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25 mai 2022
Allure escargot depuis notre départ de Velaux, il y a une belle poignée de jours. Pauses champêtres dans des cadres nouveaux quoique familiers.
Visite éclair à Dan-Dom nos amis tourangeaux. Le temps de se reconnaître, de partager un heureux moment au château de l'Islette. Château privé, peu fréquenté. Ce château, petit frère d'Azay le Rideau, fut le refuge amoureux de Camille Claudel et Auguste Rodin. C'est donc une pause romantique que nous proposent nos amis.
Et nous voici embarqués tous les quatre dans la douceur ombragée de l'Indre. On se la coule douce entre les bras de la rivière, entre les bras des rames, que maîtrise si bien, le vaillant Dominique.
Et cap sur la Normandie. En traversant la Mayenne, nous devisons très sérieusement. Pascal (F6Guz) en contact étroit avec Laurent par radio (le téléphone portable c'est pas mal non plus) donc Pascal trouve dommage que nous passions si près du Cotentin et de pas y aller faire un tour.
- Dis Laurent, et si on suivait l'idée de Pascal, et qu'on vire de bord.
- D'accord mais la Hollande, on y va quand ?
- Après ?
- Avec nos étapes moyennes de 50 kilomètres par jour, tu comptes y être avant l'hiver en Hollande ?
- Bof, je sais pas, on verra.
Laurent se gratte le front, sa décision ne saurait tarder et elle ne tarde pas.
- T'as raison, cap Cotentin, et puis on verra bien...
Youpi ! j'adore qu'on ne respecte pas le programme.
25 mai 2022
Notre première étape en Cotentin, au bord d'un lac à Saint Hilaire du Harcouët, (ça résonne breton non ?) Une pause détente avant de virer à l'ouest vers Avranches.
Laurent souvent repère sur le Net des espaces dédiés camping-car, mis à disposition par les communes. Nous trouvons toujours de belles clairières, des bords de rivière ou de lacs, des bords de prairies. Tranquilles et peu fréquentés. Nous y sommes souvent les seuls. Parfois des services sont prévus, renouvellement d'eau, vidange eaux grises, eaux noires et même une borne électrique, pas négligeable pour recharger nos vélos. Ces espaces sont toujours gratuits, les services pas toujours mais pour trois à cinq euros la nuit nous faisons provision d'autonomie pour trois jours.
Il nous arrive aussi de nous poser dans un espace privé, du réseau France Passion. Cette formule nous séduit toujours. Chez des producteurs, (vins, fruits et légumes, éleveurs, fermiers....) chez des artisans, des artistes... Des sites isolés où le petit camion s'étale au bord d'un pré, la cour d'un manoir, au bord d'un étang. Nous visitons de beaux espaces. En échange de cette nuit idéale, nous achetons les produits locaux de nos hôtes.
C'est ainsi que nous nous posons dans l'immense pré d'un manoir rénové, Domaine de Clacquerel à Sartilly Baie Bocage, cidrerie. C'est un enchantement. Apéririf offert au pommeau local.
Au fait, c'est quoi le pommeau ? Un apéritif à base de jus de pommes, enrichi de calva... A la fois doux et fort... Notre hôte nous raconte l'histoire de son manoir, les travaux qu'il a réalisés, photos à l'appui. Nous voyageons dans le temps en compagnie d'un homme tranquille, souriant, taquin aussi. La bouteille de pommeau circule au dessus de nos verres...
- Encore un p'tit coup ?
- Ben oui, hein !
Donc, j'en reprends, peut-être que j'aurais pas dû... Laurent n'est pas mal non plus, d'ailleurs. Nous avons l'âme en joie. Retour à bord hasardeux en chantant avec les grenouilles :
Apéro cidre plus calvados,
Vive la vie en Cotentos...
La voix grave de Laurent baryton, la mienne est quelque peu crécelle... et le choeur des grenouilles sont du plus bel effet, amis mélomanes, n'en doutez pas.
C'est aussi mon premier choc très personnel. Il va me clouer au bord d'un pré. Une Cotentine en costume léopard me dévisage. Quelle allure ! Une robe presque blanche semée de quelques taches rousses. Une fausse blonde en quelque sorte. Le contour de ses yeux est bordé d'une belle ombre brune. Maquillage insolite ou contour de lunettes ? Cela donne une incroyable profondeur à son regard. Son rouille à lèvre a quelque peu débordé mais son mufle n'en n'est que plus original. Qu'elle est belle ! Une vache d'une rare élégance. D'autres dans le troupeau arborent une grande taches sombre sur le pelage clair. Avec toujours ce maquillage étrange.
J'apprendrai plus tard que l'authentique Normande peut être "caille" presque blanche, bringuée (presque noire). La tête est toujours blanche avec les "lunettes" caractéristiques autour des yeux, le mufle lui aussi est bordé de sombre. C'est une vache "mixte". On l'élève aussi bien pour son lait exceptionnel (qui fait la réputation des produits laitiers normands) que pour la viande.
Désormais beaucoup de vaches sont "écornées". Ce n'est plus l'arrogance des cornes mais ce n'est plus non plus, le fier port de tête des vaches de mon enfance. Je pense aussi aux Salers, avec leurs jolies cornes claires en forme de lyres... Quelle majesté sur leur robe acajou ou presque noire... À la place des cornes, elles portent alors un petit toupet de poils qui leur donne une expression bonasse, presque tendre.
29 mai 2022
Nous voici au nord de Coutances. Gouville sur mer. En pleine zone conchylicole. Nous nous abritons à l'arrière des bâtiments. La propriétaire fameuse dame d'envergure et terriblement avenante, nous conseille d'acheter des "moussettes".... Nous hésitons, le mot est joli, mais que va-t-on se mettre sous la dent ?
- Un mets très délicat, nous dit-elle, profitez-en, c'est la pleine saison.
Ce sont des araignées de mer qui ont moins de deux ans. Si petites soient-elles, ne n'ai pas de faitout qui me permettent de les cuire.
- Attendez, dix minutes, j'en aurai des cuites à vous vendre...
Donc on attend. On traîne dans l'immense hangar où sont débarquées les poches à huîtres. Le va et vient des engins, les machines automatisées qui trient, nettoient les coquillages. Celles qui nettoient les poches. Bonne ambiance. Laurent va faire provision de coquillages, et nous ferons un vrai festin avec chacun notre moussette. Que de bonheurs inattendus dans ce pays.
Nous découvrons avec autant d'étonnement que de bonheur une multitude de pistes vertes, qui longent la mer, qui traversent les terres.
Nous bénéficions d'une météo idéale autour de 20-22 degrés. Nos vélos tournent à plein régime.
Nous sommes déconcertés par l'immensité des plages à marée basse, la mer si lointaine, comme estompée dans l'horizon. Nous sommes déconcertés par ces ruissellements de prairie, de cultures qui dégringolent en mer...
A travers landes et bocages, des pistes confortables qui longent la mer.
