES

A 50 km de Dunkerque, nous retrouvons l’ambiance familière de nos autoroutes. Multiplication des radars, encombrements aux échangeurs, resquilleurs dans les files… C’est la France quoi !

Pause à Esquelbecq une aire municipale dédiée, au bord de l’Yser, le long d’un club de tir à l’arc… en plein tournoi départemental. Donc environnés de gens paisibles en pleine compétition. Plein cadre sur leur "jardin d'Arc", notre vue du petit camion est imprenable.  Les archers et les archères, disposent de deux pylônes (perche) auto-portés d'environ 30 mètres de hauteur. Ils se pivotent vers la bas, pour permettre l'installation des cibles sur 7 niveaux au sommet de la perche.  Les cibles, appelées "oiseaux" sont de jolis bouquets de plumes à dégommer.  Le crieur (animateur de la manifestation) appellent les concurrents, veille au bon déroulement du tournoi et bien entendu annonce les scores et les prix en fin de journée. Le champion sera la roy. Pour son baptême de roy, ils sera assis avec le second, face à ses "sujets". Quatre archers tiennent au dessus de leurs têtes un torchons tirés par les quatre bouts. Le crieur verse alors délicatement une bouteille de champagne sur le torchon qui s'égoutte sur le roi et son second pendant que l'ensemble des équipes entonnent de bon coeur, l'hymne flamand. Un hymne sympathique qui invite à la paix et à la fraternité. Discrètement plusieurs équipes arrivent par l'arrière avec de grandes bassines d'eau et inondent les deux héros du jour... Hurlements de rires, agitations loufoques et fuite éperdue des victimes hilares et dégoulinantes qui se précipitent dans les vestiaires.

Ce sont les moments forts et inespérés que nos voyages nous réservent souvent. La France est un pays extraordinaire.


tir arc

tireur

 

Esquelbecq toujours. Quelle ville exceptionnelle. Un château féodal, à moitié écroulé, reconstruit partiellement au XVIème… Lieu de villégiature de Lamartine du temps qu’il se mêlait de politique dans les années 1860… Ce qui est remarquable dans ce lieu en pleine restauration, c’est que les anciens du village en parle comme de leur propre bien. Ils racontent qu’ils ont vécu là, qu’ils y ont joué, que leurs parents y ont travaillé. Ils racontent que lors des mariages, des fêtes locales le château s’ouvrait pour accueillir les festivités. Les temps ont changé mais continuent d’évoluer. Il se peut que dans un avenir pas trop lointain, les néo-châtelains, rendent aux habitants, leur droit d’usage.

chateau

Le parc est original, organisé à la flamande c’est à dire, à compartiments, perspectives courtes, mode renaissance pour chaque type de culture . Peut-être que ces quelques images seront parlantes pour nos amis Dan-Dom.

jardin

Dans cette ville aussi, je suis entrée par inadvertance chez Charles, un curieux bibliophile qui ouvre boutique sur la grande place. Vitrine époustouflante, éditions sous clé, (elles se négocient entre 500 et 2000 euros pièce) qu’il m’a ouverte au bout d’une heure d’échanges passionnés. Il m’en a beaucoup appris sur l’art de repérer un livre rare. Tant de critères sont à prendre en compte, rareté de l’édition, ancienneté, état du livre, c’est évident. Mais aussi type de couverture (peau-basane, les plus ordinaires mais aussi veau ou chèvre-maroquin- ou carton- ou demi-peau. Type de papier, papier d’Arches, velin, bible, bouffant. Type et état de la reliure, broché ou cousu et selon le type de fil. Gouttière, dorée ou pas,

Mille autres aspects que je n’ai plus en tête.

