En Provence et Ailleurs...
vendredi 23 mai.
Nous quittons notre refuge du marais de Saint Omer sans la moindre idée de l’idée où nous ranger le soir. C'est notre luxe à tous les deux, improviser l'étape du soir comme nous portent nos pneus, quand ça nous chante. Je remarque aussi que nous sommes incapables de séjourner à un endroit, aussi agréable qu'il soit. Une nuit, deux au maximum et nous éprouvons tous les deux le besoin de décamper... Ailleurs, une autre forme de vie. C'est chouette. Car pas loin d'ici, on se la coule douce à marée basse.
Nous posons le petit camion à quelques pas du Cap Blanc Nez, dans un camping de rêve quasi désert. Première visite à pied. Bien entendu nous dominons la mer depuis le haut de la falaise crayeuse (134 mètres) . Le temps est maussade, pas de touristes pour parasiter cet incroyable espace. Un escalier a été ouvert pour permettre la descente sur l’immense plage. La mer est en « retirage » comme on dirait dans mon doux pays des Vosges. Nous restons fascinés par la hauteur de ces murailles.
De vrais HLM . Les mouettes ont loué les étage inférieurs pour la saison. Le vol des gardiennes qui croisent leurs cercles en poussant des cris rauques signalent les nurseries. Les étages supérieurs sont habités par les grands cormorans noirs qui tiennent leur distance de sécurité avec les mouettes. Gare à celui qui volerait trop bas.
Au sol une armée d’oiseaux adultes prennent un bain de siège dans les flaques de la marée descendante. C’est une affaire sérieuse car les oiseaux très concentrés, n’émettent aucun son. Soudain, un signal secret est donné et c'est l'envolée d'un immense nuage de mouettes blanches qui nous passe par dessus la tête. Plus loin, le va et vient constant de ceux et celles qui cherchent pitance dans le sable pour les petits.
Le paysage est d’une incroyable variété de couleurs. Des grosses roches plates et rondes s’étalent sur le sable. Leurs coiffes d’algues vertes ont été soigneusement brossées par les mouvements de la marée.
La mer toute proche brille sous le soleil. Il faut imaginer l’impressionnante hauteur de la falaise, la multitude d’oiseaux qui vaquent à ses affaires parentales et les nuées de vols blancs qui illuminent la plage pour mesurer la splendeur de ces images.
Ce monde nous change considérablement de l’ambiance des marais. Un autre charme que nous goûtons sans modération.
Le Cap Gris Nez nous attend. Une rando vélo s’impose. Nous partons à sa découverte (environ 30 mètres, 40 au plus haut) Quel circuit ! Nous circulons à travers des pistes vélo, des voies vertes, des petites routes champêtres, pour nous tout seuls. Un incroyable sentiment de vastitude qui donne envie de s' envoler. Les dunes de champs immenses s’étalent à perte de vue. Elles s’arrondissent en pentes vertigineuses, se rejoignent dans les creux et remontent. C’est un pays agricole qui domine la mer.
Quelquefois, notre piste se borde de bois.
Nous plongeons dans une vallée, lorsque nous débouchons de ce labyrinthe, la lumière nous éblouit. Nous retrouvons les immenses champs verts, au loin une bande de mer qui longe la côte anglaise semée de petits points colorés. Ce sont les ferry et cargos qui circulent dans cette espèce de ruban bleu. C’est un pays en montagnes russes. On descend le long d’une dune pendant un kilomètre voire deux, puis il faut remonter pour attaquer la dune suivante, et c’est raide. Surtout que nous économisons les batteries pour pouvoir rentrer avec.
Baie de Somme- Nous nous abritons dans la banlieue de Berck sur Mer sous des pluies torrentielles. Toujours isolés et parfaitement heureux.
-Regarde, une éclaircie. On part en vélo.
- D’accord on va où ?
- Chiche on va à la rencontre des phoques !
Installés dans la baie d’Authie, les phoques se vautrent à marée basse dans toute la baie, allongés sur les roches plates. Ils sont visibles depuis une longue digue, mais à distance plus que respectable des humains. Ce sont des animaux farouches et les humains sont stupides. Ils s’imaginent pouvoir les approcher et se risquent dans l’eau. Leur curiosité inutile repousse les phoques toujours plus loin sur d'autres bandes découvertes. C’est dommage. Malgré ça, c’est un grand moment de rêve. Leur manière de se déplacer à terre en se tirant sur leurs nageoires à une vitesse incroyable. Leur manière de plonger, nager à toute allure en soulevant des gerbes d’écume, puis de disparaître sous les eaux pour réapparaître là où on ne les attend pas. Leur manière de se croiser dans l’eau, de se télescoper.
Dimanche 26 mai 2024, Le Crotoy
Dimanche de fête pour les mamans alors forcément je pense un peu plus que d’habitude à mes enfants, qui eux aussi pensent à moi, et me le disent. Quel bonheur la famille !
- Trésor, ça te dirait une grande rando pédestre et originale pour fêter ça ?
- Bien sûr, mais originale en quoi ?
- Je me déconnecte, je t’impose pas le Gps.
- Vraiment ?
- Vraiment. On va juste suivre un sentier balisé
C’est un départ grandiose, nous circulons sur un sentier très confortable à travers des forêts de dunes, comment dire, des dunes couvertes de forêts. Les pinèdes très claires, au sol taché de sable se mélangent avec les érables enchevêtrés dans des feuillus fouillis. On monte et on descend dans ces dunes sylvestres. Quelquefois on les contourne. J’ai fréquenté des tas de forêts et des quantité de bois, mais jamais sous ce format là. J’adore.
Et puis d’un coup, le sable. Une belle montée qui dérape et nous nous trouvons face à la mer que nous dominons d’une belle hauteur. C’est grandiose.
Nous restons un long moment, le cul dans le sable à l'abri du vent, contemplatifs et silencieux. On se lève, Laurent me montre une allée dans le sable,
- Le retour doit être ici, à droite, on va rejoindre une piste plus large.
- Et comment tu sais ça ?
- Parce que le circuit fait une boucle et que ça continue par là...pour rejoindre la forêt.
Les broussailles s’épaississent, notre allée devient un layon… il faudrait un coupe-coupe… Et nous n’avons ni le couteau suisse de MacGyver, ni même un opinel… quant au sentier… J’imite la voix suave du GPS
- Recalcule de votre itinéraire… Faites demi-tour dès que possible !
On continue cependant,
- Regarde une trouée verte. C’est bon signe, allons-y.
- Crotazut, c’est des marais…regarde y’a de l’eau partout.
Nous voilà à patauger avec précaution dans de l’herbe instable et de l’eau jusqu’aux chevilles quelquefois. Je ronchonne. Laurent se marre.
- Chut ! Si on réveille la sorcière des marais, on en sortira pas...
À peine le temps de finir sa phrase, le terrain par magie, redevient sec, et nous longeons de nouveau la forêt.
Nous voilà sauvés, sauf que nous butons sur une clôture qui n’en finit pas. Et d’un coup la fameuse piste apparaît mais de l’autre côté du grillage, nous continuons à le longer.
Une jolie dame qui tient ses deux chiens en laisse, apparaît de l’autre côté, sur la piste.
- Bonjour, vous êtes prisonniers de la sorcière ?
- Un peu, bonjour, y'a une sortie quelque part ?
- Cherchez pas vous tournerez en rond le long de la clôture. Y’a pas de sortie.
Elle rigole de bon coeur.
- J’ai fait comme vous. Des gendarmes qui passaient par là, m’ont dit que la seule solution c’est de se glisser sous le fil.
Je vous laisse imaginer le cirque. Rien que pour rejoindre le sol avec mes genoux arthrosiques. Et puis, ramper sur le ventre, me contorsionner, me plier, gémir et rigoler en même temps, et mes bourrelets de cellulite qui coincent sous mes vêtements. Oh là, là !
Le retour par la magnifique forêt de dunes m’a redonné la forme, enfin presque. Je sais pas où était la sorcière mais le ciel était avec nous. Du grand vrai beau temps, première météo de luxe depuis notre départ.
Nous envisageons des mondes plus civilisés prochainement... Rouen, routes non déterminées....
Nous venons de revêtir nos costumes de touristes urbains. Pas trop habitués mais c’est le changement qui fait la diversité des sensations, n’est ce pas ? Notre circuit longe la mer, gris sur gris, ciel est mer confondus dans la même ambiance nuageuse.
Jolie ville de marins pêcheurs du Tréport. Laurent y fera une orgie de moules marinières succulentes… Imaginez son regard comblé vers la marmite qui se remplit de coquilles vides.
La météo reste toujours pluvieuse, autant faire de la route. Rouen magnifique ville au lourd passé historique. C’est la faute à Jeanne d’Arc. Quelle idée, une nana, que dis-je, une gamine, qui se mêle de politique et de stratégie militaire. Ça ne pouvait que mal finir en ce temps là.
La cathédrale est magnifique mais n'a guère protégé Jeanne d'Arc. C'est bien la peine d'afficher une telle prétention.
Une pause mystique à l’abbaye de Bel Helloin, bien plus sereine. Encore un espace idéal pour une nuitée de total apaisement.
- Dis Laurent, une cidrerie normande ça vaut bien un p’tit détour, non ?
- Oh, que si, l’été finira par arriver, faut prévoir la désaltération
Cap sur la cidrerie Gautard, nous voilà en terrain connu. On nous offrira un accueil de rêve où reposer le petit camion. Les pneus dans la prairie comme dans de la moquette.
Visite agréable d’Alençon. Chouette ville dominée par son château, riche d’une cathédrale romane aussi sobre qu’imposante. Nous flânons dans d’incroyables zones piétonnes. Une bien jolie ville. J’ai guetté en vain les vitrines, nulle trace des somptueuses dentelles aux aiguilles qui ont fait la réputation de la ville. Mais où donc s’est perdu le point d’Alençon ?
Nous entrons dans l’incroyable espace du circuit du Mans. Laurent s’engage dans une portion de route bordée de glissière, avec un grand sourire
- Regarde, y’a une portion du circuit qui est publique. On y plonge ?
- T’es fou, on va pas faire ça avec le camping car.
- Bien sûr que si, on peut cartonner au moins à 130…
C’est plutôt sympa. On est seul sur cette portion de piste. On longe les tribunes, les espaces ateliers, les dégagements pour les coureurs, d’autres tribunes… un immense parking pour des milliers de véhicules, un autre dédié aux bus et aux semi-remorques...
On finit par se garer vraiment excités.
- C'est pas prochainement les 24 h ?
- whoua ! T'imagines, les parkings géants pour des milliers de voitures, de bus, qui grouillent et qui puent. Des queues qui s'effilochent et des gens qui crient, les hauts parleurs qui hurlent...
- Et nous on sera peinard dans nos fauteuils, ce sera chouette. Peut-être qu'on reconnaîtra "notre" portion de circuit ?
La visite passionnante du musée nous calmera vite pour des sensations plus contemplatives.
Il faut cependant songer à allonger le pas. Les étapes se multiplient, la météo reste pessimiste globalement, et on avance guère. Nous sommes attendus en Touraine, juste au moment où il fera beau. Faut pas mollir. Une dernière nuit solitaire, pleine forêt en Anjou, au bord du lac des Loges, nous comblera de zénitude, entre deux averses.
La Touraine enfin nous accueille avec ses gigantesques forêts si claires, où percent les tours élégantes de l'un ou l'autre château renaissance. Nous retrouvons ses champs de blé et de maïs. Et ses prairies fleuries, mille couleurs qui éclaboussent la verdure. Mais surtout les incontournables vignes du Bourgueil, mon tourangeau favori.
Et puis les doux moments, les heureux moments avec nos amis. Ils se décarcassent pour nous faire découvrir de nouveaux aspects de cette belle Touraine. En vélo, Pascal et Nathalie nous embarquent dans leur sillage. Oh là, là que les bords de Loire sont devenus paisibles et divertissants. Et puis, nos délicats amis n'ont pas oublié l'incontournable andouillette Hardoin. Plus tard, ce sera à pied, avec Dandom, autour de la Morelière pour des moments de débauche botanistique. C’est la faute aux grenouilles qui n’en finissent pas de copuler en chantant. Ah l’explosion de « messiculture » de Dominique. Mais plus loin aussi, lac de Rillé, musikenfête à Montoire, village troglodyte de Lavardin. Nous savourons ces moments avec euphorie. Si vous passez par la Touraine, ces lieux méritent le détour.
Le potager de Dany est un peu en détresse, quelques vestiges de chou rave, de betteraves, de salade... Jamais le potager n'abandonne. On s’émerveille, on papote, on rigole… On passe du bon temps, du très bon temps, rien que de l’excellent temps. On "gastrotte" aussi… aÏe, aïe, aïe. En Touraine, les coutures des culottes coincent aux entournures.
Dans ma petite musette, je cache un bouquet d’Amourettes pour me souvenir de la délicatesse de toutes ces amitiés. Autour de la Morelière, un vrai harem d'Orlayas les plus belles des fleurs sauvages. Les traîtresses ont séduit Laurent. Leur finesse toute en dentelle, leur blanc éclatant de pureté, leur maintien de princesses… Un charme irrésistible, comment résister ? Merveille qui me rend humble.
Retour par la Creuse qui nous inspire encore de sympathiques pauses dont Laurent a le secret. C'est si bon, pour moi de me fier à lui, sans me poser de question. Seule certitude, je découvrirai des enchantements.
La pluie revient en force, cap vers le sud, mais d'abord La Lozère qui nous retient toujours un peu plus... Splendide région ! Nous flânons volontiers dans la Margeride. Nous sommes attirés, retenus par son isolement, par ses montagnes de granit, ses forêts immenses, ses hameaux discrets en lauzes sombres. (Pour rappel c'est pas loin d'ici, que le pont du rail "garabit" de Gustave EIffel enjambe la Truyère).
Nouvelle pause en total isolement. Le petit camion a retrouvé son espace favori. Faut dire qu'il en a brouté du bitume. Les berges de la Truyère lui feront le plus grand bien. Pendant que nous autres pélerins mécréants, bâtons en appui, nous repartons en campagne. Notre objectif : Le Malzieu. Un village enchanteur, imprégné du monde médiéval et d'air pur (800m d'altitude). Il mériterait de s'exporter au delà des frontières de la Lozère.
Prochaine étape, Velaux, déjà !
J'aimerais bien que la voix suave du GPS nous souffle, "faites demi-tour dès que possible"
Le 20 mai 2024
A Esquelbecq, nos amis éphémères nous ont conseillé un p’tit détour par l’Audomarois, (qualification de ce qui existe autour de Saint Omer, dont ses habitants). Nous sommes tous les deux saturés du monde urbanisé, alors nous évitons Saint Omer. Faut pas dévorer tous les plaisirs du premier coup.
Nous trouvons un sympathique camping minimaliste mais ultra-propre, à Tilques au bord des marais. Nous partageons cette belle campagne avec les blondes flamandes qui broutent leur prairie sans s’émouvoir de patauger dans l’herbe humide. Une compagnie dont je ne me lasse pas.
Comme de grosses pluies sont annoncées pour demain, le patron nous conseille et nous prête des semelles « anti-enlisage » sous les roues avant du petit camion. Sorte de patins en tôle sur lesquels reposent les pneus et et les empêchent de s’enfoncer. Nous voilà bien chaussés pour affronter le gazon boueux.
En attendant, en ce bel après-midi ensoleillé, nous sortons les vélos pour partir le long du sentier du Lansbergue. Sympathique rivière qui prend son temps pour rejoindre le canal de l’Aa (cher aux cruciverbistes) et va se noyer dans la mer du Nord.
Nous croisons des pêcheurs insouciants, des promeneurs nonchalants, des enfants joyeux, des barques somnolentes, des pontons isolés, de riches résidences, et des prairies et des forêts. Les vélos sont rares. Ouf !
Laurent s’arrête soudain, je pile derrière lui.
- Oh, faut prévenir quand tu t’arrêtes. J’ai failli me vautrer sur toi.
- Désolé, je viens juste de repérer le bac qui nous permettra de passer sur l’autre rive.
- Le bac, on doit prendre un bac ?
- Oui, regarde en face, je vais l’appeler.
- Mais y’a pas un chat en vue. Tu risques pas de trouver un pilote
- C’est un bac à chaînes. Pas besoin de pilote.
- Un bac à chaînes ?
- Oui, la navette est reliée aux berges par deux chaînes qui font la largeur de la rivière. Si le bac est du bon côté, il suffit de monter à bord et de se tirer avec la chaîne sur l’autre rive. Sinon, il faut ramener la barque à soi en tirant sur la chaîne fixée au ponton.
La manip semble facile, mais la barque ne m’inspire pas. Ça ressemble de loin à une cuvette en bois géante dont les fonds plats sont pleins d’eau. Et puis, elle est pas de première jeunesse cette barcasse. Le ponton ne vaut guère mieux.
Je m’approche avec précaution de notre débarcadère.
- T’as vu l’état du ponton. Avec le poids des vélos, on va passer à travers avant d’avoir posé un pied dans la caisse à savon.
Mais Laurent aime bien les défis technologiques. Il prend les commandes. Il ramène facilement ce baquet hors d’âge jusqu’à nous.
- Monte à bord et retiens la navette pendant que je monte ton vélo à bord.
La manœuvre n’est pas si simple. Les vélos assistés sont lourds. Mais ça se passe bien pour le premier. Plus compliqué pour le deuxième. La béquille baissée se coince dans le bois du ponton et Laurent n’arrive pas à dégager le vélo. Je me précipite pour l’aider. Le bac libéré recule. Grand écart et hurlement.
- Qué s tu fais ? Retiens le bateau.
Je lâche le vélo qui fait une étonnante référence, une roue dans le fond de la barcasse, l'autre dans le vide, le côté le plus lourd bien sûr. Je tire à fond sur la chaîne. La foutue barque ne bouge pas d’un poil. C’est une vision étrange, d’un vélo, guidon de travers, qui fait ponton entre la berge et cette sorte de baquet et Laurent qui fulmine, un pied sur la berge, un pied sur le plat du bateau pour retenir le vélo…
Je tire un grand coup et le baquet cogne avec violence le ponton. Plouf, La planche d’accostage tombe à l’eau. Laurent a juste le temps de s’affaler sur les vélos.
Je hurle de rire. Guère charitable !
La photo zénitude, c'est avant qu'on entreprenne notre embarquement.
Quelques tours de roues plus loin.
- T’as libéré la chaîne avant de partir ?
- Heu, je sais pas, peut-être
- … Ou peut-être pas ?
Nous sommes maladroits mais pas insouciants. Demi-tour pour nous assurer que les prochains usagers de la barcasse pourront la récupérer quel que soit le côté de leur embarquement. Ouf, le cuveau se berce mollement au milieu du canal, y’a pas d’embarcation plus libre dans ce monde difficile.
Nouvelle facétie Gps. Nous nous trouvons au bout d’une impasse, faut faire demi-tour et repasser le bac à chaînes… Non ! Si, si, si !
Nous avons la chance d’y rejoindre deux locaux habitués de la manœuvre. Notre embarquement se fait sans histoire, à quatre c’est fastoche, enfin trois. Moi, j'ai pour habitude de laisser faire ceux qui savent. Quelques minutes de traversée. Nous papotons gentiment...
- C’est la première fois que vous prenez ce bac ?
- Non, non l’avons déjà pris dans l’autre sens.
- Ah, pas évident avec des vélos aussi lourds, vous avez dû galérer.
- Non, pensez-vous, aucun problème.
Laurent me jette un regard qui rigole.
- Et puis, ma femme était là pour m’aider… !
Mercredi 22 mai
Nouvel endroit idéal. Un petit village noyé au coeur du marais, CLAIRMARAIS. Nous prenons le temps de visiter l'église de briques roses. Elles sont particulières ici les églises. Elles sont très sobres et massives. Leur clocher carré semble chétif. Ce sont de belles matrones, toutes sur le même modèle. Je les aime bien.
Nous parquons le petit camion au fond d'un site dédié au marais et à sa découverte. La vue est imprenable sur les canaux et les prairies. Nous voilà seuls au fond du monde. Nous y passerons deux nuits, le temps de réserver une embarcation pour un tour dans l’eau, le lendemain sous le soleil, paraît-il. Ça vaut la peine de s’attarder.
Pour l'heure il pleut à seaux. Moment idéal pour fréquenter l'estaminet du village (sorte de taverne). Nous allons nous frotter à la gastronomie locale, le welsh.
Le welsh, c’est un gratin savoureux de tranches de pain trempées dans la bière brune, couvertes de jambon (ou dans notre cas, plus festif, d’aiguillettes de porcelet confites, épice moutarde) le tout enseveli sous une incroyable couche de cheddar. On peut l’enrichir d’oeufs mais nous l’avons évité. Un festin recommandé à midi et bien à jeun. Nous étions prévenus, tout va bien.
Comme prévu, exploration du marais audomarois à bord d'une barque traditionnelle, le bacôve, qui servait dans l'ancien temps au transport des légumes depuis les champs aménagés dans le marais. Nous avons la chance d'être seuls avec une jeune femme à la fois pilote et guide. Enfin surtout pilote car nous sillonnons pendant 1h30, une multitude de canaux et watringues (plus petits canaux) et bien entendu le canal de l'Aa.
Les zones maraîchères sont distribuées en parcelles que les canaux isolent les unes des autres. On peut y accéder par la route, mais à l'intérieur du marais, beaucoup de maisons ne sont accessibles que par voie d'eau. Chacune dispose du fameux bac à chaînes ou de petits canots pour rejoindre les pistes urbanisées. Quant à la faune et la flore du marais, elles ne se distinguent guère de ce que nous connaissons tous.
Couvées de colverts, nichées de foulques, les soulets avec leur bec en forme de spatule, le foulque macroule si chic avec son costume noir, sa bande frontale et son bec tout blanc. La grèbe huppé qui s'effarouche et le héron cendré que rien ne perturbe. Les saules sont les arbres dominants, saules pleureurs bien entendu, saules blancs, saules jaunes, saules tortueux. Les iris aux fleurs jaunes forment un rempart épais le long des berges. Nous perturbons de belles plaques de nénuphars blancs.
Et le soleil qui nous éblouit et nous enchante...
Demain cap vers la côte d'Opale... A bientôt.
Mercredi 15 mai 2024
Retour en pays flamand. Nous reprenons l’autoroute dès notre entrée en territoire Belge. Les prairies changent d’allure. Les alignements d’éoliennes ont disparu, les fermes sont moins opulentes, les troupeaux plus modestes, mais la grisaille reste fidèle.
- Dis Laurent, pourquoi y’a des boîtes aux lettres grises sur l’autoroute ?
- C’est pas des boîtes aux lettres, c’est des radars !
Pas de doute, nous avons quitté Nederland.
À Gand (Gent), nous trouvons à nous garer le long du jardin des BeauxArts, à quelques pas de l’ accès au centre ville. C’est un bel endroit. La cité s’étale entre la Lisse et l’Escaut. Le centre historique a des allures de musée à ciel ouvert avec sa riche architecture flamande du XVIIè. Nous nous perdons dans de chouettes ruelles pavées comme partout dans ces villes du nord.
Nous cédons le passage à une horde d’étudiants en vélos, qui braillent des slogans et les brandissent en faveur de la paix. Nous les retrouvons un peu plus tard rassemblés autour du Centre Universitaire. Par petits groupes animés, une estrade encombrée. Des allures de mai 1968. C’est troublant.
A Gand, on remet les pendules à l'heure.
Cap sur BRUGES
A 30 km de la ville, nous trouvons un endroit de rêve pour la nuit. À l’intérieur d’un parc complètement ouvert sur une grande forêt. Dans une clairière une maison de retraite, dont la brasserie nous séduit. On s'isole dans ce paradis avec enthousiasme.
Sauf qu’on se fait déloger à 22h30. Paraît que c’est pas un parking autorisé… que Laurent avait pourtant repéré sur son application comme ouvert au public. On change donc de mouillage, en pleine nuit, sous une pluie diluvienne… Quand je vous parle de mouillage ! Le suivant est un peu hasardeux, au bord d’une ferme, le long d’un parc, d’une petite route discrète. Ça nous rappelle de bons souvenirs de navigation, ça nous rend euphoriques.
Le lendemain nous trouverons une place pour une nuit dans la périphérie de Bruges. Le soleil réapparaît. C’est le printemps de Bruges. On adore. Si Bruges est une ville riche en architecture, c’est aussi une ville très touristique. Nous déambulerons pendant des heures parce que c’est magnifique et qu'on ne s’en lasse pas. Cependant rien à voir avec les venelles intimes de Venise, l’animation des petits canaux enchevêtrés et des ponts dédiés aux amoureux.
A 50 km de Dunkerque, nous retrouvons l’ambiance familière de nos autoroutes. Multiplication des radars, encombrements aux échangeurs, resquilleurs dans les files… C’est la France quoi !
Pause à Esquelbecq une aire municipale dédiée, au bord de l’Yser, le long d’un club de tir à l’arc… en plein tournoi départemental. Donc environnés de gens paisibles en pleine compétition. Plein cadre sur leur "jardin d'Arc", notre vue du petit camion est imprenable. Les archers et les archères, disposent de deux pylônes (perche) auto-portés d'environ 30 mètres de hauteur. Ils se pivotent vers la bas, pour permettre l'installation des cibles sur 7 niveaux au sommet de la perche. Les cibles, appelées "oiseaux" sont de jolis bouquets de plumes à dégommer. Le crieur (animateur de la manifestation) appellent les concurrents, veille au bon déroulement du tournoi et bien entendu annonce les scores et les prix en fin de journée. Le champion sera la roy. Pour son baptême de roy, ils sera assis avec le second, face à ses "sujets". Quatre archers tiennent au dessus de leurs têtes un torchons tirés par les quatre bouts. Le crieur verse alors délicatement une bouteille de champagne sur le torchon qui s'égoutte sur le roi et son second pendant que l'ensemble des équipes entonnent de bon coeur, l'hymne flamand. Un hymne sympathique qui invite à la paix et à la fraternité. Discrètement plusieurs équipes arrivent par l'arrière avec de grandes bassines d'eau et inondent les deux héros du jour... Hurlements de rires, agitations loufoques et fuite éperdue des victimes hilares et dégoulinantes qui se précipitent dans les vestiaires.
Ce sont les moments forts et inespérés que nos voyages nous réservent souvent. La France est un pays extraordinaire.
Esquelbecq toujours. Quelle ville exceptionnelle. Un château féodal, à moitié écroulé, reconstruit partiellement au XVIème… Lieu de villégiature de Lamartine du temps qu’il se mêlait de politique dans les années 1860… Ce qui est remarquable dans ce lieu en pleine restauration, c’est que les anciens du village en parle comme de leur propre bien. Ils racontent qu’ils ont vécu là, qu’ils y ont joué, que leurs parents y ont travaillé. Ils racontent que lors des mariages, des fêtes locales le château s’ouvrait pour accueillir les festivités. Les temps ont changé mais continuent d’évoluer. Il se peut que dans un avenir pas trop lointain, les néo-châtelains, rendent aux habitants, leur droit d’usage.
Le parc est original, organisé à la flamande c’est à dire, à compartiments, perspectives courtes, mode renaissance pour chaque type de culture . Peut-être que ces quelques images seront parlantes pour nos amis Dan-Dom.
Dans cette ville aussi, je suis entrée par inadvertance chez Charles, un curieux bibliophile qui ouvre boutique sur la grande place. Vitrine époustouflante, éditions sous clé, (elles se négocient entre 500 et 2000 euros pièce) qu’il m’a ouverte au bout d’une heure d’échanges passionnés. Il m’en a beaucoup appris sur l’art de repérer un livre rare. Tant de critères sont à prendre en compte, rareté de l’édition, ancienneté, état du livre, c’est évident. Mais aussi type de couverture (peau-basane, les plus ordinaires mais aussi veau ou chèvre-maroquin- ou carton- ou demi-peau. Type de papier, papier d’Arches, velin, bible, bouffant. Type et état de la reliure, broché ou cousu et selon le type de fil. Gouttière, dorée ou pas,
Mille autres aspects que je n’ai plus en tête.
Devenue pote avec Charles, j’y suis retournée bien entendu, aimantée par ce lieu, pendant que Laurent allait s’essayer au tir à l’arc… Il a raté la cible mais la flèche ne lui est par retombée sur la tête ! C’est quand je lui ai raconté mes coups de foudre pour la librairie et mes deux achats qu’il est tombé sur la tête. Rassurez-vous, il s’en est remis depuis.
Dans cette ville remarquable, nous avons passé deux bonnes heures dans un musée extraordinaire, Les Gigottos. Propriété de Bruno, encore un passionné un peu fada qui sillonne la France et les pays du nord avec ses marionnettes. Ses drôles de personnes ont séduit Stéphane Bern que vous verrez bientôt à la télé si vous les ratez pas. Bruno fabrique avec du fil, du carton, des ressors, des cintres, toute récup qu’il recycle avec génie. C’est prodigieux. Ces marionnettes à taille humaine nous ressemblent et se moquent joyeusement de nous. Nous avons passé avec elles et Bruno un moment enchanté.
Les friteries s’installent midi et soir comme les camions-pizzas dans le sud. Ici l’art majeur, c’est celui de la patate. La patate a d’ailleurs son festival en août. Donc nous usons et abusons des frites. Non, ce n’est pas raisonnable mais c’est tellement bon.
Les Esquelbécquois, Esquelbécquoises, sont d'excellente compagnie. Il est arrivé bien souvent que nous nous trouvions assis ou à faire la queue au milieu d’un groupe local. Un familier arrive qui salue et embrasse ses amis (ou famille) se tourne vers nous et nous embrasse dans la foulée… et nous mêle à la conversation. Nous voilà introduit dans le cercle intime. Je reste éboustrouffée à chaque fois.
Nous sommes vraiment heureux dans ce pays flamand. Conseillés par notre ami Pascal (F6GUZ) nous partons demain pour Cassel, une distance comme je les aime 13 km…. Nous y passerons une nuit. Ensuite cap vers la côte d’Opale.
La météo s’arrange, soleil et 17 ° aujourd’hui à 15h. Bientôt la canicule... !
Jeudi 9 mai… sous le soleil… Ouf !
L’autoroute Anvers-Amsterdam est très roulante. Ici pas de péages, pas de radars. Limitation à 100 km (120km/h la nuit) ici, Tout est vert, vert, vert… Des armadas d'éoliennes plombent le ciel du plat pays. Sentinelles des temps modernes, elles brassent mollement l'air de leurs bras géants. Dans un champ, j'en ai dénombré plus de 150, sagement alignées en rangs de 10. Dans les fermes opulentes, éparpillées, Les moulins traditionnels ont cédé leur place à ces moulins à vent modernes, chacun dans sa cour. Les toits de tuiles émaillées rouges ou noires étincellent. C’est chouette.
13h30. L’arrivée à Amsterdam est hasardeuse, un seul camping, bondé, qui nous arrangerait bien car proche du métro. Sur le parking d'accès, les campings-cars font la queue pendant que les passagers courent vers l’accueil. Agitation bien bordélique. Une bonne heure de queue, c’est heureux d’être en vacance et d’avoir le temps. Le tarif du camping est très coûteux, 81 € deux nuits sans électricité, sans accès douche. Et nous serons aux portes de la capitale...Nous achetons donc deux tickets pour les douches.
Le réseau des transports en commun est formidable, pas économique au ticket (3,40 €-validité 1h). Le choix de forfait jour (9 € pour 24h) nous laisse une totale liberté de déplacements. Car la ville est vaste et nous userons et abuserons du métro et du tram.
Il est souvent aérien. Banlieue chic, nous roulons à travers les canaux le long de larges avenues ombragées. Banlieue proche, nous sommes épatés par la profusion d’immeubles résolument modernes. C’est remarquable. Angles arrondis, biseautés, cubes empilés en décalage. En façade, alternance d’aluminium, de verre cathédrale, de mur émaillé. Une architecture ultra-moderne qui nous flatte l'oeil.
La gare Centrale d’Amsterdam nous plonge dans une foule compacte et joyeuse de gens pressés. Elle est magnifique cette gare des années 1880. Toute proche, nous repérons la façade étincelante du palais royal. C'était, paraît-il la salle d’attente des carrosses. Mais l’agitation moderne, gêne un peu l’imagination des princesses. Toutes sortes de langues se confondent ici et beaucoup de français. Des nuées de vélos nous foncent dessus, nous doublent sans prévenir. Je ne suis guère à l’aise. Je risque ma vie à tout instant. Les vélos locaux ne sont pas assistés, même pire que ça, il n’y a même pas de dérailleur. Nous avons aussi repéré des freinages torpédo, sur des vélos d’allure très neuve.
Nous déambulons au p’tit bonheur la chance. De vastes avenues vertes, qui suivent les canaux. Un petit pont, un autre. Les vélos sont les rois de la rue. Les voitures, c’est évident mais aussi les piétons leur cèdent le passage. Faut dire qu’ils ont de l’allure ces vélocipédistes.
Le guidon haut relevé , le poignet souple, leur assure un maintien d'une élégance irréprochable. Le regard lointain, le dos raide,
« les épaules en arrière, la poitrine en avant, .... » allure martiale des gamins dans le choeur de Carmen. Mais je m’égare.
C’est donc par inadvertance que nous pénétrons dans le quartier « rouge » (rouge parce que toute les boutiques et vitrines s’affichent en rouge) Et là, y’a du monde. Boutiques érotiques voire plus, bureau de vente d’herbes voire plus. Théâtre, scènes musicales et streap-tease voire plus, Musées, (de cire, photos, peintures…)
- Le musée Rembrandt, figure célèbre, ça te tente ?
- Je préférerais celui de la Marijuana, autre figure célèbre.
Finalement, nous n’avons fait aucun des deux.
Quelques vitrines de dames souriantes ou blasées, poitrines généreuses et cuisses avenantes sous peu de dentelles. Les vitrines sont belles, rouges et ors, petits boudoirs intimes. On aurait envie de s'y inviter pour boire un thé. Quel étonnant folklore. Les rues sont très animées. Certains touristes sont blagueurs. Ils chahutent, se bousculent. Les autres le nez en l'air (parfumé à l’herbe) se laissent porter par l’ambiance. Comme nous autres par exemple. Pas de clope au bec. Fumer le cannabis n’est pas autorisé dans la rue. Quoi que, des petits futés doivent se planquer par là, car l’odeur est prégnante. Les bars à herbes et autres lieux sympathiques pullulent. Le cannabis s’y négocie autour de 12,00 € le gramme, un joint autour de 5 €. Ce quartier est sale, encombré, carrément glauque. Mais il est aussi dynamique, vivant, joyeux, coloré, carrément exotique.
Nous retrouvons avec soulagement, les larges allées qui bordent les canaux, des demeures très chics, opulentes mêmes du gratin d’Amsterdam. Et notre tourisme en métro aérien.
Au retour, J’ai envie de me décrasser de la faune Amstellodamoise. J’inaugure mon jeton douche. Après quelques minutes, retour à bord carrément furieuse. Laurent se marre.
- T’as pas eu d’eau chaude ?
- Si, mais si peu que j’ai un doute.
- Comment ça ?
- Une fois déshabillée J’ai enclenché le minuteur. J’ai à peine eu le temps de me savonner … Et l’eau s’est coupée.
- Normal t’as du mettre plus de cinq minutes.
Là, je m’énerve un peu.
- Non j’ai même pas mis trois minutes. Le pire c’est que j’avais pas non plus d’eau froide pour me rincer.
Petit sourire en coin de Laurent qui attend la suite...
- Je suis sortie à poil pour tester les trois autres douches, pas d’eau, nulle part…
- Tu devais être sexy couverte de mousse à déambuler dans les douches.
- Je sais pas, j’ai vu personne. Et puis, j'y voyais rien. Donc, bien dégoulinante de mousse, je me suis rincé les cheveux et les yeux au robinet du lavabo.
Laurent rigole de bon coeur. Je m'en rends à peine compte, toute à ma colère.
- Je suis revenue dans ma douche pour essuyer le savon dont j’étais couverte et me voici, qui fleure bon la vanille et les talons qui dérapent dans mes nu-pieds.
Laurent se gratte le menton perplexe.
- Je crois que je préfère me doucher à bord. Tu crois que je peux revendre mon jeton douche ?
J’ai désormais hâte de quitter Amsterdam, c'est une ville avec de belles architectures, mais trop peuplée, trop urbanisée, trop touristique pour moi. Mon choix se porte vers le nord du pays, au coeur des polders. C’est l’endroit où j’ai impérativement besoin d’aller nous perdre.
- T’as vu sur la carte, y’a un pont gigantesque pour passer la mer du Nord. Au moins 30 km, c’est possible ça ?
- Tu crois que c’est gratuit ?
- On verra bien.
C’est pas un pont mais une digue extraordinaire. Nous nous arrêterons à mi-chemin pour humer l’air du large. Puis, nous traversons Harlingen. Nous avons fait je ne sais combien de campings, tous très familiaux et tous archi-complets. Hé oui, c’est le week-end de l’Ascension, et nous, on n’y avait pas pensé. Nous poussons jusqu’à Leeuwarden. Coup de foudre. C’est là que nous nous poserons.
Sauf que là encore tout les campings sont saturés. Nous réservons pour le lendemain. En attendant, on improvisera. Ouf, Laurent a le coup d'oeil génial pour les "parks" de secours, isolés et tranquilles, voire inespérés. Nuit paisible donc.
Leeuwarden est une ville formidable. Très vivante, de jolies boutiques, des canaux parfaitement entretenus et très animés. Les plaisanciers et les canots locaux y offrent une ambiance maritime exceptionnelle. Les parcs sinuent entre les canaux. Et les embarcations circulent en permanence. Une belle activité maritime, sans hâte et sans précipitation.
Une bière fraîche dans un bar qui étale sa terrasse à travers un pont piéton… Quel luxe ! On admire l’allure altière des cyclistes qui déambulent dans tous les sens. Ils sont d’une adresse incroyable, roulent vite souvent, mais d’un coup de guidon précis évitent un piéton distrait. Je les admire et ils me font peur.
Notre camping est familial, et dimanche, les citadins sont retournés à leur boulot de citadins et nous sommes quasi seuls. Quel repos, quel tranquillité, esprit champêtre et confort assuré. Rien à voir avec les conditions de vie à Amsterdam. Quel bonheur.
A nous de jouer. Vive le vélo en Nederland. Nos minis cycles pliants (motorisés en plus, quelle honte) sont plutôt miteux comparés à ceux que nous admirons depuis quelques jours. Laurent a beau redresser le buste, relever la nuque, l’allure impériale n’y est pas tout à fait. Mon train à moi est plutôt celui du sénateur. C’est un art ici de rouler chic. Je ronchonne un peu parce que les voies sont étroites et se partagent souvent avec les piétons. Quant aux croisements avec les autres cyclistes, c’est hasardeux. D'autant que si je culbute, ce sera pour un bain assuré vu qu'on est cerné de flotte de tous les côtés. Je serre souvent les fesses. Peut-être que ce sera bénéfique pour ma musculature.
J’adore cette campagne, ses moulins à vents, chaque éolienne qui alimente sa ferme. Les fermes sont immenses, les corps d’habitation luxueux, et les dépendances animales excessivement propre. Hors l’odeur inévitable des lisiers et des fumiers, ce serait parfaitement aseptisé. J’adore les incroyables troupeaux de vaches qui ne viennent pas à bout des herbes immenses dans lesquelles elles disparaissent à moitié. Il y a aussi d’étonnants troupeaux de moutons. Leur laine épaisse est tachetée de noire. Se seraient-ils trompés de robe ? Se prendraient-ils pour des vaches ? Sont-ils la version hollandaise du carnaval des animaux ?
Notre piste longe un grand pré, un « ruisseau » nous en sépare. Deux magnifiques alezans nous guettent le mufle tendu par dessus le ruisseau. Nous ralentissons, ils nous emboîtent le pas. Lorsque nous accélérons, ils trottent en parallèle le long de leur pré. Le dos souple, le museau tendu, crinière qui danse dans le vent, ils sont magnifiques. J’en pleurerais.
Avec nos vélos assistés nous avalons goulûment 30-50 km le long de pistes quasi plates.
Nous passons d’une île à l’autre, d’un village ou d’une ferme isolée à l’autre, et des champs et des prairies à perte de vue. Quelques moulins agitent mollement leurs ailes. Le monde ici est immense, et s’étale à perte de vue. Je ne risque pas de perdre Laurent lors d’un changement de direction.
14 mai.
Après grand ménage à bord et lessive, nous quittons Leeuwarden, c'était chouette. Nous avons décidé d'engager notre course à la tulipe. Retour vers le sud du pays, cap sur Lisse, haut lieu de la culture du bulbe avec le Keukenhof, plus grand jardin de tulipes du pays. Qu'il ne faut surtout pas rater.
Verdurette, verduré, comme dit la chanson.
- Dis Laurent, on est noyé dans d'immenses champs. Feuillages verts au ras du sol. T'en penses quoi ?
- Des bulbes de tulipes pas mûrs ?
Plus on roule, plus les champs sont désertés de fleurs. Le comble, c'est que le Keukenhof est fermé. Fermé un mardi ? Guérite avec un brave gars qui semble mourir d'ennui et prend le temps de baragouiner avec nous. En gros, les hordes de cueilleurs ont fait la razzias des fleurs dont la cueillette se termine en général début mai. La floraison est courte. Présentement, elles sont stockées dans les chambres froides et préparées à l'embarquement des gros camions qui sillonnent l'Europe. Mais ça, impossible de le visiter.
Qu'à cela ne tienne. Tant pis pour les champs de tulipes. Nous voulions visiter le nord, nous visiterons le nord.
Le petit camion reprend la route et moi je chantonne dans ma tête.
Moi, je suis la tulipe, une fleur de Hollande ;
Et telle est ma beauté, que l’avare Flamand
Paye un de mes oignons plus cher qu’un diamant,
Si mes fonds sont bien purs, si je suis droite et grande... (Théophile Gautier)
A Gorinchem, au coeur du pays, le petit camion s'engage sur une île. L' aire de camping est idéale, sur le port du canal. Nous partageons l'espace avec les plaisanciers et les mariniers. Quelle belle ambiance. La ville est traditionnelle, entourée de remparts. Les façades sont toujours en briques rouges ou roses. Quelquefois alternées de rose et de rouge. On dirait qu'elles ont la rougeole. Au pays bas, comme en Suède ou Norvège, les maisons prennent la lumière par de grandes baies vitrées souvent décorées de fleurs ou de petites faïences, avec juste une dentelle qui souligne le haut de la vitre. Pas de volets extérieurs, pas de barreaux. Ce sont des habitations délicieusement ouvertes sur le monde qui les entourent.
Nuit paisible annoncée dans ce port sympathique. Sauf que, dans la nuit...
Caresse délicate sous la couette, pour un semi-réveil en douceur...
- Trésor tu veux bien arrêter de ronfler ?
Grognement d'un pas content d'être dérangé
- Je ronfle pas. C'est toi qui ronfles. Si fort que ça te réveille.
- Même pas vrai.
Chacun se renfrogne dans son bout de couette. Oreilles aux aguets.
- Oh, mais t'as raison, c'est la péniche contre la digue qui ronronne si joliment...
- C'est ça, quand c'est une péniche elle ronronne...
- Et quand c'est toi, tu ronfles... Hé oui !
-
On disait, s’il continue de pleuvoir faudra attendre combien de temps le soleil ?
On disait ensuite, on attend encore milieu de semaine, ça devrait s’arranger !
On disait encore, crotazut, il pleut toujours et partout !
Il pleuvait, il pleuvait, il pleuvait toujours.
Alors nous sommes partis. "Autoroute du soleil" c’est écrit sur les panneaux
- Dis Laurent pourquoi il pleut si fort sur l’autoroute du soleil.
- C’est parce qu’on la prend dans le mauvais sens.
- le mauvais sens ?
- Ben oui, on va vers le nord, donc il pleut.
- Tu crois que c'est une bonne idée d'aller vers le Nord ?
- Bien sûr, on voulait voir le Nord, on verra le Nord.
Presque à Dijon. Une petite éclaircie,
- Et si on quittait cette sinistre aurotoute ?
Vite échappons nous vers la campagne. Route cernée de belles coulées d’or noyées dans des prairies et forêts inextricables. Champs de Colza, prairies et forêts, mais de vignoble bourguignon, point. Les vaches, le pis au ras de l’herbe, semblent embourbées dans leur pré. Je m’attendris, quel triste sort pour ces beaux animaux.
- Au fond, y'a un peu de la vache en toi, non ?
- Qui ça moi ?
- Oui toi.
- Pfuit !
Châlons en Champagne, nous sommes accueillis par une sympathique famille de maraîchers. Nous inaugurons leurs premières fraises et profitons d’une orgie d’asperges fraîches. Quel heureux moment !
Une belle étape encore à Reims. Nous flânons dans de magnifiques avenues bordées d’immeubles chics. De la cathédrale nous déambulerons de longues heures jusqu’à la basilique Saint Rémi. Car c’est à Reims que St Rémi a baptisé Clovis. Un évènement qui ne se rate pas, vous en conviendrez.
Le soleil nous accueille avec délicatesse dans les Ardennes. La route aussi rectiligne que déserte est un enchantement. Le petit camion décrasse le bitume. Les champs fraîchement retournés, caillouteux sont tout blanc. Nous sommes cernés de belles forêts dont les sommets couronnent notre route. Ici tout est vert, le printemps a pris du retard. Quel contraste avec les prairies vallonnées, cernées de bosquets fleuris de Bourgogne.
Cap sur Charleville. Notre parking est au fond d’une sorte d’usine désaffectée dont les murs ont été mobilisés par des artistes. Illustration des poèmes les plus populaires de Rimbaud ou d’extraits des Illuminations, et autres créations aussi riches en images et mouvements... L’immersion est totale. Je ne me lasse pas de lire et relire, ces textes que je connais par coeur. Je vous en offre un, pour la route...
Laurent s’impatiente, nous n’avons pas que ça à faire. La ville nous attend. La place Ducale est mobilisée par le festival des Confréries des Ardennes. Quelle chance. Nous déambulons toute la matinée, d’une confrérie à l’autre, Confrérie des fromages, Confréries des viandes salées, Confrérie de l’escargot de Bourgogne, Confrérie des amateurs de bleu, Confrérie des cassis de Dijon, Confrérie de la moutarde, Confrérie du marron, Confrérie gastronomique de l’ordre du poireau… Et la plus sympathique, Confrérie des « mollets d’Ardenne », un délice de mini-kougelopf qui fond dans la bouche. Les chevaliers sont tous plus beaux, plus colorés, plus chatoyants les uns que les autres. L’ambiance est festive, joyeuse, les fanfares se donnent à fond.
Et Rimbaud dans tout ça. Saturés d’odeurs, de saveurs et de faste, nous partons dans les pas de ce «sale gosse » dont je suis imprégnée depuis l’adolescence. J’ai été fascinée par son génie, par son culot, par la puissance de ses textes et la délicatesse de leur musique. Et je ne m’en suis jamais remise. Et voilà que j’ai soudain rendez-vous avec moi-même, vieille femme devenue soudainement jeune et palpitante. Et puis, je regardais Laurent qui ne m'a pas connue en ce temps... Mais toi, Danièle, et toi Claudine (qui m'a offert mon premier Rimbaud pour mes 16 ans) si vous saviez comme je pense à vous. Et puis je reviens à l'instant présent. Comme c’ést étrange cette sensation de marcher sur un nuage, cramponnée à Laurent qui me tient debout dans ce monde. Et je chantonne...
“ J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse.” Les illuminations
Nouveau départ, quelques tours de roues à travers la vallée de la Meuse et déjà Charleville me manque. Mais Laurent nous a dégoté un accueil de nuit qui va balayer mes états d’âme. Nous faisons étape à Tremblois le Rocroi. Le petit camion se range au bord de la forêt, espace mis à notre disposition par Claude et Claudine. La pluie nous tient toujours compagnie. Dès qu’apparaît un rayon de soleil, les branches essorent leurs feuilles en dégringolades de gouttes sur notre toit. J’aime bien l’ambiance. On se croirait dans Lune de Miel, quand la pluie martelait la coque en alu.
Une éclaircie ! Un tour dans les sous-bois, à patauger dans des mares immenses, des ornières traîtresses, nos grolles s’alourdissent considérablement.
Au retour nous rejoignons nos voisins d’un soir qui papotent joyeusement avec nos hôtes. Mais je trouve qu’il fait froid.
- On peut faire connaissance en buvant l’apéro à bord, ça vous va ?
On se retrouve donc à huit empilés dans notre mini-carré… Le whisky, le rosé de Provence, la pastis, quelques toasts improvisés à la cancoillotte, quelques carrés de lard fumé… carrés de pain tartinés d’huile d’olive et de la chaleur humaine. Avec des invités d’une exceptionnelle gentillesse. Nos hôtes sont des camping-caristes passionnés, que des revers de santé immobilisent pour le moment. Claude est un grand gaillard, allure de routard, un rien de Einstein avec son auréole de cheveux blancs. Claudine beaucoup plus discrète assure une présence rassurante et sage. Un chouette couple qui nous enchante. Nous avons le même âge, les mêmes désillusions et les mêmes espoirs. Le début d’une amitié durable, qui sait ?
Nous quittons Rocroi pour un pèlerinage vers l’abbaye de Chimay, dégustation de bière à la clé. Juste ce qu’il faut pour reprendre la route en toute sécurité et parfaitement requinqués.
- Dis Laurent c’est pas le petit général là, sur la butte ?
- Drôle d’allure ton cheval, on dirait un lion...
De plus près, c’est bien un lion qui domine le champ de bataille à plus de 40m de hauteur. Hé oui, nous traversons Waterloo, tristement célèbre par l’ultime défaite de Napoléon contre Wellington. 1815 son dernier quartier général. Si vous êtes passionné, arrêtez-vous, prenez le temps d’une immersion dans cette douloureuse épopée. Différents sites et reconstitutions prennent en compte aussi bien les points de vue civils que militaires.
BRUXELLES
Bien entendu, nous serons obligatoirement attirés par le gigantesque Atomium. Hauteur 102 mètres. Réalisée pour l’exposition universelle de 1958. Sur les thème des sciences, ce monument représente un « cristal élémentaire» ou maille de fer agrandi 165 milliards de fois.
Nous y passerons une longue matinée. La visite commence au 3ème étage, la sphère la plus haute qui permet une vue panoramique de Bruxelles. Ensuite on redescend à travers les 8 autres par des escaliers mécaniques ou des ascenseurs hyper rapides.
Mais à Bruxelles, c’est dans les pas de Jacques Brel que nous nous perdrons.
Quelle ville magnifique. Si somptueuse, riche en monuments classiques. La Grande Place est époustouflante, toute en dorures et murs dentelés, balcons ouvragés. Des monuments magnifiques, Hôtel de Ville, Maison du roi, Corporation des brasseurs… Que de merveilles.
Nous nous égarons à travers de vastes avenues… qui ont des allures de « remblas » Nous nous laissons éblouir par la Galerie de la Reine, boutiques qui s’alignent le long d’une verrière (commode pour magasiner sous la pluie) mais malcommode pour le budget, toutes boutiques de grand luxe, tailleurs, modistes, ganterie, chapelier, bijoutier, et puis les incontournable boutiques chocolats, gaufres…
Nous avons trouvé un park-Camping, à deux pas du métro, sécurisé et tranquille. Idéal pour la nuit. A notre arrivée un combi tchèque est bloqué devant la porte. Je vais voir le conducteur. Je vous fais grâce de notre baragouinage réciproque en « anglais »… Ils ont réservé leur place par le Net mais leur code ne fonctionne pas. Je leur ouvre donc avec le mien, je referme consciencieusement le portail derrière nos deux véhicules.
Plus tard, l’homme vient vers Laurent. Puis il repart vers son combi de l’autre côté du parking.
- C’est moi qui invite pour l’apéro ce soir, ça t’embête pas ?
- Non, t’as trouvé des Belges francophones ?
- Non un couple qui vient de Prague… Ceux à qui t’as ouvert le portail.