1er juin 2022. Après Quelques jours à Barnevelle, Carteret, nous décidons de tirer un bord nord-est... Vers Valognes et sa belle église Saint Malo. Nous nous poserons au manoir de la Hurie. Ferme reprise il y a deux ans par quatre très jeunes personnes qui se sont lancées dans l'élevage de poules, et vendent la viande sous forme de terrines, de soupe, de conserves, poule au vin, poule au pot... et bien entendu, production massive d'oeufs fermiers. Les poules gambadent dans les prés qui entourent le manoir.
Nos vélos tournent à plein régime.
2 juin 2022, la capitale Cherbourg. Quelle ville ! Le parking autour de la Cité de la Mer est immense.
- Dis Laurent, on va quand même pas dormir au milieu des voitures ?
- Tu proposes quoi ?
- Qu'on longe cette zone, on verra bien ce qu'il y a au bout.
- Tu dormirais tranquille toi, ici ?
- Ici non, mais si on va au delà de la Cité de la mer, ça paraît plus tranquille.
- Tranquille, au milieu des autobus et des hordes de touristes ?
- Exagère pas, y'a tout de suite quatre ou six touristes... Oh, et puis tu m'énerves, gare -toi je vais voir à pied.
Donc il se gare et me débarque.
Hardi petit, d'un bon pas, je dépasse la Cité de la mer, des voitures, une succession de parkings qui longent un immense port de plaisance. Plus loin, ce sont les bus vides qui piétinent. Foutu pour foutu, je fais demi-tour en longeant le quai du port. À quelques pas de là, je traverse quelques haies, une zone en béton abandonnée où devaient être posés des containers, il y a bien longtemps. Voilà, ce qu'il nous faut. Nous serons protégés par les arbres, avec vue sur le port, assez loin de la route. C'est plutôt inespéré. Le hic, c'est que ces plates-formes ne sont guère alignées. Des herbes sèches, des cassures de ciment, des trous et des failles dans le béton. Le petit camion n'a pas les aptitudes d'un vtt. Autre question, est-ce autorisé de s'arrêter là ? Aucun panneau, aucune indication d'autorisation ou d'interdiction. Zonne libre dirait-on.
Je me dépêche de retourner vers Laurent, qui bien entendu a trouvé le temps long. Il a pris la route pour venir à ma rencontre. Sauf que je marchais sur une allée discrète le long des quais en contrebas.... C'est certain on s'est croisé sans se voir. J'ai beau scruter, m'impatienter... Je décide de m'asseoir sur un caillou et d'attendre que Laurent revienne... Et d'un coup, par dessus les voitures j'aperçois le haut volume du petit camion... Ouf... Je lui explique les difficultés de ma trouvaille. Il n'est guère emballé pour lancer le petit camion sur des dalles chaotiques. Il m'envoie en éclaireuse, le petit camion piétine derrière moi. Il faut passer des zones étroites, dont les branches frôlent notre toit. Il y a des ferrailles malveillantes qui hersent le béton. Faut les repérer et engager les roues de chaque côté de ces pièges. Quelques suées, quelques cris aussi... Ouf, nous finissons par nous incruster entre les haies et sans dommage. On y est super bien. Le petit camion aussi, je crois.
CHERBOURG - LA CITÉ DE LA MER.
Le REDOUTABLE, premier sous-marin français nucléaire (SNLE) mis en service dans les années 1970. Géant de 128 mètres de long, son équipage comptait 135 personnes.
Il faut vraiment prendre le temps de flâner à la CITÉ de la MER. Outre le fameux Redoutable, les émotions sont intenses, les émerveillements aussi. Déambuler entre les bassins de l'immense aquarium, revivre la terrible et fatale dernière journée du Titanic, découvrir ce que sera l'océan du futur... et puis se détendre. Nous étions quelques rares visiteurs, pas de groupes encombrants, pas de gamins agités. Une bien bonne journée.
05 juin 2022 Week end de Pentecôte pluvieux. Nous partons vers l'Ouest, cap de la Hague. Nous nous installons à Le Hâble, un petit camping discret et confortable.
- Laurent, regarde une éclaircie.
- T'es chiche ? Je sors les vélos et on file au Cap de la Hague et Goury, jusqu'au Nez de Jobourg ?
- Ça fait loin non ?
- Oui, faut pas traîner. Ponchos, pique nique, et vélos, pour la journée. Disons une petite quarantaine de kilomètres.
Hop là, c'est parti.
Laurent, nous a prévu un tour magnifique. Les facéties du Gps vont bien entendu nous détourner, allonger le circuit. On a l'habitude. Dans les descentes, Laurent s'envole littéralement. Moi, je reste mémère vélo et modérée, même dans les descentes. Donc il prend une sérieuse avance sur moi. À une vingtaine de kilomètres de notre départ, il oublie de m'attendre à un carrefour. Quoi faire, où aller ?
Pas d'info, pas de signal. Dois-je en conclure qu'il faut continuer tout droit. Je le fais d'autant plus volontiers que la route à gauche monte durement et qu'à droite, la direction ne m'inspire pas. Je traverse et pédale avec enthousiasme tout en braillant dans toutes les direction,
- Ouh, ouh, Laurent où es-tu ?
Vous avez compris que Laurent circule avec son smartphone et vous devez vous demander pourquoi je ne l'appelle pas avec le mien. Tout simplement parce que je suis une cloche et que deux fois sur trois, dont celle-ci, je l'oublie à bord... Il se passe au moins dix minutes. Crotazut ! Pourquoi il m'attend pas. Le doute s'insinue. Et si j'avais pris la mauvaise direction ? Je m'arrête pour réfléchir. Moment choisi pour le brouillard qui me tombe dessus en quelques instants. Vite, je m'emballe dans mon poncho, rouge, écarlate, brillant, visible... On sait jamais, si Laurent vient à ma rencontre, qu'on se croise et qu'il ne me voit pas à cause du brouillard, ce serait ballot...
Et puis zut pour Laurent, il avait qu'à m'attendre. Je retrouverai le chemin du retour, enfin, je crois. Je décide de rentrer à bord. Et de bouder quand il rentrera, longtemps, au moins cinq minutes... en plus il devra jeûner. C'est mon vélo qui porte le pique nique.
Une voiture arrive derrière moi, je la laisse passer avant de faire mon demi-tour. Elle s'arrête à mon niveau. Si cette personne est perdue, je ne lui serai pas d'une grande aide.
- Bonjour Madame,
- Bonjour,
- Vous appelez parce que vous roulez avec un monsieur blond sur un vélo noir.
- Oui, enfin je sais pas.
- Vous savez pas si votre compagnon est blond.
- Si, mais je ne sais pas si le vélo est bleu ou noir...
La dame me regarde d'un air désabusé.
- Si c'est lui, vous auriez dû tournez à gauche et monter la côte... Bonne chance.
- Oh merci Madame, bonne route.
Elle démarre doucement et quasi sous mon nez, fait demi-tour... Machinalement, je repère la voiture, je trouve ça louche.
Lorsque j'arrive au croisement fatal, la voiture est garée devant la maison qui fait l'angle. La dame est dans son jardin. Elle me fait un signe d'amitié et d'un geste, me montre la route que je dois prendre. Celle qui monte bien entendu.