Devenue pote avec Charles, j’y suis retournée bien entendu, aimantée par ce lieu, pendant que Laurent allait s’essayer au tir à l’arc… Il a raté la cible mais la flèche ne lui est par retombée sur la tête ! C’est quand je lui ai raconté mes coups de foudre pour la librairie et mes deux achats qu’il est tombé sur la tête. Rassurez-vous, il s’en est remis depuis.

marion

Dans cette ville remarquable, nous avons passé deux bonnes heures dans un musée extraordinaire, Les Gigottos. Propriété de Bruno, encore un passionné un peu fada qui sillonne la France et les pays du nord avec ses marionnettes. Ses drôles de personnes ont séduit Stéphane Bern que vous verrez bientôt à la télé si vous les ratez pas. Bruno fabrique avec du fil, du carton, des ressors, des cintres, toute récup qu’il recycle avec génie. C’est prodigieux. Ces marionnettes à taille humaine nous ressemblent et se moquent joyeusement de nous. Nous avons passé avec elles et Bruno un moment enchanté.

gigottos

 

Les friteries s’installent midi et soir comme les camions-pizzas dans le sud. Ici l’art majeur, c’est celui de la patate. La patate a d’ailleurs son festival en août. Donc nous usons et abusons des frites. Non, ce n’est pas raisonnable mais c’est tellement bon.

frites

Les Esquelbécquois, Esquelbécquoises,  sont d'excellente compagnie.  Il est arrivé bien souvent que nous nous trouvions assis ou à faire la queue au milieu d’un groupe local. Un familier arrive qui salue et embrasse ses amis (ou famille) se tourne vers nous et nous embrasse dans la foulée… et nous mêle à la conversation. Nous voilà introduit dans le cercle intime. Je reste éboustrouffée à chaque fois.

Nous sommes vraiment heureux dans ce pays flamand. Conseillés par notre ami Pascal (F6GUZ) nous partons demain pour Cassel, une distance comme je les aime 13 km…. Nous y passerons une nuit. Ensuite cap vers la côte d’Opale.

 

La météo s’arrange, soleil et 17 ° aujourd’hui à 15h. Bientôt la canicule... !

PAYS BAS

Jeudi 9 mai… sous le soleil… Ouf !

L’autoroute Anvers-Amsterdam est très roulante. Ici pas de péages, pas de radars. Limitation à 100 km (120km/h la nuit) ici, Tout est vert, vert, vert… Des armadas d'éoliennes plombent le ciel du plat pays. Sentinelles des temps modernes, elles brassent mollement l'air de leurs bras géants. Dans un champ, j'en ai dénombré plus de 150, sagement alignées en rangs de 10.  Dans les fermes opulentes, éparpillées, Les moulins traditionnels ont cédé leur place à ces moulins à vent modernes, chacun dans sa cour.  Les toits de tuiles émaillées rouges ou noires étincellent. C’est chouette.

 

13h30. L’arrivée à Amsterdam est hasardeuse, un seul camping, bondé, qui nous arrangerait bien car proche du métro. Sur le parking d'accès, les campings-cars font la queue pendant que les passagers courent vers l’accueil. Agitation bien bordélique. Une bonne heure de queue, c’est heureux d’être en vacance et d’avoir le temps. Le tarif du camping est très coûteux, 81 € deux nuits sans électricité, sans accès douche. Et nous serons aux portes de la capitale...Nous achetons donc deux tickets pour les douches.

Le réseau des transports en commun est formidable, pas économique au ticket  (3,40 €-validité 1h). Le choix de forfait jour (9 € pour 24h) nous laisse une totale liberté de déplacements. Car la ville est vaste et nous userons et abuserons du métro et du tram.