Ils ne tardent pas à se pointer avec une bouteille de vin portugais et de délicieux biscuits hollandais. On papote en « anglais » que l’homme parle aussi mal que nous, en allemand avec la dame qui le parle comme je parle anglais… Daniel est musicien par passion mais amateur. D’un coup, il se lève, un geste,
- A moment, I go back…
Il sort… Romana tue le temps en banalités compliquées avec Laurent qui essaie de décrypter son allemand chaotique.
L’homme revient avec sa guitare et un curieux petit chapeau sur le haut du crâne. Son habit de scène ? Quelques ajustements d’accords et il nous envoie une sympathique mélodie tendre et romantique. Et puis sa voix s’élève. Il chante juste et doux. Il continue guitare seule et Romana prend la relève au chant. Puis ils chantent en duo, puis l’un, puis l’autre, puis ils reprennent. Ils nous enchantent les oreilles de quelques chansons traditionnelles. Il y est toujours question de brigand et d’amours contrariés.
Le petit camion baigne dans un cocon. Ensuite, nous continuons de papoter. Entre Google qui traduit de manière fantaisiste et nos hésitations de polyglottes maladroits, on rigole de bon coeur.
Quelle soirée extraordinaire. Ils nous ont laissé un alcool de leur pays, uniquement à base d’herbes, 53° un délice de saveurs qui arrachent la gorge mais réjouit le coeur. Nous leur avons laissé quelques bouteilles de Provence et la promesse de se revoir...
Le début d’une amitié éphémère mais profonde.
Nous reprendrons la route tardivement le lendemain, quasiment midi.
Pause de nuit dans une banlieue chic d’Anvers. Un immense parc bordé par l’Escaut, en soirée des lapins nous visitent. Au petit jour ce sont les oiseaux qui se déchaînent pour fêter l’arrivée du soleil. Le petit camion fienté sur toutes les coutures (j’ose pas imaginer le toit ) a piteuse mine. Y’aura bien une pluie torrentielle pour rincer tout ça.
C'est pas les frites qui font grossir, c'est la bière qu'on boit avec... (proverbe belge)
Maintenant cap sur Amsterdam…. Il paraît qu’il fera beau demain….
Lune de Miel, notre Brise de Mer 40'
à travers Méditerranée et Atlantique.
BONNE ROUTE
vendredi 12 aout 2011
7h30 l'équipage est opérationnel pour attaquer la traversée continent-Corse. Car notre intention est de faire une pause au cap Corse avant de repartir pour Elbe. Mais faudra se coltiner environ 140 milles de pleine mer... La météo est idéale.
Elle se confirme en idéale croisière dès la sortie des calanques de Port Cros. Laurent installe les voiles en ciseaux pendant que Charles envoie notre première ligne de pêche. Allure régulière à 5nds avec une petite houle d'environ 0,50m qui nous berce gentiment ; la mer est régulière un peu sombre parfois, mais l'allure est fort sympathique et nous nous réjouissons de cette fenêtre météo. L'ambiance à bord est fort agréable et nous sommes tous confiants. Une petite panne de vent, nous en profitons pour jouer à 'Pyramide'. L'intérêt de ce jeu, c'est que nous devons trouver ensemble un mode de communication orale pour résoudre des énigmes. Je trouve utile de jouer à ça avec des presques inconnus et puis c'est vraiment ludique. On joue, on rigole, on communique. Le vent en profite pour revenir. L'allure reprend plein vent arrière. Nous alternerons les allures avec tangon, sans tangon, toutes manoeuvres qui ravissent nos équipiers que leurs expériences de navigation titillent et qui ont envie de bouger... et de faire bouger...
Claire fort impressionnante pète la forme. Elle a un secret : de longues périodes passives, lovée dans les quelques coussins qui ne la quitteront plus, elle va d'un point à l'autre du voilier et teste tous les accueils possibles de siestes réparatrices. Elle devient experte en la matière.
En fin d'après-midi, nous passerons au grand largue, la meilleure des allures et nous serons rattrapés par un banc de dauphins qui nous ignorent superbement en frôlant notre coque. Claire et Charles sont à la fois déçus par la vitesse de leur passage mais enthousiastes aussi d'avoir croisé ces sympathiques et élégants mammifères.
Nous avons déjà établi des rites désormais incontournables qui nous lient. Celui de l'apéro un peu avant 19h nous permet de planifier la nuit...
Prépa apéro ? Ben oui, apéro pastis bien entendu !
Qui quart quant ? Pas de règle précise, on fait comme vous voulez. J'en profite pour rappeler que je n'aime pas le crépuscule et que le coucher de soleil me stresse... J'en profite pour rappeler que j'adore être seule au moment fort de la nuit et revenir au lever du jour... Pas d'souci dira Claire ! Finalement on ne fera pas du tout comme ça. On fait des quarts d'impro... C'est intéressant aussi. Claire et moi nous prenons le premier quart. 22h, la nuit est tombée. Claire est à la barre, sympathique allure de largue. Loin sur l'horizon une belle étoile isolée monte dans le ciel. L'étoile grossit, se rapproche. Il s'agit vraisemblablement d'un feu de mat. Charles dort à l'avant, Laurent somnole dans le carré. Nous observons indécises le rapprochement du feu de mat. Et puis ça ne fait plus aucun doute, il nous fonce droit dessus. Notre vitesse dépasse 6 nds, ajoutés aux siens, nous aurons vite fait de nous croiser... Il ne manifeste aucune intention de modifier son cap. Encore un qui s'est endormi au volant... Je ne me pose pas longtemps de question de priorité, m'est égal quel vent nous porte. Simplement je propose à Claire de nous écarter de sa route... Et surtout pas lui couper, sa route ! Mon point de vue c'est que nous n'avons aucune idée des intentions de ce voileux et s'il n'en n'a pas, vaut mieux pas anticiper là-dessus. Il est aussi manoeuvrant que nous, qu'il fasse ce qu'il veut, nous on s'éloigne ostensiblement. Qu'au moins il connaisse notre intention et ne fasse pas de manoeuvre malheureuse au cas où il se réveillerait en sursaut... et se poserait d'inutiles et tardives questions de priorités... Elle est d'accord enfin pas trop mais pas le temps de tergiverser. Elle s'écarte sur babord.
Ce voilier prédateur passe assez près sur tribord pour que je vois une silhouette recroquevillée à l'arrière du cockpit, parfaitement pelotonnée dans ses polaires sombres. L'envie me démange de lui corner fort aux oreilles, Laurent qui jaillit de sa couchette s'oppose.
- Arrête, tu vas réveiller Charles !
- Dommage !
Dors toujours tu ne nous auras pas, espèce d'irresponsable prédateur ! On aurait pu le caresser de près celui-là. Quand on pense à la place qu'il y a tout autour, on se demande quand même quelle sorte de malchance nous précipite ainsi l'un sur l'autre. Heureusement que deux anges gardiennes veillaient avec grande constance.
A part ça c'est le ballet régulier des navettes îles-continent qui arrivent de loin et ne posent aucun problème de route. Même pas un filet dérivant en vue. La lune quasi pleine nous accompagne de son sourire éclatant ... Au moment où je relaie Laurent dans la couchette nav, notre allure s'accélère, on fonce à plus 7nds. Laurent décide de prendre un ris... Claire stoïque continue la veille. Elle a pris pas mal d'avance sommeil dans la journée, ça lui réussit super bien.
Ensuite Charles cède sa place à Claire qui finira gentiment la nuit dans sa cabine avant. Lorsque je sors du carré vers minuit, le vent nous pousse grave et la mer se forme. Laurent décide de prendre un deuxième ris. Un peu contraint par mon angoisse, il se harnache, une petite brassière tout en ficelle, qui le maintient joliment.... et qui le fait rigoler ;
- Franchement, c'est une vue de l'esprit ce truc, c'est bien pour te faire plaisir.
L'idée qu'il a envie de me faire plaisir me va tout à fait. Au boulot. Je reste au piano pour jouer de la corde... Charles au trente-sixième dessous affalé à l'arrière vomit de bon coeur...
Le deuxième ris adoucit notre allure. Pfuit, on a bien fait. Les creux se forment. Des gueules noires festonnées de blanc s'ouvrent tout autour de nous, des cavernes de 2 à 3 mètres de profondeur qui nous fondent dessus pour nous avaler tout cru. La lune donne à cette mer forte des allures terrifiantes. En même temps c'est magnifique mais je n'en mène pas large. Nous sommes copieusement secoués, et le pilote automatique tient magistralement la route. Je passe de longues heures debout devant la barre à roue, le coeur au bord des lèvres à fixer l'horizon et l'écume qui nous éclabousse. Faut surtout pas que je me baisse, faut surtout pas que je baisse la tête... Oh là, là, je suis mal, mal, mal... Charles admire le paysage entre deux accès de vomi... et trouve le moyen de rester souriant. Quel homme étrange.
Laurent a la bonne idée de prendre la barre, histoire de surfer sur la houle et négocier les crêtes en douceur... Nous nous apaisons tous... Mais c'est bien dur tout ça. Je me recouche à deux heures du matin. Je laisse Charles un peu plus lucide avec Laurent mais dormir, faut pas y compter. Quel bordel dans ce bateau. Les gamelles valsent dans la cambuse et les couvercles claquent pour rappeler leurs casseroles en vadrouille; Les bouteilles du bar font la danse du ventre et se choquent et s'entrechoquent, Qui a enlevé les bouteilles d'eau qui font tampon. Tant pis, je ne suis plus en état de remettre les choses à leur place. Ne me faites pas me lever, je vous vomirais dessus.
Je me relève à 5 heures du matin, noir c'est noir...
La lune presque pleine aggrave cette noirceur au delà de son faisceau qui m'éblouit. Où sont passées les joyeuses clartés, les splendeurs de la voie lactée.... Vite par pitié dieux de la mer et du ciel, envoyez moi une étoile filante.... que je me sente soutenue. Comme toujours le ciel reste sourd comme un pot de chambre plein de cambouis. Complètement déprimée je me cramponne à la barre pour pas paniquer. Charles n'est guère plus vaillant. Y'a que les coups de pioche des vagues et le bordel du carré pour assurer l'animation. Ambiance morbide. Nous ne croisons pas âme qui vive dans ce monde torturé.
Je guette le jour qui se lève petitement, laborieusement dans des couleurs bleuâtres peu réjouissantes, c'est bien long tout ça.
6h du matin, Charles réveille Claire... Elle nous scie sur ce coup-là. On est tous vasouillards, vomitifs et plaintifs, et Claire,
- Oh moi ça va, j'ai eu un peu du mal à m'endormir, y'avait du bruit quand même, mais j'ai finalement bien dormi une fois habituée au bazar local. Avec mes boules quiès, pas de problèmes ambiants.
Elle pète la forme. Nous revoilà toutes les deux à faire un demi de nos deux quarts. L'aube dévoile l'ombre de la Corse. A l'Est un train de nuages se forme sur l'horizon. des wagonnets gris qui s'alignent et qu'on voit monter lentement vers le ciel encore gris. La mer bastonne toujours les flancs de LDM, j'en ai vraiment marre. Le soleil se lève d'un coup, monstrueusee pomme d'amour écarlate.
Des filets de nuages lui passent devant, le découpent en tranches, comme un énorme cheese burger... On lui croquerait dedans... J'en oublie mes nausées.
- Dis Claire t'as pas l'impression que le calme revient.
Si, si, doucement mais sûrement, l'écume se dissout, les creux s'aplatissent, et le vent demeure. On avance vraiment bien désormais, la bonne ambiance revient.
A 7h nous passons la cap Corse et le phare de Giraglia... Nous voici plein nord. De l'autre côté de la mer dévastée. Nous sommes enfin tout à fait à l'abri. L'équipage est au complet, plus ou moins alerte... Et la mer devient sympathique.
- Si on va à Elbe, environ 40 milles on y sera vers 16h, qu'en dites-vous ?
Nous sommes une équipe fort courageuse, vote collectif adopté pour Elbe. Pas de pause en Corse. Super, on est au moteur et la mer est bleue, calme, belle, normale quoi... Profitons donc, nous sommes là pour ça, tous les quatre.
Nous nous laissons porter au delà de l'île de Capria au lointain, masse grise qui nous ravit. Nous réparons à tour de rôle notre manque de sommeil dans les cabines redevenues accessibles. Claire repart à l'assaut d'une zone extérieure non exploitée pour dormir à fond.
Elle hésite un peu, fait un nid de ses coussins sous les voiles, pousse son chapeau sur son nez, et zou, c'est parti pour un tour de rêves... Peut-être qu'elle dort, peut-être qu'elle somnole, peut-être qu'elle s'imprègne de sensations en corps à corps avec le pont.... Elle réapparaît toujours souriante et détendue. Elle me fascine.
Ainsi passent une petite huitaine d'heures.
Un peu plus de 16 heures. Nous voici au Nord d'Elbe, une petite baie qui s'appelle Viticcio, Une calanque qui a séduit Charles et Laurent sur la carte.
Sympathique mouillage de mer Thyrénéenne, LDM planté profond dans ton joli sable, te souhaite joyeux bonjour...
NB : PARADOXE DU PLAISANCIER ELBOIS :
"avoir le coeur au bord des lèvres et l'estomac dans les talons "
BILAN DE TRAVERSÉE
départ : 12 aout 2011, 7h30 - Port Cros (mouillage Bagaud)
arrivée : 13 aout 2011, 16h15 - Elbe - Vitticio (cap Enfola)
Distance parcourue : 176 mille en moins de 29 heures (dites moi si je me trompe), ça ferait une vitesse moyenne de 6 nds, un record pour LDM, dont 11 h de moteur...
Charles adore la vie Ellebaise...
- Enfin, Charles ! On dit Elboise...
- Ah bon, tu crois ? Dommage !
13 aout 2011 - Viticcio - Elbe
Un agréable mouillage plein sable, une petite plage familiale, un bel et bon abri de détente après douloureuse traversée.Où d'excellentes habitudes se confirment.La tendance E/SE nous incite à monter vers le nord ouest afin de passer à l'W vers Porto Azuro dès que la météo nous autorisera. Nous avons tous les quatre envie de visiter ce pur joyeux de la terre Ellebaise, pardon Elboise.
Mais nous voudrions faire un saut à la capitale Portoferraio. C'est sur notre route. L'accès mouillage est peu agréable très portuaire et plutôt moche. On se plante dans la vase molle à proximité d'un chantier désert au sud du port et c'est là que mes ennuis commencent. J'en ferai pas tout un plat, mais en poussant la cuisse gauche en extension maximum pour me hisser à terre, (depuis l'annexe qui gigote sous mes pieds) un peu trop vite, un peu trop violente, des trucs qui ne sont plus de ma jeunesse, je pousse un cri de douleur. Zut alors, pourvu que ça passe. C'est parti pour une gêne qui me taquine mais n'en parlons pas encore, après pause sur un caillou pour me rechausser, je repars en boitillant à peine. Je soupçonne un réveil d'arthrose. J'ai l'habitude n'est-ce pas. A quoi bon inquiéter l'équipage ?
Notre première pizza, excellente, offerte par nos équipiers.
Géniale, du coup, je n'ai plus mal, ni cuisse, ni hanche. En piste pour du tourisme à terre. Chacun à notre manière. Nos deux couples se séparent. j'ai personnellement besoin d'un peu d'autonomie...
Portoferraio, jolie ville estivale mais pour y séjourner, l'idéal c'est à mon avis de prendre une place au port. Il est quasi désert. Nous préférons tous les quatre la tranquillité des mouillages. Quelques renouvellementS de vivres frais avec la caisse du bord. Vers 18h nous quittons la ville sans aucun regret et continuerons notre cap NW pour passer la nuit à Cavo.
14 aout 2011 - départ Cavo Elbe
Pas trop frais le matin au réveil, aucun de nous n'a dormi correctement... Même pas Claire, c'est vous dire l'horreur de la nuit. Le mouillage est affreusement agité, rouleur, et pourtant la mer est belle... Zou on s'casse !
Oubliez vite cet endroit et n'y plantez surtout pas votre quille...
La météo nous tourne le dos. Le vent passe à l'W, dommage pour Porto Azuro. On se rapatrie vers le golfe de Procchio qui nous a plu à l'arrivée, à la découverte d'un autre abri. Génial.
Nous avançons au près une allure vraiment agréable, Claire et Charles se relaient à la barre et joue avec les penons. Ils optimisent notre allure, que la vie est belle quand on joue "à la recherche du vent perdu". Seulement voilà, quand la vie est belle faut bien qu'une nouille dans le potage vienne perturber la soupe marine... Les hommes ont repéré des bouées intrigantes... Comme si on avait quelque chose à faire de ces baudruches. Je ne veux pas me détourner pour ça. On a des lignes de pêche qui traînent à l'arrière c'est pas le moment de faire des looping de barre à roue... Ils insistent, le mer est belle, on est tranquille, et puis c'est bizarre ces bouées. On a bien cinq minutes !
Que ça m'énerve, oh là là ! Je les laisse à leurs enfantillages, et je vais m'allonger dans le carré. Évidemment ils se croient sur la plage et jouent au ballon avec les bouées qui les entourent. Évidemment les lignes de pêche n'aiment pas ces cons tours... Évidemment je me désintéresse de la question. Mais ça m'énerve oh là là vraiment trop.
Finalement, ils coinceront les lignes et seront obligés de noyer les rapalas qui ne libéreront pas pour autant le voilier. Des rapalas tout neufs qui n'ont même pas eu le temps de faire leurs preuves. Mais ça m'énerve oh là là, un cran de plus....
Lignes qui sont coincées oui mais où ? Pour peu que ce soit dans l'hélice, nous voilà bien. Et ça m'énerve oh là là, encore un cran de plus....,
C'est Charles qui se collera à la plongée pour libérer le navire.
Il a de bons yeux...!
D'interminables minutes de questionnements et d'indécision... Que ça m'énerve oh là là et j'explose... et je sors du carré pour râler.
Quand j'ai fini de radoter et de les traiter globalement de tous les noms de sinistres marinades, je me calme et j'oublie vite... Mais y'a comme un malaise à bord. J'ai sûrement dit des trucs fort peu sympas oui mais encore ? Y aurait-il un problème de fond ?
Et là c'est intéressant voyez-vous parce que ça fait à peu près une dizaine de jours que nous cohabitons et ça se passe plutôt bien. Charles et Claire sont des équipiers efficaces, souriants. Ils paraissent à l'aise à bord ce qui nous simplifie grandement la vie. Ils ont vite compris ce qui était important pour nous... ils sont vraiment supers. J'adore le sourire de Claire, sa gentillesse immuable. J'adore la bonne humeur de Charles, j'adore leur harmonie qui m'apaise... Les petites manies des uns et des unes sont plutôt rigolotes. Je fais le maximum pour les ménager.... Parole, si, si, si ! Alors pourquoi je merdoie... moi toute seule ronchonneuse dans mon coin. D'accord, j'ai mal dormi parce que je ne supporte plus la position allongée depuis que je me suis blessée à Portoferraio, je me réveille avec des crampes infernales. Mais bon, c'est pas une excuse. Si je m'installe la patte gauche en l'air, et si j'économise mes pas, avec les diantalvics qui vieillissaient dans un tiroir, je tiens la douleur à distance. Pas de quoi pourrir l'ambiance.
Alors quoi ?
Un moment régulation de groupe s'improvise. Si on élève le ton, c'est juste à cause du chuintement de la mer sur la coque et de la distance avec Claire à l'avant du bateau. Et je me retrouve en les écoutant, face à une évidence : je ne peux dire "je voudrais surtout pas déranger" que si j'ai la possibilité de disparaître.... Le fait que je sois là est en lui-même pour l'autre, à un moment ou à un autre un dérangement... et d'autant plus que nous sommes embarqués ensemble. Zut j'avais pas mesuré l'importance de ce détail d'autant plus important qu'on se connaît si peu.
- Y'a pas d'souci" redira Claire, nous étions d'accord sur ce principe de nous accepter mutuellement et de nous accommoder. Faut juste pas oublier de faire avec.
D'accord ! Message reçu 100 % les amis.
L'ambiance à bord s'allège. On essaie l'un et l'autre de respecter les attentes individuelles, manifester moins d'impatience, c'est pas compliqué finalement. Ce sera je crois, le seul moment vraiment difficile dans notre cohabitation parce que du coup chacun de nous a pris conscience qu'il avait la possibilité de transformer cette croisière en paradis, et on s'en donne la peine de bon coeur.
Grande forme morale pour poser l'ancre dans le golfo della biodola. Un site de rêve, une toute petite calanque bordée de villas verdoyantes, une toute petite plage avec juste un bar quasi désert. On s'y installe avec enthousiasme et la soirée s'annonce géniale. Le problème c'est que la fiesta sur la plage se réveille vers 22h avec un Dj hurleur et des sonos à perforer les boules quies... Quelle horreur
- Je crois qu'on fêtait l'anniversaire de Paolina, le DJ n'arrêtait pas de crier son nom.
Éclats de rire de Claire
- Mais non Charles, c'est pas une nana Paolina, c'est la plage en face et probablement le nom de la boîte de nuit.
- Ah bon, tu crois !
Finis les fantasmes Charles, Paolina n'est guère fréquentable pour les sages personnes que nous sommes.
Du coup on déménage vite fait de l'autre côté du cap, au moteur et nous nous posons cette fois dans une vraie calanque digne de ce nom, golfo di Procchio
Mardi 16 aout 2011 Di Procchio
Ici c'est vraiment le paradis. Claire et Charles décident de partir à la découverte de Marciana. Nous disposons des horaires de bus et des possibilités de déplacements. Laurent les dépose sur la plage avec l'annexe. Nous nous retrouverons en soirée pour l'apéro à terre.
Je n'ose pas l'avouer mais je n'ai aucune envie de crapahuter à terre avec ma patte folle. Nous passons une journée de rêve tous les deux à bord. Et ça c'est fichtrement requinquant comme paradis.
Laurent me joue de jolies romances à la flûte.
Je chante avec lui, à pleine voix . Orphéo négro me transporte d'allégresse. J'aperçois une dame sur sa terrasse accoudée, au milieu des arbres. Où sont les jumelles ? Je l'observe, fort indiscrètement j'en conviens.
Laurent s'arrête de jouer. Magnifique, la dame applaudit... Laurent prend une pause et son air modeste,
- Non, tu crois, c'est pour moi ?
Puis il reprend la pose musique et les notes filent sur l'eau, résonnent sur un courant pur.
Fantastique Laurent ! C'est un moment inoubliable, le plus beau de toutes nos vacances.
Plus tard nous retrouverons nos deux amis complètement vannés, tout plein de soleil dans les yeux et fort contents de leur échappée. Ils auront droit bien entendu comme tant d'autres fois au concert de flûte plus ou moins hasardeux de Laurent dont l'état de grâce est un peu retombé.
Depuis que nous avons quitté la mer houleuse davant le cap Corse, nous naviguons ici dans des eaux remarquables. Faible gradient de pression qui se maintient comme jamais, brises thermiques sympathiques, nos petites navigations se font au moteur forcément mais dès que c'est possible à la voile et le moindre souffle nous y pousse...
allure de spi même, c'est vous dire combien nous sommes comblés.
Fichtre, elle assume Claire !
COUCOUNET ESTIVAL 2011 - ELBE 4
Mercredi 17 aout 2011 - Elbe
La météo reste au beau fixe, je suis toujours douloureuse du côté gauche mais si je m'économise, je garde la douleur à distance respectueuse. J'aimerais tant passer par St Florent, étape Corse que nous avons ratée à l'aller.Mais Laurent n'est pas d'accord parce que la météo va nous apporter de la houle dans le mouillage. Donc cap vers Maccinagio, ce sera pas mal non plus.
Adieu sympathique île Ellebaise...
On sera beaucoup au moteur, relaxant même en s'aidant de la GV et du génois. Nous maintenons une allure de croisière à environ 5 noeuds avec des pointes à 6 pour faire joli sur notre quarantaine de milles. Le mouillage de Maccinaggio est vaste, calme, l'idéal pour la baignade pleine mer.... c'est une experte qui vous le dit, mais c'est surtout Claire et Charles qui expérimentent avec bonheur.
18 AOUT 2011. Après le Cap Corse
Nos amis ne connaissent pas les Lérins et nous on adore. En piste pour notre périple retour, nouvelle traversée en vue, qui s'annonce bien tranquille. C'est toujours le faible gradient de pression qui promet de beaux jours. Super. Nous ne sommes pas franchement pressés.
Cap Corse
Départ à 8h 45, allure idéale de grand largue. Vers 10h le spi nous démange. Allez zou, c'est parti. Laurent et Charles à l'avant, Claire au piano et moi à la barre. Sauf que le génois veut pas céder la place et se coince en tête de mat... Que de fantaisies avec nos équipements.
Heureusement que nous avons le temps de réfléchir, de bidouiller, de décoincer les drisses rebelles. Une sérieuse révision de tout ça s'impose au retour. Main d'oeuvre à recruter. Olivier, José, au secours !
Notre sympathique allure attire des convoitises. Une passagère clandestine séduit Claire, entre avec elle en sympathie. Compagnie discrète pour un petit bout de route de quelques heures en mer. Elle teste la stabilité de la bôme, joue l'équilibriste sur les écoutes et fait du charme à l'équipage.
Dommage que la Noiraude et Ouin-oin soient pas là, ils auraient adoré papoter entre gente animale.
J'entends d'ici notre Ouin-Ouin,
- t'as d'beaux yeux tu sais !
Et la noiraude mécontente,
- Bof, en même temps ça vaut pas un regard vache.
Claire n'a pas testé toutes les options de relaxation. Et des fois on la cherche... la finaude, elle en trouve des planques incroyables pour dormir, pardon pour méditer en paix. Elle se déguise même en sarcophage !
Et toujours le même qui bosse !
Cette fois, la nuit s'organise mieux pour moi. Je reprends le quart que j'aime en milieu de nuit avec Claire. Je suis en grande forme. Ma compagne s'installe dehors sur le plat de la cabine arrière, enfin plat pas vraiment car elle se cale je ne sais comment sur l'annexe enroulée et s'endort gentiment.
- Si t'as besoin n'hésite pas à me réveiller !
Sûr, si j'ai besoin ! Je n'ai pas l'habitude d'avoir quelqu'un en veille passive si près de moi au milieu de la nuit et j'aime bien la savoir là. Je ne me sens pas seule du tout et c'est bien agréable. En même temps je surveille presque autant son repos que la route, manquerait plus que je la perde en mer. Il est 2h du matin. A plus de 50 milles des Lérins, les lumières de la Côte d'Azur apparaissent. Je me demande si le GPS débloque pas. Laurent qui vient de me rejoindre confirme notre atterrissage dans plus de 8h.
Il se recouche. Je fredonne mon répertoire favori de chansons colo... en silence.
Au bout de deux heures, les lumières de la côte m'entourent, à bâbord, à tribord, comme si j'entrais dans une baie. A part ça, totale solitude. Je vais jeter un oeil sur la carte... Je comprends que la côte n'est pas régulière, et que nous sommes assez prêts pour commencer à repérer tous les bords côtiers. Bon, il reste quand même une quarantaine de milles à parcourir. Une légère brume égare la côte bâbord. Me voilà de nouveau avec les seuls scintillements de tribord. Puis, le soleil qui se lève montre clairement la côte, de tous les côtés, à peine une ombre maintenant qu'elle ne scintille plus. Ouf , je peux aller dormir... Charles et Laurent prennent la relève. Claire assume toujours sa veille passive !
Cette traversée de 113Mn Maccinagio (cap Corse) aux Lérins (Cannes) nous aura pris 25 heures avec 16 h de moteur mais aussi de sympathiques allures de spi... et pas de pêche. Là c'est un total fiasco.
Le pire c'est que quelquefois de joyeux gros thons viennent narguer notre bord. Ils cabriolent, sautent en surface et ignorent nos vieux rapalas qui ont repris du service. Moi, je suis bien contente, ils sont vraiment beaux, chatoyants dans le reflet des vagues et ils débordent de vitalité. L'idée de les assassiner me désole. Mais pour venger nos équipiers, je leur propose pour plus tard une orgie de thon en boîte, asperges en boîte, tomates fraiches et mayo... Na !
Faut dire que questions repas on assume vraiment bien et à tour de rôle. Entre les mises en bouche apéro, la cuisine créole de Charles, les sandwiches exceptionnels de Claire et ses pommes de terre en ragoût ou mes préparations plus traditionnelles, on s'offre de vrais régals et question saveur on rivalise. Nous savourons tous les quatre à bord de ce navire. C'est pas cette année que la navigation va affiner ma silhouette et je crains même qu'elle alourdisse celle de Laurent...
Au Lérins y'a de la place et on s'y sent bien. Claire et Charles partent à l'assaut du monastère de St Honnorat.
Je n'ai toujours pas envie de marcher. Je me réserve pour aller flâner demain dans les eucalyptus de Ste Marguerite.
D'ailleurs Charles nous invite au resto. Super, du coup je retrouve l'envie de me frotter à l'échelle de bain.
"Lune de Miel aux Lérins"
Bien entendu l'accostage en annexe dans les cailloux est bien hasardeux. Je tire un peu la jambe. Le resto est fermé et on se perd dans la forêt... La nuit devient noire. Claire essaie désespérément de lire les rares panneaux, moi je m'impatiente. Je voudrais bien me fier à notre sens de l'orientation singulièrement en défaut ce soir-là. Et surtout me poser à bord. On a l'air de quatre pas trop malins.
Je passe une vraie mauvaise nuit, et je pense que ma blessure interne ne s'arrange vraiment pas. Nous avions envisagé de faire une pause à Cavalaire pour rencontrer la fille de Claire et l'idée nous plaisait bien.
Alors on s'organise. D'accord pour Cavalaire, mais je voudrais bouger le moins possible. "Pas d'souci" dit Claire, on te met en accident de travail. Tous les quatre d'accord "mais faut pas que ça te dérange"... Allons donc...
A Cavalaire on prend une bouée en merdouillant un peu... mais au moins nous sommes bien installés et à peu de frais. Et puis c'était une vraie bonne idée. Julie et son compagnon que nous retrouvons à quai sont vraiment chouettes. Ils retournent à bord avec Claire et Charles pour prendre contact avec LDM. Laurent et moi, nous préférons les laisser en famille et nous poser à terre pour reposer ma jambe. Plus tard on se retrouve au resto. Nous passons une soirée très agréable repas plutôt raffiné pour une clientèle de passage. C'est vraiment un excellent moment familial.
Maintenant, je ne ferai plus grand chose à bord car le moindre mouvement me fait vraiment souffrir. Nous prévoyons une courte escale aux Embiez. Laurent et moi restons sagement à bord pendant l'exploration à terre de nos invités. Charles est choqué car c'est une période de mise en valeur du travail de Mr Ricard et de sa Fondation partout sur l'île. Un peu indigeste cette opulence d'images du Monsieur Apéro.
Charles est tellement dégouté que Laurent et lui envisagent de faire l'apéro à l'eau pétillante désormais. Je m'inquiète gravement pour eux.
Le phare de Cassidaigne
(dangereux haut-fond de Cassis qu'on distingue sous le phare)
Nouvelle escale au Frioul, encastrement laborieux à Morgiret. Ces courtes pauses ont permis à Claire et Charles de mieux connaître nos îles aussi différentes que magnifiques. Laurent et moi restons sagement de garde à bord.
Et puis retour à Martigues.
Claire exploite pendant la navigation une ultime relaxation, sur la plate-forme arrière.
Faut oser quand même !
BILAN, d'après le livre de bord, 21 jours à bord de Lune de Miel. ÉQUIPAGE : Claire, Charles, Laurent et moi.
Milles parcourus 550 Mn pour 62 heures de moteur. Tout plein de chants et de flûte à bord, tout plein de siestes dans tous les coins possibles du bord, tout plein de repas très élaborés à tour de rôle, et de sympathiques restos offerts par Claire et Charles. Tout plein d'échanges animaliers ou politico philosophico romanesques... quelquefois graves mais toujours souriants. Tout plein de manoeuvres et d'expériences aussi hasardeuses que réussies.
Tout plein de routes à la voile. Peu et même aucune corvée grâce au partage... (sur ce coup là, c'est Laurent qui endosse le costume skipper mais ça ne l'exclut pas de toutes les vaisselles)
Et surtout, la découverte d'une île Toscane avec deux amis tout neufs.
Dégâts matériels :
- deux rapalas et quelques centaines de mètres de fil à pêche.
Dégâts humains :
- Allo Docteur, ici c'est pas la Noiraude... C'est une qui marche plus que sur un cylindre.
- Allons bon, comment vous avez fait ça ?
- Peut-être en montant sur un quai, et patati et patacrac !
- Vous affolez pas, c'est juste un claquage musculaire, un p'tit hématome de rien du tout dans la cuisse, un peu d'arthrose dans la hanche peut-être. Repos, anti-douleur, appui sur des cannes...
- Vous n'y pensez pas Docteur, je peux pas faire ça à mon Ouin-Oui, appui sur des canes, pauvres bêtes... et pourquoi pas des canes blanches tant que vous y êtes ?
- Des cannes j'ai dit, des tiges, des bâtons... des béquilles enfin ce que vous voulez... pas des canardes... et pas longtemps !
- Ouf, merci Docteur !
Marseille "entre les îles"...
Croisière cabotage le long de nos côtes en Méditerranée
Samedi 9 octobre 2021, aux aurores, donc pas tout à fait midi. Top départ, cap enfin défini… sud est, La Sainte Baume.
Nous quitterons les falaises rouges de la Sainte Victoire pour la vallée de l’Huveaune et sainte Zacharie. Jusque là pas de soucis, mais c’est sans compter sur les facéties du GPS. Il est spécial ce gps. Nous sommes certains de passer où qu’il nous guide. Nous ne risquons pas de tunnel inférieur à trois mètres. Nous ne risquons pas de faire écrouler un pont sous notre poids. Nous ne risquons pas de rester coincés dans un virage trop sec. Le seul risque, c’est son esprit d’aventurier. A partir de Sainte Zacharie, il nous embarque sur une route départementale à une voie de toute beauté, interdite au plus de 3T5. Les flans du petit camion décoiffent les herbes folâtres, bousculent les pétales des fleurs sauvages, frôlent presque les caillasses… Alllure escargot. Nous avons battu un record. Plus d’une heure trente pour 25 km. J’ai adoré ce parcours… Laurent certainement beaucoup moins.
Plan d’Aups parking immense, lieu dit : l’Hôtellerie… Fichtre, pour du parking, c’est du parking, des centaines de voitures sont alignées…Une concentration de véhicules sur des kilomètres. Découragés, on se réfugie dans le village, au bord des tennis vue imprenable sur la Sainte Baume.
Début de soirée, ambiance sympa autour du camion-pizza à une trentaine de mètres de nous. D’accord on n’avait pas prévu de la compagnie, mais ça va pas durer toute la nuit… Et puis c’est ça aussi l’esprit des vacances. Plus tard dans la soirée un martèlement de basses envahit l’espace sonore. On se décide à sortir du petit camion… Pas de pot, le « cercle » des jeunes est en pleine fièvre du samedi soir… A 22h on se doute que ça va se prolonger tardivement et c’est trop lourd pour nos oreilles. On retourne donc vers l’Hôtellerie. Bonne idée. Les parkings sont quasi déserts et nous offrent un choix de places inespéré. Nous nous cacherons le plus loin possible, en bordure de forêt. La route est juste là, mais y’a quasi personne qui circule la nuit. Ouf !
7 h le matin. Un autre ramdam nous sort de notre nuit. Des sortes de combis manoeuvrent à portée d’oreilles. Une horde d’humains semble se rassembler pas très loin. Très vite, ça rigole, ça chahute, ça piaille… Mais qu’est-ce qu’ils viennent faire là aussi tôt. Et puis des airs sont hurlés qui ressemblent à des chants religieux. Des centaines de voix, graves et aiguës, sans aucun souci d’ajustage. C’est phénoménal.
- Dis Laurent c’est quoi ce lieu ?
- Il paraît que c’est un lieu de pèlerinage, y’a une grotte un peu plus haut.
- Oh zut, C’est une secte qui s’échauffe pour son office du dimanche, si ça s’trouve.
- Attends, je jette un œil…
- Alors ?
- On dirait une corporation d’étudiants ou des scouts peut-être. Ils portent tous le même uniforme. Ils sont plus d’une centaine.
D’un coup, le silence nous tombe dessus.
- P'tit déj au calme, ils sont partis.
Hé non, une voix de baryton percutante entonne une chanson paillarde, que toute la clique (tête à claques) reprend à gorges déployées. Une horreur. Rapidement on entend que les hurlements s’estompent et que cette étonnante armée s’éloigne. Mais qu’est-ce qu’ils sont venus faire là ?
Histore de respirer un air plus vivifiant, et puis aussi parce que le Pic de Bertagne nous inspire. Faut qu'on repère les équipements du relais que nous avons si souvent cherché sur les ondes. Donc on change de campement. Nous trouvons un espace formidable pour nous garer à deux pas de la montée vers le sommet. D’un coup l’air nous paraît plus sain. Ho là, là, que c'est bon la forêt, les sentiers, les cailloux, et la solitude. Grolles et bâtons en avant, on se lance sur le plus sympa des sentiers. A quelques pas de là, on se heurte une fois de plus à une jeunesse exaltée, mais d'un autre gerne. Ici c'est l'heure ravitaillement du trail annuel de Cuges les Pins. Moyenne d’âge 40 ans, donc des gars et des filles, des hommes et des femmes, pleins d’ardeur. Une ambiance chaleureuse et vraiment sympa. Nous les laissons à leur ressourcement et nous attaquons la montée. Et ça c’est quelque chose.
Caillasses et rochers à escalader, sentiers instables, aucune sécurité, au bord de dégringolade de roches quelquefois. Nous ne tardons pas à tremper nos maillots… Nous avançons petitement avec grandes précautions. Les premiers « trails » nous foncent dessus. On se range pour les laisser passer. On fait quelques sauts de puce et un autre groupe s'annonce. Notre grimpée devient un jeu très rigolo car nous faisons de multiples pauses pour laisser passer des pelotons de coureurs, que notre ascension laborieuse gênerait ; Il flotte dans l'air un petit air de « diagonale du fou » qui nous plaît beaucoup. Ils sont tous très joyeux et très courtois. J’ai l’impression d’être une vache qui regarderait passer un train et lèverait le nez de son carré de cailloux à chaque wagon. Certains prennent le temps et nous taquinent alors j’en profite pour m’informer. Le trail fait deux circuits, 25 km ou 45 km, en tout plus de 1000 participants sont en course. Ce qui explique nos multiples stations.
- Au fait c’est quoi un trail ?
- Des grimpées, des descentes, les plus hasardeuses possible, et une tranche de saucisson, me répond l’un d’eux en rigolant, et croquant à belle dent sa rondelle en passant vite.
Il se fait dépasser par une magnifique jeune fille, toute en muscles et en finesse. Oh là, là qu’elle est belle.
Et ils foncent à travers rochers et caillasses, plus réjouis que jamais.
J’ai fait moissons de bonjours souriants et heureux pendant cette rando inattendue. J'ai engrangé toutes les sortes de saluts
Le bonjour pressé, à peine audible du mec hyper concentré sur lui-même, « bjour ! » ou plus laconique encore, « Mdame »… Et il passe. Il m’a pas vu. Lui, pas de doute, il fait la course.
Le bonjour courtois, « Bonjour, merci » mais toujours pressé, il me jette un regard rapide. Pas que ça à faire.
Le bonjour affable, « Bonne journée, merci Madame » il prend le temps de me voir. Ça peut aller jusqu’à un échange de regards. Il fait la course mais en dilettante.
Le bonjour qui est le dessus du panier, vous savez ce bonjour qui s’attarde sur vous, qui s’accompagne d’un large sourire, et qui vous répond avec chaleur : « bonjour Madame, belle journée pour crapahuter ! » Il fait la circuit mais pas la course.
Et puis, nous touchons le sommet, qui domine les montagnes et permet au loin d'apercevoir Marseille ou la mer... Fantastique.
Une grimpée ardue qui nous a bien plu et que nous referons avec plaisir.
Quant au retour, ouillle ouille ouille. Le GPS, (toujours facétieux) nous propose une descente sur route d'accès aux antennes. On se réjouit de ce confort inattendu car on en a plein les pattes et les genoux qui grincent. Manque de pot, cette sympathique descente en zone militaire est interdite au public... Bon ça nous aura juste permis un grand détour pour une rando d'une sizaine d'heures...
Dimanche, petit déjeuner de rêve dans la douceur d'un soleil généreux. Trop bon. Nous décidons d'aller à la découverte du sanctuaire de Sainte Madeleine. Une vraie promenade pour un dimanche. Le sentier est matérialisé par de larges marches. Allée des roys qui nous mène à douce allure à la voie Royale. La forêt est fouilli-feuillue, comme je les aime, totale anarchie, comme si l'homme n'avait pas réussi à la domestiquer. Oh là, là, que c'est bon tout ça. .
La Sainte Baume, j'adore ! vraiment !
Esprit vacance es-tu là ?
Vacance = état d'une charge, d'une place non occupée.
Ou bien , Vacances = période de congé des travailleurs...
29 juin 2009
Ces deux visions du mot vacance me plaisent bien. Sauf que si nous avons l'esprit, nous n'avons pas la matière. Le dos de Laurent ne se remet pas d'aplomb. Il s'est levé comme ça un matin tout de travers après quelques acrobaties nocturnes (à priori solitaire ?) et depuis il donne dangereusement de la gîte à babord. Notre départ n'en finit pas de se compromettre depuis bientôt deux semaines. Cependant, Velaux, lundi 29 juin 2009, au saut du lit. Laurent a des fourmis dans les gambettes. Il fait quelques pliages d'assouplissement. Et ça ne se passe pas si mal. Il est 8h du matin, j'émerge à peine. Laurent s'étire. Ma parole, le voilà parfaitement vertical.
- Saute du lit, si t'es d'accord, on quitte Velaux. !
Pensez si je suis d'accord. D'autant plus, qu'on a encore plein de trucs à bord qu'il faut finir avant de partir. Et qu'on a laissé en plan. Mais Laurent balaie tout ça d'une pichenette. Il faut impérativement passer nos bosses de ris dans le lazzy bag. C'est la seule chose qui importe dit-il. Peu de chose en somme. Et oui, il a dit, il pourra le faire... On est presque parti. Youpi ! Notre ami Claude nous dépose à Martigues dans l'après-midi. Ami Claude, que serions-nous sans toi ?
Nous resterons un jour au port de Martigues, histoire de tester la mobilité de Laurent à bord, et de nous mettre bien à fond dans l'esprit vacance. Nous nous attelons ensemble à l'installation des prises de ris. Quoi d'autre encore ? Il me semblait qu'il y avait une foultitude de bricoles à finir, et voilà que d'un coup, le navire est tout à fait opérationnel. Peut-être suffit-il de décider que nous sommes prêts !
Mercredi 1er juillet 2009 .
J'ai oublié de vous dire que la première innovation révolutionnaire de cette année, c'est une escale à Marseille Vieux Port. Car LDM, (Lune de Miel), n'a jamais posé sa quille dans la Vieux Port, inconcevable non ! Pour l'heure, l'ouverture du pont de Martigues est annoncée imminente. Je balance mon seau de rinçage en même temps que les amarres. Pour une fois notre quille ne piétinera pas de longues minutes impatientes à l'entrée du canal. J'adore ce départ bousculé, il imprègne notre départ d'une poussée dont nous avons grand besoin. L'air est doux dans le canal. A l'ombre du bimini, les quais défilent joyeusement. Salut Petite Venise Provençale !
C'est quoi ce joli sillage parfaitement symétrique de part et d'autre du safran ? Juste un p'tit oubli de nos anodes qui surfent gentiment sur le dos... Allez mes jolies, retour dans votre casier. Baguenauder dans l'eau, c'est pas le moment. On a de la route à faire. Le vent est au SW, passé le cap couronne, on attaque la côte bleue hardiment. Vitesse moyenne 4,5 nds. La mer est plate, juste un peu frisée avec jeux de lumière et d'ombre, LDM (Lune de Miel ) un rien joueur donne l'impression de sauter d'un carré de lumière à une tache d'ombre. Mais c'est de marelle qu'il s'agit ici, pas de saute mautons. Nous sommes quasiment seuls à naviguer. Si seuls et si proches des côtes dont les mouvenemts lointains, reflets de pare-brise, éblouissements de vitres, couleurs de vêtements, silhouettes animées nous permettent d'imaginer toute ces vies qui se bousculent à terre. Les pôvres ! Ce ne sont pas des images sans paroles. Entendez le pchouit, pchouit, pchouit si familier, si doux, si délicieux de la coque et le froissement de l'écume sur la mer. Panne de vent en début d'après-midi. Le cap Méjean n'en finit pas de s'arrondir, il y a longtemps que le Frioul esquisse ses côtes dans la brume d'été. Mais il ne se rapproche guère. D'un coup Marseille apparaît au fond d'une baie immense et la brise revient très soutenue. Nous fonçons entre l'Estaque et le Frioul à plus de 7 nœuds. A l'ombre il fait trop frais alors que je me love au soleil.
Entrée du Vieux port, bordé par les remparts roses du Fort Saint Jean à babord, par les jardins verdoyants du Pharo à tribord, dominé par les scintillements de Notre Dame la garde en hauteur. Grandiose. Le quai d'accueil est fort encombré. Entre les navettes touristiques, les canots et embarcations qui croisent et dépassent n'importe comment, le ferry-boat qui lambine au milieu, où se caser? Réponse immédiate. Un zodiac de la Société Nautique de Marseille (SNM) vient à notre rencontre pour nous guider en lieu sûr. Bien commode tout ça et inespéré. Amis navigateurs, le Vieux Port de Marseille, c'est la totale sécurité. J'ai beau êre une habituée piétonne des quais, me voilà encore toute esbaudie par la majesté du lieu. Voilà, je le dis tout net, c'est un des plus bel endroit qu'il m'ai été donné d'aborder. Le club est très luxueux, les plaisanciers sages. Notre place à l'écart de la circulation nous permettra une nuit très calme. Pour 26,50 euros la nuit (navire de plus de 12,20m) c'est un tarif très attractif. Il a tout pour séduire ce Vieux Port.
Nous passons la soirée chez Karine, Jo et Shana. On ne se prive de rien cette année !
Jeudi 2 juillet 2009
Mouvement social à Météo France, pas de météo marine. Nous sommes sous régime de brise (si ça n'a pas changé depuis hier) nous décidons d'une petite escale en calanque de Sormiou. Nous tirons des bords sympathiques entre le château d'If (que je n'ai jamais vu de si près) et le le Frioul. Avant le platau des Chèvres le vent bascule et nous avançons petitement les voiles en cisaux. Ce qui nous laisse le loisir de détailler les roches.
Nous jouons avec la silhouette changeante de Rioux selon l'angle par lequel on l'admire. Imposante et rassurante, elle protège son troupeau d'îles : Tiboulen qui se confond avec Maïre, Jaron, Jaïre,. On repère des nuées d'oiseaux qui y nichent. Jusqu'à l'ïle Plane, une brume épaisse estompe les formes dès qu'on s'éloigne un peu. Dans les falaises verticales où se nichent les calanques nous mettons un point d'honneur à repérer l'entrée de Sormiou sans le GPS. Fastoche ! LDM pioche son ancre dans le sable avec un joyeuse pensée à vous autres, anciens compagnons de croisière qui avez profité avec nous de cette calanque sauvage et calme en d'autres temps. L'année dernière Dorine y a inauguré son gilet de sauvetage. Et comme l'année dernière, les rafales de vent y sont régulières et fortes. La météo aurait-elle évolué à notre insu.
Vendredi 3 juillet.
Toujours mouvement social à Météo France, on se la coule douce à bord. Soirée sereine et rêveuse. Dans la nuit quelques rafales nous bousculent. Mais rien ne laisse prévoir le violent coup de canon qui ébranle tout le mouillage à 5 h du matin. Aussitôt quelques gouttes frappent notre toit. Pas un pet d'air. Des grondements lointains se rapprochent à grands galops. Nous voilà en vigilance orange, parés, mais à quoi au juste ? Nous passons la tête dehors pour voir un peu ce qui se passe. Une déchirure illumine les nuages, en quelques instants elle s'étire jusqu'au sommet de la paroi qui nous fait face. Une rude secousse ébranle toute la calanque. La foudre a frappé fort. Un craquement de ciel après l'autre. Le bombardement s'intensifie. C'est effrayant et terrible. En même temps, je ne suis pas inquiète. C'est bien la première fois. Il manque à ce spectacle la brutalité du vent qui accompagne en général les orages. Sans le vent, c'est un orage qui ne se prend pas au sérieux. C'est pour du beurre dirons-nous. Et c'est un bien joli spectacle que je quitte à contrecoeur pour m'abriter des trombes d'eau. A travers les hublots les éclairs illuminent le carré de leur lueur blafarde. C'est une nuit idéale pour les sorcières. Tenons-nous tranquille.
Samedi 4 juillet 2009
Départ début de matinée, cap sur l'Ile verte. Nous aurions pu y être abrité du NW mais nous avons choisi des fonds de sable à 10 mètres de profondeur et nous sommes trop près du passage du Bec de l'aigle, donc pas mal agités par des courants et remous divers. Vers 11h du soir, le plus fastueux des feux d'artifice nous est offert sur la Ciotat. Notre loge est la meilleure et nous en profitons un max. Plus tard, je reste longtemps dehors, fascinée par les petites barques de pêche qui tournent et virent au pied du Bec de l'Aigle. Feu rouge, feu vert, en alternance dansent dans le chenal, un coup babord, un coup tribord, je ne m'en lasse pas. Imaginez ces images de nuit dans le silence de la mer.
Dimanche 5 juillet 2009
Fatigués par les courants qui nous arrivent du cap, nous décidons de tenter l'un des mouillages en bord de plage de la Ciotat. Nous choisissons celui des Capucins. Et là nous sommes vraiment bien installés. Est-ce d'avoir été un peu secoués la nuit précédente ? Est-ce d'avoir fait trop d'extentions ou de contorsions en pliant la grand voile ? Voilà que Laurent recommence à se tenir de traviole et grimace au moindre mouvement. Il tente un bain dans l'après-midi, quelques mouvements sur le dos, porté par l'eau de mer... Nouvelle série d'anti-inflammatoire...
Une bonne nouvelle, la météo marine est revenue. Elle aurait mieux fait de continuer sa grève. Revenir pour nous annoncer un long coup de vent sur toute la zone, incluant Côte d'Azur... Zut alors, on était bien là. Force 4 à 6 annoncée, nous décidons de rester là jusqu'à lundi.
Port de la Citotat
Lundi 6 juillet 2009.
Laurent n'est vraiment pas en forme. Les rafales secouent le bateau. Nous décidons de profiter du mauvais temps annoncé pour passer en phase repos. Nous avons la chance de trouver une place au nouveau port de la Ciotat. C'est moins chouette que Marseille mais nous sommes parés pour voir passer les mauvais coups du vent. Plus tard, dans quelques jours nous aviserons. La seule chose que nous connaissons de la Ciotat c'est ce port où nous avions fait une courte escale avec Sybille et sa famille en 2003 et la base de planche à voile, du temps que Laurent et Jo s'y offraient de grands frissons sportifs... Tourisme à la Citotat donc. Si le temsp est trop pourri, on ira au cinéma. Quand je vous dit qu'on part pour des supers vacances !
************************************************************** * INTERMEDE * ********************************************************************
- Alloo, je voudrais parler à la Noiraude s'il vous plaît.
- Ne quittez pas, je suis son fils...
- Merci Monsieur, dites lui que c'est de la part de son ami Grignot'âge. - ... ... ...
- Allo, - Allo, c'est toi la Noiraude ?
- Oui, salut Grignot'âge, alors t'es où ?
- Sur Lune de Miel, j'ai tout fait comme tu m'as dit.
- Tout va bien alors ?
- Oui, enfin, je ne sais pas... Je voudrais ton avis. Toi, tu as beaucoup navigué avec ces personnages à petites oreilles, tu les connais bien. Crois-tu que je peux quitter ma cachette et me montrer ?