J'en reviens pas. Cette dame extraordinaire m'a vu hésiter, filer tout droit devant sa maison. Elle a réalisé que je m'étais trompée. Après réflexion, elle a pris sa voiture pour venir me récupérer dans le brouillard.
Wouah, ça existe donc des gens comme ça ! Je suis tellement enthousiaste, je chante en pédalant et le vélo à assistance grimpe gentiment la côte. Un peu plus loin, j'aperçois Laurent qui vient à ma rencontre... Tiens, il a fini par se demander où j'avais bien pu passer. Je lui détaille la rencontre incroyable que je viens de faire.
Vraiment y'a du beau monde en Cotentin.
"Ben oui hein !"
Nous repartons tout joyeux. J'ai complètement oublié que je devais bouder... Quant au Nez de Jobourg et son paysage grandiose, il est resté noyé sous la brume... mais nous avons fait une sortie vélo riche en émotion... dont les plus de cinquante kilomètres nous ont éreintés.
Prochain épisode, cap est du Cotentin
6 juin 2022
Encore une chouette rando à pieds depuis le camping du Hable, chemin des douaniers à travers prairies et fermes en ruines. Les landes sont couvertes de fougères. La mer est belle, d'un bleu azur. Et le ciel fleuri de cumulus qui s'effilochent. Signe de beau temps ?
7 juin. Aussi belles que soient nos escapades vélo ou pédestres, deux nuits scotchés au Hâble, le petit camion a des fourmis dans les pneus. Donc un peu de mouvement lui fera du bien. Nous décidons de prendre la route des caps qui longe la mer, jusqu'à la pointe de Barfleur. Une bien belle route, qui sinue à travers le littoral et de belles ouvertures sur la mer, qui dévoile des caps fameux, Anse du Brick, Cap Lévi, pointe de Barfleur.
Gatteville, sympathique village tout en pierre. Des maisons pimpantes, très fleuries, parfaitement alignées.
Elles sont belles les maisons du Cotentin, chaque pierre de granit ocre ou rose est entourée d'un mortier clair qui en souligne l'éclat.
Le défi du jour c'est la montée du phare de Gatteville. Construction qui date des années 1774 (Louis XVI), pour le 1er phare jugé trop petit. En 1829, (Charles X) on élève un deuxième phare. Cet immense cierge se dresse à 75 mètres de hauteur. 349 marches, (sans la rampe extérieur du balcon supérieur) A chaque palier une fenêtre. C'est celui là qui nous fait transpirer malgré la froidure de l'air. Une montée au 7ème ciel normand...
Les guides qui ont le devoir de nous interpeller prétendent que :
- il y a autant de marches que de jours dans l'année,
- autant de fenêtres que de semaines,
- autant de niveaux que de mois.
Nous avons parlé avec le guide après notre descente, donc je n'ai pas pu vérifier.
Les maçons pour éviter les échafaudages ont construit simultanément une tour intérieure et une tour extérieure. L'escalier grimpe entre ces murs intérieurs.
Quelques marches de plus, permettent de prendre un peu plus d'altitude, mais Laurent craint le vertige. Et moi, j'aime les sensations fortes, comme vous savez. L'escalier métallique est étroit et le vent souffle en rafales. Vraiment violent et je ne m'y attendais pas. Appuyée à la rambarde, je jette un oeil à l'étage en dessous. Je n'y vois pas Laurent mais un joli monsieur, fort souriant, bien jeune aussi.. Il me fait un signe de la main, il semble qu'il hésite à rejoindre mon balcon. Le vent me turlupine aux oreilles, et je me sens d'humeur facétieuse. J'engage quelques mots ordinaires avec lui.
- Bonjour, vous êtes Roméo ?
- Pas du tout, pourquoi, vous êtes Juliette ?
- Non, je suis Jane.
Et là, il se marre franchement.
- Normal, moi, Tarzan.
Quel sympathique sauvage ce Tarzan.
- Vous montez à bord ?
- Oui,
- Super, moi je redescends.
On se croise dans l'escalier, on échange un joyeux sourire.... et je dévale les marches comme si j'avais 15 ans...
08 juin
Le petit camion en a marre de frissonner. Allons vers le soleil... cap sud, camping à la ferme, Réville... Le temps est couvert, mais doux... une vingtaine de degrés. Idéal pour la rando vélo qui doit nous mener à St Vaast la Hougue, départ de la navette pour l'île de Tatihou. Piste vélo, le Gps nous fait bondir sur des caillasses scélérates, écraser des taupinières et slalomer à travers les prés... Un raccourci de quelques trois kilomètres qui nous secouent avant d'atteindre la vraie piste cyclable. Ce qu'il y a de certain, c'est que je ne prendrai pas le raccourci au retour... vingt ou vingt-cinq kilomètres, ce n'est guère différent, confort de roulage avant tout. Laurent est d'accord.
A Saint Vaast, juste le temps d'acheter nos billets et un pique-nique. Nous embarquons à midi, à marée montante, et roulons sur le sable le long des élevages d'huîtres qui prennent leur bain de pieds. Cette barge amphibie étonnante roule sur le sable, au fur et à mesure que monte l'eau, elle passe en mode navigation. C'est assez rigolo. Lorsque nous arrivons à Tatihou, elle se remet en mode roulage.
Tatihou c'est à la fois une île lorsque la mer est haute, et une presqu'île lorsque la mer est basse. Il faut donc y rester assez longtemps pour bénéficier des différents reliefs et lumières proposés par la variation des marées... On flâne tranquillement jusque tard en soirée, entre les murs de l'imposant rempart Vauban (1694), les bunkers vestiges de 1944, le musée maritime, le pique plein air avant l'averse, le lazaret transformé en bar-resto... abri sûr pour l'heure café.
Belle éclaircie pour flâner dans la précieuse réserve ornithologique et le lazaret devenu l' Office de Tourisme de l'île, bourré d'infos utiles.
10 juin . Notre prochaine étape est à Sainte Mère l'Église, encore une biscuiterie pour faire le plein de délicatesses locales. Sympathique image, très normande pour signer cette fin de chapitre...
Non, je ne prévois pas de maigrir...! Laurent non plus. Et ça me réjouit.
9 juin.
Nous traversons Sainte Mère l'Église en pleine parade militaire. Scotchés par l'étonnement, nous décidons de nous installer là. Il me faut un terrain de camping qui dispose de sécheuses-laveuses dont j'ai grand besoin. Et nous en avons trouvé un très chouette.
Une jeune dame charmante nous accueille. Si belle, si fraîche. Plus rien de militaire dans ce bureau.
- Votre place est proche des sanitaires. Vous pouvez pas vous tromper. C'est en face d'un camion GMC dédié à la location.
- Vous louez des camions militaires ?
- Bien sûr, ils sont aménagés. C'est très spartiate, c'est un camion de guerre quand même.
- Y'a donc des clients pour ça ?
La demoiselle se marre.
- Bien sûr, des vacances dans un GMC , c'est authentique et exotique. Les touristes adorent.
Y'a des choix d'adultes qui m'épatent vraiment.