Il est souvent aérien. Banlieue chic, nous roulons à travers les canaux le long de larges avenues ombragées. Banlieue proche, nous sommes épatés par la profusion d’immeubles résolument modernes. C’est remarquable. Angles arrondis, biseautés, cubes empilés en décalage. En façade, alternance d’aluminium, de verre cathédrale, de mur émaillé. Une architecture ultra-moderne qui nous flatte l'oeil.
La gare Centrale d’Amsterdam nous plonge dans une foule compacte et joyeuse de gens pressés. Elle est magnifique cette gare des années 1880. Toute proche, nous repérons la façade étincelante du palais royal. C'était,  paraît-il la salle d’attente des carrosses. Mais l’agitation moderne, gêne un peu l’imagination des princesses. Toutes sortes de langues se confondent ici et beaucoup de français. Des nuées de vélos nous foncent dessus, nous doublent sans prévenir. Je ne suis guère à l’aise. Je risque ma vie à tout instant. Les vélos locaux ne sont pas assistés, même pire que ça, il n’y a même pas de dérailleur. Nous avons aussi repéré des freinages torpédo, sur des vélos d’allure très neuve.

Nous déambulons au p’tit bonheur la chance. De vastes avenues vertes, qui suivent les canaux. Un petit pont, un autre. Les vélos sont les rois de la rue. Les voitures, c’est évident mais aussi les piétons leur cèdent le passage. Faut dire qu’ils ont de l’allure ces vélocipédistes.

dame velo

Le guidon haut relevé , le poignet souple, leur assure un maintien d'une élégance irréprochable. Le regard lointain, le dos raide,

« les épaules en arrière, la poitrine en avant, .... » allure martiale des gamins dans le choeur de Carmen.  Mais je m’égare.

C’est donc par inadvertance que nous pénétrons dans le quartier « rouge » (rouge parce que toute les boutiques et vitrines s’affichent en rouge) Et là, y’a du monde. Boutiques érotiques voire plus, bureau de vente d’herbes voire plus. Théâtre, scènes musicales et streap-tease voire plus, Musées, (de cire, photos, peintures…)

- Le musée Rembrandt, figure célèbre, ça te tente ?

- Je préférerais celui de la Marijuana, autre figure célèbre.

Finalement, nous n’avons fait aucun des deux.

Quelques vitrines de dames souriantes ou blasées, poitrines généreuses et cuisses avenantes sous peu de dentelles. Les vitrines sont belles, rouges et ors, petits boudoirs intimes. On aurait envie de s'y inviter pour boire un thé. Quel étonnant folklore. Les rues sont très animées. Certains touristes sont blagueurs. Ils chahutent, se bousculent. Les autres le nez en l'air (parfumé à l’herbe) se laissent porter par l’ambiance. Comme nous autres par exemple. Pas de clope au bec. Fumer le cannabis n’est pas autorisé dans la rue. Quoi que, des petits futés doivent se planquer par là, car l’odeur est prégnante. Les bars à herbes et autres lieux sympathiques pullulent. Le cannabis s’y négocie autour de 12,00 € le gramme, un joint autour de 5 €. Ce quartier est sale, encombré, carrément glauque. Mais il est aussi dynamique, vivant, joyeux, coloré,  carrément exotique.

ams2

Nous retrouvons avec soulagement, les larges allées qui bordent les canaux, des demeures très chics, opulentes mêmes du gratin d’Amsterdam. Et notre tourisme en métro aérien.

Au retour, J’ai envie de me décrasser de la faune Amstellodamoise. J’inaugure mon jeton douche. Après quelques minutes, retour à bord carrément furieuse. Laurent se marre.

- T’as pas eu d’eau chaude ?

- Si, mais si peu que j’ai un doute.
- Comment ça ?

- Une fois déshabillée J’ai enclenché le minuteur. J’ai à peine eu le temps de me savonner … Et l’eau s’est coupée.

- Normal t’as du mettre plus de cinq minutes.

Là, je m’énerve un peu.

- Non j’ai même pas mis trois minutes. Le pire c’est que j’avais pas non plus d’eau froide pour me rincer.

Petit sourire en coin de Laurent qui attend la suite...

- Je suis sortie à poil pour tester les trois autres douches, pas d’eau, nulle part…

- Tu devais être sexy couverte de mousse à déambuler dans les douches.