- Bien sûr, pourquoi ne pourrais-tu pas ?
- Parce que j'ai mauvaise réputation moi. Je ne suis pas comme toi, une bête à cornes, nonchalante, gentille et maternelle. A force de t'entendre parler de tes nav, je voulais vivre ça au moins une fois dans ma vie avant de finir en estoufade dans une cocotte en fonte. Mais je n'ai pas prévu de naviguer coincé sous le plancher d'un voilier. Mariné dans les eaux saumâtres des fonds, avant de finir mariné au vin rouge, c'est pas comme ça que je voyais ma vie. Et si j'en sors pour qu'on me précipite par dessus bord pour conjurer la malédiction de la bestiole à longues oreilles, quelle horreur. J'ai pas appris à nager dans mon champ de luzerne...
- Tiens, tu me fais rire. Ne crains rien, ils sont braves les deux longues pattes et petites oreilles. Tu n'as qu'à apparaître le matin au p'tit déj avec ton plus beau sourire et en frétillant de tes longues oreilles, ils vont t'adorer.
- Avec une carotte entre les dents peut-être ?
PS : pour les fondus de Coucou.net, ceux qui sont peu habitués aux finesses psychologiques du monde marin. Il faut savoir que le personnage à longues oreilles est complètement tabou et porte une poisse colossale aux navigateurs. Il est absolument interdit de séjour à bord, que ce soit sous forme de terrine ou de peluche. Afin de ne permettre aucune prise à la malédiction sur les embarcations amies qui me lisent, je ne le cite que par des métaphores. Je ne voudrais pas qu'il se manifeste chez eux à travers leurs systèmes informatiques. C'est donc de ma part un clin d'oeil taquin à nos amis en partance pour l'atlantique. Vos aventures seront plus palpitantes que les miennes et j'attends de vos nouvelles avec impatience. Bonne nav ! JanouB
Vendredi 10 juillet 2009 -Bassin Bérouard- la Ciotat
4ème jour de tourisme à la Ciotat. Nous sommes amarrés en avant et c'est pas terrible car le quai est particulièrement bas. Assez facile pour descendre, après un grand écart, il suffit de se laisser tomber par terre, mais pour monter c'est nettement plus acrobatique, voire quelque peu hasardeux. Tensions, extensions, poussées, tirages, élongations. Nos vieilles douleurs se réveillent. Passons sur ces désagréments secondaires.
Au coeur de la ville, découverte d'un marché fort agréable mardi matin. Flânerie sur les quais du Vieux port qui se transforme en foire artisanale et touristique en soirée. Babioles et trouvailles en tous genres, parfaitement inutiles pour la plupart donc indispensables aux vacanciers. Laurent a falli acheter une toile peinte à la bombe... Ouf, après réflexion, y'a pas de place sur nos murs. La maison de Velaux l'a échappé belle.
Nous avons visité le musée des Frères Lumières. Retour aux origines du cinéma qui était en ce temps là de l'ordre de la science plus que de l'art cinématographique. Nous avons été captivés tous les deux avec un rien de nostalgie aussi. La chapelle des Pénitents Bleus propose une expo peinture sur le thème de la " musique " un vrai régal. L'ambiance à la Ciotat est très festive et très agréable. C'est une ville sage en même temps. Ambiance très familiale. J'aime bien. A bord le vent hurle dans les haubans, ça cliquette et ça grince dans tout le voisinage. Nous sommes contents d'échapper aux aléas du mouillage avec des pointes de vent qui s'affichent à plus de 35 noeuds. On se lève le matin avec 15° dans le carré, les petites laines sortent des placards. Nous profitons de notre désoeuvrement pour travailler sur le court métrage de " Mon Village ". Le deuxième jour, j'ai la sotte idée de vouloir prendre une douche chaude au port. Les sanitaires sont de vraies étuves et j'ai vraiment froid en remontant à bord. Pas de pot. Après ce coup de chaud et froid, j'éternue cent fois et dans la nuit je couve une bonne fièvre sous la couette. Saint Paracétamol intercédez pour moi.
Samedi 11 juillet 2009. Accalmie météo. La queue de mistral résiduelle annoncée force 3 ...4 nous séduit. Filons vers l'Est. Dans la matinée, nous traversons la baie de la Ciotat, belle allure de largue, vitesse 5/6 noeuds. Je me love au soleil. Ma toux prend du recul. Au niveau de la Baie d'Alon juste avant Bandol, les creux sont plus profonds, pas loin de 1 mètre, le vent passe arrière. LDM est poussé sous les fesses. Il adore ça ce bateau farceur. On fait des bonds en avant. Pas forcément confortable mais on fuse sur l'écume. Du coup on ne s'arrêtera pas à Bandol. Joyeuses pensées Amis Bour ! Vous savez bien, en méditerranée, il faut toujours profiter de ces momnets bénis.
Nous avons bien fait de pas traîner, à 15h, notre vitesse tombe en dessous de 2 noeuds, le génois se ramollit... Moteur ! Au niveau du Cap de Carceirane, une accélération soudaine nous permet de renvoyer le génois seul. La mer est beaucoup plus calme ici, et notre balade devient fort agréable avec une vitesse constante de 5 noeuds 1/2. Pas de doutes le cap Cepet est une frontière météo très précise. Nous traversons la petite passe des îles d'Hyères lumineuses sous le soleil. Nous les laissons à tribord. Nous décidons d'aller nous abriter à l'Est de la pointe de l'Estérel, Presqu'île de Giens que nous savons agréable. C'est immense et nous posons notre ancre par 8 mètres de fonds avec 40 mètres de chaîne. Il y a quelques herbes superficielles mais l'ancre les traverse sans problème. Vu la longueur qu'on aligne, totale sécurité. C'est ça qui est chouette dans les vastes mouillages, on s'étale, on s'étale... Un voilier qui lui, ne s'est pas assez étalé dérape pendant que les propriétaires visitent la côte. On le voit partir sous une rafale force 6, et dériver lentement; ça vous rappelle quelque chose de nos aventures ? Laurent souffle à fond dans sa corne de brume pour prévenir les plus proches voisins. Concentrés sur leur pastis, ils ne voient rien venir. Finalement ils réagissent magistralement au moment où le fuyard va les percuter par l'arrière. Ils arrivent à le retenir. Ils le mettent à couple et attendent jusqu'à 21 heures que les chanceux propritaires récupèrent leur bien. (pas bileux pour deus sous, ils ont joyeusement festoyé à terre en prenant leur temps. Décidément ça me rappelle quelque chose !) Nous voilà pour de bon dans le monde de la plaisance et de ces petites surprises !
Dimanche 12 juillet 2009
Les vents sont annoncés de flux d'Est, La protection ici devient douteuse. Il va falloir déménager. La mer est à 17° les baigneurs sont rares et l'immense plage très clairsemée. Mais où sont donc cachés les estivants ? Nous décidons de traverser la passe et rejoindre Porquerolles juste en face de nous. Nous quittons le mouillage à 17h15, alors qu'un rideau de brume tombe sur la mer. Nous avons observé qu'il y a deux moments favorables pour s'installer dans un nouveau mouillage. C'est en matinée vers 10h, quand ceux du matin sont partis ou en instance de départ et que les suivants ne sont pas encore arrivés. Ou alors entre 19h et 20h, quand les locaux quittent tardivement les lieux pour rentrer au port. Ils sont légions à laisser d'immenses trous dans le mouillage après un dernier apéro à bord. Lorsque nous traversons la passe par vent arrière avec juste le génois, on croirait croiser un boulevard. Les embarcations de toutes les sortes et de toutes les tailles pétaradent ou fusent de tous les côtés. Des voiliers tirent des bords dans tous les sens. Ca ronfle, ça vrombit, ça chuchote.... Bruyant et agité. Nous ne risquons pas de nous endormir mais faut pas rêver non plus.
Lorsque nous sommes au milieu de la passe, la presqu'île de Gien et toute la baie de Hyères sont noyées dans le brouillard. Devant nous, des collines grises et des forêts de mats... Il semble qu'il y ait un monde fou à Porquerolles. A tel point que j'ai un doute, c'est des mas ou les troncs des arbres ?
- Dis Laurent, tu crois que c'est une bonne idée d'aller se fourvoyer par là?
- Mais oui, t'inquiète pas, on a besoin juste d'une petite place pour LDM.
Il a raison. Il doit bien y avoir une centaine de bateaux au mouillage mais cette baie d'Alicastre, à l'Est de Porquerolles est immense. Fonds de sable, nous mouillons dans un vaste espace par 6 mètres de fonds. Je dormirai tranquille.
Lorsque la nuit tombe, le vent aussi. Le mouillage devient étrangement calme. Les bandes de brumes se répandent tout le long de la côte.
A 22h, nous savourons cette nuit magnifique à l'abri du cockpit, enveloppés dans nos petites laines. Depuis que j'ai pris froid à La Ciotat, je n'arrive plus à me réchauffer. Oublions ça, la soirée est si belle. Le brouillard a absorbé nos voisins. Les feux de mouillage jettent leurs éclats dans la grisaille. Leurs reflets scintillent dans l'eau sombre comme de grosses étoiles tombées du ciel. Il pleut de la lumière dans le silence de la baie d'Alicastre. Nous sommes seuls au monde. Porquerolles est un lagon magnifique.
******************************************************************INTERMÈDE********************************************************************* - Allo, bonjour, je voudrais parler à La Noiraude.
- Ah, c'est toi, bonjour Grignot'age. Quoi de neuf ?
- C'est beau, c'est magnifique. C'est tout comme tu racontais. La mer, l'écume, le vent, la navigation. J'adore. Et j'ai même pas le mal de mer. - Alors tout va bien !
- Oui, enfin non, pas vraiment c'est pour ça que je t'appelle.
- T' es sorti de ta planque quand même ?
- Oui, bien sûr. Ils sont trop gentils à bord. Ils m'ont installé un abri dans le casier à casquettes. Un vrai nid de douceur. En plus je suis parfaitement calé. Super, vraiment ! Ils ont rigolé quand ils m'ont frôlé avec leurs pieds nus sous la table du petit déjeuner. Ils m'ont tout de suite adopté. Nous nous amusons, et nous baignons dans la tendresse, faute de profiter de l'eau de mer. A part la fraîcheur de l'air et de l'eau, c'est super.
- Alors où est le problème ?
- Le problème c'est que depuis que je suis là, il leur est arrivé quelques misères. Lui, il se déboîte le dos en permanence en plus il s'est brutalisé un orteil en courant à l'avant du bateau. Il marchait à peu près droit maitenant il boite. La femme tousse, tousse. Elle frissonne, elle a tout le temps froid. Tu crois que c'est de ma faute, que je leur porte la poisse ? Je n'ose plus les regarder, je culpabilise à mort.
- T'es vraiment cloche toi. Tu n'es pas responsable de tous les maux qui tombent sur les humains, qu'ils soient à bord ou à terre. Ils sont assez grrands pour faire leurs misères tout seuls. Probablement qu'à bord tu vas devenir leur mascotte. Quand un humain croise un truc à poils, à queue et à quatre pattes, il en fait toujours sa mascotte. j'ose dire que tu leur es indispensable.
- T'as peut-être raison car ils sont toujours aussi aimables avec moi. Pas un seul regard douteux, pas une seule allusion désobligeante. Ils ont renouvelé ma provision de carottes bio et avec les fanes, s'il vous plaît. Il me dispensent joyeusement leurs caresses. J'aurais jamais cru que ça me plairait d'être traité aux petits oignons. Tiens, j'ai bien fait de t'appeler. Tu m'as redonné confiance en moi. Merci !
- Pas de quoi. Celui qui n'a pas de doute n'a pas de conscience.
- Hélas, chère Noiraude et le poids des traditions pèse lourd sur la conscience !
Mardi 14 juillet 2009. Baie d'Alicastre Porquerolles.
Réveil secoué à 8h. Coup de vent NE annoncé notre abri promet de devenir inconfortable. Décision quasi immédiate de filer vers le nord du bassin, Miramar la Londe par exemple. Même pas le temps de boire un café. Le vent forcit à vue d'oreilles. Nous filons au prés très serré avec deux ris dans la grand voile et un bout de génois. On bondit sur l'écume, vitesse plus de 6 noeuds. Forcément un peu brutale comme navigation. Mais jouissif en même temps.
Au milieu de la passe on croirait chahuter dans les remous du canal de la Dominique. L'écume déferle à l'avant. Le pont sera briqué de neuf par la mer. Il n'y a plus grand monde qui navigue. Seul entre la côte et les îles, LDM chahute avec les vagues et s'en donne à coeur joie. Pour Laurent et moi, malgré la capote, quelques giclées d'embruns qui décrassent la figure... Nous restons stoïques comme toujours.
On se rapproche de la côte. Progressivement la mer se tasse. Notre allure devient franchement agréable. Les embruns ne frappent plus la capote pour inonder le cockpit. Ouf nous pouvons respirer librement !
Bravo, il est là le site de rêve. Derrière la pointe de Léoube à l'abri d'un magnifique rocher envahi de pins d'alep. Un vrai trou à cyclone. Je vise une trouée de sable entre les algues par 6,50m de fonds. Visons juste pour aligner nos 30 mètres de chaîne !
Il est dix heures du matin. On a toute la journée pour surveiller notre mouillage. Comble de bonheur c'est le désert.
C'est fort intéressant, une fois que nous y sommes, d'autres voiliers viennent tenter cet abri. Beaucoup dérapent. Et le vent commence à nous fatiguer les oreilles. La météo du soir annonce du calme dès cette nuiT. Ouf !
Blottis derrière la capote nous guettons le coucher du soleil sur la presqu'ile de Giens. C'est vraiment chouette.
C'est très étrange la vie de plaisancier. Nous sommes scotchés à bord à cause de la précarité de la météo. Nous menons une vie très contemplative, entre observation des oiseaux qui tirent des bords pour rejoindre la plage, spectacle des autres voiliers et de leurs mouillages plus ou moins hasardeux, lecture intensément, travail informatique sur le court métrage pour Laurent, concertation pour les choix de coupe, de sons... Pause repas, café, vaisselle... Eventuellement toilette très sommaire !
Concert de flûte traversière tous les soirs, Laurent fait au vent une concurrence déloyale.
J'adore !
Mercredi 15 juillet 2009
Le temps s'est bien radouci. A 4h du matin, je me suis levée stressée par des poussées violentes de NE. Je suis restée 1h sous le cockpit à veiller dans la nuit claire. Les nuages s'effilochaient autour de la lune. Les îles du Levant au sud faisaient de grandes taches grises à l'horizon. Des éclairs intempestifs, silencieux, loin vers l'Est annonçaient de l'orage. Une fois sortie de la couchette, j'étais prête au pire, apaisée. Le vent est tombé d'un coup. Les éclairs ont disparu du ciel. A 5h, je me suis allongée toute habillée dans le carré avec une couverture, prête à réagir si le temps se dégradait. Mais j'ai dormi comme un loir jusqu'à 9h du matin.
La météo promet des brises estivales. Le régime idéal est annoncé pour demain. Ce matin la temprérature de l'eau affiche 24°, nous sommes en marche vers les vacances.
En fin d'après-midi un voilier s'installe à babord, distance très respectable. Une fine et joyeuse équipe s'y agite. Ils nous intriguent car ils jettent une première ancre à l'arrière. Ils y ajoutent une deuxième ancre et long de chaîne. Diantre, qu'est-ce que ça signifie et puis, est-ce bien raisonnable ? Un bon moment plus tard, tout le monde passe à l'avant du bateau. Ils se rassemblent en poussant de grands cris autour d'une voile colorée qui pourrait être un spi. Nous ne comprenons pas ce qu'ils mijotent. Peu après, quatre d'entre eux sautent à l'eau. Les autres envoient le spi (au mouillage ?). Une écoute flotte jusque
dans l'eau, que l'un des nageurs maintient. L'autre écoute est nouée aux deux points d'amure du spi qui se gonfle joliment comme une baudruche. En voilà une étonnante balançoire. Ça braille à bord et ça braille dans l'eau.
- Lâche la drisse.
- Lâche pas l'écoute.
- Cramponne toi
- Qu'est-ce tu fous, retiens la drisse...
Un des nageurs se cramponne à la " balançoire ". Le vent est léger, une quinzaine de noeuds mais il secoue l'écoute. ll'acrobate est vivement traîné, soulevé au ras de l'eau, replongé. Il en fait de l'écume celui-là.
- Oh zut, oh la là, ouille ouille ouille
D'un coup en même temps que la balançoire s'élève dans le ciel, le garçon comme une araignée au bout de son fil gigote en l'air.
- Youpi, ça marche, je vole, je vole....
Il s'assied sur son cordage, il se met debout, il se bascule en " cochon pendu ", suspendu par le spi et balancé vaillammant par les courants d'air. Un bien joli spectacle et des sensations terribles que ces jeunes garçons et filles se disputent.
Plus tard nous pourrons parler à l'un d'eux qui s'est approché de LDM à la nage. Il viendra récupérer sur une clé USB les photos faites par Laurent. Quelle agréable compagnie au moment de l'apéro ce jeune garçon de 16 ans. Il navigue en famille et cousinage depuis qu'il est né... L'eau, la mer, la voile sont vraiment ses éléments. Il est plein d'enthousiasme. Un bien beau monde. Oui, mais,
jeudi matin, météo du matin, chagrin. Et vlan, la dépression s'était comblée sur l'Algérie. Une autre se forme juste sur nous. Y'en a marre. Nouveau coup de vent annoncé force 7/8 vendredi soir, samedi toute la journée, la nuit et journée de dimanche. (Force7/8 pour ceux qui n'ont pas l'échelle beaufort en tête, ça représente une moyenne de 35 noeuds soient 70km/h). Ne parlons pas des rafales et de leurs vagues traîtresses. Mais alors ce sera quand l'été ? Pour l'heure, tout le monde aux abris. Vous feriez quoi vous ? Chiche on rentre ? Ras le bol de ces coups de vent. Un coup de l'Ouest, un coup de l'Est, mer
chahuteuse et vent capricieux. Vous croyez que c'est de la plaisance ça ! En même temps, aujourd'hui régime de brises, on pourrait en profiter pour continuer vers l'Est. On ne fera pas grande distance sous brise, Une quinzaine de milles à la voile, ça paraît jouable. Cap sur Cavalaire peut-être !
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- Allo, bonjour, je voudrais parler à la Noiraude s'il vous plaît.
- Oui, c'est moi bonjour. C'est toi Grignot-age ? Encore quelque chose qui cloche ?
- Hélàs, je suis très inquiet, je voudrais savoir comment réagir ! C'est bien embêtant ça.
- Bon de quoi s'agit-il ?
- Tout allait bien et d'un coup, voilà l'ambiance à bord devenue très morose. Je ne comprends pas. Leur mal de dos recule, leur toux s'éclaircit, ils ont retrouvé tous les deux leur verticalité. Ils ont l'air plutôt en forme. Mais ils ronchonnent et tous les deux en plus, et je ne sais pas comment leur remonter le moral. J'ai même pas intérêt à me trouver dans leurs jambes.
- Oh, je connais ça, c'est inévitable, ça fait partie des vacances en mer. Ils rouspètent parce que le vent est trop violent, jamais dans le bon sens. Ils rouspètent parce qu'ils ont froid. Ils rouspètent parce qu'ils se croient prisonniers de leur mouillage. Ils rouspètent parce que les voisins font du bruit, parce que quelqu'un dérape sur leur chaîne. Ils rouspètent parce que l'eau est trop froide, le vent leur casse les oreilles et la houle leur donne mal au coeur. Ils rouspètent parce les moteurs voisins puent. Ils rouspètent parce que la vaisselle tinte dans les équipets et que les bouteilles de vins chantent dans leur casier. Ils rouspètent parce que leur vie est précaire. Ils rouspètent parce qu'ils ont envie de rouspéter. Rien à faire contre ça !
- Je ne comprends pas. Si c'est si chiant la voile, pourquoi ils naviguent et surtout pourquoi ils appellent ça de la plaisance alors là, je comprends vraiment pas.
- Parce que tout ça est passager. Dès que la météo s'arrange, ils boivent un pastis ou un whisky pour évacuer le mal au coeur et l'alcool leur ouvre de beaux horizons. Bientôt ils seront émerveillés, souriants et tendres. Après l'esprit bongon, y'a l'esprit bourbon... Et vive la plaisance !
- Et je fais quoi en attendant l'esprit bourbon ?
- Planque-toi dans ta couchette et dors !
eudi 16 juillet 2009/ cap sur Cavalaire.
Nous quittons notre sympathique abri vers 11h au près serré, mer calme,beaucoup de brume qui s'estompe peu à peu. La côte que nous longeons est verdoyante et nous parle d'espace paisible. Voici le Fort de Bregançon (résidence officielle de vacances pour nos Présidents !). C'est une forteresse austère, que l'îlot (sur lequel elle est souveraine) protège de ses remparts. Sauvage et fier. Un bien bel endroit, qui a quelque chose de secret. Nous le contournons avec un peu d'étonnement.Emerveillement aussi.
Le vent tombe d'un coup. Moteur !
Jusqu'au Cap Bénat de jolies petites criques découpent l'épaisse végétation des rivages et ourlent la côte de sable doré. Corniche des Maures, c'est absolument magnifique. J'ai envie de chanter " à la claire fontaine "... Et d'ailleurs je chante, du coup Laurent aussi ! Bonne ambiance à bord !
Le cap Bénat dévoile l'immense baie de Cavalaire quasi déserte. Tout au fond, nous distinguons des taches blanches parfaitement alignées. Un champ de bouées (amarrages organisés) Totale séduction car là nous pouvons attendre le coup de vent annoncé en dormant sur nos six oreilles, (faut pas oublier les longues de Grignot-âge !)
Formule économique, 23,50 euros la nuit, ça nous va tout à fait bien.
Samedi 18 juillet 2009/ Tempête à Cavalaire.
Je ne dirai plus que les prévisions météo dramatisent leurs annonces par principe de précaution. Les vents annoncés 8 affichent 45 nœuds en moyenne et des rafales à 55 nœuds à l'anémomètre. Je voudrais pas vous affoler mais ça nous fait du 100 km/h ça.
Ça déferle sec sur le pont de LDM. À notre arrivée nous étions 3 au mouillage. Aujourd'hui le port affiche complet et dans notre champ de bouées les voiliers côte à côte dansent une drôle de sarabande.
- Dis Laurent, t'es certain que nos amarres vont pas péter ?
J'ai à peine fini ma phrase que notre voisin tribord d'un coup file nez de travers et en marche arrière. Les amarres, qu'il avait maladroitement passées en patte d'oie par l'étrave se sont cisaillées à force de frottements et tiraillements sauvages. Les agents du port qui veillaient au grain, ont vite rattrappé le navire et relogé sur sa bouée. Les équipiers cette fois ont doublé les amarres, deux de chaque côté de l'étrave.
Ce que tout bon marinier devrait faire systématiquement.
Le vent hurle et gronde, LDM donne de violents à-coups sur ses amarres.Par moment il donne l'impression de se cabrer comme un animal rétif.J'aime pas du tout.Nuit bien agitée. Tapage nocturne sans trêve ! Je ne résiste pas à la tentation de me lever juste avant le soleil, convaincue qu'il se passe d'étonnantes visions dans la baie. Faut pas que je rate ça !
Image d'une baie en folie. La mer est grise. L'écume argente les vagues qui se coursent et se bousculent dans l'anarchie la plus totale. Pas une lumière dans la ville. Gris, blanc, gris, tout est gris.
Dimanche 19 juillet 2009.
Changement de décor autour des bouées. La mer est devenue sage. Les plagistes sont ressortis de leurs abris. Les parasols rivalisent de couleurs et les engins de plage sillonnent toute la baie. Estivale mais trop habitée. Quelques courses de frais, fruits et légumes, un peu de viande, jambon.
Cavalaire ville ? Rien à dire sur Cavalaire. C'est une ville nouvelle, bord de mer, plage, bars et restos...C'est juste le paradis des fondus de la plage. C'est pas du tout notre cas.
Vite, cap sur les Lérins. Nous quittons le mouillage à la voile sans un bruit et en douceur. J'adore ça. Comme nous avons trop d'énergie (épatant les panneaux solaires) Laurent décide de passer en mode dessalinisation. Renouvellement de notre stock d'eau douce, vive l'eau de mer recyclée. Nous voilà de nouveau autonomes.
Je ne vous ai pas encore parlé de la manie de Laurent, vous savez celle de mettre sa ligne à trempette. Je ne l'avais pas jugé utile parce que c'est d'un intérêt mineur. La ligne donc se traîne langoureusement comme il se doit dans notre sillage ... Cap Lardier... Cap Taillat... Et vl'a t'y pas qu'au niveau du cap Camarat
alors que nous nous laissons gentiment bercer par une douce allure de largue, le moulinet est pris d'une belle envolée de ligne et d'une longue plainte qui siffle... Pendant pas loin d'une demi-heure, rude combat entre la ligne, un gros thon rouge et Laurent... Nous voilà avec plus de 5 kilos de poisson frais qui remplissent le frigo. J'en mets une bonne partie au sel. (ceux
qui veulent manger des acras de thon ou un aïoli au thon à l'automne,faites vous connaître !) Le reste (8 repas prévus) sera accomodé dans les jours qui viennent. Nous sommes très affairés à bord. Du coup je ne vois pas passer le cap de Saint Tropez. Nous allons bon train.
Le cap Roux finit d'aligner ses crêtes rouges. Nous avons nettoyé toutes les traces de pêche au thon, rempli le frigo et nous traversons la baie de la Napoule avec enthousiasme et en tirant des bords à 7 nœuds.
Salut Cannes, mais nous avons notre dose de vie citadine. Nous irons nous cacher entre les îles. Nous posons notre ancre, vers 19h dans 6m de fonds sable. Entre l'île Sainte Marguerite et l'île Saint Honorat. Une vaste étendue de mer émeraude qui donne envie de s'y plonger tout nu. La vie est belle à bord de LDM.
INTERDMEDE
- Allo, la Noiraude, c'est ton ami Grignot-âge !
- Oui, salut Grignot-âge, toujours en forme, y paraît que ça bastonne
dans ton coin.
- Oui, bof, juste un mauvais moment à passer. En vrai, j'ai d'autres soucis et beaucoup plus graves. Il y va de ma survie. Mes gentils navigateurs côtiers, viennent de se tranformer en brutes sanguinaires.
Ils ont harponné un royal thon aux belles couleurs brillantes, si tu les avais vus. Ils ont un immense couteau tout fin, un vrai carnage à bord. Quelle folie meurtrière les a pris ? Maintenant je suis mort de trouille et je ne sors plus de mon casier à casquettes. Je guette à travers les visières dès que l'un d'eux s'approche et je me fais tout petit. Tu crois que je vais subir le même sort ? Le plus effrayant, c'est qu'ils ne sont guère doués au jeu du couteau. Ils réussiront à m'occire mais après moult ratés de leurs canifs tremblants. AU SECOURS !
- Oh, du calme. Sors plutôt de ton casier. Ils ne sont ni fous, ni cruels. Avec eux, même les araignées sont domestiques. Il peut toutefois leur arriver de vouloir exterminer certaines espèces animales. Cas de légitime défense dirons-nous. Pour neutraliser le vandalisme des rats dans les greniers, pour lutter contre la voracité des fourmis ou des cafards qui dévalisent la nourriture ou pour se protéger des insectes suceurs de sang. Toi, n'as vraiment rien à craindre de tes deux équipiers. C'est dommage pour le beau thon rouge mais c'est un dangereux prédateur. Songe à toutes les petites espèces, sards, sardineaux et
maquereaux ainsi sauvés de la gueule féroce du thon. Tu imagines ce qu'un thon boulotte en une journée ! Tes gentils navigateurs côtiers oeuvrent pour la sauvegarde des petites âmes de la mer.
- Wouha ! Tu m'avais pas dit que j'étais à bord d'un voilier militant. Donc je fais partie d'un mouvement de lutte pour la survie et la promotion des petites espèces animales ou humaines. J'adoooore ! Merci la Noiraude ! J'ai toujours rêvé de militer pour une juste cause.
Jeudi, 23 juillet 2009
Trois journées de rêve aux Lérins, entre terre, mer et... ciel. Nous sommes entourés de petites embarcations qui viennent là pour la journée. Pour échapper à ces envahissements, nous explorons les deux îles. Dès 5 heures le soir, le mouillage se vide. Retour à bord de LDM. C'est tout à fait fantastique de se sentir aussi seuls et abandonnés. L'ambiance paisible du Monastère de St Honorat nous séduit et Laurent prend date pour octobre.
Nouveau projet dans l'air. Laurent n'est jamais en panne d'idée. Il me fascine.
Le vent nous joue de mauvais tours. La houle nous frappe assez durement et nous nous levons à 5h du matin fatigués par des calages hasardeux dans notre couchette.
Forte houle annoncée pour demain, encore un mauvais coup qui nous vient de l'Ouest ? Nous n'avons pas été touchés par la grâce de St Honorat. Allez on s'casse de ce paradis. Oui mais où ?
Laurent après cette période de retraite spirituelle a des idées de grandeur. Allons y pour un changement radical, cap sur
Golfe Juan.
L'intérieur du Golfe de la Napoule est une rude affaire. Les fonds sont approximatifs, entre 3 et 7 mètres. Au milieu de la passe le sondeur descend à toute allure. Laurent rivé aux cartes marines me pilote depuis le carré.
- C'est bon, avance en gardant ton cap... bien.... 20° tribord... super
continue tout droit... Attention, ralentis, je viens faire une photo...
- Oh, y'a pas 3 mètres de fonds là.
- Oui mais c'est plat, continue...
J'en conviens volontiers, la baie de la Napoule, Cannes au fond et l'Esterel qui domine c'est très photogénique. Mais est-ce bien raisonnable de s'attarder ? Il semble que oui. Après la photo qui m'aura coûté bien des suées, nous sortons de la passe.
Golfe Juan, un port pour les grosses unités à moteur. Y'a donc pas de voileux ici ? Ah tiens, un p'tit d'à peine 18 mètres au milieu du quai 22. Allons nous y frotter. Nous voilà dans la cour des grands. Nous ne resterons que deux nuits, on nous autorise le tarif " public " moitié prix. Si trois nuits on passe au tarif passager, on double la mise. A savoir, le bloc marine annonce 35 euros la nuit et c'est vrai. Mais la facture ajoute un forfait pour l'eau, un forfait pour l'électricité (dont nous n'avons pas besoins 3 euros par jour-mais c'est un forfait) et 60centimes pour la météo). Ce qui monte la facture nuit à 43 euros, tarif public.
Finalement c'est pas terrible ce port, la ville est quelconque et je m'y ennuierais bien vite. Les égoûts se déversent à cent mètres de la plage.La foule s'y vautre sans préjugés. Les résidents des puissants yachts qui nous côtoient vivent luxueusement à bord. J'imagine mal, Madame avec sa petite trousse de toilette qui se pointerait aux sanitaires juchées sur ses escarpins.. Donc pas de sanitaires. Ne faites pas de détour par là si vous n'êtes pas obligés.
Samedi 26 juillet 2009
Puisque nous expérimentons le monde des gros bourgeois repus, allons-y pour un autre test. Cap sur Saint Tropez. Environ 22 milles à prévoir dans d'excellentes conditions. Une belle et bonne navigation. Profitons un max. Cap Dramont, nous revoilà. Vers 15 heures nous nous rapprochons de la côte. Une bande de brume s'est levée au ras de la mer comme un écran. Qu'allons nous trouver de l'autre côté du miroir. Mais c'est étrange quand nous nous rapprochons de cet écran, il donne l'impression de reculer. Sur la carte marine, Laurent a repéré dans le Golfe de Saint Tropez l'anse des Canebiers. Un site magnifique très peu fréquenté depuis que La Madrague, propriété de Brigitte Bardot ne fait plus recette. Tant mieux ! Nous entrons dans un mouillage clair et lumineux. Où est passée la brume ? Plage déserte, magnifique forêt de pins parasols, forteresse de St trop qui nous protège... Nous mouillons par 10 mètres de fonds, dans la vase, et ça LDM il adore, ça lui rappelle l'Etang de Berre, comme chez lui... Et puis, une petite cure de boue, ce sera excellent pour sa vieille quille. Par contre dans la passe ça circule fort. Dommage, tous ces remous qui agitent notre si belle anse. St Trop c'est trop.
Dimanche 27 juillet 2009
Les yachts rentrent tôt au port. Il faut avoir le temps de se pavaner sur les quais. Du coup la soirée et la nuit nous appartiennent. Délicieusement calme ! Mais dès 10 heures du matin les incessantes navettes reprennent.. Et puis la vie des riches, finalement ne nous paraît pas si terrible que ça. Et puis les fichiers météo annoncent un nouveau coup de vent en fin de semaine. Et puis nous sommes attendus chez la maman de Laurent. Les engagements avec la famille, ça rigole pas, hein les enfants ?
Pour le moment, vent annoncé variable 2/3, on fera avec, cap sur le retour. Quelle histoire pour sortir de St Trop. Le vent est très sympa, pas de houle annoncée. Nous tirons des bords pour dépasser la bouée de danger Basse Rabiou, puis pour rejoindre celle de la Moutte. Ce serait super,on avancerait à 5/6 nœuds. Sauf que les bolides qui nous croisent et nous dépassent lèvent une houle épouvantable dans des ronflements de moteurs d'avion. LDM amortit les secousses mais c'est pas la peine de se risquer dans le carré. Casse-figure garanti. Nous mettons une heure pour quitter cette zone outrageusement motorisée.
Des fois un hélicoptère en prend un comme ligne de mire, il tourne autour et desssus pendant un bon quart d'heure, puis choisit une autre cible. Nous sommes bien contents
qu'il ignore les petites gens que nous sommes. Bien du tumulte tout ça !
Une multitude de yachts à trois ou quatre ponts, telle une colonie de cloportes en fuite éperdue s'enfonce dans la brume. Une foutue bande de pollueurs qui font à peine l'effort de nous éviter. Puanteur, agitation et vacarme. Rendez-vous mondain en baie de Pampelonne ? Je comprends ici, ce que le terme de "plaisancier " a de péjoratif.
Revenons à notre monde humain si modéré. Déjà le cap Camarat. La mer nous est favorable et on déroule les milles sous notre quille à plus de 7 nœuds. Cap Taillat, Cap Lardier, direct au sud vers L'île du Levant qui se dessine dans la brume. Au sud du Cap Bénat, LDM s'essouffle, le spido annonce moins de cinq nœuds. Une aubaine pour Laurent. Vitesse idéale pour la ligne de pêche. Envoi immédiat. Un quart d'heure plus tard , il a piégé un cernier commun du plus bel effet. Une belle grillade de poisson à chair blanche et raffinée nous est promise pour ce soir.
J'avais rêvé de me poser magistralement dans l'anse de la Reine Jeanne pour la nuit. Mais elle est interdite, domaine de Brégançon, lieu protégé de haute sécurité, privilège des Présidents français. Dommage un abri qui porte mon nom façon royale ça me parlait bien. Laurent a trouvé mieux. Au sud de Port Cros, une petite anse isolée et sauvage, juste pour moi... Anse Janet (il est fort hein avec ses cartes !) Donc cap au sud.
Nous dépassons l'entrée de Port Cros archi comble, mais entre Bagaud et Port Cros, nous voilà deux voiliers qui se font de loin des risettes depuis leur ancre. J'ai trouvé un carré de sable au milieu des algues. Totale sécurité.
Que la vie est bonne à bord de LDM.
Pour fêter notre retour au beau monde on s'offre l'apéro suivi d' un rosé gris pour le délicieux poisson frais. Ambiance euphorique à bord sur le soleil qui se couche dans le silence de Bagaud. Au dessus de l'île une nappe orange offre ses dégradés de lumière. Plus tard lorsque le soleil a été avalé par le haut de l'île, le ciel s'irrise de rouge...que l'eau reflète. Nuit idéale.
Au matin ,à peine les yeux ouverts, les narines dilatées par une chouette odeur de café frais, je sors du carré émerveillée par cette petite crique sauvage, sable fin que protège une large pinède. A l'avant de l'étrave, je vois arriver à la nage un homme tout nu, complètement tout nu , de A à Z (surtout le Z... !) comme un qui naîtrait de la mer.
Un échappé du jardin d'Eden ? Il se rapproche avec élégance en nage indienne. A quelques brassées de moi, il se bascule sur le ventre. Il lève la tête. Un regard clair que je connais si bien, illumine son visage ruisselant. Laurent ?
INTERMEDE
- Allo, la Noiraude, c'est Grignot'âge, bonjour !
- Salut Grignot-âge, alors t'es sur le retour.
- Ouhais, ça me plaît cette promenade en mer. Je cohabite super bien avec mes équipiers. Nous passons de longs moments intimes. Je me blottis entre eux deux. Je voudrais pas avoir l'air de me vanter mais je crois qu'ils adorent mes longues oreilles. Moi qui en avais honte. Ils m'ont appris qu'elles sont soyeuses et douces et que c'est un pur bonheur à caresser. Mais c'est surtout leur taille qui fait rêver. Ils les tripotent dans tous les sens. Ils les veulent directives, en tourne-bouchon, en polarisation verticale, en polarisation horizontale... Ils s'interrogent sur les qualités réceptive et
acoustiques de mes beaux organes d'audition. Mais y'a pas que ça. Ils m'ont aussi débarrassé de mes préjugés et de mes complexes. C'est une vaie cure de jouvance cette croisière. Et j'ai vu tant de beaux endroits, mon carré de luzerne aura changé de dimension.
- Oui, bon s'agit pas de prendre la grosse tête non plus !
- Rien à craindre. Je voudrais en profiter pour t'inviter avec notre ami Ouin-Ouin le Canard, tu sais le 10 août,
c'est la saint LAURENT, Tu viendras dis ?
20 juillet 2007.
On oublie trop souvent un aspect incontournable du départ en croisière. C'est à la fois, le plus important, et le plus pénible. C'est celui du préparatoire à terre, l'instant d'avant départ. Depuis des mois on en parle. On rêve d'un ailleurs encore indécis.
La seule certitude, c'est de partir, quitter le terre à terre. Bien des soirées à deux, nous trompons le quotidien. Sur notre terrasse de Velaux, Laurent et moi, nous scrutons la nuit. Au delà de l'Etang de Berre, plein sud, les collines de la Mède nous promettent la Côte Bleue. Nous savons la mer à portée de quille. Et nous rêvons ensemble.
Nous allons libérer Lune de Miel de ses amarres dans quelques mois, dans quelques semaines, zut alors, dans quelques jours déjà. Le temps se précipite. Serons-nous prêts lorsque notre équipier va sonner à la porte ? Incroyable ce stock de matériel à embarquer, les toiles, l'annexe, la survie, le linge, le carburant... Et tout cet avitaillement. Combien de navettes brouettes ? Entre la maison et la voiture, la voiture et Lune de Miel...
Ouf, nous y voilà ! A la maison, la serrure du portail tout neuf a été revue, graissée, ajustée, caressée en vue de sa longue immobilisation en position fermée. Même moi, je l'ai testée...Une éventuelle canicule peut chauffer le fer, y'a de la marge.
Vendredi début d'après-midi, Roger et Marie arrivent à Velaux. Départ imminent. Les hommes ont soigneusement empilé ce qui reste, essentiellement les denrées de produits frais et des liquides. La voiture est bourrée jusqu'à la gueule. Laurent a bouclé toutes les portes, activé l'alarme. Nickel, tout super bien. Tout le monde dehors, dernier tour de clé du portail.... Pardon, qu'est-ce qui se passe ? Ça coince, ah bon, où ça, qui ça ? Non ! La serrure ? Oui, ça coince salement même irrémédiablement ! Laurent pousse, tire, secoue, en vain, impossible de bouger la clé. Roger vient à la rescousse. Impossible, on a beau secouer ce maudit portail, secouer cette maudite clé, suer, suer, (surtout suer...) la clé reste fichée, scotchée à son trou, cette conne. Pause pour tout le monde. Laurent se gratte les cheveux. Il toise son portail en fronçant les yeux, oh la la, ça va mal. Il se gratte encore un peu le front. Voilà, la décision est prise. Il se résout à rouvrir les accès maison, direction l'atelier. Il met en marche l'alarme par inadvertance, quelle importance, ça au moins ça marche. Il reparaît, allure martiale et décidée, armé de ....sa meuleuse d'angle et d'une longue rallonge électrique. Non, mais c'est qui le patron ici... Instant bidouille à la porte de sortie. Ça grince dans la serrure, ça se rebelle, mais Laurent aura le dernier mot... et finalement la clé finira par se soumettre. Je voudrais que vous imaginiez cette image extraordinaire de trois quidams en attente derrière une voiture bourrée de bagages, et un mec sur le départ, en bermuda et birgenstocks, qui lime sa serrure pour pouvoir la fermer. Notre amie Marie ne doit pas être trop tranquille de confier l'avenir de son mari à deux ostrogoths aussi désorganisés que nous. Mais c'est une dame discrète et mesurée. Je crois qu'elle a plutôt trouvé ça marrant. Merci Marie pour ta patience.
Samedi 21 juillet 2007. Martigues, panne n°1
Silence totale dans la nuit de nos couchettes. Sommeil à quai de trois futurs navigateurs bien tranquilles. Un quart d'heure avant que sonne le réveil, Laurent, Roger et moi sommes opérationnels. Nous attendons cependant quatre heures du matin pour appeler Fos Port Contrôle et demander l'ouverture du pont. A cinq heures nous nous présentons en même temps que les premiers grincements de pont annoncent notre libération. C'est la première fois que nous quittons le port de nuit. Y'a un monde fou. Les lumières inhabituelles donnent à notre départ une dimension mystérieuse. Très vite l'armada d'embracations se disperse. Vive la solitude. Un souffle d'air nous caresse le visage. Je n'ai pas le temps de passer par la phase contemplative. Laurent veut en profiter pour envoyer la grand voile. Pourquoi pas, c'est archi-calme. Roger impatient de passer en phase opérationnelle se poste au pied du mat, hardi petit. Et m.... la drisse se rebelle. Elle s'accroche autour de la lampe de pont. Comment ? une facétie de matériel ? Nous ne sommes pas encore partis et déjà notre installation merdoie. Roger doit commencer à avoir des doutes sur l'équipage, moi, à sa place ....
Lui, non pas du tout. Dès cet instant, il démontre à quel point il est capable de rester stoïque. C'est lui qui s'harnache à la chaise de mat et c'est Laurent qui le winche. Moi, je reste zen, je barre... Pas bien méchante la récupération de drisse, mais ça ne fait guère sérieux.
Sortie de Port de Bouc, nouveau troupeau d'embarcations en sortie du canal, on s'étale dans le bassin. Cap sur la mer, cap sur Fornells, environ deux cents milles, vent au départ N/NE force quatre puis cinq à six, quasi arrière. On décide de tangonner le génois. Le vent passera à l'ouest puis au Sud Est. Nous naviguons la plupart du temps au grand largue, une allure de rêve, vitesse moyenne de déplacement six noeuds avec des pointes à plus de huit noeuds. Idéal. Le hic, c'est que la mer est agitée, houle croisée, de bons creux qui secouent, et que le mal de mer me prend sournoisement l'estomac et sans prévenir juste avant la nuit. La météo nous annonce une traversée musclée, et moi je dégobille. Dommage que je sois si vieille, j'ose même pas pleurer de déception. Dans ma semi-présence, je remarque par moment que la mer a une couleur inhabituelle, grisâtre, ou bleu nuit, selon la lumière. Mais elle est très agitée, et nous sommes bien bousculés. En fin d'après-midi, une échappée de dauphins en goguette me met en joie, bref enthousiasme que de nouvelles nausées sabordent.
Nous avons parcouru deux cent dix milles en trente-cinq heures. A une allure idéale, et avec quatre heures de moteur. Retranchons les trois quarts d'heure du canal de Martigues et les manoeuvres de mouillages, en deux fois, la première ancre a été posée dans l'herbe..., nous avons fait moins de trois heures de moteur. Franchement c'est inespéré comme traversée,
parlez-en à Roger et à Laurent.... C'est la plus belle traversée méditerranée que nous ayons faite, et c'est celle dont j'ai le moins profité à cause de mon état semi-comateux. J'ai de vagues souvenirs de ferry qui nous ont souvent croisés pendant la nuit. Il valait mieux, ça me tenait réveillée pendant ma veille. j'ai pris un quart laborieux de une heure du matin à trois heures du matin. J'ai repris à cinq heures du matin car je ne voulais pas rater le lever du soleil, mais je n'étais franchement pas en état de l'attendre. Les hommes ont assumé sans moi, je me suis peut-être un peu laissée aller parce que je pouvais me décharger de mes responsabilités sur Roger.... Allez savoir... J'ai passé la journée à frissonner soit à l'arrière du cockpit, soit dans la couchette du carré... Tu parles d'une traversée.
Dimanche 23 juillet. 16 heures . 40°03,90'N/ O4°08,10'E.
Arrivée musclée à Fornells. Côte nord de Minorque. C'est une immense baie très profonde ; Nous choisissons le bord Est, loin du port et de l'agitation de la ville. Cala Salada. Ouf, je me sens revivre. C'est l'un des premiers abris lorsqu'on arrive. Il est peu fréquenté et on s'y loge facilement.
Nous organisons notre vie au mouillage, un petit air de plaisance souffle sur le pont.
Lundi 24 juillet 2007.
Une journée sympathique au mouillage et à terre.
Nous déambulons avec Roger à travers les sentiers qui traversent des forêts sauvages et giboyeuses. Il n'en revient pas de croiser ici autant de plumes familières, palombes, perdreaux, colombes... Il nous apprend un autre art de vivre, celui de la forêt sauvage. Il détaille avec beaucoup de délicatesses un perdreau qui passe pas loin, son vol au ras des arbustes, les nuances de son plumage, ses piqués dans les broussailles. Pas de doutes, il a une fibre affective profonde avec le gibier à plumes. Et de conclure " non seulement cet oiseau est magnifique mais en plus il est délicieux à manger "... On peut donc aimer joliment, il est même sentimental Roger quand il parle de la forêt. Et en même temps il peut la dévorer. Cela me fascine.
Mardi 25 juillet 2007.
Le coup de vent qui sévit dans le nord du bassin, et plus particulièrement Golfe du Lion et Provence nous amène des vents guère sympas pour sortir d'ici. La mer au large festonne largement, à l'entrée de Fornells, elle asperge copieusement les rochers. On est bien ici, pourquoi s'y frotter ? Monaco Radio nous promet de belles échappées météo dans les jours à venir, patientons, farnientons, bullons, nous sommes là pour ça.
Mercredi 25juillet 2007 . Cala de Algayerens 40°03,00'N / 03°55,30'E . Au moteur, une dizaine de milles de Fornells vers l'ouest. Il y a deux plages tout au fond parfaitement abritées du S/SW, ouvertes au nord, mais le temps s'est stabilisé. La mer se calme. Nous choisissons la " playa pequena ". |
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Vendredi 27 juillet 2007. 39°59,60'N 03°49,70'E.
Onze milles au moteur sur une mer très calme. Navigation relaxe. Un p'tit tour de reconnaissance dans le port de Ciudadela, absolument magnifique. Quel coup d'oeil, ses villas somptueuses qui bordent l'entrée de la calanque, ses quais animés.
La première calanque, "es Frares" , deux renfoncements étroits sont déjà bien habités. Dommage ! La suivante, cala "en busquets" est désormais organisée en pontons. Marina toute neuve et fort accueillante. Mais le mouillage y est interdit, et l'entrée affiche "NO ENTRAR-FULL". Aucune possibilité d'offrir une pause à notre quille ici. Au ralenti, nous pénétrons le petit bassin bordé de "Minorquines" aux lignes longues et élégantes. Les quais sont rustiques et animés. C'est l'ambiance d'une petite ville très active, pêche et tourisme. C'est un peu au sud, à la sortie du port que nous poserons notre ancre. "Playa Degollador". Roger se mouille allégrement le premier pour aller porter une amarre dans les rochers et stabiliser Lune de Miel par l'arrière. C'est un bien bel endroit. Une fois ou l'autre, un mini-raz de marée se fracasse dans les rochers, Lune de Miel danse comme un bouchon. On se cramponne aux haubans, mais on ne voit pas le monstre qui provoque ce chahut. Surprenant mais rare.
Avec l'annexe nous retournerons en ville. L'accueil nous déçoit. Pas de quai pour les embarcations auxiliaire. Nous devons nous enfoncer tout au fond du port, à la mise à l'eau des barques. Nous nous sentons comment dire, "tolérés mais mal aimés". Nous déambulons dans le centre historique. C'est vraiment plein de charmes authentiques cette ville.
Mais quelle chaleur ! Je crois que le tourisme de Ciudadela est destiné aux estivants qui arrivent par les navettes inter-îles, en voiture ou en bus depuis Mahon. Pour la plaisance, c'est pas le top.
Samedi 28 juillet 2007.
La météo s'annonce idéale pour contourner l'ile par le Sud. Nous partons avec enthousiasme et très vite la mer et le vent nous offrent une allure magnifique. Nous sommes tous les trois en pleine forme, et Lune de Miel nage dans l'effervescence.
Le vent est au Nord-Est, allure de bon plein dans une mer très sage. Le bleu profond du bon temps avec quelques ridules qui n'annoncent pas l'âge ingrat des météos nerveuses. Je me sens enfin en croisière. Nous barrons à tour de rôle, nous filons comme le vent, avec des pointes inespérées à huit noeuds. Au sud de Minorque nous devons soit contourner l'Ile del Aïre, soit passer dans le chenal. Il est annoncé à 3 mètres de profondeur au milieu. Laurent bien entendu veut tenter ça. Ce n'est pas si simple de garder le cap. Nous prenons progressivement le vent de face, l'allure change, les rafales nous poussent au lof. Et nous ne devons surtout pas nous écarter du milieu de la passe sous risque d'ensablage.
Nous sommes tous les trois concentrés sur ce passage, Roger magistral à la barre, Laurent cramponné à l'écoute de grand'voile pour pouvoir choquer rapidement en cas de survente.Et moi ? Je m'imprègne d'images et de sensations pour le plaisir de vivre ça et celui de vous le raconter. Après-midi bleu.
Les eaux sont limpides à l'abri du bout de l'île. La lumière scintille sur un tapis d'émeraudes. Que la mer est sympathique et attirante. Je vous jure c'est tellement beau, si on s'arrêtait, j'y plongerais... Des journées de navigation comme ça, j'en veux tous les jours.
A seize heures nous entrons dans la passe de Mahon, capitale actuelle de Minorque. Cala Teulera, face à la citadelle Isabelle II de la Mola.
C'est vaste et on peut se poser où on veut. Cinq mètres de fonds annoncés "sable de bonne tenue". Faut pas croire tout ce qui est écrit dans les bibles. Nous reprenons plusieurs fois notre mouillage. Il s'agit de terre et de sable fin, une sorte de boue dure et compacte. Laurent tire trop tôt vers l'arrière pour s'assurer de la prise, ne laisse pas à l'ancre le temps de s'enfoncer. On dérape lentement mais sûrement à chaque tentative. Le vent souffle force cinq, rafales à six, l'ancre aura bien l'occasion de se tendre, y'en a marre ! Laissons faire la nature (dixit Laurent) Vous devez bien vous doutez que ça ne me plaît qu'à moitié.
Fort anxieuse, je passe la soirée à ajuster les repères à terre qui me prouvent que l'ancre résiste. Et la nuit à guetter derrière le rideau de la cabine arrière dès qu'une rafale me réveille et c'est bien souvent. Joie incontournable de certaines nuits au mouillage, petits yeux bien bouffis au lever. Roger me taquine en voyant ma tronche mais il m'avoue aussi que ça lui est arrivé de se lever dans la nuit pour jeter un oeil.
Alors hein ! Y'a que Laurent qui a dormi sur ses deux oreilles cette nuit là. Je l'ai même entendu ronfler.
Nous aimons beaucoup Mahon. Nous y prenons nos marques pour le départ imminent de Roger, notre agréable équipier.