Nous nous engageons à petits pneus dans des allées incroyables. Immersion dans un camp militaire international. Aussi vastes que soient les emplacements, tout un monde, en kaki-bérets ou treillis s'affairent. Des blindés, des motocyclettes, des barnums militaires géants, des tentes collectives, des espaces "popote" extérieurs, et semés un peu partout, des pavillons, anglais, allemands, américains, canadiens et bien entendu français tremblent sous une brise pluvio-grincheuse. Ça papote et ça rigole dans toutes les langues confondues en un étonnant charabia.
- Dis, Laurent tu trouves que ça ressemble à un terrain de camping ?
- Non, tu vois bien qu'on est en pleine manoeuvre.
Nous sommes les seuls "civils" du camping, c'est une sensation un peu étrange. Avec mon short, ma chemisette et mes tongs, j'ai l'impression d'être déguisée. Mais à quoi jouent-t-ils, tous ces gens en uniforme ?
Notre voisin, en treillis, papy d'au moins 70 ans, répond joyeusement à nos questionnements.
- Vous avez de la chance d'avoir eu une place. Depuis trois jours, c'était bondé. Mais quelle ambiance !
- Un événement extraordinaire ?
- Ben, je veux. C'était l'anniversaire du D-day. Le premier débarquement des américains sur les côtes de Normandie, 6 juin 1944 à Utah beach. On fête ça tous les ans. Dommage vous arrivez un peu tard.
A Sainte Mère l'Église, à Saint Côme du Mont, à Grand Champ Maisy, partout les mêmes tenues, les mêmes attitudes. Des portraits géants installés sur chaque poteau rappellent un visage, un nom, le pays, la ville d'un homme mort au combat pour nous défendre. Ils jalonnent nos pas, nous précèdent et nous suivent. Dans la ville, des panonceaux racontent un événement qui s'est produit à cet endroit précis, souvent humoristique, quelquefois tragique. C'est une ambiance envoûtante.
Le plus renommé est le mannequin qui évoque l'atterrissage imprévu de l'américain John Steele, dont le parachute est resté prisonnier de la corniche de l'église pendant trois heures avant d'être décroché, la nuit des 5-6 juin. Pris par les allemands, il réussira à s'évader après quatre jours. Heureux survivant, il finira tranquillement ses jours chez lui, dans l'Illinois.
Cet épisode qui inspira très librement une séquence du film "le jour le plus long" (dans les années 1960) fera de lui un personnage mythique.
Mais non, les cloches de l'église ne l'ont pas rendu sourd !
Nous décidons de rester quelques jours et d'enfourcher les vélos pour une longue virée vers les plages du débarquement. Le ciel un peu gris, doit se dégager. Il fera bon sur la route du bord de mer. Nous aurons droit à l'une ou l'autre rincées familières du Cotentin, mais c'est de l'eau qui mouille pas... pas trop.
¨
Utah beach, c'est un musée extraordinaire à ciel ouvert qui offre un circuit à travers des scènes reconstituées de ce débarquement. Des escadrons impressionnants de jeunes américains, américaines déambulent et s'interpellent. Ils croisent souriants d'autres escadrons de jeunes allemands. Tout de même c'est chouette. Il y aussi beaucoup d'hommes et de femmes, des descendants de ces hommes héroïques, qui viennent là pour se recueillir, et retrouver un peu de leurs chers disparus. C'est terriblement émouvant.
Je pense à cet instant à cette autre guerre qui se déroule "sous nos yeux" en Ukraine. Quelque chose en moi se déchire.
Depuis le camping d'Isigny Sainte Mère, après avoir longé sur des kilomètres l'incroyable laiterie coopérative dont nous consommons tous les produits finis, nous ferons encore une belle virée vélo côté mer vers Grandcamp Maisy et la pointe du Hoc. Oui, nous avons zappé Omaha beach, que nous connaissions déjà.
Image toujours fascinante de Cotentines qui prennent les eaux... Pardon pour cette familiarité avec les vaches, Cotentine est une fantaisie que j'écris "pour du beurre"
.../...
14 juin 2022
Et si nous changions de monde... allons y en douceur. Cabourg, si chère à Marcel Proust, nous accueille dans son esprit 1920. Sympathique petite ville familiale où nous flânons joyeusement.
Alternance de rues commerçantes ordinaires et d'avenues qui les croisent bordées de parcs et de manoirs prestigieux.
- Dis laurent, ça te fait pas rêver tout ce luxe ?
- Non, c'est joli, mais ça me fait pas rêver.
- Tu serais d'accord pour pique niquer sur l'immense plage de Deauville, histoire de rêver en vrai.
- Qu'est-ce que t'as en tête ?
- Je voudrais la jouer chicos pour une fois. On s'habillerait genre sortie, ton pantalon court tergal, une chemisette légère et pas encore froissée vu qu'elle n'a pas servi...
- Et puis quoi encore,
- Des mocassins légers et élégants, ceux en liège par exemple.
- D'acccord, mais toi aussi.
- Bien entendu. Moi j'ai une robe en réserve, des nu-pieds qui piétinent dans le coffre du petit camion, et tu vas pas le croire, de quoi me maquiller... un peu...
- Ben dis-donc.
- Nous jouerons aux vieux gros bourgeois repus qui pique-niquent dans le sable.
- Et nous irons tous les deux onduler du popotin à Deauville.
- Oui, mon ami, ce sera très chic, nos derrières en tissu fin, gratté par le sable de Deauville.
- Mais t'es complètement siphonnée, le vent est glacial, les nuages cachent le soleil.
- Non, regarde, le temps qu'on se change, le soleil sera revenu...
- Tu voudrais qu'on dévore nos sandwiches cabourgeais en se caillant sur la plage ?
- Je voudrais qu'on dévore nos sandwiches cabourgeais comme des cabourgeois, un peu déchus peut-être...
Et puis, il serait bon d'user désormais d'un langage un peu plus soutenu lorsque tu me parles, mon ami.
Deauville donc, ville quasi déserte.
Après ce pique-nique idiot, nos costumes retourneront dans la penderie. Tenue plus décontractée pour prendre la magnifique route du bord de mer jusqu'à Honfleur. Honfleur, c'est une petite ville très coquette, très précieuse, très rustique sous ses artifices... Les touristes ici sont agglutinés et les bars bondés. Nous y découvrirons de sympathiques ruelles, un petit port animé, une ambiance estivale. C'est un excellent endroit pour la pause café.
A quelques tours de pneus, longue virée pédestre à travers les marais, et coup d'oeil sur le pont de Normandie.
Dès demain, c'est la Normandie au coeur et le pays d'Auge qui nous attend.
15 juin 2022.
Le petit camion a posé ses pneus en bordure de pré, à l'ombre de grands arbres. Quelle aubaine, c'est une cidrerie magnifique, artisanale et familiale qui va nous accueillir au coeur du pays d'Auge. La météo est au beau fixe, température printanière. Aussi ambitieux que confiant dans son GPS, Laurent nous embarque pour une folle rando vélo jusqu'à Pont l'Evêque. Petite virée deviendra grande !