- Je sais pas, j’ai vu personne. Et puis, j'y voyais rien. Donc, bien dégoulinante de mousse, je me suis rincé les cheveux et les yeux au robinet du lavabo.

Laurent rigole de bon coeur. Je m'en rends à peine compte, toute à ma colère.

- Je suis revenue dans ma douche pour essuyer le savon dont j’étais couverte et me voici, qui fleure bon la vanille et les talons qui dérapent dans mes nu-pieds.

Laurent se gratte le menton perplexe.

- Je crois que je préfère me doucher à bord. Tu crois que je peux revendre mon jeton douche ?

 

J’ai désormais hâte de quitter Amsterdam, c'est une ville avec de belles architectures, mais trop peuplée, trop urbanisée, trop touristique pour moi. Mon choix se porte vers le nord du pays, au coeur des polders. C’est l’endroit où j’ai impérativement besoin d’aller nous perdre.

- T’as vu sur la carte, y’a un pont gigantesque pour passer la mer du Nord. Au moins 30 km, c’est possible ça ?

- Tu crois que c’est gratuit ?

- On verra bien.

C’est pas un pont mais une digue extraordinaire. Nous nous arrêterons à mi-chemin pour humer l’air du large. Puis, nous traversons Harlingen. Nous avons fait je ne sais combien de campings, tous très familiaux et tous archi-complets. Hé oui, c’est le week-end de l’Ascension, et nous, on n’y avait pas pensé. Nous poussons jusqu’à Leeuwarden. Coup de foudre. C’est là que nous nous poserons.

Sauf que là encore tout les campings sont saturés. Nous réservons pour le lendemain. En attendant, on improvisera. Ouf, Laurent a le coup d'oeil génial pour les "parks" de secours, isolés et tranquilles, voire inespérés. Nuit paisible donc.

cc

bateaux

Leeuwarden est une ville formidable. Très vivante, de jolies boutiques, des canaux parfaitement entretenus et très animés. Les plaisanciers et les canots locaux y offrent une ambiance maritime exceptionnelle. Les parcs sinuent entre les canaux. Et les embarcations circulent en permanence. Une belle activité maritime, sans hâte et sans précipitation.

leu

 

Une bière fraîche dans un bar qui étale sa terrasse à travers un pont piéton… Quel luxe ! On admire l’allure altière des cyclistes qui déambulent dans tous les sens. Ils sont d’une adresse incroyable, roulent vite souvent, mais d’un coup de guidon précis évitent un piéton distrait. Je les admire et ils me font peur.

Notre camping est familial, et dimanche, les citadins sont retournés à leur boulot de citadins et nous sommes quasi seuls. Quel repos, quel tranquillité, esprit champêtre et confort assuré. Rien à voir avec les conditions de vie à Amsterdam. Quel bonheur.

 

A nous de jouer. Vive le vélo en Nederland. Nos minis cycles pliants (motorisés en plus, quelle honte) sont plutôt miteux comparés à ceux que nous admirons depuis quelques jours. Laurent a beau redresser le buste, relever la nuque, l’allure impériale n’y est pas tout à fait. Mon train à moi est plutôt celui du sénateur. C’est un art ici de rouler chic. Je ronchonne un peu parce que les voies sont étroites et se partagent souvent avec les piétons. Quant aux croisements avec les autres cyclistes, c’est hasardeux. D'autant que si je culbute, ce sera pour un bain assuré vu qu'on est cerné de flotte de tous les côtés. Je serre souvent les fesses. Peut-être que ce sera bénéfique pour ma musculature.

J’adore cette campagne, ses moulins à vents, chaque éolienne qui alimente sa ferme. Les fermes sont immenses, les corps d’habitation luxueux, et les dépendances animales excessivement propre. Hors l’odeur inévitable des lisiers et des fumiers, ce serait parfaitement aseptisé. J’adore les incroyables troupeaux de vaches qui ne viennent pas à bout des herbes immenses dans lesquelles elles disparaissent à moitié. Il y a aussi d’étonnants troupeaux de moutons. Leur laine épaisse est tachetée de noire. Se seraient-ils trompés de robe ? Se prendraient-ils pour des vaches ? Sont-ils la version hollandaise du carnaval des animaux ?