Toutefois, le coup de vent qui secoue le Golfe du Lion, Provence et Corse depuis quelques jours, perturbe notre ciel. Parole, ça souffle dur par moment, et il fait froid à l'ombre du bimini. Mais pour la découverte de la ville à pieds, c'est idéal.
Lundi 30 juillet 30 juillet 2007.
Réveil pour tout le monde à sept heures trente. Il s'agit de trouver un quai pour déposer Roger et ses bagages à proximité de son embarquement vers le continent. Merci à Marie-Jo qui nous a prêté son mari ces quelques jours.
Roger, l'équipage restreint de Lune de Miel, s'est un peu senti abandonné après ton départ.
Pour nous consoler, en soirée nous sommes allés visiter le Fort Isabelle à deux coups de rames de chez nous. Si tu reviens par là, vas-y, tu seras captivé.
A la nuit tombé, l'appel insistant du "Petit Duc" nous parle de toi. C'est la pleine lune. Magique !
Mardi 31 juillet 2007.
Une vraie journée de vacances. Le vent est tombé. Nous tournons gentiment autour de notre ancre. Un coup au sud, un coup au nord... Vision panoramique de Cala Teulera. Je déclare l'eau trop froide pour le bain. Il fait doux sous le bimini. Nous décidons d'en profiter toute la journée à bord. Flemme quand tu nous tiens ! Quelle bonne vie, nous avons là.
Mercredi 1er aout 2007 - 39°58'N - 04°16,60' E
Nous avons passé hier une journée de grand ménage à bord. C'est pas qu'on encrasse tant que ça la cabine ou le carré, mais à force de s'éparpiller, de poser vite fait n'importe quoi, n'importe où, ça me démangeait de faire l'espace un peu plus net. Comme disait la Noiraude en nous regardant d'un oeil sournois, "une femme n'y retrouverait pas son nourrisson dans votre boxon".
Aujourd'hui, la météo annonce du sud, nous prendrons donc la route vers le nord, cap Isla Colom, moins de dix milles nautiques. C'est vraiment un magnifique espace entre île et terre. De jolies plages dans des petits creux abrités... et une foule considérable d'embarcations qui entrent et qui sortent... Mouillage vraiment encombré. Un corps-mort disponible. trop tentant. Laurent se précipite à l'avant avec un cordage et je me mets à la barre. Hardi petit, face au vent, au ralenti. Manoeuvre impec et facile. Quel confort d'un coup ! lorsque tombe le soir, l'espace se vide en une heure. En sirotant notre pastis bien frais, nous dégustons un moment génial. Arrive l'heure du contrôle officiel du mouillage. Un grand homme en uniforme, la cinquantaine avantageuse, pilote son zodiac à travers les bouées. Il prend des notes... Allure fort intéressante à la Harrisson Ford (vous voyez ce que je veux dire les filles). A notre niveau, il ralentit, un grand sourire, "Holà !" et continue son chemin. Du rêve plein les yeux. Donc, nous sommes autorisés à rester là. Deux jours sur bouée gratuite. C'est pas beau Minorque !
Quelques mots sur ce site, ne le ratez surtout pas, si vous passez par là. En arrivant du sud, juste avant l'île de Colom où nous sommes mouillés bien à l'abri du vent du sud, il y a une grande anse de sable fin, un petit village,"Es Grao"
et un accès balisé à terre, lagune des Albuferas. Ce village d'Es Grao, que nous avons abordé en annexe, est un magnifique endroit pour des vacances en famille. Les habitations à louer y sont nombreuses. C'est calme, à quinze kilomètres de Mahon (Maö), la capitale. On y trouve l'essentiel pour des vacances isolées et tranquilles. Et cette lagune ! Sentier de sable fin à travers une grande forêt de pins et chemins à travers d'énormes bouquets de joncs et d'asparagus. Des buissons verdoyants où les oiseaux en sécurité ne s'effarouchent même pas à notre passage.
Danièle et Dominique (de DDT) nous aurions aimé que vous puissiez jouir de cet endroit avec nous.
Ici, pas de pêche, pas de chasse. Faire silence. S'asseoir, prendre le temps d'entendre et de voir. Pur instant à engranger. Au retour, nous cédons le passage (priorité à droite oblige) à une tortue nonchalante qui mâchouille son brin d'herbe en nous croisant. Prends ton temps, ma belle, nous n'avons que ça à faire.
Fin d'après-midi, nous n'avons plus de pain, c'est moi qui m'y colle pour cette fournée. Option farine intégrale. Ouha, ça fleure bon la boulageaille dans ce navire.
Jeudi soir. Vraie journée de plaisance. Le total bonheur. Je me sens tellement bien, que je m'offre enfin mon premier bain de mer.
Vendredi 3 aout 2007.
On a bien fait d'en profiter. Nous sommes réveillés au milieu de la nuit par une agitation incroyable. Que disait la météo du soir ? C'est quoi ce cirque, ça devrait pas secouer autant !
C'est vite l'enfer. Laurent excédé de se faire bousculer par les mouvements intempestifs déménage dans le carré à deux heures du matin. J'ai toute la place pour me caler, je me rendors aussi sec, mais mal. Nuit chaotique, en sécurité puisque nous sommes sur bouée, mais très inconfortable. Le vent est passé au nord. La houle rentre à fond de train. Nous sommes vraiment malmenés et ça grince dans tous les coins du navire, et ça hurle dans les haubans. Qui c'est qui parlait de plaisance ? Le jour s'est levé, mauvais poil pour tout le monde, Noiraude comprise. Toujours grand secouage à bord. Météo annoncée, NE force quatre à six pour deux jours. Sans espoir d'amélioration immédiate, tempête sur le continent, mer forte... Cassons-nous vite fait. Petit-déjeuner ? Pas le temps, pas envie. D'abord, retrouver le havre si doux de Mahon. Vite sortir d'ici.
Nous quittons le mouillage avec trois ris dans la grand'voile et trois ris dans le génois. Petit toilage de midinette, mais Laurent ne veut pas se risquer à des manoeuvres scabreuses, on ne sait pas comment sera la mer à la sortie de notre abri.
Très vite nous prenons une allure au travers, qui serait sympa si la mer l'était. Aussi petitement toilé que nous sommes, nous fonçons sur l'écume à plus de sept noeuds. Impressionnant. Le safran qui entre en vibrations au delà de six noeuds et demi nous offre un concert qui nous démoralise. Je crois que je n'ai jamais vu la méditerranée dans cet état. Les creux peuvent dépasser trois mètres. Ce sont les plus terribles. Ils nous bousculent salement. Nous plongeons dans les creux, il n'y a plus d'horizon. Les vagues sont courtes. Lorsqu'on court sur les crêtes, l'écume crache sa bave sur l'horizon. Drôle d'effet. C'est fort impressionnant et magnifique. Les vagues se brisent sur nos flans, éclaboussent le pont qui ruisselle. Les coups de déferlantes arrivent quelquefois par l'arrière. Les poussées au cul de Lune de Miel sont alors bien trop violentes. Restons vigilants. Nous nous relayons pour barrer. Guère de souplesse dans la conduite. On ne croise pas âme qui vive, même pas un goéland qui aurait envie de se faire décoiffer. Ma parole, y'a que nous dehors ! J'aimerais bien qu'on ralentisse. Ça va trop fort pour mon âme délicate. Nous sommes perplexes. Nous avons souvenirs de creux bien plus impressionnants que ça en atlantique. Notre problème c'est l'effet que ça fait ici. Cette mer n'est pas assez vaste pour d'aussi grosses vagues. Les creux et les bosses de houle n'ont pas de place pour s'étaler. Ils se poursuivent à toute allure et nous talonnent à coups de trique, et sans relâche. Des rafales plein les voiles, de la violence plein la coque, à peine une heure de déferlements, une éternité !
Oh la, la ... Que c'était long !
ouf,
Les remparts de la sympathique citadelle de la Mola apparaissent. Dès que nous entrons dans la passe de Mahon, le calme revient. J'adore Mahon et le mouillage de Teulera. En plus, y'a plein de place pour se poser.
Nous laisserons le sud de l'île aux plaisanciers du dimanche. Un peu de tourisme à Maho, en voilà une bonne idée. Pour info, le club nautique de Mahon affiche complet, le prix de la place pour un bateau de douze mètres est de soixante-dix-huit euros par jour. Ne venez pas à Minorque avec l'idée de profiter des ports, l'option résidence-hôtel est plus sûre et surtout plus économique.
Lundi 6 aout 2007. 40°0O,40' N - 04°12,00'E
Nous sommes saturés de vie citadine. La météo nous met un petit vent du sud dans les voiles, donc cap vers le nord. La Cala de Addaya, nous inspire.On y va tranquillement, voiles et moteur. Profitons-en pour faire de l'eau douce. Le guide (Imray 2007 est assez nul). Il aligne mise en garde sur mise en garde, alors que l'approche est balisée. C'est vrai que la cala se présente comme un très long couloir bordé de petits îlots et de cayes qui pourraient être traîtresses par mauvais temps.
Mais d'une part, les rochers affleurants et les taches claires des remontées de sable sont très visibles. D'autre part, l'entrée vers le port est parfaitement balisée par des bouées en S, vertes et rouges, qui canalisent la marche de manière très sûre. Aucun problème vraiment. Quant au port, il affiche complet, (tarif 2007 pour 12/14 mètres: 63 euros). Le mouillage prometteur de l'avant-port est minuscule. Il est encombré de bouées privées et l'espace disponible n'accorde de places que pour trois ou quatre mouillages par six mètres de fonds. Il vaut donc mieux arriver assez tôt si vous voulez vous caser dans de bonnes conditions. (l'heure idéale, nous semble être le début d'après-midi). Il est possible de s'engager très profond dans la lagune, terres sauvages et inaccessibles. C'est plein d'algues, et les fonds remontent très vite. Avec nos deux mètres de tirant d'eau nous ne sommes pas allés très loin. Par contre, nous avons exploré en annexe, et au delà de la zone du port, (fonds de sable et de vase), c'est un vrai champ d'algues. Prudence selon votre type d'ancre, la tenue risque d'être douteuse. Dans le port d'Addaya, il n'y a pas grand chose, mais un petit supermarché local permet de refaire du plein de produits frais. L'eau est livrée par des camions citernes. Nous avons la chance de pouvoir nous caser devant le port au sud de l'islas Monas. C'est génial. Parfaitement abrité, de tous les vents et de la houle. C'est merveilleusement calme. Nous avons pas mal crapahuté d'une cala à l'autre et dans les rochers. On s'y plaît.
Une longue matinée, safari photos, entre Addaya- Cala Moli_ Punta Nou-Cous et plus au nord, au delà de la lagune.
Le village de Na-Macaret. D'ici deux ou trois ans, nous ne reconnaîtrons certainement pas les terres intérieures car un immense programme d'urbanisation estivale est annoncé et une multitude de lotissements ont déjà posé leurs premières pierres. Dans les quartiers actuels, une maison sur 5 est à vendre. Est-ce projet juteux ?
La météo annonce un coup de vent sur Lion-Provence. L'endroit est idéal pour attendre que les cieux se calment. A propos de vent, nous observons que les BMS Nord/Ouest, qui sévissent entre Lion-Provence-Corse et Ligure, génèrent dans la zone météo de Minorque des vents de Nord-Est assez forts, et surtout lèvent une houle très pénible sur la côte nord. Qu'il faut prendre en compte pour vous déplacer, même si le vent local est modéré. Surtout si vous marchez dans une allure que vous avez souhaité idéale.
Mardi soir, la météo ne s'arrange pas. Toujours Nord/Est, quatre à six, avec en prime des ondées orageuses. C'est toujours le mistral du nord qui met la pagaille ici. Quelle époque !
Mercredi 8 août 2007.
La météo s'aggrave. Cette nuit le vent doit passer au Sud/Ouest dans les Bouches de Bonifaccio, avec un BMS sévère, pas gâtés les expatriés en Corse. Ici, on annonce du NW force sept... (environ trente noeuds) au minimum pour cette nuit et demain toute la journée. Nous voici prisonniers d'Addaya. Laurent s'ennuie à bord. Alors il a une idée fumeuse. "Si on relâchait une dizaine de mètres de chaîne (on a déjà 30 mètres dehors) on prendrait la bouée juste derrière nous. Elle paraît libre depuis deux jours. Comme ça, si notre ancre ripe, nous serons quand même tenus... par l'avant;
- Et si le propriétaire arrive ?
- Y'a peu de chance, pas en pleine tempête. Sinon, on lâche notre cordage, et on sera toujours tenu par notre ancre qui n'aura guère été sollicitée.
- Et si notre ancre se mêle à celle du corps-mort ?
- Aucun risque, le vent va tourner NW donc de l'autre côté...
- Et si, et si.. et si...
Elle est osée, cette manoeuvre, je trouve. Nous allons squatter une bouée privée... Nous aurons 50 mètres de chaîne à l'avant, alors y'aura forcément un mec qui se posera dessus... Et le mêli-mêlo de chaînes au départ, y as-tu pensé ?
Et patati, et patata. Plus d'une heure de réflexions, de cogitations, d'anticipations, et de contradictions. J'ai beau réfuter, plus je dénigre, plus il a envie de tenter le diable. Bon, on le fera mais on se calme, d'abord.
D'accord ! Entre le dessert et le café, nous engageons la manoeuvre. Ouf, c'est fait, Laurent est ravi, c'est toujours ça de pris sur l'adversité. Si complications, ce sera pour plus tard. Nous voilà, amarrés parfaitement au calme, comme a promis Laurent.
L'art de vivre pleinement l'instant présent, c'est quelquefois d'envoyer le futur aux oubliettes. Dégustons l'instant sécurisé de notre trou à cyclone.
INTERMÈDE - Allô, bonjour, c'est la Noiraude, je voudrais parler au Docteur !
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Samedi 11 aout 2007. Puerto Addaya - Mouillage -
A partir de dix heures du matin, le mouillage s'anime, et s'encombre, essentiellement des Français. Cela signifie que la mer est navigable. On ne voit plus l'écume qui dévore les rochers en bavant joyeusement à l'entrée de la cala. Sortons de notre léthargie. Le vent devient sud, nous irons le long de la côte nord. De nouvelles étapes nous sont promises. Pourquoi pas vers Fornells. Nous aurons ainsi bouclé notre tour de Minorque.
Heureusement que le vent est nul quand nous quittons notre lit de vase. Je tire la chaîne au guindeau, mètre par mètre. Laurent à grands seaux d'eau de mer récure les maillons englaisés par gros paquets. Et Lune de Miel piétine sur place. Vous vous souvenez de Barbate les enfants ? Voilà, tout comme pareil exactement. Mais là on a mieux joué, car nous avons rentré peu à peu tout le mouillage dans sa baille tout beau, tout propre. Vingt minutes de détartrage. Nous n'avions jamais mis autant de temps pour lever une ancre. J'en transpire encore.
Nous sortons gentiment du mini Fjord de Puerto Addaya. Le village de Na Macaret magnifiquement éclairé resplendit dans les rochers. Nous étirons le S qui sinue à travers le relief sous-marin. Les îlots affleurants, grosses taches claires au ras de l'eau, nous narguent discrètement. Mais la lumière les trahit. Le chemin comme à l'aller est parfaitement balisé. Totale sécurité. On prend le rythme lent du chenal. On prend dans les images, le secret du maquis. On prend dans la lumière, la sagesse du port de pêche. On prend et on s'imprègne d'une bienveillante nonchalance. Puerto Addaya est une étape vraiment sympathique. Pour info, Le quai d'accueil permet aux bateaux du mouillage un approvisionnement en eau potable. (1 euro les 100 litres). Il n'y a pas de cybercafé.
Samedi 11 août 2007. Fornells
L'arrivée nous permet d'apprendre qu'on peut s'ancrer sur bouée. Le mouillage est gratuit mais n'est possible que pour deux nuits (par semaine). Prendre la bouée nous séduit beaucoup car des orages sont annoncés et il faut s'attendre à de sérieux coups de vent. Cette partie du mouillage est envahie d'algues, donc la tenue est plus que douteuse. Géniale l'option bouées. Les bouées rouges devant le port sont destinées aux petites embarcations (moins de douze mètres). Les bouées blanches (aux embarcations intermédiaires (+ de douze mètres) et les jaunes aux très grosses unités. L'inconvénient des bouées blanches et jaunes, c'est qu'elles sont de l'autre côté de la cala, donc assez loin de la ville. Une petite virée pédestre. magasinage dans la ville lointaine. Et puis faut s'en retourner chez nous. C'est le moment que choisit le moteur de l'annexe pour tomber en panne. Pas dramatique. Après tout on a des rames, une petite demi-heure de traversée en ramage, c'est pas la mer à boire... On se lance donc, parfaite synchronisation de gestes. Sauf que le vent du sud a développé une houle très pénible qui roule depuis le fond de la cala. Elle ne nous aide pas la vache ! (bon, je raye l'allusion à l'animal, je vais désobliger la Noiraude, qui n'a d'ailleurs pas l'air dans son assiette aujourd'hui) C'est un vrai boulevard que nous traversons. Incroyable ce qui circule ici. Annexes de tous gabarits, jets skis, skis nautiques. Va-et-vient constant de yachts, voiliers, minorquines. On n'était pas loin de risquer la collision avec nos coups de rames pas toujours si sûrs, entre la houle de fond et les déferlantes provoquées par les engins. Mais ça nous a permis d'accoster, de faire quelques courses de frais et d'envoyer les messages n°3-4 depuis un bar. Ah, la généreuse, la savoureuse "cerveza grande" servie si fraîche, si mousseuse... Pourvu que ça nous coupe pas les bras pour le retour, la bière, c'est pas mon truc en temps normal. Requinqués à fond, moi, un peu pompette... On embarque nos courses, on saute dans l'annexe. tentative sans conviction de mise en route du moteur. Qui bien entendu boude toujours. Ramer ça déssaoule non ? on se télescope nos manches. je brasse de l'écume mais je n'avance guère. Un canot un peu rapide nous asperge et nous pousse dans les amarres d'un yacht en nous dépassant.
- Bon sang, rame...
- Bin toi, rame pas tant !
On se traite l'un et l'autre de tous les noms imbéciles qu'on peut inventer, ça grince dans les boudins. Arrive tout doucettement un petit canot, un gentil garçon brun, style ce qu'il y a de mieux comme y faut... Et ce sourire, ah les filles, vous auriez vu ça ! Je capte le mot "ayudar".. "Si, si, si... gracias mucho" que je réplique aussi sec... On a vite fait de lui balancer notre cordage. Son moteur fait moins de trois chevaux, nous allons donc à travers le chenal gentiment tractés par ce généreux hispanique. Nous admirons le paysage. C'est assez rigolo de traverser dans cet équipage. Il nous dépose délicatement à l'arrière de chez nous. Je lui baragouine une invitation à boire un verre. Il n'a pas le temps. Il est attendu, un peu plus loin, sur un autre voilier, une autre planète. Dernier sourire ravageur, virement d'hélice et il disparaît. Y sont supers les Espagnols, vous trouvez pas ?
Sérieux coup d'enthousiasme dans notre moral. Faut se ressaisir et comme nous ne doutons plus de rien. demain on désosse ensemble le moteur hors-bord. D'accord moi, je ne servirai pas à grand chose. Mais je serai solidaire de Laurent à fond. Je peux lui passer les outils, ranger au fur et à mesure les petites pièces indispensables qui ne demandent qu'à se jeter à l'eau... Et puis, il va m'expliquer d'autres mystères mécaniques...
Presque au saut du lit dimanche matin, on pose notre moteur sur la plate forme arrière, délicatement couché sur le flanc. On ne met pas longtemps à voir que la turbine de refroidissement fixée sur l'embase du moteur a perdu tous ces pétales. Laurent ne jette rien, je le maudis assez pour ça. Il y a sous le plancher du carré une cache personnelle avec un tas de fourbi dont je ne veux même pas entendre parler. Voilà-t-y pas que dans ce boxon innommable, il a trouvé l'hélice qui irait "à peu près" sur l'arbre de son moteur hors-bord. C'est l'à peu près qui me séduit. Elle a plus de vingt ans d'âge cette hélice, autrement dit, elle est comme neuve. Elle a six pales au lieu de trois. Elle est bien trop longue, un chouia trop épaisse... Et la goupille de l'embase n'est pas adaptée à sa fixation. Broutilles tout ça ? D'accord ! Grattage, limage, découpage... Le seul outil qui nous fasse vraiment défaut, c'est un marteau.
Quelques heures laborieuses, minutieuses et appliquées. Fin de soirée, l'instant de vérité ronfle. Qu'il pétarade bon ce petit mais indispensable moteur. Ça mérite bien une autre "cerveza grande"... hein Laurent !
Le soir s'en va. Un arrivage massif d'émigrants français a envahi le mouillage. Les estivants qui viennent de traverser. On se frôlerait presque tellement les bouées sont proches les unes des autres. S'agit pas qu'un non initié vienne poser son ancre à proximité. Prudence si vous passez par là. La nuit tombe. Le tonnerre s'annonce de loin, les éclairs déchirent les nuages. Nuit tumultueuse.
Lundi 13 août 2007. - 40°02,20'N - 04°09,80'E.
Une petite heure au moteur pour passer de l'autre côté du cap Fornells, revenir sur nos pas en prenant notre temps. Le ciel est bordé de gros nuages noirs vers l'Est, et des averses sont promises. Pas la peine d'aller très loin. Nous laissons la cala Pudenta à tribord, qui s'enfonce au milieu des rochers et nous nous engageons dans la baie vers la Calla de la Olla.
Le vent annoncé SW, doit nous permettre un moment des plus agréables au bord de cette jolie plage. Beaucoup de places, fonds de sable. Trois voiliers au mouillage. Nous avons juste le temps de poser l'ancre avant que tombe la première pluie. Un rêve!
INTERMÈDE - Allo, c'est la Noiraude, urgent, c'est urgent, où est le Docteur ? |
Mardi 14 août 2007.- 40°01,50'N - 04°10,90'E
Réveil grincheux. Pas terrible par houle de Nord/Est, la calla de la Olla. Elle nous charrie les senteurs infâmes de la station d'épuration qui est derrière les immeubles. Plus grave, nous avons été secoués comme des pruniers toute la nuit parce que le vent de terre nous a mis au travers de la houle résiduelle. Elle nous a brassés mollement mais continuellement. Nous avons tous les deux des courbatures. On se tient le dos de traviole et on marche comme des petits vieux. Cassons-nous vite avant de retrouver nos vertèbres en miettes.
Levée de mouillage qui ne traîne pas. Les falaises qu'on longe sont vraiment chouettes. Pas un pet d'air, tranquilles au moteur. Nous ne ferons que quelques milles. Un très p'tit tour à Cala Pudenta que nous n'avons pas pris le temps de voir d'assez près hier. Elle nous paraît étroite, encaissée, prisonnière des rochers. Arenal d'En Castell est plus attirante.
Une grande plage de sable, en demi-cercle fermée par des falaises. Ambiance très estivale. Ici la houle de N/NE n'entre pas. Ouf ! Quel bien être de retrouver un mouillage sage et reposant. Quel bonheur d'y décontracter nos vieux os à l'ombre du taud. Images : deux voiliers dans le mouillage plus LDM.
Début d'après-midi, la plage se peuple de parasols.
Quelques canots s'installent à proximité. Les engins de plage commencent à nous tourner autour. Mais c'est plutôt sympa. Pédalos, matelas qui dérivent, bouées colorées... Et puis un engin bizarre, moteur très discret. Tout rond, protégé à la base par un gros boudin. De face, il me rappelle l'ancienne cireuse électrique de Thérèse (enfin sans le manche). De profil on dirait un fer à repasser... Y'en a des rouges, des jaunes, des blancs... C'est très gai sur l'eau. Et alors, ça c'est inouï, à bien regarder leur course, on s'aperçoit que ce sont des engins tamponneurs. Autos tamponnantes aquatiques. J'avais jamais vu ça. C'est mieux qu'à la foire ici.
Mercredi 15 août.
Quelle nuit sympathique. Quelle ville agréable. Nous avons trouvé un supermarché très bien équipé, de fruits, légumes et surtout viande fraîche. Les boucheries sont quasi inexistantes partout où nous nous sommes arrêtés. Et souvent le choix en produits frais est restreint et peu alléchant. Quant au pain... Celui du bord est nettement meilleur. Donc je projette pour un de ces jours, grâce à nos achats, une méga ratatouille, et pour ce soir, des spaghettis bolognaises, des vrais comme à la maison avec de la vraie viande... Pour le dessert des vrais fruits qui on l'air juteux et savoureux... Y'a des jours comme ça où on nage dans l'opulence.
Nous avons fait un long tour ce matin. Déposé l'annexe contre les rochers au bord de la plage encore déserte. Tout le maquis qui borde la côte est destiné à un immense projet de résidences, les routes d'accès sont bétonnées, les parcelles déjà tracées. "Bonnin-Sanso, s'affiche partout, c'est le grand manitou de l'urbanisation de Minorque. En attendant qu'il finisse de tuer le paysage, l'accès le long des falaises est encore possible. Nous avons donc crapahuté vers l'Est, de l'autre côté de notre baie. Nous dominions l'entrée d'Addaya, avec la grande île et la petite île, et sous nos pieds le village de Na Macaret.
C'était marrant de voir tout ça depuis la terre. Nous aimons bien les villages avec leurs maisons trop blanches. Même les toits sont blancs. Franchement, teindre les tuiles en blanc, c'est une bizarre idée, mais il faut l'avouer c'est très seyant à Minorque. Je délire un instant en imaginant le mec qui rénove le blanc de ses tuiles, debout sur le toit en brandissant un pistolet à peinture...
Allô Saint Météo... Le Mistral de Provence et Lion fait rien que nous embêter. Nous revoilà avec une promesse de Nord Est violent dès demain. C'est fatal, nous n'avons pas le choix. Retour aux abris. Mahon, ça nous paraît bien comme choix. C'est devenu familier, un peu comme chez nous. Et puis c'est la capitale. Avec un peu de chance nous y trouverons l'hélice idoine et plus sûre pour le hors-bord.
Jeudi, 16 août 2007.
Nouveau départ en douceur et à la voile. Je n'ai pas eu le temps de tester les cireuses tamponneuses. J'aurais bien aimé faire un p'tit tour de ce manège là. Si je peux, je reviendrai à En Castell rien que pour ça. Nous avons été très sérieux hier. Nous avons profité de la sérénité de notre mouillage pour gratter la coque (sous-marine) de LDM qui promène la mousse de Martigues depuis trois semaines à travers la méditerranée. Moi, je cramponnais l'annexe contre le bateau et Laurent à plat ventre dans le fond du canot, avec le balai brosse récurait sous l'eau. Rude boulot, mais quelle révolution dans notre allure. Aujourd'hui au départ, petit vent de NE (il arrive comme promis), on affiche huit à dix noeuds à l'anémomètre, vitesse moyenne plus de six... Les falaises se déroulent sous nos yeux, plus haut les étendues désertiques du bord de mer. De la solitude, du calme et de la volupté. la mer commence à se bosseler mais nous fendons la houle avec enthousiasme. Un excellent moment de navigation comme je les aime. Pas pressée d'arriver à Mahon.
Paragraphe culturel, clin d'oeil pour José et tous les accros de la mayo... J'ai lu dans un livre que parmi les différentes guerres entre Français et Anglais pour s'approprier Minorque, Richelieu en 1756 ayant été vainqueur fit servir à Paris un banquet pour fêter ça. Son chef cuisinier fraîchement débarqué de Minorque accommoda pour ce festin une spécialité minorquine, savoir-faire importé de Mahon, "la mahonesa", genre d'aïoli locale, qui devint notre mayonnaise.
Couounet n°9 - septembre 2007
lundi 3 septembre 2007.
Minorque est toujours sous domination de Nord-est, virulent. Des creux annoncés de trois mètres de houle, quand on sait que les vagues scélérates font allégrement deux fois la hauteur annoncée, pas d'hésitation, il fait trop bon ici. Nous avons quitté le mouillage de l'Isla Plana pour prendre une bouée face à la ville. C'est génial comme option, et peu coûteux. Nous avons vraiment exploré tous les coins et recoins de Maô. On s'y sent désormais comme chez nous.
Vendredi 7 septembre. Nous avons une folle envie de partir, ça fait trop longtemps que nous sommes scotchés ici. Consolation, depuis jeudi soir, se prépare la grande fiesta annuelle, de Mahon. Si vous passez par là début septembre, je vous la recommande."Mare de Deu de Gràcia". Elle tient, comme toutes les fêtes folkloriques, d'influences historiques, religieuses et païennes. Y'en a vraiment pour tous les goûts.
La folie démarre jeudi soir, avec la sortie des géants depuis la Mairie, en procession dans le centre historique de la ville. Musique, danses et chants les accompagnent. A 21h30, c'est le grand cri public d'envoi officiel des festivités. On sort pour l'occasion les "diables de Maô" par mégaphone, en choeur avec la foule. Fanfares à gogo. Ca promet et ça remue les tripes.
Vendredi fin de matinée. Toute la ville s'organise pour affronter l'ouragan de la fête pendant trois jours; les boutiques du centre ville construisent de vraies protections devant leur vitrine, ça cloue, ça visse, ça calfeutre. Les menuisiers ont du boulot par dessus la tête. Fin d'après-midi, toutes les vitrines sont occultées. Plutôt sinistre l'aspect des rues. Elles ont été couvertes de sable. De tels excès sont si redoutés que des postes de secours d'urgence sont prévus à chaque coin de rue. Les pavés sont couverts d'un matelas de sable. C'est rigolo de marcher en ville comme sur une plage. Mais c'est préoccupant.
Tout ce sable en ville, c'est pour absorber le sang ? Les vitrines blindées, protection contre les violences, bagarres et projections de pavés ? A quoi faut-il s'attendre ?
- Dis Laurent, tu crois que c'est recommandé de venir zoner par là ce soir ?
- Bien sûr, on ne va pas rater ça. On évitera la foule et si c'est trop chaud. On rentrera.
Qu'il dit Laurent.
Il est bien bon, parce que éviter une foule en délire c'est impossible. On est vite pris dans la masse. Mais bon, ça chante, ça rigole, ça danse, laissons-nous faire. Pas d'émeute en vue. Le bruit est phénoménal mais j'ai pris la précaution de me boucher les oreilles. Je suis parée au pire. Pas de panique, y'a pas de raison et c'est bien joyeux tout ça.
Plus tard, la foule se centralise et se calme. C'est l'arrivée des Caballeros.
Ces chevaux sont de véritables artistes. Ils arrivent sur un thème musical unique qui se répète, se répète, se répète. L'homme-cheval comme un seul corps danse sur cette boucle musicale. Ses pas sont légers, magnifiques... Quelle maîtrise ! Les cavaliers costume noir et blanc, sont fiers et concentrés. Hors d'atteinte du public. Quel panache ! Lorsque c'est une femme qui monte le cheval, les figures deviennent plus sensuelles, magnifiques et inaccessibles. Quelle élégance dans cet équipage. Lorsqu'ils sont au centre de la place, la mélodie change de registre, une brusque montée de notes. C'est le signal. Le cavalier tire sur les rênes, le cheval se cabre. Il avance alors dressé sur ses pattes arrière. Ses pattes avant moulinent l'air devant lui à la recherche de son équilibre. L'harmonie parfaite de l'instant d'avant vole en éclats. Tumulte et anarchie. C'est le moment que choisissent quelques fêlés complètement hystériques pour se jeter sous le cheval dressé. Le jeu, c'est de toucher l'animal quand il est debout; le top du top c'est de lui caresser le poitrail. Et y'en a qui ose. Folie totale. Juste avant que le cheval retombe sur ses quatre fers, les quelques fondus qui sont dessous s'éparpillent avec enthousiasme. Pensez, s'ils nagent dans l'euphorie, ils ont réussi à toucher le cheval. Petit tour fanfaron du cavalier sur la même rengaine, sur le même pas... Sortie d'un, entrée de l'autre. Les chevaux se succèdent, toujours sur le même thème. Et propose inlassablement le même jeu. Toujours le même défi pour les spectateurs. A certain moment, je me suis trouvée propulsée près du cheval par des tarés dont j'empêchais la ruée. La vitesse que je me suis rapatriée vers l'arrière... OUha ... Comment font les chevaux pour résister à ce bordel collectif. Ça me sidère. Peut-être que comme moi, ils se protègent les oreilles avec des boules quies... C'est un excellent filtre. Après tout, ils ont juste à capter le rythme qui ordonne leurs mouvements. La folie des hommes ne les concerne pas.
Le mystère des vitres blindées, (il faut s'attendre à des coups de sabots malheureux dans le décor et la rue est étroite),des tapis de sable, et de l'assistance médicale est ainsi éclairci. forcément il doit y avoir quelques accidents... Ce sport équestre est fort prisé à Minorque. Il fait partie intégrante des festivités locales dans toute l'île. Etonnant mélange de frayeur, de défi et d'harmonie... Ce n'est pas le seul grand moment de ces festivités. Si nous avions été sérieux comme des Minorquins, nous serions allés à la messe.
Coucounet n°10. Minorque, le retour. 2007
Samedi 8 septembre 2007.
Une météo acceptable s'annonce enfin. La mer s'est bien calmée et le vent annoncé sur Minorque Nord/Est 2/4, mollissant, virant Ouest en soirée, Nord Ouest la nuit. Lorsque nous entrerons dimanche dans la zone Lyon/Provence, il passera Nord- Nord/Ouest faible à modéré. Nous commencerons au moteur, un peu de voile en tirant de petits bords au milieu, nous finirons au moteur, mais globalement, ça devrait être relaxe. Les creux seront de moins de un mètre. Ça nous va, mais nous mettrons sûrement 48 heures...
Onze heures du matin, nous quittons notre sympathique bouée d'amarrage. En passant près de Patricia et Bernard sur "Mama Bê", nos récents amis de mouillage, nous envoyons un signal sonore. "Adios, on se casse !" Patricia sort du carré, nous fait de grands signes suivie de Bernard couvert de mousse à raser. Il a ainsi des allures de Père Noël en caleçon. Plaisante image que celle de ce départ de Minorque. Nous sommes euphoriques.
Nous longeons la côte Est de Minorque. Voile et moteur, au plus près du vent, doucettement. Nous tirons un léger bord vers l'Ouest.
La côte nous est familière et nous passons un heureux moment à retrouver nos sites favoris. Un peu plus de quatre heures de navigation, doucement l'île s'efface.
La houle nous arrive par le travers. Elle est douce. Elle caresse les flans de notre embarcation. Elle glisse sous sa coque, s'écrase contre la quille. Lune de Miel domine les vagues. Complaisant et joyeux de se mettre en route, il se laisse caresser. De belles retrouvailles entre lui et la mer. Les couleurs sont sombres, le soleil cuivre les creux de houle. Glissement, ronronnement, mouillures et léchages en tous genre. J'avais oublié combien la mer est belle. Béatitude totale.
En fin d'après-midi, Laurent me signale de jolies échappées de poissons qui sautent allégrement sur tribord. Ils sont bien gras, argentés et brillent dans le soleil. Dans leur sillage, une bande de dauphins jouent et cabriolent. Jouent-ils à "attrape" avec les poissons ? Moment ludique ou moment féroce ?
A 19h30, Monaco radio envoie l'annonce d'un BMS sur Provence pour lundi soir, et dès dimanche un vent de NW assez fort à fort.
Consternation à bord, car si nous comptons arriver avant le coup de vent, l'entrée dans le golfe du Lion risque de poser problème avec le vent dans le nez, et la houle qui sera formée.
Sérieux coup au moral. Que fait-on ? Le plus sage nous semble-t-il. Tirer un long bord vers l'Ouest pour avoir un vent portant lorsque nous entrerons en Provence et devrons remonter vers le Nord Est.
Première nuit. Le vent est constant. Nous avons pris un riz dans la grand voile, et nous ajusterons le génois selon les besoins de notre allure. Nos veilles s'alternent de deux heures chacun. Je trouve que ça passe très vite. Nuit sans lune. La voie lactée diffuse une lueur discrète. La mer est une ombre mouvante, trouble. L'écume qui se casse sur les bords de Lune de Miel explose de luminescences roses et vertes. Rien de rien à l'horizon. Que ce trou obscur vers lequel nous fonçons à environ 6 noeuds. Laurent dort dans la cabine arrière. Calée sous la capote, le nez au ciel, je chante dans les étoiles.
Je me sens merveilleusement bien. 6h15 du matin. C'est l'aube qui s'annonce, le ciel s'éclaircit, l'horizon se borde d'une large bande saumonée. Le soleil sort de ses draps. Je me couche.
Dimanche matin 9H30. Nouvelles infos météo. Ce n'est plus de la consternation, c'est une véritable dépression qui s'abat sur nous. Le BMS se développe plus vite que prévu, dès cette nuit, nous serons en plein dedans en quittant la zone Minorque. Que décider ?
Laurent consulte ses cartes PC. Quel dommage d'avoir fait tout ce chemin vers l'ouest. Car nous décidons de virer vers l'Est, pour profiter tout de suite du vent de NW encore sympa. Lorsque nous entrerons dans la Zone Provence nous serons déjà à l'est et nous échapperons au coup de vent. D'ailleurs, quoi de plus réjouissant que d'atterrir à Porquerolles quand on est en vacances ?
Nouveau virement de bord. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais nous avons 220 miles à faire depuis Maô et nous les faisons en tirant des bords. C'est beau d'aimer la voile à ce point-là !
Le voyage prend ici des allures de cauchemar.
Le vent devient beaucoup plus fort et complètement aléatoire, selon que notre progression passe plus à l'est ou plus à l 'ouest de la zone.
La nuit qui suit sera épouvantable. Les veilles éprouvantes. Pour la première, vers minuit, lorsque je m'installe sous la capote, le vent force 5/6 forme une mer qui se hérisse. On roule sur des caillasses. Ca tangue, ça roule. Je n'ai pas le temps de m'assoir pour enfiler cirés et chaussures, je suis propulsée contre la table du carré. Cramponnons-nous bien. C'est prometteur vraiment, comme ambiance ! Nous avançons au près le plus serré possible, et ça chahute terriblement. C'est long, c'est dur et c'est déprimant.
Une heure de veille, on ralentit, panne de vent ? Je surveille la girouette. Le vent refuse. Je ne veux pas réveiller Laurent, tant pis pour le cap. J'abats de quelques degrés. Lune de Miel se relance, 5/6 noeuds, ouf... Mais je suis contrainte à cette manoeuvre trois fois en deux heures. Peut-être qu'on passera par la Corse, finalement. Laurent se lève. La Corse, ça ne le séduit que mollement. Même pas y rigole. Il a les yeux plissés, je ne crois pas qu'il ait pu dormir. Nous décidons de changer de bord, et repartir plus vers le nord, tant pis pour Porquerolle. Demi tour pour se remettre dans le vent. Je me couche. Dans le carré l'agitation est terrible, vaisselle secouée, bouteilles qui tintinnabulent, cardans de gazinière qui grincent, et ce vent qui souffle comme un orgue déchaîné. Sans parler de la gîte qui m'écrase contre la bande anti-roulis de la couchette. Qui dormirait dans ces conditions ?
A 4 heures du matin. J'aperçois le feu du cap Cepet loin à l'horizon. La côte s'esquisse grâce aux lumières des villes. Nous avons viré de bord je ne sais combien de fois. Un moment d'inattention et hop, on se retrouvait à contre, rugissement du moteur à 2000 tours pour tourner et se remettre dans notre axe. Le noir est absolu, on perd nos marques. Dis Laurent, c'est où le nord. La Grande Ourse aurait-elle bouffé Polaris ? Et le compas, qu'est-ce qui dit le compas... Je ne sais pas, j'en ai marre... réduire la voilure, une demi-heure et puis renvoyer. Hisse petit ! J'en peux plus, si seulement le jour se levait. Nuit épouvantable. Lorsque le jour se lève, nous ne sommes pas frais Laurent et moi. La côte est à 30 miles, le GPS nous annonce que nous mettrons 12 heures pour arriver à Porquerolles. Encore ? Il est fou ce GPS. Nous décidons de réduire nos souffrances et d'aller vers Bandol, moins près du vent; nous avançons sur une mer dure, des vagues courtes qui déferlent sur le pont et nous inondent les cirés. Et ça me glace. A 20 milles de la côte, la mer s'assagit. Tout le monde se calme. Mais le temps nous paraît terriblement long. On est gelé. Finalement le vent de Nord Est (allez savoir pourquoi) qui sévit sur la Provence à ce moment là, nous posera lundi dans la matinée, dans la calanque de Morgiou, avant le déchaînement du coup de mistral attendu pour la prochaine nuit. . Pas si mal. Mais on est dégoûté de la vie.
La soirée à Morgiou nous requinque.
La veille Laurent a pêché un joli thon germon que je vais cuisiner avec des pommes de terre grillées. De quoi nous réconcilier avec la mer.
Le coup de vent est largement confirmé mais la calanque est super bien abritée. Mon seul souci c'est que les fonds sont invisibles et nous ne les connaissons pas. Sable ou algues ? Laurent a tiré comme un sauvage sur la chaîne avec le moteur. Ca n'a pas bronché. Nous sommes presque tranquilles. Début de soirée le vent promis se déchaîne, force 7... On tient bon; Pour la nuit on ajoute encore 10 mètres de longueur, ça nous fera 50 mètres. Si nous sommes dans les algues, est-ce que le poids de la chaîne va suffire à nous retenir. Plus on ne peut pas mettre car nous serions dans la falaise si le vent tourne. Il y a toute la nuit des accalmies et des reprises de violence. Nous nous levons plusieurs fois. Lune de Miel tire sauvagement sur sa chaîne mais reste prisonnier de son mouillage. Sécurité, sécurité, sécurité !
Mardi. 7h30. Le vent paraît se calmer, mais nous savons qu'il va reprendre force 8 dans la matinée. Laurent prend la météo. Je profite de ce répit pour me lover dans les draps si doux. Ah que c'est bon. Une belle journée s'annonce, BMS d'accord mais notre mouillage a bien résisté. Nous sommes réveillés, nous aurons l'oeil, tout ira bien Il suffit de tromper cette attente en écrivant ce coucounet par exemple.
Je rêvasse... Une question de Laurent me réveille, une pointe d'angoisse.
- Dis-donc on est bien prêt des rochers.
Moi, relaxe et très confiante,
- Normal, on a rajouté dix mètres de chaîne, on doit être à une quinzaine...
Je ne finis pas ma phrase. Un hurlement
- Merde on dérape !
Ruée de Laurent vers le moteur. Moi en pyjama. Ça ne souffle même pas tellement fort. Coup d'oeil circulaire. Zut on se barre vers la falaise. Laurent est au moteur et s'énerve et tempête.
- Tu vas démarrer saleté.
Il ne faut jamais insulter un moteur quand on est pressé de partir... Voilà, il boude. Impossible à mettre en route. Lune Miel recule, inexorablement.
En 3 minutes, il suffit de tendre la gaffe pour toucher la falaise hérissée de pointes traitresses. Vite une défense ! On est à un mètre des rochers. Je me bagarre avec un pare-battage dérisoire pour protéger l'arrière. Une première projection contre la roche. Raclement affreux de la coque, oh que ça doit faire mal... J'ai l'air fine avec ma défense, c'est dessous qu'elle serait utile. Dès que le rocher est contre, elle roule sur la coque... Nouvelle projection contre la roche... nouveau défoncement de matière... Je vous jure que c'est insupportable. J'ai l'impression de me déchirer. Une rafale nous éloigne provisoirement de quelques mètres.
- Vite Laurent, s'il te plaît démarre...
Heureusement qu'il ne m'entend pas, ça l'énerverait.
D'un coup, le ronflement du démarrage, suivi d'un rugissement d'accélérateur. Vite, on dégage.
- Tu crois qu'on a une entrée d'eau ?
Visite du carré, pas de pompe qui ronfle. Coup d'oeil à ma fenêtre de fonds, sécheresse absolue dans le carré. Coup d'oreille à l'arrière, pas de ruissellements...
Il semble que tout aille bien et que nous ne coulerons pas tout de suite.
Sauvons-nous de ce néfaste endroit. Je cours relever le mouillage. On est pris de travers, on chasse, on recule, c'est folklorique mais bon nous sommes désormais au milieu de la calanque et nous pouvons prendre notre temps. Une fois l'ancre relevée, quelques brins d'herbe entre les dents, (le cure-dents, tu connais pas, stupide objet ?), nous décidons de fuir vers Sormiou,
que nous connaissons et que nous espérons plus sûr. Nous longeons les falaises à l'abri du vent, guère de houle, mais de violentes rafales avec les effets de relief par moments. Le moteur peine pour avancer. Une éternité. Pourtant nous y voilà.
Sormiou est un havre magnifique. Nous y étalerons une fois de plus nos 60 mètres de chaîne quelle que soit la profondeur parce que la météo s'aggrave. Et advienne que pourra.
Les dégâts à l'arrière de Lune de Miel sont mineurs malgré les bruits affreux. Mon pare-battage a eu le mérite semble-t-il de dévier l'arrière et il a touché sous la jupe dans l'angle. La partie la plus résistante finalement. Il faudra refaire un peu d'enduits et de peinture. On a l'habitude. Quelle bonne idée la coque aluminium.
Nous avons retrouvé notre enthousiasme. Le vent se déchaîne. Trois bateaux dans le mouillage. Comme les voisins, je reste dehors, encapuchonnée, à braver les rafales.
Laurent dans le carré, surveille au GPS la danse de Lune de Miel autour de son ancre. On relève des pointes de vent à plus de 40 noeuds au dessus du pont. Il ne doit pas faire bon en mer. Il paraît que nous nommes à l'abri ici. Restons joyeux. Panne de pain.
Laurent enfile son costume favori de boulanger.
En voilà un carré qui sent bon la vie terrestre.
- Dis Laurent, c'est quand qu'on arrive à la maison ?
- Mercredi la météo annonce Nord-est, c'est super pour rentrer.
- Super mais ce n'est que de la météo...
Bec de l'Aigle, La Ciotat, enfin, presque chez nous !
INTERMÈDE - Allo, c'est la Noiraude, je voudrais parler au vétérinaire. |
Cliquez sur les différentes pages du livre (colonne de gauche, Malte 2006) qui correspondent à nos étonnantes étapes.
De Martigues à Malte par la Corse, la Sicile et la Sardaigne.... et retour par Messine, Iles Éoliennes, Iles Pontines, Toscane,
de l'été plein les yeux.
Estival 2006 n°1. 22 juillet 2006.
Samedi matin, nos amarres sur le ponton frémissent. A quelle heure le passage possible sous le pont de Martigues ? Fos-Port-Contrôle nous annonce l'ouverture à 10h30
"soyez prêts à passer en même temps que le pétrolier qui entre vers Berre..."
"Oui Monsieur, Merci".
Impec, je dispose d'encore une heure à quai. Elle va me permettre de lessiver le plancher du carré qui en a grandement besoin... Je n'aime pas partir en désordre. 10h10, je balance mon reste de seau savonneux dans le cockpit. L'arlarme du pont m'arrive assourdie.
"Range ton seau, ton balai, vite, les voitures sont à l'arrêt à l'entrée du pont". crie Laurent.
J'ai à peine le temps de me retourner. La lourde mécanique de levage ronfle et se met en branle... Nos amarres sont larguées sauvagement. Lune de Miel démarre sur les chapeaux de quille. Prêts à partir ? pas vraiment !
Pincement de bonheur dans le fond du coeur ? Etat d'âme inspiré de ceux qui s'évadent enfin ? Raté, ce n'est pas le moment ! Désolée, Pas le temps ! Il s'agit de passer le pont... C'est pas tous les coups pareil pour sortir de l'étang de Berre. Ou bien on piétine au pied du pont basculant pendant une demi-heure parce qu'il oublie de s'ouvrir, ou bien il ouvre un quart d'heure avant l'heure. Ce sont les facéties du pont de Martigues.
On croise le pétrolier annoncé à l'entrée du canal. Vu de trop près, il est impressionnant. Il pue et fait un barouf pas possible.
"Laurent tiens bien ta droite, guère envie de m'y frotter !"
Belle embardée à gauche pour éviter les lignes de pêche tendues depuis les quais. Le pétrolier nous corne comme un sauvage. De sa cabine, le pilote s'agite et nous adresse des signes qui n'ont rien d'amical. Pourquoi tant de rage ?
"Laurent pousse le régime, les remous vont nous jeter sur le quai !"
On voulait de l'émotion, la voilà, à défaut d'un grand bonheur.
Enfin sortis du bassin de Port de Bouc. Cap sur La Couronne. Le vent est au sud ouest, force 2 à 3. La mer est belle. L'allure très confortable du bon plein nous permet une vitesse sympathique qui tourne autour de 5 noeuds. On oublie vite la Côte Bleue. Il y a un monde fou qui circule autour de nous. Marseille et ses îles magnifiques se dissolvent dans la brume. On avance ainsi très gentiment jusqu'à Cassis que nous dépassons vers 15 heures. Véritable ambiance de croisière. Pensées attendries pour Annette et Claude, Anne Marie et Gérard, qui nous ont permis quelques échappées par là au temps où nous cherchions à tromper notre impatience. Une éternité déjà. Nous partons pour une autre histoire.
Fin d'après-midi, le vent nous lâche. Lune de Miel se dandine sur la houle. Plong à babord, blong à tribord. La bôme se balance mollement au rythme du clapot. Le hale-bas grinçouille. Une indécente mouillure lèche la coque... Il faut s'échapper de tout ça. Moteur...
Vers 19 heures on aperçoit l'ombre allongée de Porquerolles qu'on laisse à une vingtaine de milles à babord. J'ai oublié de vous dire qu'on prenait direct le cap de Bonifacio, sud de la Corse. Le vent est revenu. Nous repartons au grand largue, une vitesse de rêve, 6 à 8 noeuds.
Je ne suis guère amarinée et je me sens vraiment comateuse au moment du crépuscule. Angoisse de la nuit qui tombe peut-être ? Je décide d'aller me coucher pour échapper à ce moment sinistre. Lorsque je me réveille vers 11 heures la nuit est totale. Une orgie d'étoiles inondent le ciel. L'horizon borde la mer d'une frange noire. Les étoiles filantes dans le fouillis de lumières tracent des lignes éblouissantes aussi fugaces que rectilignes. Les ferries et les cargos nous croisent, nous dépassent, nous poursuivent. D'énormes masses lumineuses, fort bruyantes lorsqu'elles nous voisinent. Cette route est un vrai boulevard. La fréquence VHf de veille, canal 16, ne permet aucun répit. stations espagnoles, stations italiennes et stations françaises se télescopent, et se parasitent mutuellement. Un incroyable bordel. Entre les PAN PAN, les annonces météo et les échanges des pêcheurs, difficile d'y retrouver le bout de son fil.
À deux heures du matin, le dernier ferry qui nous dépasse se fond dans la nuit et la radio ferme enfin son clapet. Nous voilà abandonnés dans le monde secret de la mer. Il pleut des étoile. Le pchuit-pchouit des vagues que Lune de Miel fend en douceur, quelques roucoulades de poulies, ronronnement de cordages... le silence de la pleine mer....
C'est le moment où m'envahissent les différents chocs affectifs que je viens de subir. C'est le moment où je fais le point dans ma vie, dans mes projets, dans mes attentes... C'est le moment où je secoue la tête, et le nez levé sur les étoiles, je murmure pour cette nuit magnfique des chansons que plus personne ne chante. Mon répertoire est vaste. Les mélodies de ma mère, les vieux airs de l'école communale, les duos de notre enfance à Annette et à moi. Je chante pour moi-même, une melopée que je murmure, respect du à Laurent qui dort à l'avant. Chacun son tour. Pour cette navigation, nous alternons les veilles toutes les deux heures. La température est merveilleusement douce, pas une once d'humidité. Le temps passe en chantant.