Il a oublié une donnée essentielle pour notre retour, c'est que ni lui, ni moi, ne nous souvenons du lieu-dit ou du nom de la cidrerie où se cache le petit camion. Quant aux GPS, il a la mémoire qui flanche. Il n'a pas enregistré notre circuit aller. Aucune initiative ce système de positionnement ! Les cartes proposées ne nous inspirent que des questions. Ce sont de toutes petites routes de campagne, peu ou pas fréquentées, qui distribuent une multitude de hameaux, tous plus verdoyants, plus parfumés, plus rustiques les uns que les autres. Et tous les noms se ressemblent, Champois, Champeaux, Champix, les Gautries, Gautraies, Gautrac... Les hurels, huries et hures...Un vrai bonheur de s'y fourvoyer, un vrai bonheur d'y tournicoter, un autre vrai bonheur de retrouver soudain un carrefour entre prés et bosquets qui nous signale "notre" cidrerie, le refuge verdoyant et enchanteur de ce séjour.
16 juin 2022
Petit matin joyeux entre tartine et tartine....
- Dis Laurent, te sens-tu l'âme mystique aujourd'hui ?
- Bien sûr, tous les jours je me sens l'âme mystique. Surtout le dimanche.
- On est jeudi mais c'est pas grave. Dis moi, à quoi ça te fait penser Lisieux ?
- Je sais pas, lisière, liseuse, lisette...euh ... liseresse, liesse...
- Oh, non, c'est pas possible. Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, ça te parle ?
- Ah, oui, bien sûr, ça me parle de Thérèse,
- De Thérèse ?
- Oui, ta soeur.
- Ok, donc serais-tu d'accord pour une étape à Lisieux.
- Si c'est pour ta soeur, avec plaisir.
Sainte Thérèse de l'enfant Jésus, s'appelait Thérèse Martin dans la vie civile (hé oui-je comprends mieux la sympathie de ma soeur pour Lisieux) Louis et Zélie Martin étaient très pieux et deux de leurs filles aînées étaient déjà entrées au carmel avant Thérèse. A 14 ans, elle se destine à la vie monacale, mais elle est trop jeune. Elle n'hésite pas à rencontrer le pape à Rome pour obtenir de lui une dérogation qui lui permette d'entrer à son tour au Carmel à l'âge de 15 ans... Ainsi avancent les caractères entiers et passionnés, rien ne leur résiste. Profondément pieuse et inspirée, elle sera la lumière des nonnes. Elle défend une foi simple du quotidien. La prière se dit dans les actes de tous les jours. Elle écrira beaucoup sur sa foi, ses doutes, avec la formidable puissance mystique qui l'habite.
Une bien jolie perle à méditer :
“La joie intérieure réside au plus intime de l'âme ; on peut aussi bien la posséder dans une obscure prison que dans un palais.” Conseils et souvenirs, 25
Elle avait de belles certitudes la petite sainte.
Se croire soi-même imparfaite et trouver les autres parfaits, voilà le bonheur Conseils et Souvenirs, 25
Mais aussi un dangereux idéal.
Aimer jusqu’à mourir d’amour – Manuscrit C, 7v
C'est une personne extraordinaire, attachante et fragile. Gravement illuminée aussi. Dévorée par la passion et la tuberculeuse, elle meurt à 24 ans, enterrée en toute simplicité, comme elle a vécu.
Elle sera élue Docteur de l'Eglise, en 1997, par Jean Paul II.
Comment la Curie romaine, "congrégation de la cause pour les saints" s'y retrouve pour valider ses miracles au bout de 15 ans. Total mystère. Elle sera bel et bien canonisée en 1925, par PIE XI. C'est à cette occasion que sera construite la basilique de Lisieux, aussi lumineuse que l'humble personne, à laquelle elle est dédiée.
16 juin 2022
Nous voici au coeur du pays fromager. Notre petit camion aime reposer ses pneus dans l'herbe fraîche. Ce sera encore un verger, encore une cidrerie. Une virée vélo s'impose du côté de Livarot....d'abord pour visiter la laiterie industrielle qui nous propose un parcours initiatique parfaitement tracé. Un large couloir vitré nous permet de longer les différents laboratoire et caves d'affinage et suivre ainsi toutes les étapes de transformation des fromages locaux. Ici on produit, le Livarot, c'est le roi des fromages, le Pont l'Evêque et l'incontournable Camembert. Un fromage plus discret aussi, le Neufchâtel. Dégustation, Sélection, Provisions....
Ça va fleurer bon dans le petit camion.
Cet apéritif gourmand nous a mis en appétit. Livarot ville nous accueille pour un pique nique champêtre au bord de La Vie. Je comprends l'attirance d'Alex pour cette petite ville. A la fois, charme et authenticité du pays d'Auge.
Mais n'oublions pas le village le plus réputé de France à travers le monde, grâce à son fromage, Camembert.
Un modeste musée pavoise à l'entrée du village, presque en face de l'église.
Nous flânons entre quelques fermes alignées sur la route principale. Pas âme qui vive, hors un tracteur qui ronronne dans le lointain. Camembert aujourd'hui compte 187 habitants pour une superficie de 10 km2.
Le camembert, fromage savoureux à la croûte fleurie doit son développement à Marie Harel et sa descendance. La légende dit (?) que cette digne femme aurait été conseillée par un prêtre Alençonnais qui fuyait la terreur dans les années 1796-1797. Elle l'aurait caché, il aurait bossé avec elle et lui aurait suggéré une manière différente de traiter ses fromages. Les paysans d'alors, auraient trouvé ce fromage exécrable et boudé son étal sur le marché.
Les anciens normands étaient-ils rebelles à la nouveauté. Ben oui, hein !
Cette réticence locale, a imposé à Marie Harel d'améliorer sa technique et de s'approprier un savoir faire tout personnel, si elle voulait continuer de vendre sa production et pas mourir de faim. Procédé toujours largement exploité aujourd'hui quoique pas mal industrialisé.
Des statues de cette dame remarquable trônent dans quelques villes du Pays d'Auge mais il a fallu attendre 2019 pour que son village s'honore de la sienne. Dans son écrin de verre, la somptueuse réalisation rouge et or (couleurs de Normandie) du sculpteur Nyl's nous éblouit. Cette Camembertoise élégante évoque peu une modeste paysanne des temps anciens mais plutôt un personnage chic prêt à défiler pour nous séduire. Magnifique !
18 juin 2022
Encore une belle étape sympathique d'une soixantaine de kilomètres, mollo, mollo, le petit camion. À quoi bon se précipiter, il fait si bon vivre en pays d'Auge. Nous nous arrêterons à proximité de Vimoutiers, dans une cidrerie, au bord des pommiers en compagnie comme souvent d'un âne affectueux. Je le soupçonne d'être tombé amoureux de Laurent. Mais ceci ne concerne que l'âne en question. Laissons-le à ses sentiments intimes.
L'accueil ici est très personnel. Didier, propriétaire jovial et communicatif vient tailler la bavette à bord, peu importe l'heure, apéro ou pas, il ne boit que l'eau. C'est le comble du cidrier.
- Attention nous dit-il, je suis à la fois pomiculteur et cidrier. Ben oui hein, je produis mes pommes et je fabrique mon cidre.