Notre piste longe un grand pré, un « ruisseau » nous en sépare. Deux magnifiques alezans nous guettent le mufle tendu par dessus le ruisseau. Nous ralentissons, ils nous emboîtent le pas. Lorsque nous accélérons, ils trottent en parallèle le long de leur pré. Le dos souple, le museau tendu, crinière qui danse dans le vent, ils sont magnifiques. J’en pleurerais.

Avec nos vélos assistés nous avalons goulûment 30-50 km le long de pistes quasi plates.

Nous passons d’une île à l’autre, d’un village ou d’une ferme isolée à l’autre, et des champs et des prairies à perte de vue. Quelques moulins agitent mollement leurs ailes. Le monde ici est immense, et s’étale à perte de vue. Je ne risque pas de perdre Laurent lors d’un changement de direction.

14 mai.

Après grand ménage à bord et lessive, nous quittons Leeuwarden, c'était chouette.  Nous avons décidé d'engager notre course à la tulipe. Retour vers le sud du pays, cap sur Lisse, haut lieu de la culture du bulbe avec le Keukenhof, plus grand jardin de tulipes du pays. Qu'il ne faut surtout pas rater.

Verdurette, verduré, comme dit la chanson.

- Dis Laurent, on est noyé dans d'immenses champs. Feuillages verts au ras du sol. T'en penses quoi ?

- Des bulbes de tulipes pas mûrs ?

Plus on roule, plus les champs sont désertés de fleurs. Le comble, c'est que le Keukenhof est fermé. Fermé un mardi ? Guérite avec un brave gars qui semble mourir d'ennui et prend le temps de baragouiner avec nous. En gros, les hordes de cueilleurs ont fait la razzias des fleurs dont la cueillette se termine en général début mai. La floraison est courte.  Présentement, elles sont stockées dans les chambres froides et préparées à l'embarquement des gros camions qui sillonnent l'Europe. Mais ça, impossible de le visiter.

Qu'à cela ne tienne. Tant pis pour les champs de tulipes. Nous voulions visiter le nord, nous visiterons le nord.

Le petit camion reprend la route et moi je chantonne dans ma tête.

 

Moi, je suis la tulipe, une fleur de Hollande ;
Et telle est ma beauté, que l’avare Flamand
Paye un de mes oignons plus cher qu’un diamant,
Si mes fonds sont bien purs, si je suis droite et grande...
(Théophile Gautier)

A Gorinchem, au coeur du pays, le petit camion s'engage sur une île. L' aire de camping est idéale, sur le port du canal. Nous partageons l'espace avec les plaisanciers et les mariniers. Quelle belle ambiance. La ville est traditionnelle, entourée de remparts. Les façades sont toujours en briques rouges ou roses. Quelquefois alternées de rose et de rouge. On dirait qu'elles ont la rougeole. Au pays bas, comme en Suède ou Norvège, les maisons prennent la lumière par de grandes baies vitrées souvent décorées de fleurs ou de petites faïences, avec juste une dentelle qui souligne le haut de la vitre. Pas de volets extérieurs, pas de barreaux. Ce sont des habitations délicieusement ouvertes sur le monde qui les entourent.
depart

Nuit paisible annoncée dans ce port sympathique. Sauf que, dans la nuit...

Caresse délicate sous la couette, pour un semi-réveil en douceur...

- Trésor tu veux bien arrêter de ronfler ?

Grognement d'un pas content d'être dérangé

- Je ronfle pas. C'est toi qui ronfles. Si fort que ça te réveille.

- Même pas vrai.

Chacun se renfrogne dans son bout de couette. Oreilles aux aguets.