Vers 4 heures du matin, un filet de lune se lève. Il éteint bien vite les étoiles et colore le ciel d'une lueur blafarde. Une heure plus tard, l'aurore accentue cette grisaille. Des nuages noirs salissent l'horizon. Des débordements d'orages annoncés sur le Var peut-être ? C'est sinistre. Je suis contente que Laurent se réveille pour prendre son tour de veille. J'épie le ciel qui s'éclaircit lentement puis devient ocre. Les nuages blanchissent. Ce sont de bons et gros cumulus qui s'étalent pépèrement dans l'azur. Je peux me recoucher l'esprit tranquille. La tempête n'est pas annoncée.
Mauvais réveil. Il est temps de traiter le mal de mer. Je suis complètement à la masse. Ne me demandez pas quelle heure il est.
"T'as pas un p'tit creux à l'estomac" demande Laurent...
Non, plutôt un trop-plein... Je me recouche, me rendort aussi sec. Une demi-heure plus tard, effet pilule magistral. Je pète le feu. J'ai du bonheur plein la tête. La journée s'annonce magnifique. Le moteur ronronne gentiment et la mer est sympathique. Depuis l'aurore, Laurent a mouillé trois lignes pour multiplier ses chances de pêche.
Principe qui ne repose sur aucune vérité, comme tout principe, mais qui a le mérite d'entretenir la confiance en soi.
Le poisson ? Il ne doit pas y en avoir. Depuis des milles et des milles nous faisons notre traversée du désert. Rien, pas une âme qui vive. Même pas un oiseau. S'il y a avait du poisson, les oiseaux le sauraient et on les verrait chasser. Folle croisière. Je passe beaucoup de temps à dormir pendant cette journée. Du coup le soir, je suis en pleine forme ; ça tombe bien, la nuit tombe !
42°N01.509 7°E51.576 - 20 heures
Nous traversons le parc à jeux d'une tribu de dauphins. Il doit y avoir là au moins une centaine de stenellas. On en a plein les yeux. Rien de tel pour nous rendre incroyablement joyeux. A l'heure du crépuscule, c'est de très bon augure. Je me sens délicieusement bien. Hardis pour notre deuxième nuit de veilles échangées. Nous avons alterné moteur et voile, mais plus souvent le moteur. Cette deuxième nuit s'annonce très différente. D'abord nous l'abordons dans le silence et nous croisons très peu de navires. Lorsque je prends ma première veille vers 11 heures du soir, le ciel a bouffé l'horizon et ma vision s'arrête à l'avant du bateau. Je ne vois pas où s'arrête la mer. Je ne vois pas où commence le ciel. Les étoiles se chevauchent dans un chaos total. La voie lactée est la seule traînée de lumière. Comment l'atteindre pour se rassurer ? C'est très étrange d'avancer comme ça avec juste le ronronnement du moteur dans un espace totalement sidéral. Nous serions un vaisseau spacial et nous foncerions à travers les étoiles. Cette course dans la nuit est vertigineuse.
Deux heures du matin, Laurent pousse un cri, je tombe de ma couchette.
"Mince alors une baleine, juste à côté !"
Je me rue dans le cockpit, à moitié pas habillée et cul nu. Je me penche à côté de Laurent par dessus les filières. La houle nous berce de son chuintement sous la coque, mais on n'y voit vraiment rien. La nuit est absolue.
"Comment t'as fait pour voir une baleine dans ce four ?
"Je ne l'ai pas vue, enfin j'ai vu une ombre gigantesque, (dans la nuit noire ?) juste là, à portée de main. Surtout je l'ai entendue.
"Tu l'as entendue ?
"Oui, un souffle énorme d'eau mouvante, comme si un monstre sortait des vagues, c'était terrible. J'ai jamais entendu ça Écoute, elle doit pas être loin"
J'écoute à m'en faire péter les tympans. Je scrute la nuit à me faire imploser les yeux. Hors le ronflement des vagues qui passent sous la coque, un peu plus rauque lorsque l'une d'elles s'échappe par le travers... qu'entends-je ? Que vois-je des mouvances d'ombres ? Rien d'exceptionnel en somme... Des dauphins peut-être. Lorsqu'ils naviguent en rangs serrés, à trois ou quatre, ils peuvent prendre des allures de monstres marins. Surtout dans le noir.
Il est grand temps que Laurent se couche.
A 35 milles de la côte corse, un feu à éclats nous interpelle alors que le jour n'est pas encore levé. On se concerte, on réfléchit, on sort la carte papier... Filet dérivant ou pas filet dérivant. On identifie le feu à 3 éclats des Iles Sanguinaires, devant la Pointe de la Parata. On doit longer la côte mais nous n'en n'avons la certitude que lorsque les lumières d'Ajaccio trouent l'horizon.
Nous visons une petite calanque "Cala Conca", isolée, sauvage, peu fréquentée. nous mouillons très tranquillement dans le sable à 10 heures du matin, parfaitement centrés au milieu de la baie. Belle et bonne journée à bord à déguster notre première bonne bouteille. Belle et bonne journée à terre au milieu du maquis. Et la soirée donc ! Ah le bienheureux moment de se couler sous la couette sans autre pensée que celle de profiter...Nuit paisible et réparatrice. .
Depuis Martigues, nous avons parcouru 210 milles. La traversée a duré 48 heures et nous avons fait 28 heures de moteur. Navigation typique de Méditerranée. Cala Conca, c'est un site génial qui nous plonge à l'intant dans l'ambiance estivale dont nous rêvons tous. Vaste plan d'eau bordé de rochers finement taillés. Une monumentale tortue de pierre dresse son bec vers le large et nous toise lorsque nous entrons dans la baie. Une belle plage de sable d'où démarre le sentier du littoral à travers le maquis et de grandes forêts de chênes verts.
Mardi matin, nous partons pour débusquer une cascade, une source, un abreuvoir. On ne sait pas trop, c'est surtout un prétexte à se dérouiller les jambes. Deux heures sur le sentier du littoral à explorer les chemins de traverse pour découvrir celui de l'eau. Un mythe peut-être, mais la balade est sublime. Dans la baie que nous dominons, Lune de Miel gentiment tenu en laisse par son ancre, nous offre son plus joli profil pour la photo du jour.
Mercredi 26 juin 2006.
Départ en douceur pour une petite navigation d'une dizaine de milles. Histoire de pas arriver à Bonnifacio trop vite. On croise des dauphins égarés à deux milles de la côte, qui nous ignorent superbement. On avance au grand largue cahin caha selon le clapot. Le vent oscille de 1 à 3 noeuds. On fait des pointes à 4 noeuds, des ralentis à moins de 2 noeuds. Mais ce qu'on se sent bien dans ce navire si tranquille.
15 heures, nous mouillons dans l'anse de Rocapina. Une ménagerie taillée dans les rochers dresse de fières silhouettes. Nous posons l'ancre juste sous un lion qui nous accueille sans sourciller. C'est bien bon tout ça !
Prochaine étape, bain de foule à Bonifacio.
Estival 2/ lundi 27 juillet, début d'après-midi.
Nous pénétrons entre les somptueuses falaises de Bonifacio. Large goulet qui nous insinue à l'abri des murailles naturelles du port. Nous faisons silence, subjugués par ce merveilleux et impressionnant couloir. Nous décidons de mouiller dans la deuxième calanque de l'avant-port, la Catena.
Il n'y a que trois bateaux à l'entrée ; ça nous paraît tout à fait sympa et avenant. C'est souvent une aventure de pénétrer dans une calanque profonde, avec des remparts troués qui dominent. Le vent s'est levé pendant notre courte navigation et si c'était une bénédiction du ciel au portant, ça se retourne contre nous, lorsque le vent déferle à travers le goulet de la calanque. Impossible de manoeuvrer au ralenti pour poser notre amarre arrière dans les rochers. Lune de miel dérive par l'arrière, poussé de travers par les rafales. Les trois plaisanciers déjà installés hurlent de détresse pour leur mouillage dans lequel on risque de s'emprisonner. L'un d'eux finit par sauter dans son zodiac pour venir nous pousser et nous aider à nous placer convenablement. Son élan nous vautre contre un catamaran que nous avions choisi comme voisin. Lune de Miel pour ce coup là se montre un peu trop familier.
"Laurent, aide-moi à libérer les préservatoirs, pardon les défenses, enfin les pare-battages... je voulais dire".
A bord du cata, ça taquine et ça rigole. Une bonne équipe semble-t-il. Qui retient comme elle peut, notre masse envahissante. Ils deviendront de très agréable voisinage. Je ne vous conseille pas ce mouillage par temps perturbé. C'est une vraie galère. Chaque bateau qui se place pose un problème. Car beaucoup d'autres arrivent en fin de soirée. Laurent fait une vraie police pour préserver notre mouillage. Efficacité remarquable. Il donne beaucoup de sa personne, n'hésite pas à sauter dans l'annexe pour prendre les amarres arrières et conseiller les skippers.
L'un d'eux a acheté son navire en mai. Il a traversé de Toulon, c'est son premier mouillage.Il est seul à bord. Dure école. Courageux le mec ! Il paraît qu'il y a des mouillages beaucoup plus abrités sur la côte est de Bonifacio. Mais c'est loin de la ville.
Et vraiment, une étape ici, malgré les difficiles conditions d'arrivée, c'est une étape de rêve.
Sympathique journée de tourisme en vue. Nous nous offrons un circuit pédestre depuis la Catena à travers un sympathique chemin, enchevêtrement de chênes kermesses et de rocailles. Nous longeons l'avant-port face aux remparts de la ville, puis à l'alignement plus paisible des habitations tassées l'une contre l'autre. La ville se dévoile au rythme lent de notre sentier sauvage. C'est vraiment génial. Nous quittons rapidement l'agitation du port, ses terrasses de bars encombrées et nous grimpons à travers la vieille ville. Les arceaux des églises s'appuient sur les murs des habitations voisines. On dirait que les maisons se tiennent bras dessus, bras dessous... Généreux et magnifique. Bien que harcelée de touristes, c'est une ville intime et tranquille que nous retrouverons dans la chaleur adoucie du soir. Nous décidons qu'il faudra y revenir. En moto peut-être ?
Pendant ce temps là, la météo se dégrade dans le golfe du Lion. Je crois que Karine et Jo seront sous l'emprise d'un grand coup de vent le prochain week-end.
Samedi matin, 29/07/06.
Nous profitons de la météo houleuse qui se répand vers la Provence puis vers la Corse pour prendre le départ vers la Sardaigne. Très confortable avec toute la toile. C'est super. On taille notre route entre les îles à 7/8 noeuds. Plus de 30 milles à parcourir. Faut pas lambiner. Début d'après-midi, des pointes à plus de 8 noeuds, ça déboule sec. La circulation est intense, surtout autour de Porto Cervo.
Peut-être qu'on devrait réduire. Nous sommes d'accord pour deux ris et réduction idoine dans le génois. On retombe à 6 noeuds. C'est nettement plus calme et plus sécurisant. Après tout on n'a pas le feu aux trousses. Et cette route entre les îles est fort belle.
Deux heures avant l'arrivée à la Cala Volpe, notre allure passe au prés très serré. Ouf, quelle bonne idée la réduction. La mer s'est sérieusement levée. C'est assez sévère comme navigation. On fait du rodéo, je déteste ça. On pose notre mouillage dans une agitation phénoménale, secoués comme des pruniers. Le vent s'affiche à 33 noeuds. C'est seulement lorsque nous sommes à l'abri de notre cockpit, dansant au bout de 40 mètres de chaîne et notre apéro aux lèvres que nous prenons le temps de nous étonner. Il y a dans le mouillage deux voiliers un peu en avant de nous, et tout autour nous sommes cernés par des yachts, vedettes, et autres bâtiments de cet acabit, trois ou quatre ponts minimums, autant de salles à manger, de séjours enluminés comme des arbres de noël. Les pilotes des annexes, esclaves civilisés en fin costume, chemisette et pantalons courts, font d'incessantes navettes entre la terre et l'un ou l'autre de ces riches bateaux. Pavillons de Malte, des Grenadines, d'Anglerre ou Hong Kong... Fréquentations inattendues pour Lune de Miel qui n'a plus qu'à bien se tenir dans son petit soulier, comme chantait Tino le Corse.
Mercredi 2 aout 2006. Route vers le sud Sardaigne
Le coup de vent s'étale sur toute la méditerranée. Progressivement il déborde vers Magdalena puis Carbonara. Nous traçons notre route le long de la côte sarde, quelquefois en tirant des bords selon les caprices des brises qui se conjuguent de plus en plus avec le vent du nord ouest dominant. Nous faisons entre 30 et 40 milles, par jour, pour 25/30 à vol d'oiseau. Certains caps se passent laborieusement. On s'abrite le soir et on repart le jour suivant après la météo de 9h30.
Toujours vers le sud. Au départ c'est toujours calme. L'allure est au travers dans la sérénité. Lune de Miel est en parfaite harmonie avec la mer. Il donne l'impression d'effleurer les vagues. Les sommets de Sardaigne nous dominent, ombres et lumières de la côte, et la mer scintille. Le puffin de méditerranée nous fait de courtes visites. Sait-il que je le guette ? qu'il m'éblouit avec son costume tout moiré ? Comme son grand cousin d'atlantique, il joue avec la houle, la froisse d'un léger mouvement d'aile et remonte en quelques battements pour se laisser planer au ras de la mer. Il paraît aussi doux, aussi léger que l'écume qu'il caresse. Cet oiseau m'imprègne d'un bonheur tendre et profond. Voilà, ils sont deux, ils se croisent et se parlent. Ils plongent ensemble, se laisse dériver au ras de l'eau. Nouvels élans d'ailes, courts et délicats. Ils dessinent leurs immenses arabesques dans le ciel puis reviennent faire du charme à Lune de Miel. Notion d'éternité. Le temps se fige.
Début d'après-midi, le vent passe à l'ouest et se renforce. Il faut que Lune de Miel prenne le dessus. Il creuse son passage en force. La mer ne veut pas s'aplatir pour lui. Les chuintements de vagues contre la coque se transforment en chocs plus secs. On dirait même que ça rebelle par moment. Comment ça, la mer était d'accord et demandait qu'à nous aider et le vent se refuse ? Changement d'allure et de vitesse. De 4 à 5 noeuds nous passons à plus de 8, le bateau bondit, se couche... On cramponne la barre à tour de rôle. Des hordes de moutons se précipitent depuis la côte, la mer devient de plus en plus écumante. Vers le large. Elle se frise de blanc.
Et si on prenait un ris ! Ce n'est pas trop tôt et ce n'est pas trop tard. Laurent en prendra deux. Réduction de génois adaptée. Ouf !
La mer se creuse. Heureusement la houle nous pousse, et nous fait gagner plus d'un noeud en vitesse. Quelquefois un peu de travers par facétie, quand on s'y attend le moins. On chahute sur la mer, ou la mer nous chahute, je ne sais pas trop. Nouvelle allure de rodéo et je ne m'y fais pas. Si on se raproche de la côte peut-être que la mer sera moins houleuse, le vent moins hurleur ? Virement de bord. L'écoute est passée je ne sais comment derrière le rail d'écoute de grand voile. Lorsque Laurent est prêt pour virer, elle se déroule un peu brutalement autour de ma cheville. Je m'en rends à peine compte. Notre manoeuvre exige une attention extrême.
Trois jours de suite, nous naviguons ainsi. Nous mouillons dans des conditions difficiles, à l'abri de la houle mais souvent pris dans les violents courants d'air qui déboulent des montagnes sensées nous protéger. Nous sommes seuls sur 3 ou 4 km de plage, on peut aligner la chaîne. Le vent nous hurle aux oreilles, mais le navire est stable.
Anecdote de mouillage. Pendant la nuit, le vent tombe et notre petit déjeuner est toujours très serein. Tout en sirotant mon café, je remarque à tribord un truc bizarre, une sorte de tube noire, qui flotte à quelques mètres du bateau.
- Laurent regarde, c'est quoi à ton avis ce truc ?
- Pas grand chose, un tuba, y'a peut-être un plongeur qui admire notre carène.
- Moi, je crois pas, on dirait que ça se laisse dériver.
- Un périscope alors, y'a bien eu chaque jour un hélico qui nous rasait la voilure. Peut-être que maintenant ils envoient un sous-marin pour nous espionner !
- Et si 'était une fortune de mer intéressante, on va voir avec l'annexe ?
- Franchement j'ai pas envie de me remettre à l'eau. C'est rien, d'intéressant, c'est si petit.
C'est à ce moment là qu'un raclement sur la plateforme arrière nous surprend. L'une de nos rames entraînées par le tanguage (et que nous avons oublié d'attacher en revenant de la plage) glisse discrètement à la mer. D'un bond efficace, Laurent la rattrappe in extrémis.
- Zut où est la deuxième ?
- Hé, tu sais, le périscope à babord qui se laisse dériver vers le large ce serait pas...
plongée immmédiate de Laurent dans l'annexe, avant que j'ai eu le temps de réaliser. Joli sauvetage de rame. Cet homme si vif m'épatera toujours.
Vendredi matin, 4 aout 2006.
Derrière l'île de Chirra. La météo nous décourage. La navigation sportive n'était pas au programme de cette croisière.
Nous décidons de rester ici, bordure du cap Lorenzo pour la journée. Super, si je jetais un oeil sur ma cheville. Elle me taquine vilainement depuis au moins deux jours et comme je dois me démancher le cou pour voir l'arrière du pied je n'ai pas pris le temps. Douche copieuse, Je frotte mon pied droit mais pas trop fort, ma cheville droite est bien douloureuse. Zut alors, regarde Laurent, elle est enflée.
Allo Docteur !
C'est pas beau à voir. J'ai été dépiautée sur une large surface jusqu'à l'arrière du pied et des bizarres boursouflures jaunâtres cloquent sous ce décor rouge très vif. Pour un peu je verrais des étoiles ! Pas d'affolemement. Nous avons ce qu'il faut à bord. Laurent me lave soigneusement tout ça à l'antiseptique. Je ne bronche pas, vous vous souvenez que je suis héroïque quand je veux. Après un pansement tout propre, j'ai même plus mal.
Demain nous espérons passer le cap Carbonara (tiens ce serait de là que viennent les pâtes...). Nous attendrons là-bas, la météo idéale pour traverser le canal de Sardaigne direction la Sicile.
Un peu plus de 150 milles à prévoir, une trentaine d'heures. Je vous en parlerai dans mon prochain message.
N B / c'est loupé pour le sud de la Sardaigne. La météo se dégrade. Le coup de vent de Provence se généralise à toute la méditerranée (force 9 annoncée et creux de 4 mètres... possible ça ?). Une dépression se déplace de Provence vers La mer Thyrénée, coup de vent au sud... Pas la peine d'y aller. On se concerte dans la soirée.
Si nous partons demain matin, nous resterons dans un couloir intermédiaire entre le coup de vent de l'ouest et la dépression qui se développe au sud avec des vents de 15/20 noeuds. Au portant ça nous dit bien. Changement de nos plans. Départ direct demain matin pour la Sicile. Le réveil est prévu à 6 heures pour un départ avant 7 heures du matin.
Depuis la Sardaigne, les cyber café n'autorisent que la consultation internet. Les lecteurs externes sont verrouillés. Donc impossible de transmettre les coucounets.
Si vous recevez ce message c'est que nous sommes arrivés en Sicile.
Détails au prochain courrier. A +++ JanouB
Estival 2006.3. samedi matin 5 aout 2006.
Le jour se lève à peine. Les mélodies colorées de Glenn Gould atteignent en douceur mon profond sommeil. Mais c'est l'odeur suave du café frais qui me précipite dans le carré. Même pas 6 heures du matin. Laurent déjà au top a installé le petit déjeuner et fait griller du pain. Le mouillage est merveilleusement calme, sécurisant. La nuit s'éclaircit. La journée démarre dans d'excellentes conditions pour moi. Et nous avons 165 milles de navigation prévue. Génial. Si on se maintient à 5 noeuds, nous avons 32 heures de nav à prévoir. Autant partir content. Laurent s'y emploie, je baigne dans l'optimisme. C'est l'instant béni d'avant le départ.
Petite note aux futurs plaisanciers de Sardaigne. Tout le long de la côte Est, depuis Bonifacio nous avons expérimenté quelques mouillages, dans le sable, le long de plages quasi-désertes, abris très sauvages, mais ce sont surtout des mouillages de beau temps. Nous n'avons jamais eu à prendre de bouées et aucune taxe locale ne nous a été demandée. Je rappelle que nous sommes en 2006 et que des bruits courts sur les pontons de taxes locales pharamineuses, fausse rumeur pour le moment. Même pas à la Cala Volpé manifestement de très haut standing, ni dans la crique estivale de la cala Frailis, près d'Arbatax. Venez en Sardaigne, vous ne le regretterez pas !
Mais pour l'instant nous on la quitte la Sardaigne et dans l'euphorie. Nous levons notre mouillage à la voile, en douceur. Départ au portant, grand-voile grande ouverte et génois tangonné. Bonne allure. Harmonie totale avec la mer. On se félicite et on se congratule réciproquement d'avoir fait un aussi bon choix de fenêtre météo. Ambiance souriante à bord. Pfschouit, Pfshouit... wouaou ! La mer inlassable et gourmande lèche la coque. Je suis bercée et je finis ma nuit en rêvassant vers le soleil qui se lève dans de belles couleurs orangées. Prochaine nuit en mer. Pourvu qu'elle soit aussi douce.
A 10 heures le vent nous abandonne. Le génois se dégonfle au gré de la houle qui le ballote d'un bord à l'autre. Vitesse plan-plan, moins de trois noeuds. Abandon de la voilure d'avant, moteur.
Fin d'après-midi, le vent se permet des familiarités. Des poussées insistantes sur l'arrière-train. OK, d'accord, on se retoile. Notre allure serait géniale, au grand largue. Hélas, la houle qui sévit à l'ouest nous arrive maintenant par le travers. Les creux d'un coup deviennent sérieux. Laurent a pris la barre. S'il n'y veille pas, le navire part au lof, les embardées nous couchent. Des accélérations à plus de 9 noeuds. Serait-on pas un peu trop toilé ? Lune de Miel est complètement asservi par la houle et se couche à ses pieds. Au sec...ours ! Une embardée un peu sèche me glisse au fond du cockpit. La traitresse. Impossible de me retenir. Ça me fait tout drôle. Coup d'oeil inquiet vers Laurent
- Pourquoi aller si vite ? C'est pas la peine ! La houle est trop profonde pour que notre vitesse nous permette de "voler" dessus. On va se blesser. En plus, il fera encore nuit quand on va arriver si ça continue comme ça. On réduit ?
- Oui, bien sûr !
La manoeuvre n'est pas facile dans cette mer bordélique. Pas question de se mettre face au vent. Laurent rampe au pied du mas. Il se cale le mieux possible entre les haubans. Je choque la grand voile, je me décape un peu pour lui permettre de descendre la GV en tirant sur les bosses de ris. Je surveille la mer, prête à réagir, au cas où elle nous ferait des siennes. Pas à l'aise du tout cette manoeuvre. Ça dure une éternité alors autant prendre 3 ris si déjà on y est ! ça calme tout de suite l'équipage. La houle est de plus en plus creuse. Malgré notre petite voilure on fonce toujours à 6/ 7 noeuds. Comment trouver à la fois, l'ombre des voiles ou du bimini, et une assise sûre ? Crampes diverses et variées... Tu parles d'une croisière !
Les ombres du crépuscule se teintent de rose-orangé. Lorsque la lune se lève, elle éteint les premières étoiles. Elle nous offre son trois-quarts le plus esthétique, son large sourire. C'est magnifique mais sa lumière blanche alourdit les ombres. Les vagues arrivent toujours de travers, plus haut que le franc-bord. De grosses masses noires qui se glissent sous la coque, au dernier moment... Seigneur, que c'est impressionnant. Le navire se déporte un peu, mais il tient bien la route désormais. Nous sommes ficelés dans nos polaires et nos cirés.
- Je crois qu'on devrait s'attacher pour la nuit, ce serait plus ...
Vous n'allez pas le croire, c'est Laurent qui propose ça, l'air un peu pincé. Y aurait-il un vrai danger qui m'échappe ? M'aurait-il caché une météo moins optimiste qu'avouée ? Bon, je réfute illico cette idée contraire à notre mode de fonctionnement. L'essentiel c'est d'assumer ensemble. Hardis petits ! car petits on est vraiment dans cette mer dévastée. Je bénis la profondeur du cockpit remarquablement protecteur. Y'a toujours des vagues plus culottées qui frappent très fort, mais elles n'entrent pas. C'est juste pour nous faire peur. Alors justement, ne le répétez pas trop, mais cette nuit qui s'annonce dans la violence, me flanque une trouille épouvantable. Y'a que vous qui le saurez. Je ne voudrais pas affoler Laurent.
On ne rencontre quasiment personne; deux ou trois cargos, qui nous croisent de très loin et ne posent pas question. Pas un seul pêcheur, ce qui nous étonne vraiment. Nous nous sentons bien seuls. Rarement une nuit m'a parut aussi longue. Impossible de dormir. J'ai même pas envie de chanter. Dommage pour la nuit, elle est si belle ! Mais je ne m'habitue vraiment pas à cette danse macabre de la mer. Brider son impatience. Se mettre en position de repli. Serrer les fesses à défaut de serrer les freins. Les noeuds défilent très vite, c'est la nuit qui n'en finit pas.
Cinq heures et demi du matin, prémices de lueurs. Guettons le jour. Enfin ! Il se lève laborieusement. Nos conditions de navigation ne s'arrangent guère. Il arrive que nous traversions des zones plus calmes, une houle plus longue, plus ondulante, un peu comme en atlantique. Une portion d'heure de répit et ça recommence les coups de heurtoirs et le passage en force.
Un premier sommet apparaît, qui découpe finement l'horizon. On croirait voir apparaître les hauteurs de Pico qui domineraient la brume. Déconcertant. Ce sont les îles Egadi.
Début d'après-midi, nous sommes épuisés. La Sicile apparaît comme une galettes archi-plate, les fonds remontent, la houle s'adoucit. Ouf, on peut respirer plus librement. Il est grand temps.
Nous avons choisi d'atterrir dans le port de Marsala (quelque chose de bon à boire et d'inconnu. Évocation qui nous réjouit. On fait ce qu'on peut pour garder le moral). Il est 14h 15. On a parcouru 160 milles dont 6 heures au moteur. La dépression annoncée entre le Var et la mer Thyrénée fait toujours la pagaille dans notre zone. Nous nous sentons vaseux et déprimés. Deux jours à terre nous feront peut-être du bien.
Mardi 08/08/06
Marsala ne vaut pas le détour. La ville n'a de sympa que le nom. L'ambiance au port n'est pas souriante. Et c'est cher (41 euros la nuit pour nos 12m.) Il vaut mieux filer direct sur Mazara del Vallo. (Une dizaine de milles en plus vers le sud, si les conditions sont bonnes ça vaut le coup- c'est parti !). Nettement meilleur ici. Les marineros sont gracieux, disponibles et blagueurs. Le port est à 25 euros la nuit pour nos 12m. Souvenez-vous qu'en Italie, il faut choisir les ports de la Ligue Italienne. Ce sont des petits ports de plaisance financés par l'état. Ambiance associative. Equipe très professionnelle cependant. On adore. Une rivière entre dans la ville. C'est le monde de la pêche. Les chalutiers sont rangés très serrés, comme encastrés les uns contre les autres. Il semble qu'ils ne soient pas prêts à ressortir. Aucune activité. Beaucoup d'hommes sont à terre, ils sont par petits groupes, ils papotent... Personne ne monte à bord. Décontraction totale. C'est pourtant pas dimanche. Partout des panneaux signalent les dangers du Marrubio, une espèce de montée violente des eaux le long des quais. L'équivalent de notre mascaret, j'imagine. Il n'est pas recommandé d' accoster sur les quais de la rivière...
Le premier jour la dépression se précise, il pleut des cordes. Génial. On va rester là deux jours; Que du bon en perspective. Le ventre chaud de Lune de Miel, la douceur de la couette. Le bonheur de se dire qu'on n'est pas en mer.On se calfeutre à l'abri de la tourmente. Entre deux averses, on crapahute en ville. Le centre historique est magnifique. Les paroissiens de la cité fête Saint Vito le Patron de la Cathédrale. Une semaine festive. Dans les églises, de riches costumes sont exposés sur des cintres. Des robes longues satinées, joyeuses ; des diadèmes et des parures en toc ; fort brillant tout ça ; Des vraies tenues de théâtre. Les familles viennent là choisir leurs tenues pour les processions du soir. Cet espèce de marché aux parures est très étonnant à l'intérieur des églises. Les gens discutent, échangent des tickets, des vêtements. Les saints figés dans leurs postures sont bien les seuls à se recueillir. Chaque chose a son heure, dans les églises aussi ! C'est une grande fête qui se prépare et les pêcheurs jusqu'au 15 août sont en vacances... On se disait bien aussi que c'était pas normal cette mer désertique.
Vendredi, 11 aout 2006
Nouvelle navigation d'une trentaine de milles. Toujours au portant. On retrouve des conditions de croisière. La mer nous offre une trève de houle, et le vent est toujours là. L'idéal quoi ! On longe des kilomètres de plages. Au delà des villes, Des sommets arrondis se dessinent. Donc la Sicile n'est pas une galette. Le petit port qu'il ne faut rater sous aucun prétexte s'appelle Sciacca. Comme abri ça laisse à désirer. Orienté nord ouest, la houle entre à fond dans la baie; On se croirait au mouillage. Mais nous sommes solidement amarrés, en sécurité. C'est l'essentiel. Et puis, nous sommes aimantés par la ville. Le port, essentiellement de pêche, est au pied de la vieille cité construite sur une butte fort sympathique. Pour grimper dans le centre historique on prend par hasard un escalier qui démarre à travers une végétation sauvage très prometteuse. Plus on monte, plus l'escalier s'élargit, plus il est en ruine. C'est vraiment magnifique. Il passe à travers des murs délabrés envahis de jardins à l'abandon. Lauriers roses, bananiers, bougainvillers, tout ça enchevêtrés, plein de recoins obscurs, protecteurs... C'est tellement rassurant la nature qui reprend ses droits sur la pierre ou le béton. Une plate-forme ou l'autre nous permet une vue panoramique sur le port et la mer.
La rumeur citadine s'amplifie. Nous voici au sommet, au coeur d'une ville ancienne écrasée par les constructions modernes. Entre les murs de béton et les murailles de verre fumé, se cachent des murs antiques, pierres taillées qui s'effritent. Partout où nous posons pied, nous avons le sentiment que la Sicile est construite sur des ruines. On devine le faste d'un peuple qui a perdu de sa puissance. Chaque détour de mur cache une autre ville. On construit ici un affreux immeuble moderne entre deux murs de pierre finement décorés. Aucun souci d'harmonie. Pour nous, habitués dans les vieux quartiers de France à voir du vieux rhéabilité par le neuf, le coup d'oeil est dérangeant à priori. Pourtant, si c'était ça l'authenticité. Les nouvelles constructions en fibres modernes ont l'aspect d'aujourd'hui et voisinent les murs vieillissant qui font leur bel âge. Comme les vieilles gens, ils gardent leur place, restent comme témoignage. Moi, j'aime bien ça !
Samedi 12 aout 2006
Départ encore une fois aux aurores pour aligner une cinquantaine de milles vers le Sud. Direction Licata, si possible; un arrêt est possible à proximité de Agrigente. Les fanas d'archéologie trouveraient dans cette province de quoi fouiller et découvrir. Les artistes scribouillards pourrraient visiter la maison natale de Pirandello. Le port recommandé aux portes de la ville s'appellent San Leone. Mais nous le croisons vers 13 heures, trop tôt pour s'arrêter. Cap Licata, donc. La mer est très plate, et le moteur ronronne en permanence. On a levé la grand-voile pour exploiter le moindre courant d'air... Mais c'est une vue de l'esprit. On se maintient à 4 noeuds et demi. Pas terrible mais la mer est magnifique. Depuis le Cap Bianco, elle a pris des tons turquoises. Une nappe de brume découpe le relief. Rocailles pelées qui protègent de vastes plages de sable clair. Désert absolu. Vision de rêve.
La mer s'éclaircit de plus en plus, elle était turquoise, elle devient bleu ciel. Etonnant. D'un coup, la côte disparaît, nous naviguons dans une vraie purée de pois. La mer devient blanche. Ho, on dirait du lait ! Radar, radar, ne vois-tu rien venir ?
Y'a pas de porte pour entrer dans le brouillard. Nous en sortons aussi soudainement que nous y sommmes entrés cinq milles plus tard.
Nous avons parcouru 48 milles (une heure de voile à tout casser). Licata est un immense port. On mouille cul à quai, ancre posée à l'avant. Nous sommes un peu sonnés par nos 12 heures de moteur... A priori, c'est une ville dans la tradition des villes du sud que nous fréquentons depuis quelques jours. Ruines, rues étroites et encombrées sans trottoir. Venelles tortueuses, surprise d'un escalier de mosaïques colorées au milieu des herbes folles.
Petite ville intime et bordélique. Plutôt sympa. Y trouverons-nous de quoi envoyer ce message ?
Estival / 4 Malte Lundi 14 aout 2006.
Nous quittons Licata toute endormie à 6 heures du matin. La nuit s'estompe pour faire place à une lumière voilée. Emerveillement fugitif. Il s'agit de prendre le cap, faut pas mollir, car le vent ne nous aidera guère. Moteur, moteur, moteur ... même si des courants d'air miteux nous permettent de maintenir une vitesse régulière à 5,5 noeuds sans rouler des mécaniques que l'on maintient à 1600/1800 tours. Largement suffisant pour nous assourdir les oreilles au bout de quelques heures. Si vous faites cette route de nuit, vous ne risquez pas de vous endormir. Le trafic est énorme. Nous croisons des tas de ferrys, cargos et autres navires qui font route d'Ouest en Est. Ça trompe la monotonie du moteur qui n'est vraiment pas distrayante. Nous ne pouvons pas non plus compter sur les prises de Laurent qui a replongé ses lignes dès le départ. Niet poisson.
Vers 18 heures nous longeons les premières îles de Malte qui se confondent depuis la mer, Gozo et Comino. Une salve de tirs nous accueille sous les falaises de Gozo. Surprise ! ça nous paraît bien de l'honneur mais pourquoi pas ? À y regarder de plus près, on a l'impression que des feux explosent dans le ciel. Un feu d'artifice à 5 heures du soir, en plein jour... Ils sont fous ces Maltais.
Laurent a décidé de mouiller sur la côte nord de Malte dans le canal entre les îles. Nous longeons des reliefs archi secs, caillouteux, désertiques, bordées d'immenses falaises. Mais plus nous approchons de la côte, plus nous sommes estomaqués.
Approchez-vous de l'anse pour y mouiller. Êtes-vous certains d'avoir envie de vous y abriter?
C'est une zone de cabanons sordides, branlants et miteux envahis d'un peuple qui se marche les uns sur les autres. InouÏ. Changer de mouillage ? Trouver plus exotique ? Jetez un coup d'oeil circulaire, c'est partout la même côte. A l'arrière des terres, des chapelles, des cathédrales aux dômes colorés et immenses écrasent les immeubles populeux. Pas idéale comme vision mais on est saturé de nav au moteur. ok, restons-là ce soir. Il fera nuit dans deux heures, le mouillage est calme... Si les résidents de la zone s'agitent en soirée, nous avons des boules quies...
Lorsque la nuit tombe, de nouvelles salves jaillissent sur les sommets. Pas de doute, ce sont des feux d'artifice. A terre une multitude de braseros s'allument, ça crépitent aussi au sol. Des odeurs de grillades nous tombent dessus avec la brise de terre... Ouha, que ça sent bon ! Si c'est comme ça, nous aussi on va cuisiner à bord. Nous avons acheté un rôti avant de quitter Licata, des légumes frais... Des grosses aubergines rondes et violacées très tendres, des longues courgettes toutes maigres en forme de crosse au bout. Mitonnade de légumes frais en pespective !
Les familles qui festoient devant leur cabanon sont d'une discrétion remarquable. Pas un cri, pas une radio... Si ce n'était l'aspect délabré de la terre, ce serait un mouillage de rêve. Que nous réserve Malte ?
Samedi 19 août 2006
Côte ouest et côte nord. Les anses sont peu éloignées les unes des autres. Ce sont quelquefois de vastes baies, bordées d'immeubles dont on ne saurait dire s'ils sont en construction ou en démolition tellement les murs sont délabrés. Rien de fini, ça pousse n'importe comment, pas l'ombre d'une verdure, pas un arbre, rien que de la pierre en ruine et du béton qui s'effrite. Un peu à l'écart, quelques hôtels plus ou moins colorés, paraissent bien luxueux dans ces ensembles qui bouffent tout le littoral. Les plages sont bondées, bruyantes, tout s'y mélange... baigneurs hasardeux, plongeurs en tuba, scooter de mers, canots de pêche, hors-bords qui tirent des skieurs, des ballons qui planent, barcasses touristiques pleines à sombrer... Le problème c'est que les baies sont immenses mais rocheuses avec des parois à pic, les plages sont au fond et minuscules, vraiment saturées.
Dès 5 heures du soir, les plages se vident en une heure et là l'ambiance devient très sympa. Quand un bar à karaoké ou un dancing ne se met pas à hurler jusqu'à l'aurore. Les bars alternent les festivités, un soir karaoké dancing, un soir bingo... Le bingo est ici le sport intellectuel le plus prisé. Chaque soir, où qu'on soit si c'est à proximité d'une agglomération, on s'endort avec la litanie des chiffres annoncée en anglais... Pas pire que de compter des moutons ... L'une de ces anses très isolée de toute urbanisation est toutefois fort sympa. Paradise Bay. Hôtel de grand luxe à gauche avec l'embarquement des navettes pour les îles voisines. Falaise inaccessible au fond, et toute petite plage familiale à droite. Deux jours de plénitude totale, seuls dans le mouillage dès la fin de l'après-midi.
Les autres mouillages peuvent être très agréables à condition de se tenir loin des plages, des villages qui les bordent et des embarcations sur corps morts qui envahissent les fonds. C'est toute une science mais on capte vite, c'est une question de survie.
Lorsqu'on approche de la capitale Valletta nos yeux se sont habitués à la vision déprimante des zup qui s'étalent à perte de vue. On hésite quand même à s'y arrêter. Mais on a grande envie de visiter. Quelle approche. La mer entre en méandres dans la terre, comme des lacs qui se seraient infiltrés dans la ville. On zone pendant deux heures d'une poche d'eau à l'autre en espérant y trouver un mouillage. Il y quantité de ports, de chantiers, d'ateliers, de corps morts...
Mouiller par là paraît bien hasardeux. Finalement, on trouve une place dans le lazaret de l'île Manoel. Au port, tout au bout du quai, loin de la ville sauf qu'elle sévit sur l'autre rive, la rumeur est acceptable.
Nous avons appris depuis, que les feux d'artifices sont une tradition "chrétienne". Une fois l'an, chaque paroisse fête son saint en grandes pompes. Vu la multitude de paroisses, de chapelles, d'églises et basiliques qui ont germé sur l'île, ça tire les feux de tous les côtés et tous les jours. Des feux qui ponctuent les différents moments liturgiques. Et ça commence aux matines... Ces explosions permanentes et régulières rappellent avec un réalise saisissant l'ambiance guerrière des temps anciens. Ici tout est imprégné de l'ancien temps. Des temps très reculés d'avant JC, du début du christianisme et des temps plus proches qui parlent fort de pèlerinages et de Princes chevaliers.
Diantre, nous sommes à Malte !
Nous sommes restés trois jours à Valletta le temps de flâner dans la ville historique vraiment formidable. Le temps de louer une voiture pour découvrir l'intérieur des terres. C'est tout aussi délabré que la côte, peu de végétation, quelques terres qui tentent d'arracher des légumes rachitiques à la roche. Des routes défoncées que nous appellerions des chemins vicinaux. Nous sommes allés débusquer le plus haut village de l'île, (environ 230 mètres), rigolez pas, vu l'état des routes il fallait bien du courage.
Le tourisme intérieur est magnifique. Les villages ont des allures médiévales. Ils se protègent derrière de magnifiques remparts, et les églises et les chapelles se disputent l'histoire avec les ruines antiques. La vie quotidienne n'est pas coûteuse. On fait ses courses dans des petites boutiques. Les légumes sont vendus sur le bord des routes, des camionnettes qui se déplacent. Sorte de marchands ambulants. Il n'y a pas de grosses unités de pêche comme en Sicile. Juste des petites barcasses sur corps morts qui encombrent le moindre mouillage.
Si on veut manger du poisson ici, c'est de l'animal domestique. Les fermes sont installées le long de la côte un peu partout. Le moral de Laurent remonte illico, il ne s'étonne plus de ne rien trouver au bout de ses lignes pas même une petite poiscaille malodorante.
Mais pour les plasancieurs, la vraie merveille de Malte ce sont les deux petites îles qui lui font face, Comino et Gozo.
Des petites criques peu fréquentées car bordées de hautes falaises. Quelques embarcations viennent mouiller là pour la journée, des promène- touristes aussi. Mais leur qualité à Malte, c'est d'arrêter de bosser à 16h30. Ils n'envahissent pas longtemps les calanques. A 17 h, les mouillages se vident et le soir nous restons deux ou trois bateaux pour garder le site. Il nous est arrivé d'être seuls avec juste les grondements des feux d'artifice qui pètent toujours quelque part.
Si vous rêvez de longues plages de sables bordées de cocotiers, c'est pas du tout par ici.
Mais si vous rêvez de mouillages déserts, isolés, planqués derrières des falaises, aux portes de grottes étranges, alors c'est vraiment un endroit pour vous. Lorsque vous voulez revenir à la civilisation, l'encombrement de la ville, vous replonger dans votre passé historique, vous trouverez à Malte de quoi vous délecter.
Il y a à Comino un site fantastique, Blue Lagon. On mouille à l'entrée de grottes mystérieuses. Moi, j'aime pas les trous sans fond.
Mais Laurent est un mec, donc curieux et aventureux... comme vous devez vous en douter.
- Allez, viens avec moi, on entre à la rame, ça craint pas. Que veux-tu qui arrive ?
- Je sais pas moi, une vague déferlante qui nous brise à l'entrée de la grotte, une brutale montée des eaux qui nous étouffe à l'intérieur..
- Pourquoi pas un monstre marin qui surgit tant que tu y es...
- C'est bon, je viens ramer avec toi, mais on reste à l'entrée, d'accord.
- D'accord !
Tu parles ! La lumière joue à travers la roche. Des reflets turquoises et dorés dansent sous les roches. Et tout au fond de cette chambre marine, une lumière... Donc on y va... J'aimerais mieux pas, mais bon, la curiosité, ça c'est moi aussi... Merveille des merveilles, on longe un couloir qui s'arrondit. Il y fait très sombre mais la lumière est au bout, nos rames grignotent les lignes qui dansent devant nous. Nous admirons les failles au dessus de nos têtes, les éclats mauves et carmins de la roche, et la lumière toujours qui nous guide sous une large voute de l'autre côté du mouillage en plein jour. Allez y dès que possible, c'est extraordinaires et c'est à Comino. Le soir vous serez tous seuls pour veiller sur votre ancre.
Mais c'est à Gozo que je m'installerais et nulle part ailleurs.
Il y a sur cette île un endroit caché derrière un énorme rocher, joli rempart contre la mer, qui cache une anse magnifique.
Un véritable amphithéâtre. Dwjedra Bay. Le soir nous étions deux voiliers dans cette immense marmite. Lorsque la nuit est tombée, assis sur la plate forme, à l'arrière de Lune de Miel, nous sommes restés Laurent et moi, seuls sous les étoiles. C'est ce qu'on croyait. Dans notre abri, la nuit était dense. Soudain des sons étranges ont circulé entre les failles des falaises. Des cris, des chants, des plaintes ?
- C'est quoi à ton avis ?
- Des chats peut-être, on dirait des cris de matous
- Et comment des chats survivraient-ils perdus au milieu de l'eau et coincés dans ces failles ?
- T'as raison, c'est trop violent, trop rauque.Écoute, Il y a d'autres cris, comme des vagissements de bébés... C'est peut-être une nurserie de sorcières. D'ailleurs on les entend voler sur leur balai.
- Mais non c'est pas des sorcières. Cherche pas. Ce sont des chats qui huent.
- ?
La stéréo était parfaite et nos oreilles suivaient chaque déplacement. Les cris aigus appelaient les cris rauques. Les appels angoissants répondaient à des chants torturés. Ça fusait d'une paroi à l'autre, ça s'interpellait et même des fois on aurait dit que ça s'énervait. Et ça recommençait à geindre. Un espace bien étrangement habité.
C'est la nuit des chats qui huent sur leur balai. Et c'est à Malte.
Mardi 22/08/03.
Ce soir nous nous abritons à Meliha bay car le vent de nord ouest sévit à nouveau et nous amène une houle pénible à Gozo. Demain, retour vers la Sicile, une soixantaine de milles, au moteur vraisemblablement.
Ensuite nous remonterons par la côte Est.
J'aimerais tant voir syracu..U..u..se...!
C'est de là bas que je souhaite expédier ce message.
Reparlons-en dans quelques jours. En attendant. Salut à vous tous, à vous toutes et à chacun pour soi.
Janou B
J'ai quelque chose de fantastique à vous dire.
Ceux qui me connaissent bien pourront mesurer l'importance incroyable de cette nouvelle. Replongez vous dans l'ambiance. Des mouillages magnifiques protégés derrière des abris rocheux. La sérénité totale, des eaux translucides, couleur lagon... lisses comme des piscines... Me voyez vous venir. Si, si si, Hé ben si, je l'ai fait. Je me suis souvent promis que je tenterais tout pour me lâcher dans la flotte. Je crois vous avoir raconté les multiples tentatives à partir de l'échelle de bain pour hésiter, frissonner et entretenir ma panique pendant de longues minutes pour finalement craquer, me tremper l'arrondi des fesses et remonter vite fait me doucher... Non décidément ce n'est jamais le jour et mon maillot de bain depuis 10 ans n'a pas eu beaucoup d'usage. J'avais simplement depuis les Antilles abandonné tout espoir de nager un jour dans l'eau de mer depuis le bateau. Les occasions étant idéales aux Caraïbes, le temps était passé.
Un matin je me suis réveillée ici avec la certitude que j'étais prête.
- T'en dis quoi Laurent, si je me jette dans l'eau, aujourd'hui ? Tu restes à côté au cas où ça se passerait mal ?
Vous auriez vu la tête de Laurent. A la fois réjoui, dubitatif et consterné. Et je le comprends car si je panique, il est sûr d'être noyé avant moi.
Donc il se gratte d'abord les cheveux, avec l'air de quelqu'un qui se demande s'il doit me prendre au sérieux.
- Si j't'assure, je me sens bien aujourd'hui, faut que je tente quelque chose.
- D'accord mais tu prends un gilet de sauvetage.
- Pas question, tu sais bien que je déteste ça. Cet engin me retourne systématiquement sur le dos, et je ne supporte pas ça.
- Bon alors la bouée fer à cheval.
- Top là pour la bouée...
Me voilà toute impatiente d'un coup.
Oh là là comme c'était bon. appuyée sur la bouée, je me suis laissée dériver en barbotant comme Dorine dans sa piscine de bébé. J'ai fait quelques brasses pour revenir vers le bateau. Un peu prisonière de ma bouée tout de même... Mais je me suis sentie merveilleusement bien dans l'eau pour la première fois de ma vie.
ET POUR LA PREMIERE FOIS DE TOUTE NOTRE DÉJÀ LONGUE VIE, Laurent et moi nous avons fait ensemble le tour du bateau, sans pause en plus...
La deuxième étape est plus laborieuse. Laurent à proxité garde la bouée contre lui. Et je me lâche de l'échelle (sans hurler, si si c'est vrai !), je rejoins Laurent, et je reviens à l'échelle. Bon d'accord, ma brasse et laborieuse et chaotique, mais je me suis dépatouillée toute seule et sans bouée, SANS UN CRI, sans une larme.... Rien que de le raconter, j'en transpire encore. Mais ce qui est inespéré, c'est que j'ai envie de recommencer...
C'est pas beau ça comme nouvelle...
Revenons à nos navigations, c'est ça le plus important pour vous, je le sais bien.
Cap sur la Sicile, une soixantaine de milles au moteur, 12 heures, c'est pas l'idéal mais c'est comme ça. C'était le vent prévu 5 à 10 noeuds mais pas dans le sens prévu par la météo; il ne nous aidait guère. Première nuit dans un mouillage sympa derrière le cap Pasaro.
Et enfin, cap sur Syracuse.
La baie est immense, à vue de nez (?) plus de 3 km de profondeur. On mouille à moins de 5 mètres de fonds, l'eau est d'un vert tendre, c'est sûrement du sable. Je lâche 25 mètres de chaîne, un si bel ocre, ça m'inspire de la sécurité et un peu de décontraction, c'est tout nouveau. Génial le mouilage. Nous sommes trois bateaux à large distance les uns des autres. Pas d'évitage à craindre ici. A droite un modeste chantier naval, à gauche des marais, au fond une base militaire barrée par toute une armada de flotteurs sur chaine. Zone interdite. Nous n'avons jamais eu l'esprit plus tranquille que ça dans un mouillage inconnu.
Vendredi 25 aout 2006
La météo annonce plusieurs journées estivales, brises côtières. Nous avons passé une nuit idéale dans un mouillage d'un calme remarquable, avec les lueurs de la nuit qui tombe sur la ville. Formidable. Syracuse tient ses promesses. On se lève le coeur en fête. Nous sommes au top pour une longue flânerie en ville. Notre errance nous promène dans les sites archéologiques. Entre les colonnes des temples, on écoute les cris des taureaux sacrifiés, on frémit pour les gladiateurs qui s'entretuent dans le théâtre... Archimède sort de sa tombe pour nous expliquer une machine infernale. Artémis ne sait plus si elle est Diane, ni qui est son père. Apollon règne en patron sur la ville. Une brise sympathique à l'abri des arbres centenaires, de bon augure pour les prochaines navigations. Journée extraordinaire ! On en a plein les yeux et plein les tongs... Vivement la fraîcheur du mouillage car décidément la brise paraît bien soutenue...
Au débouché du quai, ma casquette s'envole, le vent nous coupe le souffle. Vision grand angle de la baie dévastée par la houle. Des creux d'au moins un mètre déferlent à travers tout le mouillage et ça souffle méchamment.
- Laurent, tu vois Lune de Miel ?
- Non, pas pour le moment. C'est bizarrre, tu vois aussi 3 voiliers sur l'autre bord de la baie, vers les marais ?
- ????
- On n'était pas si loin tout de même...
On scrute, On se décale, on force nos yeux à voir... Bien obligés de se rendre à l'évidence avec un coincement épouvantable à l'estomac.
Lune de Miel, s'est fait la belle. Quel choc !
D'un coup une hallucination. Tout au fond de la baie, au delà des flotteurs militaires un voilier blanc, minuscule de si loin, al'air de se dandiner...
- C'est lui là-bas tu crois...
- Merde, il a été projeté contre la digue des militaires...
D'un coup la vie s'accélère. On ne réfléchit pas longtemps. Récupération de l'annexe, bien piteuse elle aussi d'avoir été malmenée contre le quai.
Je décide de partir à pieds pour pas alourdir le canot et aller sonner à la porte des militaires et solliciter leur aide. On est sur leur territoire après tout. Et ils doivent être bien équipés. Surtout qui je monte à bord de l'annexe avec Laurent, telle qu'elle est chahutée, balancée contre le quai, on est certain de chavirer tous les deux aussi sec... si j'ose dire !
Une fois assurée que Laurent est en sécurité dans l'annexe, je cours vers le bout du quai. Hélas, c'est un cul de sac au niveau du chantier et ça ne communique pas avec le fond. Il me faut faire un grand détour avant de tomber sur des humains de l'autre côté du chantier. Du coup je me suis rapprochée de la zone militaire et j'ai une meilleure appréciation de la situation pour Lune de Miel. La vision est rassurante. D'une part, Lune de Miel a été arrêté dans sa dérive juste derrière les bouées, (donc il n'est pas entrain de se fracasser contre le mur) d'autre part, il se dandine sur la houle, donc il flotte. Les pêcheurs, les ouvriers des ateliers voisins, y'a un monde fou qui disserte lorsque je me pointe. Ils me regardent avec des sourires goguenards... Pas un ne parle français. Le chef du chantier naval vient vers moi. Il propose de téléphoner aux gardes-côte qui rappliquent une heure après en voiture. Pendant ce temps là, je ne quitte pas Laurent qui patine et se débat contre la houle pour arriver au voilier.