Jour de canicule normande. Lorsqu'il nous voit arriver, ruisselants de sueurs, d'une longue virée (60km), il nous offre de recharger nos batteries vélo. C'est un homme généreux et sage. Il nous considère un peu comme des illuminés. Vadrouiller sur un vélo, aujourd'hui, y'a que des touristes pour avoir envie de faire ça en pleine fournaise.
Cette exceptionnelle journée d'été, sera d'ailleurs la seule de notre séjour en Normandie. 26 ° de chaleur torride... 30 en début d'après-midi, mais, nous nous étions mis au frais à ce moment-là.
Cette sortie vélo est une voie royale. Elle est ombragée, elle longe des prairies, des champs de luzernes, des vergers. C'est vrai qu'il fait doucement chaud à 9 heures du matin. La brise normande caresse nos mollets.
Une odeur, qui évoque le monde équestre, invisible à travers les arbres, envahit la piste. Des hennissements implorants, des coups de sabots nerveux, qui s'enchaînent et se télescopent. Pas de doute, il s'agit d'un cheval très agité. Pour quelle souffrance ? J'aime pas trop. Je m'arrête et j'écoute. Je ne connais rien du monde chevalin. "Henni" soit qui mal y pense". Mais, ce n'est pas de la détresse que j'entends. Ce cheval module en mode mineur. Ses fins de phrase attendent une réponse. Serait-ce tout simplement l'impatience d'un étalon ? Aurait-il flairé la croupe ondulante d'une jument inaccessible ? Appel en forme de promesse ? Oui, c'est cela plus j'y crois, mieux je me sens. Elle est belle la musique du monde rural. Ben oui hein !
Nous avons roulé une trentaine de kilomètres, jusqu'à une auberge d'allure modeste, auberge de la Levrette à Saint Julien le Faucon. Ça c'est un restaurant extraordinaire. L'auberge est accueillante et fraîche. Nous sommes installés dans une salle à manger où s'exposent des puces, années 1900 à 1960... Orgues mécaniques ou pneumatiques, bastringues, pianos à rouleaux picots ou cartes perforées qui se déplient... une incroyable collection d'automatophones s'expose ici. Les sous-assiettes sont des 78 tours antiques, matériaux gomme-laque noire. Le vinyle n'a été commercialisé qu'après 1950. Nous sommes aussi surpris que charmés par cette ambiance surannée. Catherine, la patronne est à la fois discrète et taquine. Un bonheur de communiquer avec elle.
Lorsque nous avons bu l'apéritif, que nos commandes ont été prises, le silence de la salle à manger explose. Le bastringue et ses marionnettes envoient soudain leur musique rocailleuse. Ça joue magnifiquement faux. Nous restons subjugués, le regard tourné vers l'automate, l'oreille délicieusement grattée par des instruments barbares. Tiens donc, on appelle bien ça des orgues de barbarie pour certains d'entre eux... Ainsi à chaque étape de ce repas exquis, nous serons gratifiés d'une ritournelle ou l'autre d'un limonaire ou piano mécanique. La voix de son maître chevrote et grésille, et c'est délicieusement agaçant.
Plus tard, Michel, chef cuisinier aussi toqué que son chapeau nous fait visiter son antre, "La puce à l'oreille". On y découvre une immense salle de réception, encombrée d'autres instruments joliment restaurés, Quelle visite ! scopitones et limonaires, pianos mécaniques, tourne-disques antiques à pavillon immense, amoncellements de 78 tours, 33 tours ou 45. et autres babioles, dans un décor coloré, parfaitement entretenu. Nous croisons les portraits de célébrités oubliées. Qui se souvient de Lucienne Boyer, de Frehel, de Gaston Ouvrard, d'Enrico Caruso. Nous saluons des vedettes pas encore oubliées, Fernandel, Edith Piaf, Maurice Chevalier, Gainsbourg, Franck Sinatra, ... Marcel Âmont (comme on dit dans mon doux pays des Vosges) Tout un monde de chants et de music-hall. Un peu plus loin, nous retrouvons notre adolescence avec la fougue des rockeurs et des yéyés... C'est vraiment chouette.
Michel et Catherine, c'est un vieux couple incroyable. Aussi vieux que Laurent et moi. C'est vous dire !
Ils ont mis au point des soirées où tous les mécanismes se déchaînent.
- Pour animer les fiestas que nous organisons, j'arrive dans la salle sur un solex. J'ai troqué mon costume blanc de cuisinier contre la soutane noire et ma toque contre la barrette du curé. Ma femme, les instruments et moi nous assurons un spectacle loufoque et déchaîné.
Il coiffe son chapeau barrette, enjambe un tabouret. Il enclenche un piano mécanique dont l'engrenage discret nous échappe et fait semblant de jouer avec fougue et passion.... un air de Mozart grince e résonne dans les nombreux pavillons des phonographes qui nous entourent... Quel monde ! Clin d'oeil réjoui d'un boute-en-train fort divertissant. Nous avons passé avec lui, une bonne heure et demie très rigolote.
Michel nous a conseillé un détour par la Suisse Normande... que nous conseille aussi Didier le cidrier... Départ imminent....
Paroles de fromagers, richesses de Normandes laitières :
C'est un fromage à pâte molle et à croûte lavée, sableuse au toucher, d’un beau jaune-orangé. C’est un fromage de caractère à l’arôme prononcé et au goût puissant, évoquant la charcuterie fumée et des notes animales avec un affinage avancé. On le surnomme le Colonel en raison des cinq bandelettes qui l’entourent, originellement pour l’empêcher de s’affaisser durant son affinage. Ces bandelettes sont fabriquées à partir de laîches, des roseaux de marécage récoltés dans des lagunes, rassemblées en gerbe puis mises à sécher.
LE PONT L'EVÊQUE, un fromage qui a du piquant.
C’est un fromage de forme carré. Sa pâte est onctueuse, crémeuse, jaune, de consistance fine et lisse. Sa croûte est fine avec un léger duvet blanc sur une pâte très légèrement rougeâtre. Au fur et a mesure qu’il vieilli, il se corse et développe des arômes terreux et prononcé. Sa croûte rougit et devient collante.
LE CAMEMBERT, un symbole de la gastronomie française
Il est cyclindrique. Sa croûte fleurie de couleur blanche est couverte de moisissures superficielles. Sa pâte et ivoire à jaune clair, lisse, souple. ll présente des arômes légèrement salés de champignons et de moisissure, puis des arômes plus francs et fermiers avec davantage d’affinage, qui donnent par la suite des saveurs plus fruitées. En 1890, un ingénieur, dénommé Ridel, fils d'un ébénistre de Vimoutiers, invente une machine à fabriquer des boîtes rondes en peuplier, emballage toujours actuel.
LE NEUFCHÂTEL, un fromage qui a bon caractère.