- Oh, mais t'as raison, c'est la péniche contre la digue qui ronronne si joliment...

- C'est ça, quand c'est une péniche elle ronronne...

- Et quand c'est toi, tu ronfles... Hé oui !

 

-

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

DU NORD DE LA FRANCE À BRUXELLES

On disait, s’il continue de pleuvoir faudra attendre combien de temps le soleil  ?

On disait ensuite, on attend encore milieu de semaine, ça devrait s’arranger !

On disait encore, crotazut, il pleut toujours et partout !

Il pleuvait, il pleuvait, il pleuvait toujours.

Alors nous sommes partis. "Autoroute du soleil" c’est écrit sur les panneaux

- Dis Laurent pourquoi il pleut si fort sur l’autoroute du soleil.

- C’est parce qu’on la prend dans le mauvais sens.

-  le mauvais sens ?

- Ben oui, on va vers le nord, donc il pleut.

- Tu crois que c'est une bonne idée d'aller vers le Nord ?

- Bien sûr, on voulait voir le Nord, on verra le Nord.

Presque à Dijon. Une petite éclaircie,

- Et si on quittait cette sinistre aurotoute ?

Vite échappons nous vers la campagne. Route cernée de belles coulées d’or noyées dans des prairies et forêts inextricables. Champs de Colza, prairies et forêts, mais de vignoble bourguignon, point. Les vaches, le pis au ras de l’herbe, semblent embourbées dans leur pré. Je m’attendris, quel triste sort pour ces beaux animaux.

- Au fond, y'a un peu de la vache en toi, non ?

- Qui ça moi ?

- Oui toi.

- Pfuit !

 

Châlons en Champagne, nous sommes accueillis par une sympathique famille de maraîchers. Nous inaugurons leurs premières fraises et profitons d’une orgie d’asperges fraîches. Quel heureux moment !

Une belle étape encore à Reims. Nous flânons dans de magnifiques avenues bordées d’immeubles chics. De la cathédrale nous déambulerons de longues heures jusqu’à la basilique Saint Rémi. Car c’est à Reims que St Rémi a baptisé Clovis. Un évènement qui ne se rate pas, vous en conviendrez.

st Rémi-Reims

Le soleil nous accueille avec délicatesse dans les Ardennes. La route aussi rectiligne que déserte est un enchantement. Le petit camion décrasse le bitume. Les champs fraîchement retournés, caillouteux sont tout blanc. Nous sommes cernés de belles forêts dont les sommets couronnent notre route. Ici tout est vert, le printemps a pris du retard. Quel contraste avec les prairies vallonnées, cernées de bosquets fleuris de Bourgogne.

 

Cap sur Charleville. Notre parking est au fond d’une sorte d’usine désaffectée dont les murs ont été mobilisés par des artistes. Illustration des poèmes les plus populaires de Rimbaud ou d’extraits des Illuminations, et autres créations aussi riches en images et mouvements... L’immersion est totale. Je ne me lasse pas de lire et relire, ces textes que je connais par coeur. Je vous en offre un, pour la route...

rimbaud

Laurent s’impatiente, nous n’avons pas que ça à faire. La ville nous attend. La place Ducale est mobilisée par le festival des Confréries des Ardennes. Quelle chance. Nous déambulons toute la matinée, d’une confrérie à l’autre, Confrérie des fromages, Confréries des viandes salées, Confrérie de l’escargot de Bourgogne, Confrérie des amateurs de bleu, Confrérie des cassis de Dijon, Confrérie de la moutarde, Confrérie du marron, Confrérie gastronomique de l’ordre du poireau… Et la plus sympathique, Confrérie des « mollets d’Ardenne », un délice de mini-kougelopf qui fond dans la bouche. Les chevaliers sont tous plus beaux, plus colorés, plus chatoyants les uns que les autres. L’ambiance est festive, joyeuse, les fanfares se donnent à fond.