Ouf, je le vois enfin sur le pont de Lune de Miel. Il plie d'abord le taud qui vole dans tous les sens et ça fait vraiment pas sérieux; ensuite il décide d'aller mettre une amarre sur le quai des militaires, histoire de s'assurer que le voilier n'ira pas plus loin. Il est désespérément tout seul contre les éléments. Je ne peux pas le rejoindre car il n'y a pas d'accès possible au milieu de ce petit bassin réservé.
Plus d'une heure est passée. Les militaires sont venus parlementer avec Laurent qui piétinne et patine sur la mousse humide de la zone interdite. Les garde-côte enfin se pointent et me font comprendre qu'ils ne peuvent rien faire mais ils observent et commentent par radio... Une espèce de jeep "polizai" se pointe. Deux hommes à bord en civil. On s'explique en italien.. (?). Je comprends que l'un d'eux me dit.
- Il faut utiliser deux grosses unités pour tirer le voilier de là. Et pour nous ce n'est pas possible.
S'il me propose autre chose, je n'ai rien compris. Ah si, le chef garde-côte en partant qui me dit, "si vous avez un problème appelez-moi" et il me laisse sa carte de visite. Un gros monsieur en costume qui parle anglais m'explique qu'il est "brooker maritime". Il a ce qu'il faut pour nous tirer de là, pour un bon prix (bon pour qui ? je ne maîtrise pas assez l'anglais pour le savoir), appelez moi demain matin. Il me laisse sa carte de visite.
La nuit tombe. Laurent a stabilisé le navire. Il est venu nous rejoindre. Il est trempé, nerveux, malheureux.
Il ne reste sur le quai que nous et des pêcheurs facétieux qui ont l'air de trouver ça comique et plus passionnant que la pêche. On nous présente Erwan, un Français qui bricole sur son bateau dans le chantier. On boit un thé avec lui. Il nous offre des gâteaux bretons. Quel réconfort. Il nous présente Massimo. Un brave gars d'ici... qui ne parle que l'italien! Le vent tombe d'un coup, la mer s'applatit. Il fait nuit mais Massimo retourne à bord spontanément avec Laurent pour essayer de "voir" en plongeant. On suppose que la quille s'est prise dans la chaîne des flotteurs militaires, car Lune de miel danse toujours sur place. Au toucher rien ne coince notre navire. Les deux hommes viennent me chercher. Jusqu'à 10 heures du soir, nous avons fait un millier de tentatives pour faire bouger le bateau, on n'y comprend rien. Il est envasé d'au moins 40 cm ça c'est sur mais rien ne le coince. L'amarre qui doit faire gîter le voilier sur une énorme bouée à moitié coulée, est à 300 mètres mais on est en bout de course de la drisse. On essaie en portant une amarre latérale d'accentuer l'effet de bascule. Toutes voiles déployées sous un pet de vent... Moteur à plein régime. Massimo a mobilisé un vieux pote à lui pour nous aider. Mais on ne progresse guère. Avec le guindeau on tire comme des malades sur les amarres qui se tendent au seuil d'éclatement... Si ça nous pète à la tête, on va se retrouver décapité, défiguré, lobotomisé...
Massimo et son ami paraissent optimistes, on comprend que l'un évalue en 4 heures notre progression vers la sortie de 5 mètres... Laurent et moi on ne rigole pas, on penche hélas plutôt vers 5 cm... ou 5 mm. Deux heures du matin, l'heure est à la déprime. Le navire ne se sauvera pas. Demain, on peut envisager d'installer en haut du mat un cordage assez long en le montant sur une poulie. On attendra que la marée monte (dans la nuit on a perdu 20 cm d'eau...) Peut-être aussi que le vent nous aidera... Et puis demain, il fera jour! Finish nous annonchent les deux italiens épuisés. Je passe une nuit épouvantable sur la couchette du carré, je suis incapable d'aller m'allonger dans la cabine. Laurent plus fataliste dort comme un loir à l'arrière.
Réveil aux aurores. Nos tentatives pour faire gîter le bateau sont toujours aussi nulles. Quel cauchemar, je n'ai jamais vu bête plus obstinée que ce navire qui refuse de bouger. Laurent décide de récupérer son amarre raboutée de plus de 100 mètres pour faire réussir notre tentative de gîte. Le responsable de la base militaire l'appelle depuis sa clôture. Laurent va le rejoindre en annexe. Quelle chance, il compatit en français mais ne peut rien pour nous. 11 heures du matin, la mer monte. Laurent quitte la zone militaire en annexe avec l'amarre qui doit nous sauver. Y'a du boulot en vue... Deux vedettes de la police se pointent à toute allure. Le même mec que la veille dans l'une. Quelques mots en anglais pour nous dire qu'ils prennent les choses en mains. A partir de là, c'est magique, même pas dix minutes. Ils ont les moyens de nous faire gîter. Et de nous faire glisser.
Il me faudrait 10 pages pour vous raconter les détails de cette épopée.
Donc ce qu'on sait aujourd'hui c'est que le mouillage est envahi d'herbes tendres (c'est un ancien marais), d'où sa couleur très pâle qui m'a fait penser à du sable, qu'il faut mouiller à plus de 8 mètres de fonds, là où il n'y a plus assez de lumière pour ce gazon maudit. Ce qu'on sait surtout, c'est que pendant notre absence le libeccio s'est levé d'un coup imprévisible comme toujours et qu'il a envoyé des poussées de sud ouest entre 30 et 40 noeuds ce jour là. Les deux autre voiliers ont décroché aussi, mais comme les occupants étaient à bord...
Remarquable : Une fois le sauvetage effectuté, le chef de police a demandé à Laurent de le rejoidre dès notre mouillage posé correctement. Aïe, combien ça va nous coûter et on n'a même pas eu le temps de prévenir l'assurance... C'était un dimanche.
Laurent part seul pour négocier... Dixit le chef de police : "J'ai besoin des papiers du bateau et des vôtres pour rendre compte de notre action. Vous ne nous devez pas d'argent. On a fait notre boulot. Ecrivez juste aux autorités italiennes (on lui glisse trois adresses à contacter) pour remercier officiellement".
On nous demande juste de la reconnaissance adminisrative. Pas question d'argent. Première fois que nous voyons ça et c'est en Sicile... Une bonne claque aux mauvaises langues qui dénigrent cette belle île et je m'en réjouis. D'ailleurs c'est moi qui ouvre la bouteille pour fêter ça.
Lundi 28 aout 2006
Tout est rentré dans l'ordre. Le libeccio n'a pas refait des siennes. On sait qu'il se lève avec la brise de terre vers 13 heures donc on reste à bord l'après-midi; ce n'est pas plus mal, car c'est le moment le plus chaud de la journée. Nous sommes remis de nos émotions et pas rancuniers. Syracuse nous enthousiasme. La vieille ville est un trésor aligné d'architectures gothiques, baroques... antiques. Les gens sont calmes, sages. On s'y sent en toute sécurité. Encore un endroit où j'aimerais vivre.
Demain on entame notre remontée vers le nord, direction le détroit de Messine. Je dois être à Velaux le 15 septembre. On arrive sans se presser. Si je peux je vous enverrai un nouveau message avant Messine.
Éstival 2006 - n° 6 Mardi 29 aout 2006.
Bilan de notre échouage:
Nous déplorons la perte d'une amarre neuve et d'une écoute de spi, qui ont coulé quand les policiers italiens nous ont si sauvagement fait gîter par surprise. Nous laissons derrière nous Syracuse, ses soirées gustatives au resto (car on avait besoin de se refaire un moral) et ses envoûtements.
Nous montons vers le nord de la Sicile. Première étape prévue à Cadena envrions 40 milles avant de se poser 25 milles encore au nord à Taormina pour réfléchir à notre passage de Messine.
En quittant Syracuse, dauphins encore dauphins. Quelle merveille de bestiaux !
Bientôt la silhouette grise de l'Etna déchire les nuages. On trouve un club nautique juste sous le volcan. Cadena, pas question de s'y éterniser. C'est sinistre. Le quartier du port est dégueulasse. La ville se délabre franchement. On ne sait pas pourquoi partout (la vieille ville de Syracuse souffre du même mal) les murs se couvrent de larges auréoles noires comme une maladie de peau incurable qui mangerait le derme. Bien dommage car ce qui résiste des monuments anciens est aussi de très belle architecture. Bien déprimant tout ça. Ici aucun effort de réhabilitation n'est tenté. On zone entre ruine et délabrement. C'est aussi la première ville de Sicile où nous rencontrons des immigrés noirs ou pakistanais pour la plupart...
On est dans les quartiers nords de la Sicile, ça se confirme.
Un jour plus tard, 25 milles plus tard, Taormina ! Une vaste baie, une belle zone estivale avec toujours l'Etna qui domine de sa sombre silhouette. Les roches de lave qui bordent le mouillage ont de drôles d'allures. Ici commence une végétation luxuriante. Tout autre chose et bien plus plaisant.
Notre première idée est de passer le mythique détroit de Messine et s'arrêter juste après pour reprendre nos esprits. Nous avons passé de longs moments de navigation à interpréter les marées, à faire des graphiques, à calculer le "meilleur moment". Mais c'est très flou tout ça pour nous.
En gros, notre route sud/nord est la moins favorable. Et c'est vrai. Quel que soit le moment, nous avons presque toujours un courant contraire. Heureusement ce jour, il est modéré mais nous fait perdre jusqu'à trois noeuds. Heureusement que le vent nous porte. Avant Messine, c'est assez génial car le vent n'a pas encore tourné, la mer est plate et on avance à 6/7 noeuds au bon plein. Le passage en S se devine et je nous vois le passer comme une lettre à la poste. Laurent qui a renoncé à ses lignes de pêche chantonne dans sa barbe "allons à Messi.. neuh... pêcher la sardi.. neuh.. ."
Le vrai danger est au niveau de Messine, une procession de navettes, cargos, tankers... Italie/Sicile qui traversent en permanence et dans les deux sens le redoutable détroit.
Juste après Messine, le vent tourne et on doit passer en tirant des bords. On n'en finit plus de se rapprocher de cette porte étroite. Le goulet, Thyrénée/Ionienne, fait à peine un mille de large. C'est assez étonnant. On avance petitement, vitesse spido 8 noeuds, vitesse réelle 5 noeuds, moteur à 1500 tours.. On a trois heures de marée avantageuse. Il faut absolument passer pendant ce moment.
Il est 15 heures quand enfin on est de l'autre côté du miroir.
Le stromboli apparaît comme un gros gâteau au chocolat sorti encore fumant du four. Les îles éoliennes nous font de bonnes promesses, surtout que le vent redevient favorable et qu'on devrait vite échapper au courant qui nous contrarie de ce côté là. Basta pour Vulcano moins connu donc plus calme à priori... Les îles éoliennes pour nous sont peu fréquentées mais les Italiens, ils adorent. Le tourisme local y est déchaîné.
Le mouillage de Vulcano est magnifique au pied du volcan. Mais les navettes font la queue pour s'y amarrer et on est secoué comme des pruniers par tous ces va-et-vient. L'une d'elles nous épate. Elle est posée sur ses pattes comme une énorme araignée d'eau ... Elle glisse à une vitesse folle. Quand elle ralentit, les pattes s'enfoncent dans l'eau et le bateau avance normalement. Moins rigolo, les émanations de souffre. C'est insoutenable.
Samedi 2 septembre 2006
Laurent a pêché un ENORME thon germont avant d'arriver à Vulcano.
Orgie de poisson pour quelques jours. J'en mets plein au sel, aïoli prévu à Velaux dans quelques semaines. Chiche les enfants !
On quitte Vulcano avec un mal de crâne atroce, est-ce l'abus de rosé pour accompagner le thon ou le souffre du volcan qui nous monte à la tête.
C'est malsain ici, cap sur Lipari. Génial Lipari. Une grande ville très coquette. Archi-touristique mais moins bousculée que Vulcano. Il y a beaucoup plus de places. Je vais essayer de vous envoyer ces deux messages d'ici.
Prochaine étape Capri. Dès que la météo nous sera favorable.
Bisous à toutes et à tous.
Janou B
Estival 2006 - n° 7
Dimanche 3 septembre 2006
Nous quittons à regret le petit port si accueillant de Lipari. Nous quittons les îles éoliennes pour Capri, 130 milles de navigation.
Nous savons que nous avancerons au près serré. Le vent est annoncé force 2/4, c'est une bonne route qui nous attend. Toute la journée nous alternons voiles ou moteur, voiles et moteur... Finalement, nous décidons de tirer un bord franc vers l'Italie, ça nous détourne de 30 degrés mais nous "fonçons" à plus de 6 noeuds. La VMG prend un coup de fouet, on gagne deux heures sur la prévision d'arrivée...
Dans l'après-midi, je suis scotchée sur le bord du voilier, j'admire un arc en ciel qui défile dans le rejet des eaux du moteur. D'un coup j'hallucine.
- Laurent viens, voir ça c'est inattendu !
Laurent arrive, se penche par dessus la filière.
- Regarde, juste dessous, des gros champignons qui se laissent dériver entre deux eaux. Tu crois qu'il y a des champignons en pleine mer ?
- Faudra en parler à nos amis cévenoles, mais je crois pas. C'est peut-être un cargo qui les a perdus.
- Incroyable, t'as vu la taille du chapeau.
De belles couleurs brillent sur le dessus, lumineuses que la mer enrichit. Un brun doré qui s'ourle de grenat. Des jaunes brillants comme des paillettes d'or. Pour être si beaux, ils sont probablement vénéneux ces champignons.
Laurent me tire de mon observation béate.
- T'as vu, tes champignons, ils ont des pattes.
N'empêche que si les tortues nous avaient dépassés au lieu de nous croiser, j'en connais un qui se gausserait pas tant que ça.
Fin de soirée, le vent se détourne, pétole, moteur...
Je suis en pleine forme et je prends le premier quart vers 22 heures. La lune est déjà haut dans le ciel. Son bel éclairage éclabousse la mer. Elle a éteint la plupart des étoiles. Elle habite tout le ciel. Sa lumières est géante. On ne croise pas un chat. Le ron ron du moteur à 1500 tours, la mer toute plate qui étincelle, l'etouffement sourd des vagues à l'avant du bateau. Comme sur la plage par beau temps. Elles donnent l'impression de s'affaler d'épuisement sur la coque. A l'arrière l'écume phosphorescente de notre sillage, vert, bleu ou jaune ? Magnifique. Le souffle mouillé, intime des vagues qui se brisent sur les deux bords. Quelle plénitude.
A deux heures du matin, je prends un nouveau quart, juste avant que la lune se couche. L'horizon lui a ouvert une parure rose et orange qui illumine notre route. Et la lune se laisse glisser mollement dans ses draps pendant que moi, je marine dans ma polaire, car il fait frisquet. A l'horizon, les draps se referment, la nuit devient grise. Les étoiles peuvent enfin sortir du néant. Je repère mes lignes familières d'un éclat à l'autre. Des étoiles filantes fusent et disparaissent. A chaque fois, un choc, un émerveillement.
Je repense à mon dernier coucounet, encore sous le choc de Syracuse, je n'avais rien d'autre dans le chou. Vous ai-je dit qu'avant Vulcano nous avions fait une étape à Milazzo. Ben oui, parce que je ne l'ai peut-être pas précisé mais à la sortie de Messine, le courant contraire nous a durement frappé. Nous avions 15 milles à faire, que nous avons parcouru en 5 heures. Arrivée de nuit à Milazzo, avec l'idée de s'abriter au port, de nuit c'est plus sage quand on arrive en terrain inconnu. On repère de très loin une immense raffinerie construite sur la mer. Chaque citerne, chaque cheminée est enguirlandée de lumières du haut en bas. Une véritable ambiance de Noël. Comme il fait nuit on ne voit pas de fumée, pas la triste allure d'une usine, on est bien surpris par cette forêt éblouissante. Le port est juste après. On y entre avec précaution, ça circule dur dans le passage. Cargos, tankers, navettes inter-îles... Quelle circulation et que des gros bâtiments. Le port est très mal éclairé. On y va sur la pointe des pieds. Où diable se trouve le port de plaisance. Ah, voilà, une dizaines de mats bien alignés. Approchons nous, oh merveille une immense place le long d'un "catway" et deux mecs qui nous attendent. Bien plantée à l'avant du bateau prête à leur balancer mes amarres, je baragouine en anglais que nous arrêtons seulement une nuit.
Impossible, Ils attendent un yacht à cette place. Le port est complet, qu'il me rebaragouine en anglais aussi approximatif que le mien. Où peut-on aller ? De l'autre côté, au mouillage sur ancre, c'est la seule solution ! Ecoeurée je repose mes amarres et réintègre le cockpit pour une concertation d'urgence avec Laurent. On zone une bonne demi-heure dans l'obscurité redoutable du port entre les entrées et sorties des gros navires. Finalement, nous repérons juste après la digue du port, un petit mouillage de corps morts. Nous nous y encastrons. Heureusement le vent est nul, il n'y a que la houle des ferries qui nous perturbe. Sur le quai de gauche une araignée de mer attend l'aurore pour reprendre du service. Sur le quai de droite un énorme ferry ronronne comme un matou géant. La nuit sera calme cependant. Même si on se lève trois ou quatre fois pour s'assurer que tout est en ordre lorsque le passage d'un gros navire nous réveille en nous secouant.
A 7 heures du matin, nous sommes pressés de quitter cette zone peu reposante. Avec quelques regrets cependant, le fond de la baie, au dela du port promet une ville fort sympathique. Mais il faut aller mouiller ailleurs alors autant faire quelque milles (5) et changer de site, choix de Vulcano, dont je vous ai déjà parlé.
Et Capri dans tout ça.
Capri ça jette. Révolution complète de notre vision des îles éoliennes. Ville discrète, tourisme de haut vol, boutiques de luxe. Capri, de la mer, c'est comme une montagne qui se serait fendue en deux, la ville s'est construite depuis les hauteurs jusque dans le creux du vallon. Tout y est opulence. Les habitations, les hôtels, les arbres, les fleurs... C'est aussi l'île du silence. Tout le service se fait par engins électriques, livreurs, facteurs, bagagistes... Nous nous sommes offert une chouette déambulation dans la vieille ville, sur les hauteurs, gentiment portés là haut par le funiculaire. J'ai adoré, pour y passer un moment de détente totale. Je n'aimerait pas y vivre, cette vie feutrée, ce luxe, toutes ces facilités à la longue doivent peser. Evidemment le mouillage est du même topo et les yachts qui mouillent ici ont des allures phénomènales. Bien heureux que nous y soyons tolérés.
Mardi 5 septembre 2006
Capri se perd très vite dans la brume épaisse d'une belle journée qui s'annonce. 22 milles en vue, cap sur Ischia, mouillage de San Angelo. Encore une merveille où Lune de Miel pose son ancre solitaire. A mi-chemin entre Capri et Ischia, perte de réception du GPS. Le GPS portable de secours, affiche la même défaillance, niveau de réception insuffisant. Donc nous ne sommes pas en panne. Nous sommes bien surpris tout de même car ça dure une bonne vingtaine de minutes et comme nous sommes à l'avant d'une large bande de brume ça n'a rien de rassurant. Connaissez-vous ce phénomène ?
A propos de problèmes, Laurent a profité d'un mouillage en eau claire pour aller inspecter la quille du voilier. Suite à sa cure de boue, au pealing qu'il a subi dans le marais de Syracuse, toute la peinture a été poncée de très près jusqu'à l'epoxy, sur environ 40 cm, jusqu'à l'alu à l'arrière. Bon on rentrera comme ça. C'est un moindre mal, une sortie au port à sec était prévue cet hiver, ça fera partie des travaux envisagés.
Jeudi 7 septembre 2006.
8ème repas de thon, et c'est toujours un régal. J'ai improvisé du fenouil aux citrons confits pour changer un peu.Ca mouille le thon agréablement et c'est très goûteux. La météo affiche toujours du Nord ouest, quasi nul. Nous renonçons à l'idée de rentrer par la côte italienne. Les îles se dévoilent à profusion et elles sont magnifiques. Nous réfléchissons à une modification de parcours.
Nous sommes à Ponza depuis hier. Cette ville nous enchante. Autant profiter de cette météo clémente pour vivre à terre, un peu. Dès que le vent passera à l'est, samedi ou dimanche, nous aimerions quitter les îles pontines pour prendre le cap des îles toscanes. Mais rien n'est certain. C'est toujours la météo qui décide pour nous.
Anecdote pour finir. Nous gardons le thon qui reste au sel, donc en venant ici Laurent a remis ses lignes à la flotte, il ne peut pas s'en empêcher. A mi-parcours nous avons croisé l'îsola di San Stefano, encore un panier de belles images... de près c'est toujours mieux.
- Dis Laurent, t'as vu les marques spéciales un peu avant d'arriver ici, y'en avait deux dans la direction du port.
- Oui, mais je ne les ai pas vues sur la carte, elles doivent concerner la navigation à l'entrée de la ville, nous on passe derrière l'île, on s'en fout...
Donc on se rapproche des rochers. On est au moteur, c'est pétole, autant en profiter pour faire du tourisme.
On voit soudain foncer sur nous un canot de garde-côte. Laurent leur fait de grands signes pour leur montrer sa ligne; franchement y sont pas un peu cons de passer si près, comme s'il n'y avait pas assez de place en mer... Laurent mouline sa ligne arrière le plus vite qu'il peut. Il me fait signe de laisser celle de tribord. Elle est plus courte et doit leur permettre de passer. Ils sont presque à notre niveau, ils ralentissent... trop tard... Ils calent. L'un ou l'autre se penche à l'arrière du canot, ils fulminent en italien. Nous on ne rigole pas, ils pourraient nous entendre et mal le prendre. Mais on se dit que c'est bien fait pour eux, ils avaient qu'à aller jouer plus loin. Finalement leur moteur se remet en marche et Laurent a rangé sa ligne qui semble n'avoir pas souffert. (ouf, encore un rapala qui a eu chaud !) Les gardes par gestes (ils sont trois) nous font comprendre qu'on navigue en zone protégée donc interdite à la circulation et... à la pêche. Je claironne bêtement : "mais c'est même pas signalé !"
Trois doigts tendus au large montre l'ombre d'une bouée qu'on devine à peine, que j'avais prise pour un voilier lointain... Derrière ça il faut passer... On s'excuse mollement, on se décape. Au revoir Messieurs, merci messieurs....
On attend que le canot disparaisse derrière les rochers pour remonter la ligne tribord qui a échappé à leur vision perçante. Et qu'y trouve-t-on, une belle daurade coriphène morte d'épuisement... Ça c'est un morceau de dégustation. Le goût de l'interdit, vous connaissez ?
Un vrai bonheur de naviguer avec Laurent.
A presto ! Janou B
Estival 2006 : N° 8 - Elbe Toscane
Samedi 9 septembre 2006. Une petite course digestive, 9 milles de plaisance. Après une pause de toute beauté dans un vaste cirque de falaises, site parfaitement sauvage et isolé, (Isla della Parmorala). Faut quand même se souvenir que nous sommes en vacances et qu'on peut aussi prendre le temps de s'arrêter. Avec encore du bonheur plein les yeux. La lune apparaît au dessus des falaises, elle frôle le mas du seul voilier qui partage cette belle calanque avec nous. S'y pose quelques instants, "comme un point sur un i". La nuit est tombée et l'ombre rapproche les falaises. Toujours cette impression à laquelle je ne me fais pas. Il est temps d'aller au lit. Surtout que demain c'est 125 milles qu'il faudra dérouler de notre corde à noeuds. C'est décidé nous ferons route par l'archipel Toscan. Aussi touristique et prestigieuse que soit la côte, l'idée de replonger dans la folie urbaine nous dérange vraiment tous les deux. Naples, Rome, tout ça... on se dit qu'on peut le faire en train, ou en moto... Vous croyez pas ?
Je crois bien que nous ne respectons guère notre programme de vacances. Nous avions parlé d'aller en Tunisie et nous y tenions. Mais une fois arrivés en Sicile, nous nous sommes rendus compte que nous avions oublié nos passeports. D'où les modifications de parcours vers Malte.
Les îles donnent une idée de l'Italie que nous n'avons pas envie de quitter. Les gens sont souriants, on se sent en toute confiance. Rien n'est sous clé, les commerçants sont honnêtes. On ne s'y sent pas surpeuplé. Notre seul regret, c'est la pénurie de chocolat et de bon fromages coulants. Peu de choses en somme. Surtout qu'il y a beaucoup d'autres saveurs, inhabituelles, et fort goûteuses pour compenser. Rien que la diversité des pâtes, un vrai festival. Quant aux antipasti, on s'en met plein la dégustation. Le vin aussi est fameux, (celui de Sicile a été une bien heureuse découverte) et bien entendu les incontournables pizzas dont nous avons revisité les saveurs et les couleurs.
Une navigation de 24 heures sans histoires, alternance voiles et moteurs. La routine quoi. Peu de trafic en mer. Lorsque le soir arrive, les lumières de la côte italienne (à plus de 20 milles) nous offrent une nuit très vivante. Vers midi, allo ? ça tombe bien, une daurade est en ligne pour Laurent. Le délice de la mer, qui se fait décidément bien généreuse ces temps-ci.
Notre première étape en pays Toscan est GIGLIO, calla della allume. Encore un magnifique mouillage très tranquille et de toute beauté au milieu des rochers et des falaises. Dans la journée des canots s'éparpillent dans la calanque. La chasse aux oursins est ouverte. Fin d'après midi, avec l'annexe on s'offre de beaux détours à travers les roches affleurantes. Safari photo. On repère un insecte qui se débat tristement sur la surface de l'eau. Ses ailes détrempées, ne lui permettent pas de décoller. Il clapote, barbote, s'épuise. On se rapproche. Un énorme papillon de nuit tout gris, tout moche, tout malheureux. Ma maman disait, papillon du soir : espoir. Ce n'est pas permis de les tuer. (elle disait aussi, araignée du matin : chagrin) On y va pour notre opération sauvetage. Laurent le récupère avec sa rame, le pose sur le boudin avant du canot. On doute qu'il vive encore. Une bonne dizaine de minutes, on rame mollement pour pas l'affoler, on se laisse dériver. Le voilà qui frissonne, il déplace une patte avec prudence, il se tourne vers moi, me dévisage. Je me sens gênée par son insistance. Bon, tu décolles ou tu décolles pas ? Il semble que non. Peut-être que ses ailes ne sont pas sèches. Avec beaucoup de précautions on se décide à le débarquer au bord des rochers, à proximité d'une végétation protectrice. Laurent arrive à le poser sur sa rame, il la "verse" pour glisser l'insecte à terre. Une pauvre bête qui panique et déploie ses ailes brusquement. Il s'échappe dans un vol incertain, mais vers la mer. Va-t-il se rendre compte de son erreur avant de retomber définitivement épuisé sur les vagues ? On a passé un long moment avec le papillon. Les dévoreurs d'oursin sont partis. On rejoins Lune de Miel dans un isolement total. Assise sur le pont, je guette le vol lourd d'un gros papillon, mais en vain. La nuit tombe sur l'incertitude.
Après 22 heures, bilan météo. Laurent capte chaque jour celle d'Hambourg et il a bien raison de s'y fier, se dit-on. Donc nous savons qu'un avis de coup de vent est annoncé sur Lyon Provence (Mistral) à partir du samedi 15 sept. Qu'une dépression sur les Baléares, maintient le vent d'Est jusque là. La fenêtre idéale pour traverser vers Porquerolles, pourquoi pas Bandol, si le vent est vraiment bon... Mais nous ne voulons pas louper la pause à l'Ile d'Elbe. Donc nous écourtons notre petit bonheur de Giglio. Et l'Ile d'Elbe 35 milles au nord nous attend.
Lundi 11 septembre 2006
L'Ile d'Elbe, c'est une vision toute autre des îles. Nous mouillons dans une vaste baie où nous sommes tout seuls. La plage est bordée de pinèdes dans laquelle se cache un camping discret. Tout autour, des massifs verdoyants, des habitations modestes et pimpantes. Les gens sont détendus. Ils sont chez eux et on se sent chez nous. Magnifique non ? Le vent d'Est est annoncé pour plusieurs jours. Nous allons nous offrir une journée de tourisme. En quittant la plage, regards rapides mais attendris vers Lune de Miel. Vu la place qu'il a, il pourra s'ébattre tout à son aise au bout de sa longe. Nous partons rassurés. A pied ou en bus, le circuit découverte ? Nous n'hésitons que le temps de passer devant une location de scooters... perdue au fond d'une cour de ferme. Pourquoi pas ? Ah Mesdames, si vous aviez vu les deux gars qui s'occupent de cet espèce de hangar. Jeunes, beaux, souriants, affables, délicieux. Rien que d'y penser, j'en souris encore.
Le scooter est mis à notre disposition, pour la journée et pour 28 euros, que nous enfourchons Laurent et moi en rigolant bien. Il est beau l'équipage. Ils ont l'air fin, les deux soixantenaires. Laurent avec son petit short bleu clair, et ses birgenstocks aux pieds. Et moi qui chausse l'espèce de casque qu'on nous prête. Sans visière, sans mentonnière, c'est juste une idée de casque, un bol qui tient par miracle sur le haut du crâne. Je me vois tout à fait comme une parodie de Soeur Marie Thérèse des Batignolles. Je me demande si nous sommes assez habillés pour grimper sur les sommets en "moto". Mais depuis le temps qu'on se couvre de ridicule, on ne risque pas de prendre froid.
Dans les lignes droites, Le scooter fonce à 50 à l'heure. Vous imaginez, c'est de l'ordre de 27, 28 noeuds. Heureusement, la forêt ne gicle pas ses embruns à tort et à travers. Sous notre cyclo, le bitume ondule à travers les eucalyptus, les sophoras, les pinèdes et les chênes verts. Des calanques immenses et magnifiques, promesses de futurs mouillages. Le long des coteaux des vignobles inattendus. Et puis la grande ville. Portoferrario, si jolie, si coquette, si vivante. Une île si généreuse se dit avec des mots simples. Oh là là, que c'est beau.
Reprise de la météo au retour. Monaco radio confirme : Pas d'avis de coup de vent en cours ni prévu, vent d'Est, pour les 36 heures à venir force 3/5 sur Ligure, 4/6 sur Provence. Tendances ultérieures, risque de coup de vent N/W pour vendredi sur Lyon Provence. Parfait.
Mercredi 12 septembre 2006
Nous voulons être à Porquerolles pour nous abriter du mistral jeudi soir. 180 milles à aligner, soit 36 heures de nav... Nous espérons faire mieux car nous serons dans des allures au portant avec du bon vent, mais on ne sait jamais donc on décolle à 6 heures du matin, allure tranquille au moteur. Il fait encore un peu nuit, pas tout à fait jour. Aube ou aurore ? Dans la matinée le vent d'Est s'établit. Allure de grand largue, c'est franchement génial, tout comme a dit la météo. Laurent a remis sa ligne à l'eau. On cravache la houle à plus de 6 noeuds. Un énorme thon rouge course le rapala. Youpi, Laurent l'a eu. Encore ! Mais que vais-je en faire ? On roule nos voiles, pour une heure d'atelier poissonnerie, atelier boucherie devrais-je dire. Elles sont gorgées de sang, ces bestioles. En deux coups de couteau, Laurent prend des allures sanglantes. L'horreur ! Disons-le franchement, j'ai vraiment pas d'estomac. Mes gélules belges ne sont pas loin. Ouf !
A midi, le vent tombe, retour du moteur. C'est l'heure de la récré pour les dauphins. Ils nous accompagnent jusqu'au bord du cap Corse. Ils sont une multitude. Ils jouent à se pourchasser d'un bord à l'autre du bateau. Ils font de grands sauts devant l'étrave. Ils passent sur un bord en nageant sur un flanc et nous narguent de leur oeil visible. Ils nagent sur le dos, sur le ventre, ils se frottent l'un contre l'autre, se télescopent.
14h30, on dépasse le cap corse sans eux. On les retrouve quelques milles plus tard. Sont-ce les mêmes ? On a fait un sacré bout de route avec eux. Toujours la même réjouissance. Excellent pour notre moral qui a pris une claque avec la météo de demi-journée.
Avis de coup de vent d'Est sur Lyon-Provence, jeudi à minuit (c'est à dire cette nuit) fin de validité jeudi 18 heures, orages, grains, rafales... Pile quand on doit arriver, c'est quoi ce gag !
D'ailleurs la mer prend une couleur bien sombre tout à coup et la houle se creuse. Pas loin d'un mètre. Violente, courte, croisée. Détestable.
C'est quoi qui s'annonce ? Consternation à bord. Nous on avait choisi la fenêtre idéale.
Il semble que le coup de vent se décale lentement vers l'Est. Rester en mer de Ligure, côté Est, est-il plus sage ? La mer et les vents, y sont annoncés plus cléments. Peut-on encore se fier à la météo ?
Choisissons l'option la moins pire. Modification de cap. on allait au 270 depuis le cap Corse vers Port Cros, Bagaud. On fera du 285.
Nous atterrirons à Saint Raphael,
Rade d'Agay...
Et on avisera une fois à l'abri. En plus ce sera moins loin, on gagne une vingtaine de milles donc nous arriverons avant que ça se dégrade, peut-être. La nuit est infernale, les avis de coups de vent sont quasi permanents et les échéances se rapprochent de plus en plus. Les nuages ont noirci le ciel. Laurent a pris deux ris en fin d'après midi et on bouffe des embruns à 7/8 noeuds. Comme souvent mes sensations sont très partagées. Il y a ce souci de météo, l'état du ciel vraiment sinistre. Il y a une mer vraiment désagréable. Dans la soirée, la houle s'est encore creusée. Elle nous dépasse par l'arrière. Laurent relâche un peu de génois pour se tenir devant le déferlement des vagues. Lune de Miel adore ça. Il caracole et s'offre de longues courbes extravagantes. Aussi sympathique que ce soit quant à l'allure et à la vitesse du bateau, l'ambiance à bord est tendue. Au loin, des éclairs déchirent la nuit, quand cela va-t-il nous tomber dessus ? Pas un chat en vue. C'est la solitude absolue dans une mer qui ne nous veut pas du bien. Nos quarts sont chaotiques. Au milieu de la nuit le vent se durcit, je suis seule dans le cockpit et le spido affiche 9 noeuds et demi. Le temps que j'hésite à réagir, il est retombé dans la zone des 7/8. Aussi sec (si j'ose dire) une trombe d'eau s'abat sur ma capuche.
Nous finirons ainsi la nuit, sous la pluie, avec des poussées capricieuses du vent et Lune de Miel qui paraît glisser sur tout ça en pleine crise d'exubérance. A 10 milles de la côte on ne voit que du brouillard. A 5 milles aussi. A 3 milles, la silhouette de la côte se dessine vaguement. A un mille, une apparition. Un creux dans la côte, une route blanche qui s'arrondit au fond de ce qui ressemble à une baie, il y a même très nettement un camion qui roule, comme dessiné au crayon. Et tout autour un rideau de pluie.
A 8 heures du matin, nous entrons dans la rade d'Agay, que nous avions découverte du temps qu'on explorait la côte avec Athor. C'est plus génial qu'avant. Mouillage organisé sur bouée. Sécurité totale. (Pour info, le vent dans le mouillage souffle pour le moment à 35 noeuds par rafales) c'est quand même bon d'être arrivé.
Nous attendrons que se calme la dépression pour filer vers l'ouest, Porquerolles.
Presque chez nous, à bientôt à terre !
Samedi 2 août 2003. Première vision de Sardaigne. C'est Italien...!
Ces premières îles du nord que nous avons longées sont arides, sèches, désertes.... Un tout petit village de pêcheurs où nous sommes abrités, Stintino, à l'intérieur du golfe d'Asinara. Paysage de granit rose magnifique et de maquis.... Sur le port, première dégustation de crème glacée italienne.... fondant, saveur, délicatesse dans le palais, fraîcheur... La boulangère est notre premier contact à terre. Elle est jeune, elle est brune, elle est souriante et nous apprend nos premiers mots d'Italien. A presto !
Samedi 2 août 2003- STININO -Capo la Testa Mouillage de la Colba - 42 miles-
Nous devons traverser l'immense baie d'Asinara pour rejoindre le sud des Bouches de Bonifaccio, et passer sur la côte Est de la Sardaigne. Nous décidons d'engager un tour de l'ïle dans ce sens parce que les vents dominants doivent nous être favorables.... C'est une option dont la météo fera ce qu'elle veut. Vraiment ce quelle veut. Nous avons bénéficié d'environ deux heures de bon vent au largue, toute voile dehors. C'était extra. Et puis le vent a progressivement tourné et on a tiré des bords, de bons bords. Le passage de Bonifacio réputé si dur est passé en douceur sous une brise de force 2/3 où nous étions quasiment seuls à naviguer. Au loin, très au loin, noyées dans la brume, les falaises de la Corse paraissait intouchables. Le "Capo testa" est fantastique. Nous avons posé l'ancre dans une petite baie presque déserte au milieu de rochers étonnants. Nous avons fait 56 miles laborieux mais ça valait la peine. Le site est tellement extra que nous passerons une journée à déambuler entre des mammouths figés depuis l'éternité, des faucons prisonniers de leur vol, des drôles de personnages, mi-hommes, mi-bêtes, des loups, des aigles, gisants sculptés par la mer et le vent, tous droits sortis de l'antiquité. On a joué à "à qui elle ressemble cette roche à gauche, non l'autre à côté de la guenon ? Rigolo et défoulant. On a adoré cette crique. Mais en faisant l'andouille avec un gisant plus malin que lui, Laurent s'est fait mal au dos.
Le nord de la Sardaigne est une route formidable. On passe d'une île à l'autre, des paysages de rêve, Les îles portent des noms très évocateurs, "Razzoli" 'le point le plus haut fait 65 mètres ; Budelli avec le récif de l'Homme Mort ; La Maddalena qui nous est familière comme vaste zone météo ; l'isola Spargi ; Le plus beau mouillage se trouve sur l'île de Caprera, infesté de guêpes. On a fait un concours que j'ai perdu. Laurent en a exterminé 15 en les sabrant à l'opinel. Je trouvais plus subtil de les piéger dans une bouteille d'eau sucrée. Moins efficace. Je n'en n'ai eu que 12. Mais la technique hara-kiri en plein vol est terriblement risquée. Seul un homme peut le tenter. Nous n'avons pas lutté à armes égales sur ce coup là, Laurent et moi.
Nous avons fait des sauts de puce, 12 ou 15 miles chaque jour. On trouve toujours un abri presque isolé, avec très peu de voisinage. La promiscuité des îles implique une multitude de rochers. Une navigation attentive s'impose. La mer se hérisse de pics et de dents autour des côtes, beaucoup de roches à fleur d'eau ne sont pas repérées. Les dents de la mer, c'est ici. C'est passionnant tout ça. Du suspens, un peu de soucis, des merveilles de paysage. Et bien entendu pas de village à fréquenter. A propos de dents, je me suis fait mordre par une boîte de cassoulet. Très grave ! Ce genre de boîte qu'on ouvre avec un outil qui fait de beaux crans tout autour du couvercle. Donc j'ouvre ma boîte, je vide soigneusement mon cassoulet de canard pour le chauffer. Ce qu'il fleurait bon, sympathique comme tout. Je ne me suis même pas méfiée. J'ai voulu repousser le couvercle à l'intérieur de la boîte pour la compacter. Et vlan, mon doigt a dérapé. Je me suis retrouvée avec une main prisonnière de la gueule ouverte de ma boîte. Plantée jusque sous la racine de l'ongle cette vache de couvercle. Mais ça, vraiment c'est très douloureux. Même que j'ai pleuré. Pas d'inquiétude, j'ai de quoi me soigner.
Méfiez vous des boîtes de conserve désormais. Elles peuvent vous tuer par le botulisme ou vous mordre par pure méchanceté.
Lorsque nous passons à l'Est, le paysage change. Il y a de belles plages au milieu des falaises qui dévalent dans la mer. C'est la "Costa Smeralda" côte d'émeraude. Lune de Miel navigue en plein boulevard. On se fait doubler, croiser, dépasser par les navires des nantis italiens. Ils nous toisent du haut de leur yacht prestigieux. C'est bien bruyant tout ça. Nous dépassons sans état d'âme Porto Cervo infesté d'adeptes de la jet set et autres gros bourgeois repus qui ne vivent pas tous à crédit. Un monde qui nous ignore et nous le lui rendons bien. Des fois, l'un ou l'autre nous adresse un salut en passant. Mais je ne suis pas certaine. C'est peut-être un geste de coquetterie. Vous savez cette mèche qui tombe toujours sur le coin de l'oeil quand la chevelure s'échappe sous le vent... Dans le doute, je redresse aussi la mèche que je n'ai pas... Autant adopter les attitudes locales à défaut de parler la langue.
J'ai fini par être en panne de pain. Tentative de levain avec de la bière et de la farine, sur 24 heures. Nous avons ainsi récupéré quelques galettes comestibles pour tenir deux jours de plus.... Toujours pas de boulangerie à l'horizon.
Vendredi 8 août 2003, nous décidons de tirer un grand trait sur la Costa Smeralda, 38 miles annoncés et le vent nous est totalement favorables. Cap vers le sud, vers un autre monde.
Début aout. Une journée formidable, sous spi tout le long.... On avance à 7 noeuds, et plus sans faiblir. Laurent fait le ravi avec un grand sourire qui ne le quittera pas de la journée. Il en oublie son mal au dos. On s'accorde une pause en fin d'après midi à Cala Gonone. L'idée n'est pas brillante. On zone dans le secteur de grottes prestigieuses. Site touristique à outrance... Navettes en tous genres, locations de zodiaks, ça n'arrête pas toute la soirée. Vers 11 heures du soir quand enfin le mouillage se calme, c'est les bords de plage qui se réveillent. Sono primitive à pleine gomme dans les bars et les restos.... Il y a donc tellement d'abrutis en phase terminale dans ce monde ? Pour échapper à tout ça, on décolle tôt le matin, les yeux un peu pisseux d'avoir mal dormi. On a oublié d'acheter du pain et Laurent a de nouveau mal au dos. Mon doigt ne guérit pas bien. Il y a trop d'humidité autour de nous... Il gonfle autour de l'ongle, il est vraiment moche et hypersensible. La baignade m'est rigoureusement interdite par Laurent. Zut alors, j'avais un maillot tout neuf sous la main. Quel dommage... !
Samedi 9 août. Une belle navigation au largue le long d'une impressionnante chaîne de falaises granitique. La première marina que nous fréquentons se situe au pied du Monte Santu. Le site est exceptionnel. Nous sommes à peu près au milieu de la côte Est: Santa Maria Navarrese. On se replonge dans la civilisation. Premier souci, la boulangerie.... Plus tard on verra pour refaire un peu de frais, fruits et légumes.... en particulier. Pour le reste on peut tenir un siège de quelques mois. A propos, au bout de quatre jours de tupperware au sel, et à 3O° en moyenne, le thon de Jean et Denise, cuisiné avec une sauce bien épicée a été un vrai régal.
Demain on loue une moto pour aller voir depuis la terre de quoi sont faits ces superbes sommets qui nous font de l'ombre quand on navigue.Et puis j'essaie de trouver un site pour expédier ces messages.
GROSSES PENSEES ATTENDRIES A CEUX QUI SE MARIENT ou A CEUX QUI DEMENAGENT ou A CEUX QUI DEMENAGNET ET QUI SE MARIENT.MILLIONS DE BAISERS SALÉS À VOUS QUI VOYAGEZ DE SI BON COEUR AVEC NOUS.
Lundi 11 août 2003. Côte Est de la Sardaigne.
Nous venons de quitter la marina de Maria de Navaresse, juste un port mais très sympa dans un site exceptionnel ; la ville est à 3 km. Un calme remarquable et plein de places où se caser. Je vous conseille vivement cette étape. Sachez que la nuit nous a coûté 44 euros, avec l'eau mais sans l'électricité. Il aurait fallu investir 7,85 euros de plus et nous n'en n'avons pas besoin, grâce à l'énergie fournie par les panneaux solaires.Dimanche nous avons loué un scooter pour une journée de folie à terre. Extra. L'engin qui nous a portés est tout neuf, et très luxueux, à mi chemin entre la mobylette et la Maraudeur... On ne s'attarde pas en ville, juste le temps d'acheter un carte de la région. La ville d'Arbatax, recommandée par le guide ne vaut vraiment pas le détour. Rien à y faire et le port est surtout industriel. Cette ville exploite le liège de l'arbre du même nom. C'est la seule activité. N'y allez surtout pas. Nous, on se casse en vitesse. On prend des petites routes qui doivent s'enfoncer dans la montagne. Une trentaine de kilomètres, trois petites communes. On voit d'abord dans un creux de falaise, des étages de maisons sobres, un alignement de murs blancs que les volets tachent de brun. Vilaines blessures à flanc de montagne. Pas de boutiques, une école. Un petit dépôt où on croit trouver pain, viande, légumes... Mais il est fermé. Il n'y a qu'un bar ouvert, ou un restaurant, et l'église. Les vieilles femmes que l'on croise devant leur porte sont habillées de longues robes noires très raides. Quelquefois, un fichu gris perlé leur couvre la tête, quelquefois c'est une capuche noire intégrée au vêtement. Elles sont maigres, le visage très sec, le nez étroit, de grands yeux perçants. Les vieilles femmes n'ont pas l'air commode de loin. Mais quand on les approche et qu'on les salue, elles changent instantanément de masque. Elles sont aussitôt souriantes et agréables. Quelquefois, elles sont assises à plusieurs au bas d'un escalier et papotent à voix basse. Elles font "coirauche", Elles sont d'une remarquable discrétion.
Les hommes aussi se retrouvent, à l'ombre d'un mur, sous un arbre. Ils semblent plus extérieurs. Lorsque nous passons en moto, je leur fais bonjour en passant. Je remarque leur air épaté. Nous sommes déjà passés. J'ai l'impression d'entrer dans un livre d'images. Fantastique ! Mais où sont les jeunes ? Et les villages si vilains aperçus de loin, cachent d'étonnants trésors. Les murs des maisons sont décorés de fresques gigantesques. Ces peintures retracent des pages d'histoire, des scènes religieuses, des images du passé qui se mêlent à des images d'aujourd'hui. L'effet de relief est formidable. On n'a pas l'impression du tout que c'est du semblant. Quelquefois, le pignon d'une boutique est peint de fenêtres, de vitrines où sont étalées les marchandises, quand on tourne l'angle de la rue, on entre dans la vraie porte du magasin... saisissant.
Plus tard, nous traversons une zone de lacs joliment bleutés. Mais on n'y voit pas l'ombre d'une habitation. Personne, absolument personne ne fréquente ce site idéal.
Pour grimper au Mont Gennargentu (1834 mètres) nous choisissons le "passo corru e boi", ancienne route qui grimpe à 1273 mètres pour redescendre vers Tortoli. Elle a été abandonnée depuis qu'une voie neuve a été tracée dans le fond de la vallée. La nouvelle route permet d'éviter le col qui ne doit guère être praticable en hiver.Mais cette route, quelle enchantement ! Encore une fois, nous sommes les seuls à l'utiliser. Au début elle paraît normale, sauf un peu défoncée par endroits. Pendant une vingtaine de kilomètres on grimpe tout doucement à flanc de montagne. Ce n'est pas une route ordinaire. La montagne ne se présente pas comme un immense bloc de granit qu'il faut grimper en lacets et contre lequel on se cogne. Pas du tout. C'est plutôt comme trois plateaux qui s'étalent en profondeur. La vue est très ouverte. Au premier plan qui borde notre route, on monte d'abord à travers des étendues de fougères, de bruyères et de rocailles. En second plan, où qu'on regarde, de magnifiques forêts de chênes liège, d'eucalyptus et de pins montent à l'assaut des chaumes. En arrière plan, tout au fond, de grands pics de granit roses et rouges, pointent leurs lances vers le ciel. Mais oublions le paysage. La route devient dangereuse. Elle est embarrassée de bouses de vaches, crottes et crottins de tout acabit, plus ou moins grillés par le soleil. On roule à trente ou quarante km/h, le thermomètre du scooter affiche 38°. Les vaches sont vautrées dans les broussailles, écrasées par la chaleur.. Les moins paresseuses flânent à travers la chaussée. Elles ruminent au milieu de leurs bouses en nous ignorant magistralement. L'une en équilibre au dessus d'un précipice se démanche le cou pour brouter d'inaccessibles pousses. Il est vrai que brouter ça ou des cailloux, le choix est bien pauvre. Et les vaches ici sont maigres... Les bouses et les vaches s'espacent. La route redevient plus claire. Laurent passe à 60 Km/h. Au détour d'un virage un peu sec, il sème la zizanie dans un troupeau de chèvres qui s'envolent presque tellement elles sont affolées par notre arrivée. C'est joli une envolée de chèvres. Un peu plus loin ce sont des cochons noirs qui traînent leur groin au ras des cailloux. Lorsque nous perdons de vue la garrigue, l'air se rafraîchit, on atteint le deuxième étage, entre 800 et 1000 mètres. J'éternue douze fois. La campagne se couvre de forêts. On caille mais on trouve ça délicieux. Nous passerons au ralenti au milieu des chevaux. Leurs pattes sont d'une finesse exceptionnelles et longues, longues....
Jusqu'à plus de 1000 mètres d'altitude on croise ainsi des troupeaux semi sauvages... Il n'y a pas de gardiens, pas de chiens, pas de maisons en vue... Au sommet, On slalome entre des moutons, avec leurs chiens cette foi. Des gardiens hargneux qui coursent systématiquement le scooter. Nous débouchons sur des chaumes grillés par le soleil. C'est le site que nous cherchons. "Bau e Tanca". Autrement dit, les ruines d'un village entier de l'époque néolithique. Un bel espace envahi de pierres plus ou moins empilées.... C'est l'époque nuraghique de la Sardaigne. Ces sites, les "nuraghi" me font penser aux vestiges gaulois de Bretagne. C'est impressionnant et nous nous attardons volontiers à travers ces vestiges.. le thermomètre dégringole à 24°. Il fait bon, délicieusement bon flâner sur ces chaumes.
La route que nous continuons pour redescendre est de plus en plus scabreuse. D'énormes blocs de pierres sont descendus des falaises et la route est très encombrée. Laurent de nouveau roule au ralenti. Il est 17h30, on traverse un groupe de vaches avec les veaux sous elles. C'est l'heure du goûter des petits. Peut-être que la route est le terrain le plus stable pour téter dans de bonnes conditions. Notre passage ne les perturbe pas, absolument pas. Nous avons passé une journée hors du monde, environnés de silence et de lumière. Si un jour je veux rompre, je me souviendrai de ce pays.
Lundi 11 août 2003.
Nous descendons toujours vers le sud. Retour au mouillage et à la vie sauvage. Porto Frailis est à 8 milles nautiques. Petite promenade de santé avec une brise côtière sympathique....
Bavardage à bord :
- Oh mais ton doigt est guéri !
- Tu crois ?
- C'est super, tu vas pouvoir nager...
Voyons y de plus près ! A la lecture de mes loupes, je ne le trouve pas si net que ça mon doigt.
- Il est encore douloureux, j'aimerais mieux attendre encore un peu .... En plus, j'ai rangé mon maillot je ne sais où. Non, ce n'est pas possible !
- Ton maillot, pourquoi ? Va donc te baigner toute nue...
Vendredi 15 août 2003. Toujours vers le sud.
