9 juin.
Nous traversons Sainte Mère l'Église en pleine parade militaire. Scotchés par l'étonnement, nous décidons de nous installer là. Il me faut un terrain de camping qui dispose de sécheuses-laveuses dont j'ai grand besoin. Et nous en avons trouvé un très chouette.
Une jeune dame charmante nous accueille. Si belle, si fraîche. Plus rien de militaire dans ce bureau.
- Votre place est proche des sanitaires. Vous pouvez pas vous tromper. C'est en face d'un camion GMC dédié à la location.
- Vous louez des camions militaires ?
- Bien sûr, ils sont aménagés. C'est très spartiate, c'est un camion de guerre quand même.
- Y'a donc des clients pour ça ?
La demoiselle se marre.
- Bien sûr, des vacances dans un GMC , c'est authentique et exotique. Les touristes adorent.
Y'a des choix d'adultes qui m'épatent vraiment.
Nous nous engageons à petits pneus dans des allées incroyables. Immersion dans un camp militaire international. Aussi vastes que soient les emplacements, tout un monde, en kaki-bérets ou treillis s'affairent. Des blindés, des motocyclettes, des barnums militaires géants, des tentes collectives, des espaces "popote" extérieurs, et semés un peu partout, des pavillons, anglais, allemands, américains, canadiens et bien entendu français tremblent sous une brise pluvio-grincheuse. Ça papote et ça rigole dans toutes les langues confondues en un étonnant charabia.
- Dis, Laurent tu trouves que ça ressemble à un terrain de camping ?
- Non, tu vois bien qu'on est en pleine manoeuvre.
Nous sommes les seuls "civils" du camping, c'est une sensation un peu étrange. Avec mon short, ma chemisette et mes tongs, j'ai l'impression d'être déguisée. Mais à quoi jouent-t-ils, tous ces gens en uniforme ?
Notre voisin, en treillis, papy d'au moins 70 ans, répond joyeusement à nos questionnements.
- Vous avez de la chance d'avoir eu une place. Depuis trois jours, c'était bondé. Mais quelle ambiance !
- Un événement extraordinaire ?
- Ben, je veux. C'était l'anniversaire du D-day. Le premier débarquement des américains sur les côtes de Normandie, 6 juin 1944 à Utah beach. On fête ça tous les ans. Dommage vous arrivez un peu tard.
A Sainte Mère l'Église, à Saint Côme du Mont, à Grand Champ Maisy, partout les mêmes tenues, les mêmes attitudes. Des portraits géants installés sur chaque poteau rappellent un visage, un nom, le pays, la ville d'un homme mort au combat pour nous défendre. Ils jalonnent nos pas, nous précèdent et nous suivent. Dans la ville, des panonceaux racontent un événement qui s'est produit à cet endroit précis, souvent humoristique, quelquefois tragique. C'est une ambiance envoûtante.
Le plus renommé est le mannequin qui évoque l'atterrissage imprévu de l'américain John Steele, dont le parachute est resté prisonnier de la corniche de l'église pendant trois heures avant d'être décroché, la nuit des 5-6 juin. Pris par les allemands, il réussira à s'évader après quatre jours. Heureux survivant, il finira tranquillement ses jours chez lui, dans l'Illinois.
Cet épisode qui inspira très librement une séquence du film "le jour le plus long" (dans les années 1960) fera de lui un personnage mythique.
Mais non, les cloches de l'église ne l'ont pas rendu sourd !
Nous décidons de rester quelques jours et d'enfourcher les vélos pour une longue virée vers les plages du débarquement. Le ciel un peu gris, doit se dégager. Il fera bon sur la route du bord de mer. Nous aurons droit à l'une ou l'autre rincées familières du Cotentin, mais c'est de l'eau qui mouille pas... pas trop.
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Utah beach, c'est un musée extraordinaire à ciel ouvert qui offre un circuit à travers des scènes reconstituées de ce débarquement. Des escadrons impressionnants de jeunes américains, américaines déambulent et s'interpellent. Ils croisent souriants d'autres escadrons de jeunes allemands. Tout de même c'est chouette. Il y aussi beaucoup d'hommes et de femmes, des descendants de ces hommes héroïques, qui viennent là pour se recueillir, et retrouver un peu de leurs chers disparus. C'est terriblement émouvant.
Je pense à cet instant à cette autre guerre qui se déroule "sous nos yeux" en Ukraine. Quelque chose en moi se déchire.
Depuis le camping d'Isigny Sainte Mère, après avoir longé sur des kilomètres l'incroyable laiterie coopérative dont nous consommons tous les produits finis, nous ferons encore une belle virée vélo côté mer vers Grandcamp Maisy et la pointe du Hoc. Oui, nous avons zappé Omaha beach, que nous connaissions déjà.
Image toujours fascinante de Cotentines qui prennent les eaux... Pardon pour cette familiarité avec les vaches, Cotentine est une fantaisie que j'écris "pour du beurre"
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