confrerie

Et Rimbaud dans tout ça. Saturés d’odeurs, de saveurs et de faste, nous partons dans les pas de ce «sale gosse » dont je suis imprégnée depuis l’adolescence. J’ai été fascinée par son génie, par son culot, par la puissance de ses textes et la délicatesse de leur musique. Et je ne m’en suis jamais remise. Et voilà que j’ai soudain rendez-vous avec moi-même, vieille femme devenue soudainement jeune et palpitante. Et puis, je regardais Laurent qui ne m'a pas connue en ce temps... Mais toi, Danièle, et toi Claudine (qui m'a offert mon premier Rimbaud pour mes 16 ans) si vous saviez comme je pense à vous. Et puis je reviens à l'instant présent. Comme c’ést étrange cette sensation de marcher sur un nuage, cramponnée à Laurent qui me tient debout dans ce monde. Et je chantonne...

J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse.Les illuminations

 

Nouveau départ, quelques tours de roues à travers la vallée de la Meuse et déjà Charleville me manque. Mais Laurent nous a dégoté un accueil de nuit qui va balayer mes états d’âme. Nous faisons étape à Tremblois le Rocroi. Le petit camion se range au bord de la forêt, espace mis à notre disposition par Claude et Claudine. La pluie nous tient toujours compagnie. Dès qu’apparaît un rayon de soleil, les branches essorent leurs feuilles en dégringolades de gouttes sur notre toit. J’aime bien l’ambiance. On se croirait dans Lune de Miel, quand la pluie martelait la coque en alu.

Une éclaircie ! Un tour dans les sous-bois, à patauger dans des mares immenses, des ornières traîtresses, nos grolles s’alourdissent considérablement.

Au retour nous rejoignons nos voisins d’un soir qui papotent joyeusement avec nos hôtes. Mais je trouve qu’il fait froid.

- On peut faire connaissance en buvant l’apéro à bord, ça vous va ?

On se retrouve donc à huit empilés dans notre mini-carré… Le whisky, le rosé de Provence, la pastis, quelques toasts improvisés à la cancoillotte, quelques carrés de lard fumé… carrés de pain tartinés d’huile d’olive et de la chaleur humaine. Avec des invités d’une exceptionnelle gentillesse. Nos hôtes sont des camping-caristes passionnés, que des revers de santé immobilisent pour le moment. Claude est un grand gaillard, allure de routard, un rien de Einstein avec son auréole de cheveux blancs. Claudine beaucoup plus discrète assure une présence rassurante et sage. Un chouette couple qui nous enchante. Nous avons le même âge, les mêmes désillusions et les mêmes espoirs. Le début d’une amitié durable, qui sait ?

 

Nous quittons Rocroi pour un pèlerinage vers l’abbaye de Chimay, dégustation de bière à la clé. Juste ce qu’il faut pour reprendre la route en toute sécurité et parfaitement requinqués.

- Dis Laurent c’est pas le petit général là, sur la butte ?

- Drôle d’allure ton cheval, on dirait un lion...

De plus près, c’est bien un lion qui domine le champ de bataille à plus de 40m de hauteur. Hé oui, nous traversons Waterloo, tristement célèbre par l’ultime défaite de Napoléon contre Wellington. 1815 son dernier quartier général. Si vous êtes passionné, arrêtez-vous, prenez le temps d’une immersion dans cette douloureuse épopée. Différents sites et reconstitutions prennent en compte aussi bien les points de vue civils que militaires.

 

BRUXELLES

bruxelles

 

Bien entendu, nous serons obligatoirement attirés par le gigantesque Atomium. Hauteur 102 mètres. Réalisée pour l’exposition universelle de 1958. Sur les thème des sciences, ce monument représente un « cristal  élémentaire» ou maille de fer agrandi 165 milliards de fois.

atomium

atomium

Nous y passerons une longue matinée. La visite commence au 3ème étage, la sphère la plus haute qui permet une vue panoramique de Bruxelles. Ensuite on redescend à travers les 8 autres par des escaliers mécaniques ou des ascenseurs hyper rapides.