Nous naviguons dans le golfe de Cagliari, nous avons fait quelques mouillages extras. La montagne progressivement se transforme en collines. Les côtes sont avenantes, de belles plages bordées de villas, de bosquets d'eucalyptus, de pins et de palmiers. Nous bénéficions toujours de brises côtières pas toujours favorables à la navigation mais bien appréciables dans les mouillages. J'ai quand même profité de ces conditions exceptionnelles de mer pour me familiariser avec les bains dans une mer turquoise qui ne cache rien de trouble dans ses fonds. J'utilise chaque jour l'échelle de bain et le gilet de sauvetage pour gigoter au ras de l'eau. C'est vraiment agréable; Un fois ou l'autre je fais preuve d'héroïsme. Je me risque en hurlant à quelques brasses du navire... Quel exploit ! Je suis loin d'avoir résolu mon problème avec le milieu aquatique, mais je ne veux pas vous pourrir la lecture avec mes problèmes personnels. Malgré la panique, ce sont de bons moments... quand je remonte à bord. La douche tiède à profusion, quel délice ! Je ne pourrai plus me passer du dessalinisateur à bord.
Nous sommes toujours en régime anti-cyclonique avec des brises côtières. Au mouillage, lorsque le soir arrive, la brise qui venait du large faiblit. Lentement, le soleil disparaît derrière les collines. Le vent devient nul. Le temps s'arrête. C'est l'heure bénie du mouillage, celle du hamac. Progressivement, la nuit s'installe, une brise légère pousse le nez du bateau vers le large. On tourne doucement autour de l'ancre. Lorsque la nuit est tombée, la brise de terre s'installe. Les odeurs chaudes de la terre envahissent le navire. Odeurs d'humus, senteurs des arbres, parfums des algues..... ou de plages... Le bateau se met de travers. On va subir la houle pendant une petite heure, se faire un peu bercer. La nuit tombe, la terre se rafraîchit. En même temps que la lune monte sur l'horizon, la brise de terre s'organise. Sympathique bouffée d'air frais qui va mettre le voilier le nez vers la plage et le restabiliser. Il trouve ainsi sa position de nuit, sage et calme. La lune peut continuer sa course vers l'ouest. Nous on est paré pour dormir au frais.
Depuis Porto Fraïlis, Passo de Quirra, Cala Pira, Baie de Carbonara, nous avons toujours trouvé des endroits protégés de la foule estivale et favorables aux mouillages forains. J'adore la Mer Tyrrhénienne. Il y a plein de mouillages aussi isolés que jolis et d'une tranquillité ! Peut-être trouveriez-vous que ça manque un peu de bars ou de thés dansants ?
Dimanche 17 août 2003
Nous sommes arrivés à Cagliari le soir du 15 août en espérant bénéficier de places au port, (la plupart des vacanciers finissent leurs vacances à cette date), et en pensant que nous profiterions de quelque festivité locale organisée dans la capitale de Sardaigne. Les ports sont quasi-vides et la ville aussi... Festivité ? Où donc ? C'est une très jolie ville, dont la partie ancienne est construite sur la falaise. Les remparts sont intégrés à la roche et c'est vraiment magnifique. Nous avons fait le chemin touristique comme il se doit. On enfile des ruelles tortueuses qui débouchent sur de chouettes esplanades, il y a quantité de chapelles, de basiliques, très fréquentées par les locaux. Les sardes sont certainement très pieux.
Je dois signaler la cathédrale Santa Maria vraiment merveilleuse où nous avons déambulé plus d'une heure subjugués par les plafonds, les murs, les petites chapelles et le musée. De l'art baroque à profusion, plein les yeux... Dans la basilique, c'était l'heure du culte. Elle était pleine de pieuses personnes très endimanchées. Le curé débitait de l'italien dans son micro. Des papillons de toute les couleurs voletaient autour des têtes plongées dans le recueillement le plus total. Mais ce n'était pas des papillons. C'était le mouvement des éventails que les femmes s'agitaient d'un geste mécanique sous les narines. Etonnant, cette ambiance de messe. Si j'avais été le curé, ça m'aurait vraiment dérangé ce mouvement permanent. Les gens ici font grand usage de l'éventail, même à l'église...
La plus grande surprise c'est que tout, absolument tous les magasins étaient fermés, on était samedi, mais il semble que ce soit la tradition, dès qu'il y a une fête de fermer boutiques, banques et services administratifs une semaine. Un peu comme au Cap Vert. Quelques rares bistros ou restos... On a quand même pu boire un coup !
Nous avons choisi le plus petit port de la Marina, un peu au hasard, nous avons bien fait. Il était sympa et pas cher. Je vous le conseille vivement, Marina del Sole, 24 euros la nuit, tout compris.
Lundi, 18 août 2003
A quelques milles de Cagliari, nous replongeons dans la vie sauvage. Nous avons passé une nuit à Capo di Pula, au bord du village antique de NORA. C'est un site qu'il ne faut surtout pas louper. Une ville romaine toute entière a été mise à jour. Elle s'est développée sur plusieurs périodes, de L'année 100 à 600 avant JC. On y retrouve les fondations des maisons, quelques murs qui donnent une idée de l'organisation de la cité, les thermes sont facilement identifiables, un temple avec 4 magnifiques colonnes en marbre gris et des rues magnifiquement pavées. Drôle de promenade, à la nuit tombée. Le mouillage avait un petit air d'outre tombe. J'ai beaucoup aimé cette ambiance unique. J'étais troublée. J'ai rêvé de ces pierres et mosaïques encore visibles sur les pavés, et je ne savais pas quoi répondre à cette question :
-Mais pourquoi les Romains ont-ils pris l'habitude de construire des ruines ?
Toutefois le mouillage à Capo di Pula a été très agité pendant la nuit et nous sommes contents de lever l'ancre dès qu'une petite brise nous caresse les oreilles.
Cap sur une autre crique de rêve. Malfatano.
Nous sommes à l'extrême Sud de la Sardaigne. Nous n'avons qu'une douzaine de milles à faire. Heureusement car le vent nous lâche très vite. On avance petitement au moteur, et la houle est pénible. Le paysage évolue; On quitte les longues plages de sable bordées de bosquets verts. La roche reprend sa place et tombe dans la mer. A Malfatano, nous retrouvons le site que nous aimons le plus. C'est une sorte de calanque prisonnière de caillasses et de collines d'où dévale un courant d'air bien agréable. La houle est coupée par les rochers qui bordent l'entrée du mouillage. Laurent n'a plus mal au dos
Lorsque le soir tombe, les rares embarcations venues s'expatrier ici retournent à leur port d'attache. Lune de Miel passera la nuit avec deux autres voiliers largement à l'écart de notre ancre.
Le tourisme à terre paraît très intense. Beaucoup de plages sont saturées de parasols. Mais ce monde-là ne nous concerne pas. Rares sont les touristes qui viennent de l'étranger. Même au niveau de la navigation. Presque tous les équipages sont italiens, même quand le bateau est immatriculé en France (Ajaccio, Nice, Antibes...). C'est même très fréquent.
Nous ressentons assez fort, l'identité Sarde et l'écart qu'il y a entre entre cette île et l'Italie. On nous a dit plusieurs fois, "ici c'est interdit, ici c'est payant.... nous devons en tenir compte ; nous sommes Italiens" Mais vous vous êtes étrangers, on vous laissera en paix.
Il est vrai que les autorités, les bateaux de douanes qu'on croise nous laissent une paix royale. Serait-ce vraiment différent si on était Italien ?
Cet échange aussi est significatif dans une boutique :
- Est-ce que vous parlez Français, ou anglais ?
- Non Sarde, mais bilingue.
- ?
- Si bilingue, le Sarde et l'Italien...
Jeudi 21 aout 2003. (à peu près... date incertaine).
Depuis Punto Pino, nous quittons le sud de la Sardaigne. Allons y pour une petite promenade en contournant la très large île de San Antioco, que nous verrons de loin. Au nord ouest de l'île nous nous engageons dans le canal de San Piétro, il est réputé scabreux avec des rochers affleurants pas toujours visibles et des hauts-fonds pas signalés. Mais nous venons du Sud et l'île de San Piétro est finalement facile d'accès. Nous posons l'ancre dans l'immense avant-port de CARLOFORTE, nous sommes les seuls au mouillage. Génial.
Carloforte, ville très touristique est envahie d'Italiens en vadrouille qui investissent les plages et la rue piétonne. C'est un peu comme Antibes. Petites ruelles intimes, escaliers qui débouchent sur des sites panoramiques remarquables. On est posé à terre. On se détend. Tout plein de bars et de panachés bien frais. Quelle opulence ! Lorsqu'on remonte à bord la vie intense du port nous fascine. Les navettes entre Cagliari, Arbatax ou Calasseta nous rappellent l'ambiance de Grand Bourg à Marie Galante. On se sent délicieusement bien dans cet endroit. Cette petite ville estivale nous offre un spectacle permanent, mais nous sommes au milieu de la rade. Nous ne souffrons ni du bruit des voitures, ni de l'agitation des bars, ni des remous des navires qui entrent et sortent de l'autre côté de la digue. On perçoit juste une petite rumeur que couvre régulièrement le carillon sympathique de l'église. Deux jours de vacances à Carloforte, départ et surprise.
Au moment de remonter le mouillage le guindeau d'un coup peine, grince, patine... Je redonne un petit coup de vissage au frein.. et hop, hardi petit.... La chaîne monte avec une lenteur inquiétante... Je m'attends à ce qu'elle s'immobilise définitivement. Serrons les fesses, faute d'autre chose. J'ai beau scruter l'avant de l'étrave, je ne vois rien qu'une eau opaque et trouble.... S'il faut que Laurent plonge, aïe, aïe aïe ! Pour le moment, il a débrayé le moteur, la chaîne est verticale à l'avant, je dois être au dessus de l'ancre.
Je redonne une petite impulsion au guindeau, et hop, une apparition grise sous l'eau. Encore un petit coup, zut, alors, c'est notre ancre. Quelle est cette facétie ? Elle coince bêtement dans ses crocs une chaîne énorme... Réflexion, décision, action. Nous nous démenons avec Laurent pour glisser un cordage sur la chaîne captive, je redescends délicatement mon ancre.... Laurent dégage les mailles rouillées qui nous parasitent grâce au cordage. Plouf, Enfin libres !
Nouveau souci, on craint d'être en panne de gas-oil d'ici le retour. Nous savons que sur la côte ouest, la plupart des entrées de port s'ensablent et ça risque d'être scabreux de s'y engager pour faire le plein. On décide de le faire ici, ce n'est pas le pire... On nous annonce 2,20 mètres de profondeur à la station de carburant des bateaux de pêche, à condition de rester au milieu et de ne pas s'approcher de la digue d'un côté, du large de l'autre car bordés de récifs immergés. Je ne suis pas tranquille mais il nous faut du carburant.
Laurent dans le carré, les yeux scotchés à l'écran de son PC me dicte la route à suivre entre les hauts fonds... Quelle histoire ! Mais ça marche magistralement... à condition qu'il parle assez fort...
Désormais nous remontons vers le nord, nous faisons route d'un mouillage à l'autre. Des navigations du dimanche, entre 15 et 25 milles. Je me gave de bonheur avec cette croisière côtière idéale. Nous attendons le vent favorable pour quitter les mouillages, nous arrivons tôt dans les baies qui nous accueillent.
PORTIDEXXU. Un mouillage pas signalé dans le guide, épatant sous brise côtière. D'un côté il est bordé de dunes de sable, de l'autre de forêts de chênes verts. La plage pile en face est très animée, mais nous sommes tous seuls dans le mouillage.
CAP SAN MARCO. Magnifique et vaste. Nous nous installons au milieu de la baie, entre deux tours. Nous sommes à 2 km du village de San Giovanni. On se coltine la balade pour refaire provision de pain. Nous longeons un autre champs de ruines antiques avant de tomber sur la ruée des voitures vers les plages. Cela nous confirme que si les abris en mer sont presque déserts, il en va tout autrement du tourisme à terre. Le caravaning est très développé. Aux abords des villes les plages sont envahies. Dans les endroits où nous posons le bateau c'est en général tranquille et les baigneurs ne se marchent pas dessus, mais peut-être que l'accès depuis la terre n'est pas fameux, là où pénètre un voilier.
CAP SAN MANNU. Nous avons eu la sotte idée de faire confiance à la météo pour nous arrêter dans cet abri recommandé. Une nuit infernale. Le vent totalement contraire aux prévisions, pousse la houle dans le mouillage, dès notre arrivée on se dit que ce n'est guère fréquentable cet endroit, mais le vent doit virer à la tombée de la nuit. Loupé, il y a un coup de vent dominant du large qui fout la pagaille dans notre mer. Non seulement la houle est forte et nous ballote salement. Mais les touristes ont envahi l'espace avec leurs engins motorisés et font un raffut épouvantable. Il y a juste en face une toute petite île, "du mal au ventre", elle s'appelle. C'est là que nous aurions dû nous réfugier. A 6 heures du matin nous quittons cet enfer, ce maudit vent au moins doit être favorable à notre navigation... C'est un petit déjeuner bizarre ce matin. Il fait à peine jour, on avale chacun son bol le cul posé de travers dans le carré. On n'ose pas se parler Laurent et moi, nous n'avons que des plaintes à formuler et pas de temps à perdre. Pas rigolo tout ça. On se casse ? allez zou, j'empile la vaisselle dans l'évier, et en piste pour lever de l'ancre
La baie au petit jour est magnifique, les dunes brillent dans la lumière du soleil levant. La plage est déserte. On a mis les plagistes au lit avec leurs engins motorisés. quelle plénitude.
Ca se vérifie maintenant, la météo, c'est un jeu de hasard.... dès la sortie de la baie, le vent nous prend pile de face. Laurent de mauvais poil ne veut pas tirer de bords, moi, je suis dégoûtée, je n'ai pas d'opinion. Il décide de mettre le moteur. Après tout on a fait le plein de gas-oil. Une petite heure comme ça à travers des vagues de 1m50 à 2 mètres, juste assez pour l'inconfort... On passe laborieusement le cap San Mannu. Avez-vous déjà remarqué qu'après un cap difficile, la vie au quotidien devient plus savoureuse. Exactement pareil ce coup-là. Après le cap, le vent revient avec nous. Allez Laurent, rigole un peu, nous voilà repartis comme en vacances.
Une chouette navigation de 17 milles au travers. C'est l'allure que je préfère, l'amble du chameau... Un rien de roulis qui nous berce et le chuchotement de l'étrave qui fend les vagues. On oublie instantanément le cauchemar de cette nuit. C'est quoi déjà le Cap Mannu ???
Nous voici donc à Bosa Marina. Encore un mouillage de plage où nous sommes les seuls à poser l'ancre dans le sable. Pourtant c'est immense et sympathiquement abrité. Il y a aussi beaucoup de touristes sur la plage, mais ils sont loin et nous transmettent juste une sorte d'ambiance de vacances fort agréable. Dans l'après-midi une exhibition de winsurf. On est au milieu du spectacle. Départ de la plage, la planche sous le bras, le harnais sanglé aux câbles des parachutes. la voile, comme une aile immense est à la verticale. Les surfeurs chaussent leur planche, ils se couchent dans l'eau, les câbles se tendent à l'oblique. la voile avale le vent et tire sur les câbles. On dirait que les planches vont décoller.ça démarre à une allure impressionnante. Les hommes comme des marionnettes sur leur planche utilisent les poignées manuelles pour diriger la voile. Lorsqu'ils veulent faire demi tour, ils se couchent dans l'eau. Et le parachute les redresse. Des espèces de tongs sont vissées sur la planche de surf, mais ces godasses ne tiennent pas aux pieds et régulièrement l'un ou l'autre se retrouve à l'eau toujours cramponné à son parachute. Il se fait ainsi traîner sur l'eau vers sa planche. Ils sont trois à s'exercer à ce jeu. Ils se croisent, s'évitent par miracle vu de notre fenêtre. Joli spectacle sur le plan d'eau. Jo, c'est un sport pour toi, cette glisse là ! Il y a aussi des véliplanchistes plus ou moins heureux dans cet espace. Les carambolages sont assez rigolos... De temps en temps ça braille. Pas un seul engin à moteur; une merveille cette plage. C'est la vie quoi.... la bonne.
Baie de Porto Conte. Cala Tramariglio.
Dernière étape de notre périple autour de la Sardaigne. Le vent est au sud. On a fait 22 milles au moteur avec une houle très chiante. Mais on oublie tout ça, ici c'est génial. Encore un mouillage idéal.
On s'est posé entre des collines plantées de pins et de cigales. Un peu comme chez nous quoi... Pas d'engins de plage bruyant, pas de bateaux en croisière qui s'amuse, juste quelques petites embarcations locales sur corps morts, juste une petite brise qui rafraîchit l'air sous le taud. Le soir on traîne sous les étoiles.
L'endroit idéal pour attendre la météo. Avec nos petites étapes d'un mouillage à l'autre, on a passé 5 semaines de navigation côtière de toutes beautés. Découvertes, isolement, bien-être... un peu comme lorsqu'on sort en mer le dimanche pour changer d'air, pénétrer dans de magnifiques paysages, et se réconcilier avec le monde; Ici, c'est tous les jours dimanche. On attend la bonne fenêtre météo pour traverser vers les Iles d'Hyères. Nous prévoyons d'atterrir à Port Man, île de Crau. Cela représente 170 milles, environ 35 heures de navigation. Départ demain peut-être. Si météo veut ....
Mercredi soir, je sais pas quel jour d'août, départ confirmé pour demain.
Prévision de Hambourg météo : zone Sardaigne/ouest Corse, pour jeudi matin : vent, sud 3 à 5. Après midi, sud/sud-est 4 à 5. Nuit de jeudi à vendredi, orageux, vent sud ouest 5, rafales 6/7 sous orages. Houle, 1,50 mètres. Pour l'arrivée dans l'après midi, zone Provence, Port Crau, vent sud ouest 5, mer peu agitée à agitée. samedi le vent passe au Nord, nord/ouest, avis de coup de vent sur Corse et Provence.
Discussion à bord :
- Génial, on a le vent, on va faire une traversée de rêve ! On sera arrivé juste avant la tempête.
- Dis Laurent, comment on fera sous les orages !
- On s'en fout, d'abord on les aura peut-être pas, ensuite dans notre coque alu on n'a rien à craindre...
- Sauf que sous orage en mer, je suis terrorisée. Rien que d'y penser, j'arrête de respirer tellement j'ai peur... Regarde, j'ai déjà les mains qui tremblent...
- J'te crois pas, ça c'est le café... Tu ne vas quand même pas refuser une navigation au portant ?
- !!! ??? !!!
jeudi 28 août 2003 . 7 H 15
Nous quittons la cala Tramariglio de la baie de Porto Conte juste après une dernière météo du large. Qui confirme celle de la veille. Un vent idéal bien soutenu pour faire route vers le nord, des orages tout autour du bassin, d'éventuelles rafales sous orages... Pas de quoi bouder une navigation au portant, a décidé le chef de bord, et je lui fais confiance. Enfin, je suis surtout foncièrement optimiste.
Au départ, des états d'âme un peu confus. Je ne suis pas parfaitement réveillée mais je suis quand même à la barre, en robe de chambre et en chaussettes pendant que Laurent pour une fois relève le mouillage. Il a envie de bouger. IL est plus joyeux que moi. La navigation à venir le remplit d'impatience. Je reste à la barre et peu à peu mes yeux s'ouvrent tout entiers. Nous longeons lentement au moteur la magnifique falaise d'au moins 60 mètres de haut qui borde le cap Cacia. Le site est tout bonnement extraordinaire; Nous nous offrons le luxe de louvoyer à travers les îlots semés le long des murailles de grès. Les roches ont des découpes troublantes. Lorsqu'on les approche de travers, de drôles de têtes nous font des signes de bon augure, un rien de notre imagination les anime. Mais lorsqu'on les frôle de plus près les nez s'aplatissent, les sourires se fondent dans les ombres de la roche, la barbe, les sourcils hirsutes se confondent avec les cailloux... la pierre redevient pierre, solitaire, inerte et silencieuse. Le soleil encore bas dans le ciel diffuse une lueur rose. Tout dans ce monde minéral est merveille. Imperceptiblement, notre route vers le nord nous éloigne de ce site. Mais il n'y a pas un pet de vent et même à vingt milles des côtes, alors que la Sardaigne se dissout à l'horizon, le moteur ronronne toujours. Laurent a envoyé le génois, histoire d'optimiser notre vitesse. On gagne ainsi un demi noeud, on avance donc tranquille à 5 noeuds et un peu plus...
A trente milles des côtes, ça se complique car le vent du nord des jours précédents à levé une houle sérieuse en mer. On se prend les vagues de travers, le courant nous ralentit... et nous sommes gravement secoués. Question confort, c'est pas ça du tout. Et le vent promis, soutenu, sud ouest, il souffle à moins de 6 noeuds... Restons patients, peut-être que cette brise de force 3 à 5 sera là dans l'après-midi... Pour tuer le temps, chacun son truc. Moi je me cale avec un coussin dans le dos dans le cockpit je rêvasse en admirant les vagues. Dommage, il n'y a pas un animal en vue. Les puffins me manquent. Laurent joue avec ses leurres, ses fils et son moulinet... La mer est bien jolie mais elle m'ensuque quelque peu.
Laurent me réveille en sursaut.
- Hé regarde, le repas de midi...
- Quoi, le repas, t-as déjà faim.
- Non, mais c'est moi qui régale. On va manger poisson.
Un joli poisson inconnu finit de frétiller dans l'épuisette. Il nous fera un repas, goûteux, délicat, inespéré. Elle a du bon à ce moment là, le mer.
On se traîne dans la houle, le moteur ronronne toujours. La mer s'agite de plus en plus, c'est de plus en plus inconfortable. Dans l'après-midi, elle dresse sa chevelure blanche tout autour de nous. C'est une vilaine vieille désordonnée. De temps en temps le pilote automatique est dépassé par les évènements, on part au lof, on accélère d'un coup... On est un peu bousculé. Laurent devient vaseux... Vite le radical traitement du docteur Belge... Une heure plus tard, c'est moi qui suis malade, j'ai droit aussi au remède anti mal de mer de nos amis Belges. Remède vraiment miracle.
Nous redevenons tous les deux actifs, joyeux, réveillés, détendus... Même on joue à Pyramide et on rigole de bons coups. On ne subit plus la houle, on s'y adapte. La nuit tombe vers 20H30, toujours de la mer, et toujours pas de vent. Des crêtes qui nous malmènent de temps en temps. Juste pour pas qu'on s'endorme.
C'est une nuit grise, sans lune et sans étoiles car le ciel est très couvert. N'oublions pas que des orages nous sont promis. Je redoute une bien longue nuit. Je regarde progresser l'ombre à l'horizon, et le miracle se produit à 21 heures, d'un coup notre génois se gonfle magnifiquement et on fait un bond à plus de 7 noeuds. Youpi, on envoie la grand voile. On est vent arrière, mais le vent pousse bien et malgré la houle toujours chiante avec des creux de 1,50 à 2 mètres très rapprochés, on avance enfin de manière sympa.
La nuit nous inspire, et nous n'avons envie de dormir ni l'un ni l'autre. On pense à l'avenir, à notre avenir, comment l'organiser pour continuer ensemble. On parle des prochains voyages. On imagine ce qu'on fera de Lune de Miel... C'est la nuit, alors c'est normal, on rêve. C'est génial de rêver ensemble.
Vers minuit ça se complique. Le vent a sérieusement forci, le pilote a du mal à tenir le vent arrière, on file quelquefois sur les crêtes à plus de 8 noeuds. Laurent décide de prendre 2 ris. On réduit ainsi notre grand voile de presque moitié et bien entendu on roule aussi un peu du génois, question d'équilibre.
Laurent chausse ses tennis, il se ficelle à son harnais. Avec la laisse qui lui pendouille derrière le dos, il s'arrime au pied du mat. Il est mignon comme tout avec son joli gilet rouge. J'allume la lumière du pont. Je déteste cette lampe crue, qui nous éblouit. la nuit devient toute noire. C'est effrayant. Mais faut bien réduire si on veut rester maître du navire. Je me mets face au vent et Laurent fait descendre la voile. Et là les soucis commencent. Je suis à la barre, et j'ai du mal à rester face au vent, à cause de la houle qui m'embarque de temps en temps. Je ne m'occupe pas trop de ce que fait laurent. Et je l'entends brailler.
- M....... il est descendu ou pas le premier ris ? Oh, réponds moi !
- Je suis sous le bimini à la barre, je la vois pas ta bosse de ris
- Essaie de voir, c'est laquelle que je dois tirer, la verte ou la bleue ?
Je récite, ça fait partie des bases que j'ai apprises par coeur quant à l'organisation de ce voilier.
- La première c'est la verte, la deuxième c'est la bleu.
- Bon, c'est laquelle qui descend quand je tire, la verte ou la bleue ?
Je sais pas, je ne reconnais pas le bleu du vert, c'est pas nouveau et ça te fais rire d'habitude. Pas la peine de s'énerver.
- Dis-moi si ça vient ou si ça vient pas.... J'y vois rien moi.
- Non y'a rien qui vient, tire encore...
- Et là, ça vient...
-.....
- M.... vas-tu me dire si ça vient ?
- Je peux pas te dire que ça vient puisque ça vient pas. Ta deuxième bosse de ris, elle coince. Je ne sais pas si elle est verte ou bleue, mais elle ne veut pas venir...
Dans le rôle de l'idiote empotée j'ai été géniale. Trois quart d'heures ça a duré ce cirque. Finalement, presque une heure du matin, la grand voile est enfin réduite. Laurent se déssaussissonne de son harnais. Ouf !
Enfin, j'éteins la lumière du pont; On retrouve le clair obscur de la nuit sans lune. Il n'y a que l'écume bleutée au ras de l'eau pour nous éblouir. On y voit un peu. Je me sens mieux. Aux voiles d'entrer en oeuvre. Et le bateau ralentit, 5 noeuds, 4 noeuds, 3 noeuds...
- Qu'est-ce que tu fais, on s'arrête ?
- Ouhai, désolée, je crois qu'il n'y a plus de vent.
Les voiles battent tout ce qu'elles peuvent et la houle recommence à nous chahuter. Si vous pouviez voir notre air éccoeuré ! Moteur ! On roule le foc, on borde complètement la grand voile; Mais ce n'est pas possible, la houle est trop profonde, les vagues trop courtes et la bôme passe sans arrêt d'un bord à l'autre avec des grincements effroyables. Hé oui, Laurent, tu vas de nouveau chausser ton gilet rouge pour affaler la grand'voile et moi je vais encore stresser pendant une plombe parce que la lumière du pont nous éblouit et que nous n'avons pas la moindre idée de ce qui passe sur notre route
- T'en fais pas, on n'a pas croisé l'ombre d'un navire depuis ce matin. Et la voie est libre.
La manoeuvre d'affalement cette fois est rondement menée. C'est reparti, voile ferlée et moteur. On maintient difficilement nos 5 noeuds avec la houle qui nous freine et nous bouscule toujours. Les nuages s'effilochent sous les étoiles et n'augurent rien de bon. Nous sommes seuls et abandonnés dans une nuit qui se traîne.
Vers 5 heures du matin, Laurent dort depuis une heure. On change soudain d'allure. Je déroule le génois pour soulager le moteur et on accélère. Laurent a du entendre le roulement du winche car il se réveille.
Chouette on va couper les gaz et réinstaller la grand voile. Zou, c'est reparti. On avance à plus de 7 noeuds, allure de largue, avec une mer moins contrariante mais toujours très houleuse. Je dors depuis une heure, le jour est à peine levé.
- Vite viens m'aider, j'ai une super touche.
Je tombe de la couchette en ronchonnant, mais pas longtemps. La touche est géniale. Une superbe daurade coryphène. Ça c'est une excellente journée en perspective non ?
Dure journée pourtant. La mer se creuse de plus en plus. On avance entre 6,5 et 7 noeuds. Une bonne allure de largue avec des vagues qui passent par dessus bord et nous inondent régulièrement. Mais les milles défilent, c'est ça qu'est bon... A 15 h30 on entre dans la baie de Port Man. On croit toujours que l'arrivée au mouillage est le moment béni d'une traversée. En principe oui, mais ce n'est pas le jour. Le vent d'ouest déboule dans la baie en rafales très violentes. Notre première tentative d'ancrage décroche dès que Laurent amorce une marche arrière de test de résistance. La deuxième aussi. La troisième est la bonne. Je lâche 40 mètres de chaîne et 20 mètres de cordage. Plus on peut pas, y' du monde autour. Laurent tire avec le moteur, impec... On mange les restes de la daurade et on tombe dans notre couchette avec délice. Dormir, enfin dormir...
Un mouvement, un bruit, un choc ? Je ne sais pas quoi d'insolite me réveille.
- Laurent t'as entendu ?
Il se dresse dans le lit, les cheveux fripés et les yeux hirsutes. Pardon, je ne suis pas très claire non plus à ce moment là. Il sort la tête dehors pour savoir ce qui se passe. Il a les yeux grands ouverts mais je me rends compte qu'il ne voit rien. Il se recouche aussi sec.
- Y'a rien, dort tranquille.
Je me rendors instantanément. Bien entendu, instantanément des coups violents sont frappés contre la coque. Cette fois on bondit tous les deux en même temps.
- Vous dérapez, il faut réagir, crie un mec sur son canot à côté de nous.
Effarés, on s'aperçoit que le voilier en tirant sa chaîne et son ancre est gentiment passé à reculons entre deux autres navires et tout aussi gentiment mais sûrement glisse sur un troisième. La dame du bord a déjà ses pare-battages en mains et nous attend de pied ferme...
Il est 7 heures du soir, la nuit ne va pas tarder à tomber. Comment faire pour résoudre ce problème de mouillage qui se barre. On se concerte Laurent et moi. Entendez par là, qu'il se gratte les cheveux et que je réfléchis. Mais c'est lui qui trouve la solution. On a 60 mètres de chaîne de secours à l'arrière, il suffit de remplacer notre installation chaîne+cordage par ces 60 m. de ferraille. Si ça ne tient pas, suicide collecif.
On a fait l'animation dans toute la baie. Vous imaginez, Sortir de la cabine arrière les 60 mètres de chaîne pour les amener à l'avant. Maniller l'ancre là-dessus. Remouiller tout ce bazar. Une fois que tout est au fond, récupérer l'ancien mouillage pour le transférer à l'arrière. Y'en a plus d'un qui s'est demandé qu'est ce qu'on bricolait avec nos chaînes qui se faisaient traîner de l'arrière à l'avant, puis de l'avant à l'arrière, sur un voilier qui faisait des ronds autour d'eux. Epuisant. épuisant, mais efficace.
La nuit tombe lentement. Le croissant de lune descend derrière les chênes verts. Les rafales parfois couchent le bateau qui tire sur sa chaîne. Mais nous avons de la longueur, il est pas encore né le vent qui nous décrochera. Certain et sûr, notre nuit sera calme.
On attendra ici la météo favorable, dès que le vent passe à l'est, pour rentrer tranquillement chez nous. Nous devrions y être en fin de semaine et pour quelques mois. Venez donc nous voir dès que vous aurez un moment.
Termes de voile à l'usage exclusif des lecteurs du "COUCOU.NET"
Vous pouvez cliquer sur les mots soulignés...
Affaler : faire descendre la voile (il n'y a pas de cordage pour affaler...). On libère la drisse qui a servi à hisser la voile, et si besoin, on aide la descente en tirant sur le tissu de la voile.
Quand la houle sévit, La Noiraude s'affale sur sa paillasse, le plus au fond possible du bateau.
Allure : direction du voilier par rapport à la provenance du vent. A partir de l'allure face au vent, (allure à laquelle on ne peut pas aller sans l'usage du moteur...) on passe par le près serré (entre 30° et 45° du vent), le près (45°à 55°), le près bon plein (60 à 75°), le petit largue (80 à 90°), le travers, le largue, le grand largue et le vent arrière. A partir du largue, les allures sont dites portantes.(le vent pousse sur les voiles par l'arrière).
Quand le vent vient de droite, la Noiraude met la paquerette du coté gauche (vu de derrière...) sinon elle lui chatouille les naseaux. Quelle allure !!
Alternateur : comme sur une voiture... il y en a un actionné par le moteur, qui charge les batteries mais comme c'est un voilier, le moteur c'est le moins possible. J'ai monté un alternateur supplémentaire (d'une 205 en modifiant le cablage) qui est actionné par l'arbre d'hélice. Avec l'action de l'eau qui défile sous le bateau l'arbre d'hélice entraîne ce générateur. Il suffit que le vent nous emmène à 5 Noeuds pour obtenir 5A et jusqu'à 10A à 6 Noeuds.
C'est un engin qui chante, et qui parfois pleure... pas loin de la scie musicale...
Amure : côté du voilier d'où souffle le vent. Par exemple si le vent vient de droite (en regardant vers l'avant du voilier), on sera "tribord amure". Et prioritaire en principe sur ceux babord amure...
Babord amure ça penche à droite, et Tribord amure à gauche... c'est pour que j'y comprenne pas tout !
Bastaques : cables amovibles, servant à maintenir vers l'arrière le milieu du mat, à l'endroit où est pris un étai. Si l'unique étai est pris en tête de mat, c'est le pataras seul qui suffit à maintenir le mat.
C'est des haubans qui traînent toujours où y faut pas. Ils ne tiennent pas en place.
.Bimini : toile horizontale, tendue sur une armature pour faire de l'ombre dans le cockpit.
C'est mon parasol, comme lui il fait de l'ombre ; comme lui, il est pliable ; mieux que lui il résiste au vent.
Bôme: gros tube horizontal servant à établir la grand voile sur un sloop par exemple. Il est fixé contre le mat à l'aide du vît de mulet, et réglé à l'aide de l'écoute de grand voile et du hale bas.
D'abord c'est même pas un tube, il n'est pas rond du tout et si on fait pas comme y faut, il distribue des coups à décorner les boeufs... Allo Docteur ?
Bord : c'est un côté du bateau... babord à gauche, tribord à droite. (Voir aussi virer de bord, tirer un bord..)
Et quand on est "à bord", de quel bord est-on ?
Border : tirer sur une écoute pour ramener la voile plus dans l'axe du voilier.(contraire de choquer)
Quand Laurent me borde au changement de quart, il ramène mes draps vers l'intérieur du lit. Quand il ouvre le lit, est-ce qu'il choque ?
Capote : toile tendue sur des arceaux pour protéger la descente (dans le carré ) et le cockpit, du vent, de la pluie, des embruns ou gerbes d'eau...
La capote de Laurent transforme son engin en cabriolet.
Carré : c'est l'espace de vie dans le fond du bateau. Salon, salle à manger, cuisine, atelier, station radio...
Y'a tout pour s'y sentir comme à la maison...
Choquer : laisser filer légèrement un cordage. On peut choquer une écoute pour l'écarter du lit du vent ou une drisse, pour détendre le tissu de la voile et changer ainsi sa forme (plus ou moins creuse)
C'est le contraire de border, à vous de voir si vous avez compris ce qui est dit plus haut... Pour simplifier, border ou choquer, ça permet à Laurent de jouer avec les différents cordages et de faire l'intéressant.
Cockpit : poste de pilotage, là où se trouve le barreur... mais c'est aussi l'espace de vie extérieur, la terrasse en quelque sorte.
C'est l'endroit idéal pour la veille passive, de nuit à l'abri de la capote, et pour la détente active, de jour sous le bimini.
Cotre : type de gréement comportant plusieurs voiles d'avant.
C'est surtout pas le style du bateau de Laurent. Nous on navigue sur un sloop, il ne doit y avoir qu'une voile à l'avant !
Dessalinisateur : appareil permettant de produire de l'eau douce à partir de l'eau de mer. Celui que j'ai installé fonctionne par un système d'osmose inverse. L'eau est pressée contre une membrane qui ne laisse pas passer le sel. La pression de 65 Bar est fournie par un compresseur genre nettoyeur haute pression, actionné par un moteur électrique. Le moteur consomme 30A et le débit est d'environ 60 l d'eau douce par heure..
C'est vachement bien dirait La Noiraude pour les pays où il ne pleut pas.
Drisse : cordage permettant de hisser et d'étarquer une voile.
Ohé ohé matelot, Ohé! hissez haut ...
Ecoute : cordage permettant de border une voile. L'écoute tire sur la voile au point d'écoute. Elle est manoeuvrée via des poulies de renvoi. La manoeuvre de Grand voile est généralement démultipliée via un palan, et celle des voiles d'avant via un Winch.
C'est tout simplement le cordage qui permet de border (en tirant sur l'écoute) ou de choquer une voile (en libérant l'écoute).
Empannage : passage (volontaire ou non... ) par vent arrière d'une amure sur l'autre. Plus le vent est fort, plus violent est son action au moment ou il se met à pousser sur l'autre face de la grand voile. Alors que la bôme était plaquée sur un bord, brusquement elle passe sur l'autre, et pendant le moment où elle est libre elle prend de la vitesse et l'énergie ainsi accumulée se libère sur ce qui est sur son passage... Danger mortel ! ¿ ¤ ¥ Allo docteur ??..!!
Elle est passée par ici, elle repassera par là...
Erre : le bateau en route à l'aide des voiles ou au moteur, a de l'inertie, il continuera à avancer après l'arrêt du moteur ou l'affalage des voiles. On dit que le bateau continue sur son erre.
C'est tout simplement son élan. Etant donné que le navire n'est plus propulsé ni par le moteur, ni par les voiles, s'il n'a plus d'erre, il n'est plus manoeuvrant du tout. . Mais que fait le pilote de ce navire ?
Etarquer : tendre le cordage qui sert à établir la voile (par ex la drisse). Cette action permet en déformant la trame du tissu d'en modifier la forme, et son effet au vent.
C'est fou tout ce que ça peut faire comme grimaces une voile ; ça se tire dans tous les sens, ça se déforme, ça se plie, ça s'affale, il suffit d'utiliser le bon cordage...
Etai : câble tendu entre l'étrave et le haut du mât (ou au = 4/5 avec besoin de bastaques ) qui maintient le mât vers l'avant, et permet d'y endrailler(attacher à l'aide de mousquetons) une voile d'avant (Foc ou Génois)
Pareil que pour un mur qui menace de s'écrouler, on étaie le mât... et c'est pas du provisoire, c'est du solide.
Ferler : plier et lier une voile (à l'aide de ferlettes) quand elle a été amenée sur le pont, ou sur la bôme pour la Grand Voile.
On noue des liens tout autour de la bôme pour saucissonner la voile pliée dessus. Avec des flots (n'oubliez pas qu'on est en mer) c'est du plus heureux effet.
Foc : voile d'avant. Il en existe différents types pour l'utilisation dans différentes conditions de vent, ou sur un enrouleur.
Nous, on a même un foc fétiche, il s'appelle "foc Pichon", c'est un type unique en son genre. On l'aime bien.
Génois : voile d'avant qui vient jusque derrière le mat quand elle est bordée. Le génois est généralement sur un enrouleur, qui permet d'en réduire la surface quand le vent monte, et de la ranger rapidement..
Là où y'a pas de gênois, y'a pas de plaisir...
Gîte : quand le bateau penche... sur le coté.
La gîte hélas perturbe quelque peu l'organisation du gîte... Elle y met souvent la pagaille, selon le bord adopté...
Gréement : c'est l'ensemble des éléments servant à établir les voiles. Le gréement courant est composé des cordages et le dormant des haubans et des étais.
Et si on disait que le gréement courant c'est les équipements mobiles du navire ? que le dormant c'est les équipements fixes !
Hale bas : cordage servant à tirer la bôme ou le tangon vers le bas pour en régler la forme. Le hale bas rigide est composé d'un tube télescopique dans lequel un ressort pousse vers le haut, maintenant ainsi la bôme en position horizontale, et du cordage décrit pour tirer vers le bas.
C'est un autre genre d'étai pour la bôme ce coup là. Des fois c'est du solide aussi.
Italienne : nom communément utilisé pour le cordage servant a manoeuvrer un enrouleur. Il s'enroule sur un tambour quand on déroule la voile, et on tire dessus pour enrouler la voile.
Quand on tire sur l'Italienne en jouant du tambour, le Gênois se planque aussi sec...
Ketch : type de gréement à deux mats.
C'est surtout pas le style du bateau de Laurent. Nous on navigue sur un sloop, il ne doit y avoir qu'un mat à l'avant !
Largue : allure de vent de travers
Quand le vent vient de travers, on largue tous les copains qui sont restés face au vent... Salut les régatiers du CVM...
Lofer : amener l'avant du bateau vers le vent. Contraire d'abattre.
Virer de bord face au vent.... c'est loofer, mais c'est pas loufoque même si c'est pas toujours quand on voudrait.
Mille marin : unité de distance correspondant à 1 degré de latitude. 1800 m environ. A l'aide d'un compas on peut ainsi mesurer une distance sur une carte en la portant sur l'échelle des latitudes (nord sud).
Si la conversion marche avec le convertisseur euro, prévenez moi !
Noeud : unité de vitesse. 1 noeud = 1 mille par heure
en prenant quelques milles sur plusieurs heures et un convertisseur euro, vous obtiendrez un sac de noeuds. N'insistez pas !
Partir au lof : quand le bateau n'obéit plus... et remonte au vent. Généralement suite à un angle de gite excessif, dans une survente (accélération locale du vent).
Ce sont les écarts de conduite du pilote automatique mais pas les nôtres....
Pataras : câble(s) entre la tête du mat et l'arrière du voilier.
Encore un hauban sur lequel il faut pouvoir compter, il protège nos arrières celui-là.
Près : allure permettant d'avancer contre le vent en tirant des bords de près...à environ 45° de part et d'autre de l'axe du vent.
C'est la meilleure allure... pour prendre le plus de temps possible pour arriver nulle part... Le charme incontournable de la navigation à voile...
Ris : prendre un ris c'est réduire la surface de voile quand le vent augmente. A cet effet la voile comporte plusieurs oeillets. On laisse descendre la drisse pour la fixer le bas de la voile sur un oeillet intermédiaire. Le tissu libre ne prend pas le vent. On peut le ferler pour que ce soit plus net...
Peu importe les moyens, c'est le résultat qui compte, en l'occurrence réduire la voile pour lutter contre les dangereux effets de survente. Mais des fois, ça suffit même pas....
Se mettre à couple : action d'amarrer un bateau à l'aide de cordages (amarres) parallèlement à un autre, en intercalant des défenses (pare battages). Au port quand il manque de la place, ou pour ramener un copain...
Si c'est Laurent qui le dit... Je suis personnellement peu favorable à l'accouplage.
Sloop : type de gréement à un seul mat. Une Grand voile et une voile d'avant.
Je me demandais si Laurent en parlerais de son type de navire.... pasque c'est çui-là le sien....
Spi : le spinnaker est la grande voile qui forme une bulle à l'avant. Elle est utilisée aux allures de vent arrière.
Appel d'offre : cherche équipier(ère) expérimenté(e) (de janvier à mai 2002) pour test envoi de spi sur Brise de Mer 40 aux Antilles. . Contacter le coucou net.
Tangon : gros tube (espar) maintenu contre le mât. Il écarte le point d'écoute d'un foc ou le bras d'un spi.
Je ne sais pas ce qu'il a Laurent a voir partout des tubes... c'est même pas rond, mais c'est ça quand même.
Tirer des bords: quand on ne peut pas aller directement au point voulu, on alterne les bords. Par exemple si on veut aller pile face au vent...comme on ne peut aller qu'à 45°...
Si on tire des bords, l'allure est au près..... C'est pas le moment de tirer l'italienne.
Vit de mulet : pièce servant à fixer la bôme contre le mat lui permettant les mouvements vers le haut et de gauche à droite comme un cardan ou l'articulation de l'épaule.
appelé ici vide mulet, ou même vice de mulet.... selon les circonstances.
Winch : cabestan des temps modernes. Sorte de treuil sur lequel on tourne un cordage et qui permet de multiplier la force de traction. L'effet de levier et la démultiplication permettent à un équipier de tirer plus d'une tonne à l'aide de la manivelle....
Le winch c'est pour ceux qui ont rien dans les bras et tout dans la tête.... ou un trop gros bateau pour leurs petits moyens...
Mise à jour du 25 décembre 2001
LA VIE A BORD DU COSTA FORTUNA (surnom : Déesse des Mers)-
PAQUEBOT TRANSATLANTIQUE :CARACTÉRISTIQUES DU NAVIRE :
Pavillon italien. Mise à l'eau : 2003 - dernière rénovation 2018
Vitesse max : 20 noeuds
Longueur 272 m. -largeur 36 m. - 17 ponts (étages-dont 13 accessibles aux passagers)
1358 cabines : capacité d'accueil : 3470 (passagers dont 1027 équipage)
LES COMMODITÉS :
décor années 1930, années folles. Très coloré, éblouissant.
Nous avions le choix des restaurants, mais les menus étaient sensiblement les mêmes et nous sommes tombés en amour pour notre serveur. Les convives qui partageaient notre table tenaient à cette fidélité... Deux atouts majeurs pour s'approprier notre table. Nous ne l'avons pas regretté.
11 bars (dont 2 piano-bars-pistes de danses, fort animés à partir de 18h et toutes les soirs
4 piscines (dont une toit rétractable)- toboggan géant-1 spa extérieur-6 bains à remous)
tennis de table-piste jogging- baby foot-2 cours de gym le matin-aqua gym-bibliothèque-chapelle-1 immense casino-grand théatre (1500 places-spectacle tout les soirs) 1 salle danse disco-1 espace danses de salon-une galerie centre commercial-espace enfants-garderie... etc...
A bord du navire, nos escapades sur l'un ou l'autre pont extérieur sont fréquentes; Je ne me lasserai jamais de perdre mon regard au delà de la mer qui moutonne, au delà des nuages qui dansent dans le ciel, pendant que Laurent viseur au bout de son appareil lorgne les flots et débusquent les jeux familiers des dauphines... Mais de si loin...
Vendredi 9 juin, 14h00
L'immense navire nous offre son très joli profil. José nous accompagne jusqu'à l'embarquement aussi épaté que nous.
- Ouha, de près, c'est impressionnant hein ?
Les bagages sont capturés vite fait, photos avant de passer le sas, ... formalités vite expédiées. On nous remet à chacun une carte magnétique qui sera notre sésame et même carte de paiement pour tous les accès et tous les achats à bord. C'est pas risqué ça ? C'est quasiment un chèque en blanc pour Costa.
- T'inquiète pas, je gère...
- D'accord.
Derniers regards au delà du portique. Baisers déjà lointains vers José qui retourne à son monde familial. Laurent m'entraine vers le navire.
- Allez on embarque ?
Et puis son bras m'entoure gentiment.
- Bonnes vacances, mon trésor !
On échange une petite bise, histoire de se réjouir mutuellement. Nous avançons avec prudence sur la passerelle où une armada de galonnés nous salue avec enthousiasme.
Que d'honneur !
Nous nous échappons vite vers les entrailles du navire. Jeu de piste rigolo pour se repérer dans les étages, pardon dans les différents ponts. D'autant qu'au niveau du 5ème pont, il faut changer de bord, traverser tout le navire pour aller à l'avant du bateau vers notre cabine... au pont 10. Confirmation donc, ce navire est gigantesque et nous n'en finirons pas de nous perdre. Notre responsable cabine nous accueille. C'est un charmant jeune homme de type indien, courtois, souriant, et si discret...
La cabine est vaste, et la baie sur le balcon est ouverte. C'est chouette d'avoir vue sur la mer, de respirer l'air marin, depuis chez soi. Quel luxe de pouvoir ouvrir la cabine directement sur l'horizon. Nous sommes enchantés.
Nous irons flâner sur les ponts extérieurs, depuis les ponts arrière s'enivrer de la vue sur Marseille, belle et grande cité du sud de la France.
Toutes ces allées et venues, nous ont épuisés. C'est l'heure de notre première gorgée de bière (panaché pour moi) dans le grand salon avec vue imprenable sur le départ. Dès les premiers frémissements du navire, nous nous précipitons sur le pont avant. Ce serait un comble de rater ce départ exceptionnel pour nous.
N'oublions pas les obligations de la vie d'un croisiériste. L'une d'elle, c'est de se fondre dans le faste et l'apparat... Chaque jour, sont déposés dans nos cabines le programme du jour et les consignes vestimentaires en fonction du thème de la soirée. Ainsi notre premier code vestimentaire est une mise en route plutôt simple... "tenue élégante conseillée". Nous nous prenons tout de suite au jeu...Une jupe légère, un chemisier ajusté, et des nus-pieds talons fins, que j'ai rarement l'occasion de porter. Un légère touche de maquillage. Fichtre, ça ne m'était pas arrivé depuis au moins 10 ans. Laurent inaugure un jean super chouette, qu'il ne porte jamais et une chemisette en lin qui reprend du service. Mocassins légers pour un délicat confort. Je nous plais bien comme ça.
Je vous ferai grâce de toute nos inventions de toilette (soirée rouge, soirée noir et blanc, soirée exotiques, -ma préférée) entre la soirée décontractée et la soirée gala, nous avons bien rigolé. Faut dire qu'on a largement le temps de s'y essayer.
- Dis Laurent, si on gardait l'habitude à la maison.
- Tu veux dire nous habiller le soir ?
- Ben, oui, après la douche du soir, on pourrait se costumer.
- Se costumer, vraiment ?
- Oui, au sens noble du terme. Un peu comme en ce moment.
Que je dis, en lissant ma jupe pour qu'elle rebique pas trop sur mes genoux celluliteux....
- Tu laisserais tomber le pyjama molleton d'hiver, ta liquette d'été et les chaussettes montagnardes qui te tiennent lieu de pantoufles.
Je reste pensive. Laurent en profite pour se pavaner.
- On en reparle au bout du voyage. Mais là, comment tu me trouves ?
Rasé de près, tortillant des fesses, buste en avant, allure avantageuse... Dommage le petite bidon, mais quand même, quelle allure !
Ainsi, nous avons pris le pli et le rythme de ce séjour en mer bien joyeusement.
Entre tous ces ponts, nos moments de flâneries en plein air, nos moments d'observation de la mer, nos moments d'exploration des différents ponts, de découverte des salons et de leurs activités. et les incroyables dégustations repas, le temps file bien plus vite que le bateau. Nous n'avons même pas le temps de profiter des animations aussi multiples que variées. (jeux de sociétés-défis en tous genres-animations sportives, quiz et concours "the voice". . . Pas attirés par ça ? Pas de problème nous sommes autonomes question loisirs : mots croisés, lecture, jeu d'échecs, rêveries partagées...
C'est la bonne saison, le navire est loin d'afficher complet à peine un tiers des passagers. On s'isole facilement dans les différents espaces. Mais c'est sympa aussi d'admirer les danseurs du bar, piste tango, piste disco, piste danses de salon... ceux qui transpirent en rythme et en gym au bord de la piscine, pendant que nous léchons consciencieusement nos crèmes glacées italiennes.
J'adore flâner dans les coursives. Nous avons participé à deux rendez-vous "bien être", l'un concernant nos postures, l'autre : "comment évacuer les poches sous les yeux...?"
Nous avons assisté à deux spectacles d'excellente qualité.
Le soir nous retrouvions avec plaisir nos deux voisins et trois voisines de table. De vrais personnages au format Agatha Christie. Fort divertissants, vraiment ! Notamment une vielle dame, 85 ans, menue, vive, au regard pétillant dont le sourire illumine le visage et noie les rides profondes. Elle porte d'invraisemblables chapeaux à fleurs. Elle parait si menue dans ses vastes robes ultra longues... Je l'adore ! L'autre vieille affiche le même âge que moi. Elle est seule. C'est une sorte de nunuche un rien lourdaude à qui il arrive toutes les avanies possible. Elle s'inscrit à une excursion et se trompe d'heure. Elle se demande ce que vont lui couter le verre d'eau et le vin qu'elle boit à chaque repas. Ça l'angoisse alors elle boit un coup pour se requinquer. Sa cabine sent l'essence, elle a peur d'une explosion en milieu de nuit. Elle renverse son assiette de couscous sur son chemisier, et quitte la table paniquée. Elle adore danser mais uniquement la valse et tous ses cavaliers la lâchent après la première danse... La vie est vraiment dure pour elle. Mais elle ne se formalise pas,
- Bof, j'ai l'habitude....