Traditionnellement en forme de coeur. On peut aussi le trouver en carré ou en forme de bonde cylindrique. C'est un fromage légèrement salé à croûte fleurie recouverte d'un duvet blanc. Sa pâte est lisse et ferme mais elle reste souple, onctueuse et moelleuse. Encore jeune, le Neufchâtel se caractérise par un équilibre en bouche très frais établi à partir des saveurs acides et salées, des arômes de crème et de lait frais. La pâte est friable sous la langue. En prolongeant l'affinage, la croûte va se couvrir de taches des ferments du rouge, la texture va évoluer et devenir fondante. La fraîcheur va s’estomper pour laisser la place à des arômes plus prononcés, plus animaux.
La Suisse Normande, culmine à des sommets de 200 mètres d'altitude, moyenne plutôt à 170 mètres. C'est donc un environnement vallonné. Mais c'est surtout la vallée de l'Orne et de ses multiples ruisseaux qui ont ciselé les roches. C'est un paysage de dentelles enfouies dans les herbes et les branchages.. Les maisons posées dans cette verdure sont souvent en pierre claire, les jardins engazonnés parfaitement entretenus, pas une herbe folle. Belles demeures paysannes, manoirs à tourelles... C'est propre, c'est léché, une surprenante évocation de la Suisse. C'est le paradis du vélo.
18 JUIN 2022.
C'est par la ville de Falaise que nous entrons en Suisse Normande sous une pluie diluvienne. Choix d'un vaste camping municipal aux pieds des remparts, beaucoup de vide dans ce camping verdoyant. Le soleil tente une approche.
- Wouha, dis-donc, c'est pas la place qui manque ici. La saison touristique a du mal à démarrer on dirait. ?
Laurent avise un bel espace herbeux, fraîchement tondu, proche des sanitaires.
- Nous serons bien ici, en plus y'aura l'ombre des arbres l'après-midi...
- Tu crois qu'on aura besoin d'ombre, regarde le ciel.
- Si, si , si, encore un petit orage cette nuit mais demain il fera grand beau temps. C'est la météo agricole qui le dit.
- Oh, alors si la météo agricole le dit !
Manoeuvre facile, les espaces sont immenses. Je chausse ses sabots au petit camion. Laurent sort son antenne télé, qui ronronne et tournicote tout azimuts un long moment et... se replie. Bip, bip, bip dit-elle, pas de réception ici...Hé oui, les arbres font écran...et pas qu'au soleil. Laurent observe les espaces vides autour de nous, il se gratte les cheveux, attention il cogite dur.
- Faut qu'on déménage. C'est ballot de pas avoir la télé.
- Vraiment ! on la regarde si peu.
- On sait jamais. Et puis, si la pluie persiste, on a quelques films en réserve.
- Super, pourvu qu'il pleuve alors.
- Rigole, tu verras, c'est toi qui demanderas.
Nouvelles manoeuvres, nouvelle place. Malgré les cales, le petit camion donne de la bande à bâbord. C'est moche un camion qui gîte. On peut trouver mieux non ? Quelques tours de roues plus loin, zut nous sommes bien loin des sanitaires. Un p'tit tour dans les allées, voilà le lieu idéal. Il est quasi plat, sur une terrasse un peu en hauteur, sous un marronnier géant, vue imprenable sur le château... aucun voisin.
Très romantique notre soirée face aux flambeaux qui illuminent les remparts et les murs austères du château. Quoique, un peu fraîche, la soirée.
Au milieu de la nuit, la petite tempête annoncée se durcit. La météo agricole l'avait bien dit. Le vent ébouriffe les arbres. Les branches mènent la danse et la grêle sur le toit marque le tempo.
Super ambiance ! Ploc, ploc, ploc, cric, crac , ploc, ploc, ploc, cric boum....
- Laurent tu dors ?
- Comment veux-tu avec ce boucan ?
- Y'a pas que la pluie qui nous tombe dessus.
- T'as raison, je crois que notre toit fait sa récolte de bébés marrons.
- T'entends les branches basses qui récurent le toit ! Oh là, là, ça craint !
- Ouhais, j'aime pas ça du tout.
- On déménage ?
J'ai même pas posé le point d'interrogation que Laurent est déjà debout. En trois enjambées très lestes, il enfile un caleçon et se met au volant. Vite je me harnache anti-pluie. Je me jette dehors, dans les bourrasques. Le vent ronfle en puissantes rafales. Au loin, le tonnerre gronde. Très haut dans le ciel, les nuages qui se télescopent jettent quelques lueurs fugaces. Je suis nus-pieds, en pyjama, emballée dans un poncho dont la capuche ruisselle sur mon nez. La pluie me martèle le visage. Je suis complètement aveuglée par les phares. Laurent, le nez collé au pare-brise avance petitement, puis s'arrête. Il faut qu'il recule pour sortir de son emplacement. Je lui fais signe que je me range à son arrière tribord. Je dois repérer les branches trop basses et les éventuels obstacles, invisibles pour le pilote qui ne dispose pas de rétro intérieur... Ben oui hein ! Il faut avoir piloté cet engin pour réaliser que la vue arrière de la cabine est bouchée par l'habitacle. C'est un inconvénient majeur pour manoeuvrer. La caméra de recul ne montre que le sol et l'arrière du camion. Elle ne voit pas plus loin que le bas de son nez. Les risques d'accrochage sont hélas aussi en hauteur. Donc en reculade, c'est moi, le rétro. Je deviens sémaphore. J'adore ça. Laurent se plie sur son volant pour décrypter dans le rétro extérieur le bel alphabet que je lui dessine dans l'espace.
Vite au sec. Il est cinq heures et j'ai sommeil.
19 juin 2020
Nous prendrons notre petit déjeuner dehors sous le soleil du matin, emballés dans nos lainages.
À 10 heures, nous partons à l'assaut de Falaise. Longue montée vers la cité médiévale qui encercle le château forteresse (Xème siècle) de Guillaume le Conquérant, qui deviendra roi d'Angleterre. Une photo s'impose du fougueux roi sur son cheval armé. Il parade en face de la Mairie. Il ferait un peu peur.
Dimanche de Province. La ville est endormie, peu de monde dans les rues. Les boutiques sont désertes. Les portes sont closes. Seules des lampes discrètes éclairent les vitrines. Il n'y a pas un seul rideau de fer qui soit descendu. Les magasins ne sont pas barricadés. La ville n'est pas morte comme souvent ailleurs avec des rideaux de fer sinistres, qui bouchent les vitrines. Elles est juste endormie. Ambiance tranquille oubliée d'un dimanche urbain.
Nous flânons le long de l'Ante qui s'ouvre au bord du château de la Fresnaye, XVII-XVIIIème siècle. Ces immenses salles hébergent des expositions temporaires, des masters class, des artistes en résidence. En ce jour gris, Le grand parc est encombré de stands. Un vide-grenier géant s'y est installé. Peut-être pourrons-nous y boire un café... Entre les gouttes, nous déambulons dans les allées. Quelques chalands s'attardent au stand "café-grillades". Le bar ne fera guère d'affaires aujourd'hui. Il faut un certain talent et de la persévérance pour fouiner sous les bâches. Un soupçon d'éclaircie, vite on débâche. Nos cirés dégoulinent, et nous échangeons des banalités réjouissantes avec les exposants et les badauds. Les normands ne sont pas bêcheurs, ils ont l'âme rurale ou bien ouvrière, propre et honnête, un rien moqueuse. La pluie fait partie de leur quotidien, pas de quoi rendre la vie morose. Je me sens en confiance. Il y a en eux des ondes familières... Un peu de mon doux pays des Vosges, probablement.