Mais à Bruxelles, c’est dans les pas de Jacques Brel que nous nous perdrons.

brel

Quelle ville magnifique. Si somptueuse, riche en monuments classiques. La Grande Place est époustouflante, toute en dorures et murs dentelés, balcons ouvragés. Des monuments magnifiques, Hôtel de Ville, Maison du roi, Corporation des brasseurs… Que de merveilles.

bruxelles

Nous nous égarons à travers de vastes avenues… qui ont des allures de « remblas » Nous nous laissons éblouir par la Galerie de la Reine, boutiques qui s’alignent le long d’une verrière (commode pour magasiner sous la pluie) mais malcommode pour le budget, toutes boutiques de grand luxe, tailleurs, modistes, ganterie, chapelier, bijoutier, et puis les incontournable boutiques chocolats, gaufres…

 

Nous avons trouvé un park-Camping, à deux pas du métro, sécurisé et tranquille. Idéal pour la nuit. A notre arrivée un combi tchèque est bloqué devant la porte. Je vais voir le conducteur. Je vous fais grâce de notre baragouinage réciproque en « anglais »… Ils ont réservé leur place par le Net mais leur code ne fonctionne pas. Je leur ouvre donc avec le mien, je referme consciencieusement le portail derrière nos deux véhicules.

Plus tard, l’homme vient vers Laurent. Puis il repart vers son combi de l’autre côté du parking.

- C’est moi qui invite pour l’apéro ce soir, ça t’embête pas ?

- Non, t’as trouvé des Belges francophones ?

- Non un couple qui vient de Prague… Ceux à qui t’as ouvert le portail.

Ils ne tardent pas à se pointer avec une bouteille de vin portugais et de délicieux biscuits hollandais. On papote en « anglais » que l’homme parle aussi mal que nous, en allemand avec la dame qui le parle comme je parle anglais… Daniel est musicien par passion mais amateur. D’un coup, il se lève, un geste,

- A moment, I go back…

Il sort… Romana tue le temps en banalités compliquées avec Laurent qui essaie de décrypter son allemand chaotique.

L’homme revient avec sa guitare et un curieux petit chapeau sur le haut du crâne. Son habit de scène ? Quelques ajustements d’accords et il nous envoie une sympathique mélodie tendre et romantique. Et puis sa voix s’élève. Il chante juste et doux. Il continue guitare seule et Romana prend la relève au chant. Puis ils chantent en duo, puis l’un, puis l’autre, puis ils reprennent. Ils nous enchantent les oreilles de quelques chansons traditionnelles. Il y est toujours question de brigand et d’amours contrariés.
Le petit camion baigne dans un cocon. Ensuite, nous continuons de papoter. Entre Google qui traduit de manière fantaisiste et nos hésitations de polyglottes maladroits, on rigole de bon coeur.

Quelle soirée extraordinaire. Ils nous ont laissé un alcool de leur pays, uniquement à base d’herbes, 53° un délice de saveurs qui arrachent la gorge mais réjouit le coeur. Nous leur avons laissé quelques bouteilles de Provence et la promesse de se revoir...

Le début d’une amitié éphémère mais profonde.

 

Nous reprendrons la route tardivement le lendemain, quasiment midi.

Pause de nuit dans une banlieue chic d’Anvers. Un immense parc bordé par l’Escaut, en soirée des lapins nous visitent. Au petit jour ce sont les oiseaux qui se déchaînent pour fêter l’arrivée du soleil. Le petit camion fienté sur toutes les coutures (j’ose pas imaginer le toit ) a piteuse mine. Y’aura bien une pluie torrentielle pour rincer tout ça.

frites

C'est pas les frites qui font grossir, c'est la bière qu'on boit avec... (proverbe belge)

Maintenant cap sur Amsterdam…. Il paraît qu’il fera beau demain….