20 juin 2022
Nouveau départ, vers le nord... plusieurs journées clémentes sont annoncées (par la météo agricole, bien entendu) Nous prévoyons de découvrir en vélo cette belle vallée de l'Orne, joyau de la Suisse Normande. A Saint Rémy, une aire municipale est ouverte au bord de la voie verte. Donc nous enfourchons nos bicyclettes.
Notre piste cyclable longe une ancienne voie ferrée qui serpente à travers la vallée. Nous devinons des ruines d'usines, briqueterie et métallurgie. D'immenses colonnes bouffées de rouille, des poutres explosées, des toits dévastés se disputent l'encombrement végétal. La bordure s'éclaircit. Une magnifique maison de maîtres, entourée d'un grand jardin à la française s'étale juste à côté de ce qui fut une usine... Et nous replongeons dans l'ombre des chênes, des hêtres, noisetiers et robiniers. De hautes fougères cachent la vie rurale qui nous entoure.
Un coq trompette au milieu de caquètements. Pour motiver la ponte des poules ? Les oiseaux en concert font silence dominés par les trilles vibrantes du rossignol. Une pause dans les trilles, le concert reprend.
Une sympathique odeur de laits fermentés nous fond dessus. Quelques tours de roues, le fond de l'air s'allège. C'est alors une fragrance acidulé de pommes, ... Laiteries, cidreries, cette vallée nous plonge dans des bouquets d'arômes. Je roule dans une totale ivresse.
Nous longeons l'Orne, autre ambiance. Ses rives ici sont dédiées à une multitude de loisirs aquatiques, rafting, canoying, navigations légère, pédalos, paddles, nages en eau vive, et bien entendu la pêche. Des bivouacs y sont matérialisés en grands nombres, pour les sportifs et les randonneurs. Solitaires ou en groupes, tous les accueil sont prévus, pour tous les goûts, toutes les bourses. C'est la première fois que je vois ça. Peu de touristes encore. C'est très tranquille. Un vrai paradis. C'est ballot, j'ai pas pensé à prendre un maillot de bain.
Notre boucle passe par Clécy, et son célèbre viaduc. Nous revenons Le Bô, le Pain de Sucre, Thury Harcourt... Détours et contours, un peu déroutants quelquefois. Entre Thury Harcourt et Grimbosq, un feu clignote au bord de la voie ferrée abandonnée... Ralentissement, arrêt... Un panneau annonce Tunnel du Hom. Nous n'avons pas le choix, notre voie deviens souterraine. Fichtre ! Il y fait complètement nuit, sur presque 200 mètres... J'en mène pas large, ma lumière n'éclaire que ma roue avant, la voie est caillouteuse. Je crains de frôler les rails et de me vautrer. Petitement, j'avance en serrant les fesses. Y'a belle lurette que Laurent a retrouvé la lumière du jour lorsque j'émerge enfin de ce cauchemar. Il m'attend tout sourire sous un panneau, que nous n'avons pas vu à l'entrée : "cyclistes mettez pied à terre pour passer le tunnel".
Tiens donc !
Mercredi 22 juin
Entre tartine et tartine, petit matin doucereux,
- Dis Laurent, ça fait plus d'un mois que nous sommes partis. Tu veux t'attarder ici ou tu préfères rentrer ?
- T'as pas envie de retrouver notre petite maison de Velaux ?
Ça c'est Laurent ! Il répond souvent à une question par une autre question. Je ne m'y ferai jamais. Question directe, légèrement orientée cependant.
- J'ai pas envie de rentrer. Et toi ?
- Je suis bien ici, mais je serai bien aussi à la maison.
Traduction, il a envie de rentrer. Je vais donc devoir quitter cette vie de vadrouille qui me convient si bien. Un jour ici, un autre là. Ne pas savoir l'après-midi où je dormirai le soir. Improviser des repas simples avec ce qu'on a, et souvent fort peu de choses. Le frigo n'est pas vaste. Rencontrer une brave personne, papoter quelques minutes et se quitter le sourire aux lèvres. Découvrir d'autres mondes, d'autres quotidiens. Et de longues virées vélo, ou pédestres. Lire ou écouter de la musique les jours de pluie. Qui sont finalement assez rares, même si le ciel est souvent gris. N'avoir que ça à faire... Peut-on rêver de meilleure vie ?
J'aime pas les retours, sentiment désolant de perte définitive.
Laurent me rassure.
- Oh, les vacances sont pas finies ! Y'a encore juillet qui est même pas commencé. Moi, j'ai envie de traîner en route. On va flâner en Touraine, dans le Cantal, dans les Cévennes...
Je négocie pour la forme.
- Maximum, 100 kilomètre entre deux étapes. Ça te va.
- Ça me va. Allez zou,
24 juin. Départ en douceur donc.
Notre première étape vers le sud sera à 40 km. Ça c'est de la distance !
Saint Christophe le Jojolet au sud d'Argentan. C'est la pause obligée des automobilistes, motards, vélocyclistes, des errants, et des "éperdus"... Saint Christophe étant le saint patron des voyageurs et des routards. Deux fois par an, un pèlerinage lui est dédié dans cette petite église nichée dans un vaste parc aujourd'hui désert. Laurent toujours attentif à mes petits bonheurs me propose un concert flûte, dans le choeur de l'église.
Image troublante, émouvante de Laurent qui entre dans l'église avec sa flûte à l'épaule, et les partitions en mains. J'entre derrière lui. Calée au fond de l'église, je me laisse porter par des lieux imprégnés de tant de prières. Laurent devant l'autel à trouvé un lutrin. Il feuillette son répertoire. ll ajuste sa flûte. Soudain, un son cristallin fuse à travers les pierres, puis les notes s'enchaînent sans hésitation. Je retiens mon souffle. Il va se lancer dans une impro. Dégringolade de notes qui cherchent à s'équilibrer. Le léger écho entre les voûtes (l'église n'est pas bien grande) donne de l'ampleur, de la profondeur aux aigus qui filent allègrement. Les graves reprennent, délicieusement feutrés, plus sages, et la montée reprend. Des mélopées nostalgiques, des hésitations comme s'il prenait son élan pour de tendres cascades. Quel heureux moment !
Ici s'achève joliment, notre tour de Normandie. Et un nouveau cap pour découvrir autrement, des régions déjà évoquées dans d'autres Coucounets, La Touraine, La Mayenne, Le Cantal, Les Cévennes.
Pendant ce long retour, Laurent investit d'autres églises ouvertes, souvent dans des petits villages. Il déniche d'autres campagnes, d'autres sympathiques accueils avec d'autres vélo-circuits ou pédestres. Pour le petit camion, d'heureux "mouillages" en forêts, en prairies, au bord d'un lac, le long d'une falaise... Autant d'aubaines, petits bonheurs semés sur cette route, qui nous ramènent mine de rien vers l'été provençal.