Nous partageons aussi notre table avec un couple, la septantaine. Ils affichent l'autorité des croisiéristes blasés . C'est madame qui mène le train. Lui, il s'isole derrière son regard injecté de sang. La couperose installée lui donne des allures de vieil alcoolique repenti. Car ils ne boivent que de l'eau. Madame l'annonce péremptoire. Et lui, il louche sur la bouteille de vin de Laurent (qui n'ose pas lui en proposer....) Elle les habille tous les deux en vêtements de luxe, très chics... Elle achète à outrance, sa routine mensuelle. Faut bien soutenir les nécessiteux. Elle s'offre donc régulièrement des folies vestimentaires en dévalisant "le Secours Catholique". Mais attention, uniquement des vêtements de marque. Qu'elle nous détaille à chaque repas. L'autre homme de la table porte beau, chic mais sobre. C'est un danseur de tango, qui gagne des concours, qui fréquente plusieurs clubs, mais ce n'est pas que cela. Cet homme se veut cultivé, discrètement. Ça force l'écoute. Je le crois un peu sourd. C'est fascinant de l'entendre embrayer avec forces détails sur n'importe quel sujet, artistique, politique, technique... Mais d'où, il sort tout ça ? La petite vieille chapeautée et la bienfaitrice du secours catholique, lui tiennent tête. Elles ont tellement vécu, et dans de si fabuleux endroits. Elles ont copiné avec tant de personnages exceptionnels. Ceux dont on parle dans les salons, et pas seulement dans les salons de coiffure. Nous sommes noyés dans leurs échanges. .
Quelquefois hors de propos, mon esprit s'envole, s'évade autour des tables. En face de moi, la place est libre. Vue imprenable sur et sous la table voisine. Très animée, elle aussi, par des français. J'y repère un vieux, d'au moins soixante ans. Drôle de genre. Chemise rose, pantalon gris strié d'argent, et chaussures à motifs argentés sur de trop grands pieds. Il a le soulier baladeur ce prédateur. Sa victime ? Une jeunette de trente ans, qui ne sait où caser ses mollets. Elle adresse à sa voisine, compagne du Monsieur, des sourires consternés. Pendant que mes compagnons de dinette font assaut de culture, en toute courtoisie.
Ce pied impudique m'inspire.
Et si ce dinosaure soudain s'affalait dans son assiette, tombait lourdement de sa chaise... Oh là, là ! Sa compagne se précipite. Cris, panique. Serveurs stylés qui courent dans tous les sens.
Mais où est donc passé Hercule Poirot ?
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Une belle escale avant de descendre vers Gibraltar. L'accès du port à la ville se fait par un parc délicieusement ombragé.
et de belles architectures...
Nous quitterons Malaga aux aurores pour deux heureux jours de navigation à bord de notre palace des mers. Quelle émotion lorsque Laurent et moi, côte à côte, sur le pont bâbord, mains mêlées dans la même impatience, avons retrouvé la pointe familière du rocher de Gibraltar. Oh là là, quel moment.
Vie de croisiéristes heureux, le temps coule sur nous, paisiblement, comme notre sillage sur la mer.
Matin du 3ème jour, les premiers sommets trouent l'horizon. Ce premier débarquement dans l'archipel sera à Puerto del Rosario, capitale de Fuerte Ventura.
C'est une île pétrie de lave, inondée de sable, et bordée de magnifiques plages. Dominée par des montagnes de lave. Un monde essentiellement minéral, époustouflant.
- Dis Laurent pour voir tout ça, faut refaire un tour "panoramique"
- Non, on peut faire plus sympa et plus économique
- Donc, on fait comment ?
- En louant une moto, pardi !
Quelle belle idée. Louer une voiture dans cette ville, fastoche mais une moto... ? Mon baragouinage espagnol (sous le regard goguenard de Laurent) nous envoie à travers d'immenses places, des ruelles qui n'en finissent pas, monter, descendre, et remonter pour redescendre. Finalement au bout de 3/4 d'heure nous trouvons le loueur idéal. Un Antillais qui parle français et qui dispose d'une intéressante écurie de motos et scooteurs. Je vous le conseille au passage. Vous louerez en toute sécurité. (Canary Rent Moto, 22, calle Canalejas-Fuerte Ventura) C'est vraiment une personne exceptionnelle.
Sur nos deux roues, le Gps reprend du service, et nous mène par une belle route très confortable le long d'immenses plages de sable jusqu'au nord de l'île. Corralejo, une ville essentiellement touristique, dont l'attrait essentiel est la plage, les immenses plages... C'est une bourgade clinquante, boutiques tapageuses, vêtements pour estivants, colifichets, casquettes et chapeaux, bazar made in China, fast food en tous genres et même pas un marchand de glaces. Il semble que les touristes adorent car y'a un monde fou.
Mais pour les mystiques que nous ne sommes pas, ou les doux rêveurs que nous entretenons en nous, il y a le Tindaya ou montagne sacrée. Le gps nous sort de cette cité agitée via une rue bordée d'immeubles bas. C'est visiblement une impasse. Elle se termine sur une sorte de terrain en friche, tas de détritus, rares voitures, monticules d'herbes désolées et roches agressives. Deux sportives pétaradent à travers cette désolation. En fond d'écran, une piste qui serpente et se perd dans les dunes de sable. Une jeep y apparaIt soudain, au détour d'un virage comme un scarabée géant qui bringuebale dans la poussière. Elle roule si lentement que nous doutons de son déplacement. GPS es-tu là, que fais-tu, entends-tu ?
- - Il dit que c'est là-bas, vers la jeep, ça ressemble à un large sentier, c'est en pointillés sur la carte...
- Un sentier ! Dis moi, faut d'abord qu'on traverse cette décharge à ciel ouvert ?
- Oui, en roulant doucement. Allez grimpe...Y'a pas d'autre moyen pour monter au 7ème ciel...
- Super, autant joindre l'agréable à l'inutile. On va se vautrer dans de sublimes paysages ! C'est ça, le programme ?
- Mais non, c'est juste délicat sur 7km.Je roulerai doucement, si on tombe, y'aura pas de dégât... En haut, on rejoindra le macadam.
Qu'il dit... et bien entendu je demande qu'à le croire. Je râle pour la forme. Je voudrais juste être certaine que Laurent mesure le risque...P'tite bise pour les incomprises et zou, on repart sur notre vaillant deux roues, option cailloutage. Ouillle, ouille, ouille... Quelle montée du diable. Si au début la piste se contente juste d'être poussiéreuse mais carrossable, elle se dégrade après le premier virage. Des trous, des bosses, des gros morceaux de caillasses qui surgissent sous le sable, des ravines creusées au milieu de la piste... Mais que c'était beau. Et puis, pas le moindre petit dérapage à contrôler.
Faut pas s'arrêter aux craintes, un très joli monde se cache souvent derrière elles.
D'ailleurs s'arrêter, on l'a fait, souvent, car le paysage change. Entre dunes de sable doré et rose, immenses silhouettes arrondies de laves noires striées de pourpre et de violine. Quel monde ! Dans un silence écrasant et magnifique.
La descente est plus facile, mais finalement moins intense. Mais j'apprécie l'air frais qui me décoiffe. Plus bas, la nature s'adoucit, de belles maisons blanches écrasées de lumière, isolées au milieu des figuiers de barbarie et des d'aloe vera. Nous ferons pause dans un atelier cosmétique au bord des champs d'aloe vera. Deux belles dames nous offrent massage et soins gratuits en même temps qu'un café. C'est mon dos endolori qui est content. Les dames aussi, bien entendu. Je leur ai acheté le remède miraculeux...
Nous arriverons pile pour embarquer et quitter déjà cette île enchantée.
Nouvel étape, Las Palmas,
Journée citadine. On aime bien les larges avenues piétonnes et leur ombre apaisante. Laurent est heureux de retrouver Las Palmas et moi, un peu de magasinage. L'escale sera brève.
Encore une nuit de navigation paisible. Débarquement à Santa Cruz de Tenerife.
Nous n'aurons pas le temps d'aller explorer le Mont Teidé, à notre portée des plages, des plages et encore des plages... l'attrait touristique par excellence. Vous imaginez mon enthousiasme.
- Et si on partait à pied, au hasard, à l'assaut des hauteurs de la ville,
- Tu veux explorer les quartiers nord de la ville ?
- Je voudrais surtout marcher un peu, crapahuter, aller le nez au vent...
- D'accord.
Pour ce coup, nous avons changé de monde. Évadés des quartiers citadins, de l'élégance qui borde le port, nous montons dans les étages. Une route étroite, qui se transforme en piste macadam défoncé, souffle marin sous un soleil de plomb, et une vue magnifique sur la mer et le bas de la ville. Les maisons enchevêtrées qui offrent d'en bas de jolis dégradés de blanc changent quelque peu d'aspect quand on s'insinue dans la rue. Mais j'ai adoré cette longue balade de 3h en terre inconnue.
Départ en début de soirée sur une vision plus enchanteresse de cette ile déconcertante.
Cap sur Madère.
Encore une belle étape. Ici le climat est tellement extraordinaire que la température y est doucement constante. Alors la végétation tropicale foisonne. Nos délais d'escale si brefs ne nous ont permis que la ville, et les somptueux jardin du Monte, mais quelle ville. Funchal est une ville de couleurs, de musique, d'ambiance joyeuse sans agitation... comme je les aime.
Montée en paresse par le télé-fée-rique, descente en sensation violente par le carreiro. Tout est possible à Funchal. Ja
h
Après une nuit de navigation notre premier port d'escale est celui de Savona, en Ligurie, qui est voisine de la Côte d'Azur. Un grand nombre de paquebots de croisière s'y retrouvent. A quelques pas du port, on accède à la ville, très provinciale. Coincées entre des murs quelque peu lézardés, se cachent des architectures inattendues. Malgér une belle cathédrale gothique, aux travées richement colorées, ce n'est pas une ville touristique. Pensez ! Y'a quasiment pas de plage ici... Que viendraient y faire les estivants ?
ROME et LE VATICAN
- Tu te rends compte depuis ici (Nous "escalons" à Civitavecchia) Rome est à plus de soixante km ?
- Oui, prendre le bus ou le train, ça va nous coûter un temps considérable.
- Ouhais au moins 2 h d'une bien courte journée... Que fait-on ?
- Nous pouvons quitter le navire entre 9h et 9h30, nous devons être de retour pour 17h00... Et tu sais que le commandant n'attend pas les retardataires.
- Nous ferons juste un tour d'horizon, d'autant que j'aimerais bien faire un saut au Vatican.
Qui dit tour d'horizon, visite en diagonale comme les lectures baclées... oh là, là j'aime pas ça. Hé oui, nous l'avons fait en "tour panoraromique"
Confortablement calés dans un bus on se laisse porter, transbahuter, baratiner. Faut bien que le guide meuble ce long temps de route... Rome et ses collines enfin s'ouvre pour nous. Il a fallu capturer des images au vol, au delà des reflets des vitres. Et se coltiner le commentaire pseudo historique de la jeune femme qui nous servait de guide. Les romains en ont pris pour leur grade. Oh là, là que de raffinement dans la cruauté. Elle s'en délectait, je me suis mentalement bouché les oreilles, ça je sais faire. Repliée sur mes regards, j'ai débusqué de jolis murs antiques, des temples (Diane entre autres) majestueux, une multitude de cathédrales et sites religieux. Tout ça planqué entre les voitures et le monde urbanisé d'aujourd'hui. J'ai joué comme étant gamine, avec ces images dans lesquelles se cachait un personnage, ou un animal qu'il fallait repérer dans la végétation ou les murs...
Le bus nous dépose en fin de matinée dans le centre urbain de Rome, le temps de flâner, de se restaurer. Puis nous lâche en début d'après-midi au Vatican. La place est quasi vide mais la queue qui s'allonge pour entrer à l'intérieur s'étire tout autour sur des centaines de mètres, en plein cagnard. Les touristes s'ils ne le sont pas encore vont tomber malades.
Nous allons vaquer pendant deux heures à travers ce minuscule État.
Nous sortons de l'immense place Saint Pierre, après avoir salué les Gardes Suisses, beaucoup plus communicatifs que les gardes royaux de Monaco. Puis des petites rues commerçantes s'ouvrent, des échopes de bondieuseries, peu fréquentées. Ruelles tranquilles avant de rejoindre notre troupeau qui piétine en plein soleil.
Dure journée, ce genre de tourisme ! Oui mais, nous y avons gagné une approche certes rapide et superficielle de Rome mais qui nous donne envie de revenir un jour ou l'autre pour approfondir. Et puis aussi nous y avons gagné deux potes de croisière, assis devant nous dans le bus. Toulonnais avenants au bonjour joyeux, sourires croisés sur les terrasses ou les ponts du navire qui ont ponctué le reste de notre croisière.
Invités par notre amie Vivi, c’est à Lançon de Provence que nous passerons cette soirée de fête musicale. Nous nous retrouvons dans la belle église Sainte Julitte, peu de places vides.
- Dis Laurent, c’est quoi que tu aimes dans ces soirée de musiciens amateurs
- D'abord je vais à la musique.
- Comme d'autre vont à la plage ?
- Oui, aller... pour vivre un moment de musique vivante et sans prétention...
- Sans prétention. T'es sûr !
- Évidemment ! On est musicien, on vient sur scène avec humilité. On propose notre instrument pour des oreilles bienveillantes. C'est ça qui est formidable.
Ah, la fébrilité des musiciens ! Le grand questionnement.
" Je les connais bien les airs que je vais jouer. Je les ai répétés, répétés, répétés... Je suis sûr de moi, je suis déterminé. Tout ira bien...
....
"Halte au virus planqué dans la partoche. Il me piégera pas ce soir.
Halte à la panique.... Je me perdrai pas dans mes portées.
Oui mais ...
Le trac.. Ce foutu trac, s'il prend le dessus ? Patatra !
Et alors, ça vous arrive jamais à vous de bafouiller ? M’en fous, je continue… "
Ainsi vont nos amis musiciens. Et chacune, et chacun, frissonnant, tremblant un peu et puis de moins en moins, s’expose héroïquement pour nous autres qui leur font honneur. Des musiciens solistes, d'autres en duo ou trio instrumental, sur le piano à quatre mains aussi... Quelle belle complicité. Tous les genres, toutes les couleurs de sons, tant d'époques et tant de pays. (Mendelssohn, Hubay, Offenbach, Dvorak, Bonis, Bach...) Nous passons d'un mode romantique avec le piano,
à un mode plus léger, plus poétique avec la flûte.
Quelques petits tours en mode rare avec le merveilleux basson.
Variation de p'tits bonheurs, en mode humour avec la chorale que Réjane contrôle avec le sourire.
Mais le mode incontournable c’est le bonheur d’être là pour faire de la musique, un langage commun à chacun de nous, musiciens passionnés et auditeurs enchantés.
Quelle belle, quelle généreuse soirée.
OU LA RABASSIÈRE PROVENÇALE ou Tuber melanosporum
SON ORIGINE AU PÉRIGORD,
La légende raconte qu'un soir d'hiver, une vieille femme vint taper à la porte d'un bûcheron et sa famille, demandant asile. Celui-ci lui offrit le gîte et le couvert. La vieille retrouva alors sa forme de jeune et belle femme et se présenta comme la fée du Périgord. Elle offrit au bûcheron quelques graines en échange de sa bonté. Elle lui conseilla de les planter au pied de ses arbres. Il en sortirait alors des champignons qui feraient sa richesse. Et il en fut ainsi. Toutefois n'ayant rien oublié de sa générosité, le bûcheron partagea ses fruits avec les habitants de son village ; ce qui instaura paix, richesse et prospérité. À sa mort, ses fils héritèrent de son château et de ses biens mais pas de sa bonté. Un soir d'hiver, un vieille femme vint toquer à leur porte et ils la renvoyèrent. La fée, car c'était elle, reprit alors tous les biens de la famille et changea les trois fils en truies. C'est ainsi que les truffes furent ramassées à l'aide de truies.
Mais aujourd'hui les chiens sont les plus utilisés. Plus faciles à déplacer, plus faciles à adopter, plus dociles, plus sociables et moins voraces.
Yolaine nous accueille en cette belle fin de matinée printanière, souriante et disponible.
- Dis Laurent, tu trouves pas qu'elle a un p'tit air de la fée de la légende Yolaine,
- Ah, tu crois ? Une fée moderne alors !
Il me suffit de si peu pour faire entrer le rêve dans mon quotidien.
Nos quatre compagnons, Annette et Claude qui nous ont invités à cette belle escapade en Cévennes et les fidèles amis Arlette et Patrick, ce que l'Alsace produit de meilleur en amitiés.
Donc, notre bonne fée, d'un regard un rien taquin
- Alors que savez-vous de la truffe ?
Échanges de regards perplexes, c'est Patrick qui se jette à l'eau.
- C'est un champignon.
Annette continue,
- On les récolte l'hiver et y'en a peu.
Claude dont l'érudition nous épate toujours
- Ils ont besoin des racines pour se nourrir.
Et moi, qui sait pas grand chose
- On les récolte dans des trufferies
Patrick se marre,
- Et le récoltant est un truffiste....Ha, ha, ha !
Yolaine, hoche la tête en rigolant.
- D'accord pour tout, sauf que les plantations sont des truffières et que les personnes qui travaillent dans les truffières sont des trufficultrices, trufficulteurs...
- J'aimais bien trufferie et truffiste, dommage !
Annette toujours l'esprit éducatif,
- Et y'a des écoles de trufficulteurs.
C'est fou comme elle jongle facilement avec ce mot barbare. Yolaine s'engouffre dans la question pour développer son propos.
- Il n'y a pas d'école dédiée à ce métier. Quelques heures de formation sont organisées par les Chambres d'Agriculture. Après on apprend sur le tas et on se perfectionne avec nos réussites et aussi nos erreurs.
- Est-ce que les truffes poussent uniquement sous les chênes ?
Yolaine, nous entraîne dans la truffière et détaille les arbres qui nous entourent. Ils sont encore en mode hivernal et un peu tristounets, mais ils vont bientôt reverdir. Les espèces plantées à la Maison de Garniac sont : les chênes blancs et verts, tilleuls, charmes, cistes cotonneux. Ils ont beaucoup souffert de la sécheresse cet été et n'ont quasiment rien produit.
- Peut-être que vous devriez planter des pins, ils sont à l'aise en Provence.
Yolaine est estomaquée par cette question,
- Oh là, là, oui, biens sûr, le pin, il peut-être truffier... mais en Provence personne ne commet la folie de planter des pins.
Elle marque une pause, pour nous permettre de réfléchir à ce risque majeur. Je vois danser dans ses yeux un gigantesque incendie de truffières. Total cauchemar.
Puis elle se resssaisit.
- Il faut savoir que la nature du sol ou le type d'arbre n'a aucune incidence sur la qualité de la truffe. Il n'y a pas de terroir. Il y juste différentes sortes de truffes, qui auront partout le même aspect, la même odeur, la même saveur.
La jeune femmes développe ensuite un peu plus l'aspect technique de cette étonnante culture de champignons de luxe.
- Donc la truffe se développe en symbiose avec les racines des arbres dont elle se nourrit. Elle est souterraine, d'où l'importance des chiens dont le flair exceptionnel permet de les repérer en surface... Lorsque le chien truffier arrive à proximité d'une production, il s'agite, il gratte frénétiquement. Le cavage (du verbe caver) est la recherche de la truffe par creusement du sol. Le chien avec ses pattes, le trufficulteur avec son pic à truffes. Il faut garder le chien en laisse pour l'écarter rapidement car il dévorerait vite la truffe qu'il a repérée.
Mon âme délicate s'émeut :
- Mais c'est pas sympa de le frustrer comme ça !
Sourire rassurant de Yolaine,
- Ne vous inquiétez pas, nos poches sont pourvues de récompenses qui les comblent, mais ce ne sont pas des truffes, il y en a trop peu. Et puis c'est si cher.
Les outils du trufficulteur :
LE CAVADOU- pic à truffes-
FOUGÉ-GRATTOU (en provençal)
ou le TRUFFADOU permettent de creuser puis de dégager la truffe sans l'abîmer.
Donc vous remarquerez autour des arbres, des cercles réguliers de sol complètement nu,
comme brûlé avec une végétation opulente tout autour.
Ce sont des brûlés ou ronds de sorcières.
On trouve les champignons à la périphéries de ces cercles.
C'est un signe évident que là, poussent des champignons.
Le développement de la truffe noire se fait sur plusieurs mois :
février mars : germination
avril mai : colonisation des sols
juin juillet : formation des truffettes
aout-sep-oct : croissance des truffes
novembre : maturation
décembre-janvier : récolte
Il existe aussi une truffe d'été. Lorsque nos forêts étaient opulentes et sauvages, on pouvait récolter 250 tonnes de truffes par an. Cette production est tombée à 20-30 tonnes aujourd'hui. Cela est dû essentiellement à l’exode rural et la désertification des campagnes.
La truffe noire dite du Périgord est cultivée à 80% dans le sud-est de la France, à 20 % dans le sud-ouest. Mais c'est l'Espagne le 1er producteur mondial. Bien entendu, la gastronomie espagnole ne rend pas hommage à la truffe. Ce produit est essentiellement dédié à l'exportation. L'italie est le deuxième producteur et la France n'arrrive qu'en troisième position.
En fonction de la production et de sa qualité, de l'endroit où on l'achète, le prix de la truffe peut varier de 800 € à plus de 2000 €. Il faut compter 10g de truffe par personne pour une consommation gustative. Quand on parle de diamant noir....
Nous pouvons trouver de la truffe "bon marché" appellation truffe de chine, qui est très médiocre et qu'il faut éviter.
À proscrire définitivement les produits industriels dit "à la truffe" la plupart du temps des champignons noirs parfumés. Pour avoir droit à l'appellation "à la truffe" le produit doit être composé de 1% de truffe. Guère détectable pour le palais du consommateur. Des arômes y sont donc ajoutés qui peuvent bien entendu être de synthèse. Autrement dit de la truffe plus vraie que nature, c'est forcément louche.
Le moment est venu de passer à la dégustation de la vraie truffe.
Nous entrons dans un bel espace, salle à manger lumineuse.
Elle se prolonge par une vaste cuisine et plus loin une grande salle.
Nous apprenons que Yolaine organise des ateliers culinaires à base de truffes, avec possibilité d'hébergement.
Elle nous présente ses produits finis élaborés à base de truffes :
brandade à la truffe d'hiver,
carpaccio à la truffe d'été,
foie gras truffé et autres délicatesses...
Nous commençons à nous dissiper, un peu moins attentifs. Tout ça nous a mis l'eau à la bouche et nous sommes impatients.
Nous pouvons enfin nous asseoir à la table de dégustation, ce moment qui nous fait saliver depuis de longues minutes.
Toasts au beurre truffé - fromages truffés - panacota truffée
Nous voilà, les mines gourmandes, les nez en alerte, les palais à l'affût.
- c'est subtil comme saveur
- en odeur aussi
- oh le beurre, j'adoOOOre !
mais aussi
- Oh c'est bon, ce fromage, étonnant !
et puis une grincheuse
- Pour moi, le beurre est légèrement salé, le fromage délicatement fait, la panacotta sucrée... Zut alors, qu'est ce qu'on doit sentir d'autre ?
De toute évidence nous n'avons pas tous le palais assez délicat pour en détecter la subtile saveur.
Le débat se fait discret autour de notre petit cercle, la truffette serait-elle affaire de sensibilité, de mode, ou de marque de standing ?
L'idéal pour se faire une véritable idée de la truffe serait de faire cette expérience au moment de sa récolte, toute fraîche, c'est à dire en hiver.
mercredi 15 mai 2023
Nous quittons Mérinhac avec du chari-vari dans la tête... Il aura suffi d'une petite fête paysanne, quelques flonflons, des robes qui virevoltent, et nos coeurs battent la chamade. Il est vrai que ces bels gens ressemblent terriblement à ce que nous fûmes et dont nous avions oublié la réalité.
Nous quittons la belle vallée du Lot bordée de hautes falaises, d'immenses forêts de feuillus. Des caves troglodytes apportent un peu d'humanité à ce monde sauvage.
- Dis Laurent, tu nous a mis en circuit aventure ou c'est une facétie du GPS ?
Imperturbable, il reste cramponné au volant, buste penché vers l'avant. Pas de réponse ! Le petit camion remplit la route, joue au chasse-cailloux et met la panique dans les hautes herbes qui caressent le bas de sa caisse. Nous ne croisons que deux voitures (ouf !) qui ont la courtoisie de reculer pour nous céder le passage... J'adore !
Nous rejoignons une route plus civile en même temps que les plateaux des Causses du Quercy. L'horizon s'ouvre, vaste et vertigineux. Nous frôlons le ciel.
Petite pause à Loubressac.
Capdenac le Haut, autre village médiéval aussi peu fréquenté que les autres. La Mairie met à la disposition des camping-cars un verger de cerisiers, pour une nuit paisible et champêtre.
Le ciel est noir, mais il ne pleuvra pas. Au petit jour, nous ne savons pas trop si c'est le merle, le rouge-gorge ou la mésange qui nous réveille en fanfare. Un peu des trois, vues la diversité des rythmes et des sonorités. Une journée grise s'annonce. Départ Capdenac dans une campagne qui estompe ses contours.
Cap Sud. A Rodez, l'ambiance est plus printanière, et la ville nous séduit. La cathédrale Notre Dame de Rodez, richement gothique, est somptueuse. Elle est aussi immense. (longueur 107 m ; celle de Strasbourg est de 111m-hauteur du clocher : 87m). Elle abrite le plus bel orgue que j'ai jamais vu, daté de 1628. Souvent restructuré et modifié au fil du temps, c'est à mes yeux, le joyau de la cathédrale.
Laurent dans les musées, il s'ennuie, je tente ma chance quand même.
- Tout à l'heure on va passer devant le musée Pierre Soulages. T'es d'accord pour qu'on entre ?
- Je suppose que c'est un artiste, il soulage de quoi ?
- Oui, c'est un artiste, disons de l'art abstrait. Il utilise le noir pour donner de la lumière aux tableaux. Il soulage pas vraiment, mais un peu quand même.
- Depuis quand ça te branche. Je te croyais insensible à la peinture en général alors l'art abstrait ...
- Je sais pas si j'aimerai. Disons que ça m'intrigue. Et puis, t'as vu la couleur du ciel, ça nous rapproche de Monsieur Soulages tout ce noir. Le mieux, c'est d'entrer... le temps de s'abriter d'une averse par exemple. On y sera mieux que sous un porche. D'accord ?
- Allons-y, mais je promets pas d'entrer !
Finalement Laurent s'est senti "soulages". Il y a bien eu une averse, mais le musée était fermé.
Sauveterre en Rouergue, encore un village médiéval. Nous profitons d'un bel espace dédié. Nous étions trois camping-cars. Espace prévu pour quinze. Le petit camion prend ses aises, sous de grands arbres et concerts d'oiseaux entre deux averses.
Une éclaircie, faisons quelques pas dans la cité. De belles roucoulades nous accueillent dès l'entrée. Les pigeons ont élu domicile sur l'épaule d'un Saint Christophe inspiré qui reste blotti dans l'alcove de la grande porte en pierre.
Lors d'une flânerie d'une dizaine de kilomètres, nous approchons d'une femme d'âge moyen, joliment vêtue mais qui semble porter de longs gants épais bigarrés, plutôt miteux. A son bras, un grand panier qu'elle remplit d'orties. Je me tourne vers Laurent.
- Quand vous ramassiez l'herbe pour les lapins, vous preniez aussi les orties ?
- Oui, bien sûr, c'est plein de vitamines et ils adorent ça.
- Et ça leur blessait pas l'intérieur des joues, pas d'urticaire interne ?
- A priori non, probablement qu'ils sont immunisés contre ça.
Nous arrivons près de la dame, qui nous salue. La conversation s'engage. Je la ramène au niveau des orties.
- Vous avez des animaux à nourrir ?
Elle éclate de rire.
- Oui, des petites bestioles qui ont respectivement 8 ans et 10 ans, Sophie et Laura. Pourquoi ?
- Oh excusez moi, mais votre panier plein d'orties, c'est pour des lapins ?
- Non, ils adoreraient. Ces herbes sont toute jeunes, toute tendres, bourrées de bienfaits. J'ai pas de lapins alors je ferai une soupe d'orties pour nous.
- Une soupe d'orties ?
- Oui, bien sûr. Il faut prendre le sommet des tiges, les feuilles tendres, surtout pas les fleurs.
- Elles sont toxiques ?
- Je crois pas, mais elles sont très amères. C'est mieux de les éviter.
Lorque nous quittons cette cuisinière avertie je fredonne pour moi-même une chanson enfantine...
"Une ortie est sortie.
De ma poche si tu t'approches.
Elle te pique piquera.
Elle te piquera comme ça. Aïe-aïe.-aïe
Je ponctue mon cri de douleur d'un pincement au bras de Laurent. Qui bien entendu n'apprécie guère.
- Elle est nulle cette chanson.
- Dis Laurent, ça te dirait une soupe d'orties ce soir ?
- Boof !
Ça m'a mis en joie cette encontre. Pas de soupe d'orties ce soir, mais pas de soupe à la grimace non plus. Soupe de cailloux peut-être, on est en panne de foie gras.
Lorsque nous quittons Sauveterre le décor change. Explosion de genêts dorés, garrigues et thyms en fleurs. Petits hameaux de pierre qui ont creusé leurs fondations au milieu des patures. Troupeaux de vaches blondes, blanches aussi... Des fausses blondes encore !
Étape à la Couvertoirade. Un beau site préservé du XIIème s. C'était d'abord une commanderie de templiers devenue le village, le château et l'hospitalet des Chevaliers de Saint-Jean, dits aussi les Chevaliers Hospitaliers ou encore les Chevaliers de Malte. La Couvertoirade semble indiquer que le lieu servait d'abri, d'asile (couvertoirade = couverture pour simplifier)
Une étape étonnante à Alzon. Nous buvons tranquillement un pot au bar du village, au bord de la route qui le traverse, nommée 999, évocation de la 66 USA. Chicago ici, faudrait partir du Consulat de Paris. L'ambiance y est. Une flotte impressionnante de motos passent sous notre nez, quasiment. Mais comme on aime bien ce monde là, ça nous plaît. Quelques minutes plus tard, des voitures sports, genre porsches, triumphs et je ne sais quoi... Toutes décapotées... Vitesse réduite... Les mecs, cinquantenaires arrogants, concentrés sur leur volant, avec toutefois un coup d'oeil en coin pour s'assurer qu'on les admire... Et des passagères, souvent plus jeunes, cheveux aux vents qui nous font des petits signes... Je m'attends presque à voir l'une ou l'autre se lever pour saluer royalement les pauvres manants que nous sommes.
C'est à Alzon que nous ferons la "rando" la plus étonnante de nos vacances. Le Circuit des Aqueducs... Ça commence un peu fort en pente raide, nous devons rejoindre une ancienne voie ferrée. Elle est très caillouteuse mais quasi plate. Un tunnel s'annonce... mais j'hésite, le fond de ce tunnel est d'un noir d'encre. Laurent passe devant. Plus nous avançons, plus l'obscurité s'épaissit. Laurent allume la lampe de son smartphone et je ronchonne. C'est vrai quoi, il casse tout le charme. Donc je l'énerve, donc il me distance et disparaît complètement dans la nuit. Me voilà seule dans le silence, une sensation de vide. Alors je m'arrête pour écouter ce vide. L'idée me traverse que je flotte dans le "rien" C'est fascinant. Je tâte le mur à bâbord, ça c'est un bon repère pour avancer droit devant moi. Je me remets en route, lentement en m'assurant que ma main suit le mur... Les caillasses roulent sous mes pieds hésitants. Il faut que je me méfie, y'a des alcoves si je m'appuie sur le bras et qu'il touche le vide, je vais me casser la binette. J'y vais donc mollement. Et toujours ce noir, et toujours ce magnifique silence. Je ralentis encore, je voudrais que ça dure, que ça dure. C'est juste un vide, déroutant, inespéré, reposant.... Si court. Des rafales d'air glacé me traverse le corps. La sortie se rapproche. Déjà, tout au fond là-bas, une petite lueur... Et rapidement le grand jour.
Samedi 22 mai 2023
Saint Guilhem, il paraît que c'est le nom d'un cousin de Charlemagne qui se serait retiré là pour se recueillir. Il aurait fondé l'abbaye de Gellone, haut lieu de recueillement, sur le circuit des pélerins de Saint jacques.
Le Pont du Diable doit son nom à une légende qui raconte l'affrontement et la ruse de Saint Guilhem. Le diable toujours farceur et cruel pour les humains démolissait systématiquement pendant la nuit le pont que les moines voulaient constuire sur l'Hérault. Désespérés, ils ont invoqué leur saint qui a décidé d'affronter le diable par la ruse. Une aide miraculeuse qui montre bien que le diable aussi malin soit-il n'est qu'un crétin face à un humain inspiré. Ça me trouble toujours dans ces légendes, que le satan si redoutable pour les chrétiens soient si facile à berner.
Nous voici donc, au coeur de deux lieux hautement touristiques. Un immense parking à 600 mètres du pont, à 4 km du village permet d'accéder en navette gratuite aux deux sites, et à la grotte de Clamouse. Belle éclaircie qui nous a permis une visite approfondie de ces endroits aussi beaux qu'étonnants. Mais n'y allez surtout pas en période estivale... les lieux deviennent infréquentables. Parking bondé, cohue, bousculade. Une horreur paraît-il.
Nous n'aurions pas pris le risque en pleine saison estivale. Le petit camion, ne supporte pas la foule, il aurait même pas ralenti le bougre. Mais, aujourd'hui, il a poussé un gros soupir d'échappement car l'immense parking, et la navette étaient quasi vide... Les avantages d' un temps maussade, faut bien se l'avouer.
Un résident nous a raconté : "En juillet l'an dernier, un matin à 9 heures, j'ouvre ma porte qui donne directement sur la rue, comme toutes les maisons de village. Un couple de farfelus me bouscule, entre sans façon, me disent à peine bonjour. D'autres les poursuivent. Un gamin s'est faufilé dans le séjour. Ils ont cru que commençait la journée de visites d'une maison "authentique" et m'ont pris pour le guide de service qui commençait sa journée. Ces gens se confondaient en excuses. Franchement, vous trouvez que j'ai une tronche de guide touristique ?
Jovial comme toutes les personnes que nous avons rencontrées, il nous a posé la question à un denier.
- Savez-vous comment s'appellent les habitants de Saint Guilhem
- Les Saints Guillelhois ? les Saints Guilhard, les Saint Guillains...
Et lui, il se marre en hochant négativement la tête.
- Allez je vous le dis, mais vous me devrez un denier... On nous appelle les Saute Rocs ou les Saute Rochers... Il paraît qu'on a la jambe leste.
Est-ce qu'il plaisantait ?
Le temps se dégrade, retour à Velaux, d'un jour à l'autre... de visu ou par téléphone, ou par mail...
A bientôt.
Mardi 16 mai 2023
Hou là là ! Que d’images à évoquer… Depuis la sympathique ferme de St Gall, détours, contours et retours… à travers la formidable vallée du Lot.
Motorisés toujours, soit par le petit camion, soit par nos vélos. Des maisons immenses aux murs incroyablement hauts, en pierres rouges à force d’être roses… sous leurs riches toits de lauzes. Comme si timidement elles voulaient s’excuser de leur taille géante. Ces belles maisons donc peuplent des villages tranquilles. Nous les parcourons à travers des fleurs à profusion, glycines, rosiers grimpants, champs de pissenlits, de coquelicots, de primevères et de marguerites, chacun éclairant de jaunes, de rouge, ou de blanc sa propre prairie. Nous cheminons aussi, en pédestre, à travers des forêts « FOUILLUES », (feuillus et fouilli) qui n’ont jamais vu l’ombre d’un bûcheron, encore moins celle d’un chasseur.
Le GPS nous propose les circuits « aventure » dont je raffole, qui permettent à Laurent de piloter avec prévoyance et délicatesse… Croiser une voiture relève quelquefois de l’audace. C’est heureusement bien rare. En vélo ça ne pose pas problème. On trouve des petites routes peu fréquentées pas les voitures. Les pélerins de St Jacques ont tracé leur sillon le long de ces voies rurales. Et ce sont eux les vrais dangers pour nos vélos. La route étroite nous serre contre eux malgré nous. Ces marcheurs enthousiastes font avec leur bâton de grands moulinets dans l’espace en avançant d’un bon pas… Les moulinets aussi vont d’un bon pas… Que ce soit pour nos rayons de vélos ou pour nos casques, j’ai tremblé plus d’une fois en les carillonnant.
Au hasard de nos images, St Côme d’Olt, Espalion, Estaing.
Cap vers Bergerac, car Laurent tient à faire une dégustation des vins locaux…
Regard inquiet de Laurent
- Pourquoi juste une, de dégustation ?
Je crains que le Petit Camion prenne du poids.
Pause familiale à St Liverade sur Lot. Nous y passerons un dimanche ensoleillé, sous le signe des nénuphars avec Hélène, Aurore et Alain.
Un chouette moment dans leur belle maison. Je suis tombée en amour pour leur jardin exceptionnel quasi en pleine ville.
Suivant leurs conseils nous pousserons jusqu’au château de Monbazillac. Quel magnifique domaine. Encore quelques kilos dans le ventre du petit camion.
- Dis Laurent, on a le Monbazillac, mais le foie gras ?
- Tiens, je croyais que tu étais rebelle à ce mode de gavage, barbare tu disais, non ?
- Oui, mais c’est quand même dommage d’être dans le pays des canards et de pas en profiter.
- Si c’est toi qui demandes, d’accord.
Ce pays est mortel pour le système digestif mais quelle délicatesse dans les saveurs proposées.
Mais ce que j’aime c’est vadrouiller au gré des petites routes sur jambes ou sur roues… Nouveau circuit qui nous mènera à travers les terres rouges du Périgord dans le pays des noyers. Ici les routes sont drapées de blanc. Fleurs d’acacias géants qui inondent le pare-brise et tirent leur rideau de chaque côté de la chaussée. Nous nous poserons en bord de noyeraies. Encore de bien sympathiques visions champêtres depuis nos hublots. Et de vieilles cités à découvrir, Sarlat de la Caneda, Souillac, Lanzac.
A partir de Lanzac le relief se complique devient carré-bossu (carru-bossu on dit dans mon doux pays des Vosges). Encore de biens beaux endroits, Loubressac, Autoire et sa cascade. Mayrinhac-Lentour nous arrête. Grande fiesta locale. Malgré les averses, la population endimanchée se bouscule à travers un rassemblement de vieilles voitures. Essentiellement des voitures de rallye. C’est émouvant de revoir des R8 Gordini, des simca 1000 rutilantes, et autres vieilles dames de notre temps.
- C'est pas un accordéon qu'on entend sous le chapiteau ?
- Exact. On va voir ?
- Ouhais, ça doit guincher dur là-bas.
- T’emballe pas. C’est sûrement une sono.
- Je crois pas, ça hurle pas, ça boum-boum pas… ça donne pas envie de fuir.
Il me prend le bras pour m’y entraîner.
- T’as raison, ça ressemble à de la musique.
C’est ainsi que les années 1960 reprennent vie sous nos yeux émerveillés. Il y a bien entendu le bar obligé où s’agglutinent ceux qui ne veulent pas faire tapisserie. Il y a les incontournables petites vieilles assises sur les bancs, les yeux larmoyants et les hanches agitées. Il y a surtout un va et vient de jeunes adultes (moins de cinquante ans) qui entrent en danses et en ressortent. Tous plus élégants les uns que les autres. Les femmes surtout, jupes qui volent, corsages généreux, escarpins fins… Ils tournent et virent avec un sérieux incroyable. Ils sont magnifiques et troublants. Laurent et moi échangeons des sourires émus et surtout des regards pincés. Voyez-vous, nous sommes en mode randonneurs qui campent… Autrement dit, en grolles et vêtements qui sont indubitablement confortables mais fort peu élégants… Nous déparerions ce beau paysage.
- Dis Laurent, il ne pleut plus. Et si on sortait se trémousser dans la rue…
Il y a des moments comme ça, où une porte s’ouvre sur de déroutants possibles.
Un printemps idéal nous est promis !
Maison bouclée, alarme en veille active, voisins en veille passive, et le Petit Camion paré au démarrage… Ce coup-ci, on a une idée de destination, enfin je crois...
- Au fait Laurent, notre cap c’est bien le Lot et Garonne ?
- Tu préfères un autre cap ?
Voilà, Laurent, cher trésor, toujours prêt à virer de bord… Mais bon, j’aurais aimé qu’il me réponde par oui ou par non. Je formule donc une nouvelle fois, et la réponse est remarquable de précision.
- Moi, tu sais, je vais où tu veux…
Silence dans la cabine, à quoi pense donc notre ami Laurent,
- Villeneuve sur Lot, plus de 500 km sans étape, ça te dit ?
Panique sur le siège passager. Mes accoudoirs en ont la tremblante ;
- T’es fou, 500 km en une fois, mais c’est l’option bagne au programme ?
Il m’envoie son sourire taquin, narquois, réjoui, goguenard et malicieux, si, si tout ça, dans un seul regard en biais, puis il se reconcentre sur la route.
- Bon, je te propose une première étape surprise, que tu vas adorer, d’accord…
Moi, si je sais pas où je vais, c’est forcément la route du paradis, alors oui, oui, oui… encore que…
- C’est pas trop loin au moins.
- Penses-tu Nénette, on y sera avant la nuit.
- Hop là, d’accord !
En piste pour le nord-ouest. Dès l’entrée à Alès, on se «décape» pour longer le Gardon tout pimpant et s’orienter vers Florac. Magnifique départementale tendue du rideau blanc des fleurs d’acacias qui dégringolent sur la route. Des papillons qui volent autour du petit camion, s’y posent avec délicatesse et se laisse soulever par le vent pour tapisser plus loin. Le pare-brise n’a jamais été aussi beau.
Lorsque nous prenons la direction d’Ispagnac, la route sinue à travers des creux de vallées. Des champs de boutons d’or, des vergers en terrasses que domine le vert profond des sapins. Il paraît qu’au XIXème, les Ispagniens étaient renommés comme mangeurs de fruits… De saines personnes en ce temps-là. Réputation qui a faibli et qui se remet lentement au goût du jour. Les producteurs locaux devenant très mode. Aujourd’hui on les dit « buveurs d’eau ». J’ai cru discerner un rien de péjoratif dans l’intention, mais ce n’est qu’une interprétation…
Nous ferons une pause enchantée sous un seringat. Oh là, là, quel enivrante senteur !
Nous frôlons désormais des sommets à plus de 1000 mètres, de longues bandes de plateaux verts, que les plaques de primevères illuminent. Nous redescendons à 724 mètres et mon coeur fait de grands bonds. Je viens de comprendre que c’est à St Gal que nous allons nous poser. Faut que j’vous dise. St Gal, c’est notre coup de coeur de 2020. Un tout petit village, quelques maisons qui se tiennent chaud, une grand ferme, domaine de la famille Velay… Le Petit Camion tout ému, des fourmis plein les pneus, se pose comme chez lui, dans le pré destiné à l’accueil camping-car. Comme la dernière fois, nous sommes les seuls usagers de ce magnifique coin de verdure à l’abri d’énormes rochers arrondis.
A peine posés, quelques pas jusqu’à la laiterie. Dès l’entrée, c’est l’odeur puissante du lait fermenté qui nous accueille. Quel bonheur ! Nadine nous reçoit avec sa bonne humeur et son bon sourire. Cette ferme familiale est une merveille. Le beau lait frais directement cueilli au pis de la vache nous est versé dans une bouteille d’eau minérale. Le beurre moulé du jour, fera le délice de quelques petits déjeuners. Les douze yaourths crémeux sont commandés pour demain en même temps que le beau temps. Des tommes (des tonnes de fromage) à déguster sans modération. De bien subtiles senteurs ici aussi.
Le ton est ainsi donné pour un périple qui s’annonce riche en rencontres, riche en images, riche en sensations.
Une escapade remarquable en moto sur les bords de l'Argens. Cap sur CORRENS
Départ aux aurores (il est 10h30, mince déjà !)... casqués, rembourrés, du bon cuir qui tient bien chaud, gantés épais.... Vivent les joies de l'été. Nous décollons de Velaux plein gaz, direction Vauvenargues... La moto se colle au bitume et ronronne joyeusement.
Je me laisse porter, je hume et j'ouvre grand les yeux par dessus l'épaule gauche du pilote... Je me sens délicieusement bien, un peu ailleurs...
Laurent profite de ma distraction pour improviser et sortir d'Aix vers le Tholonet.... je lui tape sur l'épaule.
- Oh c'est pas là, nous, on va à Vauvenargues !
Pilote égal chef de bord. Il lève sa visière, se retourne. Je pouffe de rire. Il a un look horrible avec son auvent qui lui mange le front... Comment voulez-vous que je prenne au sérieux un pilote ainsi casqueté. En plus, il dit n'importe quoi, du genre,
- Pas grave, on trouvera bien un croisement sur la gauche pour rejoindre notre route...
J'en suis pas si certaine. De toute évidence à babord c'est la Sainte Victoire à traverser. À ma connaissance, y'a pas de tunnel. Heureusement, il n'a pas pris la route des Alpes. Alors le mal n'est pas bien grand.
Et voilà le Tholonet qui s'annonce. L'arc qui chemine à Velaux se retrouve ici à travers vignes et forêts et terres de roche. Y'a un monde fou, des randonneurs en route, en pause, en panne de repères, des fondus qui dévorent leur carte IGN. Et nous fièrement dressés sur nos deux roues, on traverse ce petit monde futile. Notre allure tranquille nous amène un peu d'air et c'est un roulage très agréable.
La route est tranquille, la lumière est belle. Une allure sympathique pour avancer sans bousculade et sentir l'air nous traverser le cou, ou le visage. Du coup quel confort sur nos selles.
Nous débarquon éblouis dans les vignobles dits "Sainte Victoire". De beaux plans de vigne, robustes, feuillage brillant et dense. Les raisins sont irrisés de rose sous le beau soleil de Provence. Va falloir organiser une escapade dégustation à l'automne. Tout cela est fort prometteur. Et si joli. Entre vignobles généreux, que dominent les hauteurs de la Sainte Victoire et la terre rouge sang qui borde ses contreforts. Que de couleurs, que de richesses accumulées par la vieille dame. Des rangées de roches grises lui font comme des perles autour du cou. Mais au fait ça lui fait combien à la duchesse Sainte Victoire ? Si j'en crois les profondes rides qui creusent les alignements de roche, ça doit faire au moins perpète... Sa surface est tavelée, décidément c'est bien une peau de vieille. Mais quelle allure ! Un bien beau monde à fréquenter !
Barjols nous déçoit. Il y a dans cette ville, un je ne sais quoi de sinistré malgré ses innombrables fontaines et sa tannerie désaffectée. Toutefois, cette ville nous réserve un étonnant moment de pur bonheur. C'est arrivé en passant devant la boutique d'un artisan du cuir. Nous restons tous les deux scotchés d'admiration devant la vitrine, casques et blousons en main.
- Tu crois que c'est différent à porter des chaussures comme ça ?
Laurent baisse les yeux, relève la pointe de sa godasse qui ouvre grand la gueule... Hé oui, la pédale moto vient de lui donner un coup fatal.
- Je crois que je vais entrer, pour voir.
La boutique est minuscule et toutes sortes de chaussures plus finement cousues, plus joliment travesties les unes que les autres. Avec un large choix pour les dames et les enfants... Mais y'a aussi pour les Messieurs. Une jeune femme cachée au fond de l'atelier apparait. Laurent va-t-il se laisser séduire ?
Elle propose à Laurent d'essayer pour se situer précisément dans sa taille. Le voilà qui chausse d'exquis souliers... Si vous aviez vu son expression béate, ses grands yeux clairs devenus presque sombres, reflets éclatants. Le voilà au bord de l'extase. Au top pour entrer dans le vif du commerce.
Imaginez son pied qui tourne et retourne avec délicatesse, son expression très concentrée, émerveillée, mais il ne va pas dire oui tout de suite. Faudrait pas céder trop vite, ça romprait le charme. Corsons un peu la relation qui s'annonce avec des exigences déjà.
- Ce serait possible de coudre une bande sur le dessus du pied gauche ? C'est à cause du levier de vitesses de la moto, enfin la pédale. La dame lève un sourcil, pas certaine d'avoir bien compris. Roulerait-on en moto à pédale ?
Mais elle est commerçante d'abord.
- Pas de problème. Je vous fais une bande un peu décor qui servira de renfort sur les deux chaussures.
Laurent très péremptoire.
- Non, juste sur la chaussure gauche. L'autre c'est pas la peine.
Sourcil interrogarif de la dame. Elle doit avoir des muscles en béton sur les yeux.
- Mais ça va pas faire bizarre ?
Et Laurent fin connaisseur.
- Jamais de la vie. C'est courant sur les chaussures moto. Ce serait bien si vous pouviez faire ça.
La dame ne semble guère convaincue Ça doit défriser son sens de l'esthétique, mais ...opération séduction commerciale oblige.
Les voilà à tergiverser sur le coloris du cuir, celui de la bande, sa forme... A ce stade je les abandonne et me réfugie au bar de la place.
Plus d'une demie-heure plus tard, je vois arriver un Laurent franchement épanoui.
- Alors tu les auras quand tes chaussures orthopédiques ?
- en septembre...
- Et, c'est cher ?
- Un peu....
il se commande illico une bière pression. Histoire de noyer le poisson.
Je n'insiste pas. Je ne veux pas me laisser pourrir par le blues de la Blue Card. Et puis Laurent a l'air si comblé. Je m'attendris en imaginant ses arpions grassouillets qui vont se tenir bien au chaud tout l'hiver.
Chateauvert puis Correns, notre hébergement. Une quinzaine de kilomètres de roulage à prévoir, que nous mettrons deux heures à parcourir. Pas qu'on se soit perdu mais c'est le milieu d'après-midi et on a toujours pas fait honneur à mon pique nique. Alors on s'attarde dans les chemins et les sous-bois à la recherche d'une planque repas idéale. Qu'on finit par trouver à l'entrée d'une propriété privée et au bord de la rivière.
Dès les premiers tours de roue, Correns nous séduit. Nous logeons dans une maison immense entourée de belles terres en terrasse, à une centaine de mètres du coeur du village. Notre chambre directe dans le jardin est isolée et nous nous sentons presque chez nous. C'est vraiment chouette.
Le seul resto de Correns est fermé le mercredi soir. Du coup nous ferons trois kilomètres à pieds à travers le vignoble pour profiter d'une cuisine mobile sur un terrain où sont installées tables et chaises au bord de l'Argens. Pas un seul moustique en vue, ni en oreille. Incroyable non ? Repas très honorable.
Retour à la nuit avec la pleine lune sur notre cap. Une belle traversée ce vignoble en nuitée. Et ma cheville pour ce premier périple de sept kilomètres sur terrain mou et plat se comporte admirablement.
Nous avons fait notre longue rando à pied le jeudi... je me sentais au top, fallait bien que je m'y colle, enfin....
Nous partons du jardin... nous desendons vers le village, nous longeons l'Argens sur deux kilomètres puis nous traversons la route pour entrer dans le vallon des Baumes. Le sentier sinue avec l'Argens. Il est bordé de roches immenses taillées en caves trogoldytes par endroit. La végétation est dense. Des noyers, des chataigniers, des chênes, des arbrisseaux légers au ras du sol... C'est un véritable enchantement. Il fait si frais sous ces branches. C'est à la fois, rassurant, reposant et idyllique. Nous cheminons tranquillemement.
Un décor de bois vierge. Nous inventons des cris de singes, d'oiseaux multicolores et immenses... D'animaux de nulle part. Ah, qu'il est doux le cri de l 'hyppopotame au ras de l'Argens. Nous perdons la notion de lieu et de temps.
La montée est douce. Nous arrivons sur le plateau. Cailloux, roches et cailloux mais pas que... Au ras des rochers qui dominent ce plateau des vignobles tout neufs ont été plantés. Incongrus au milieu des rochers, en plein cagnard d'une fin de matinée. Immenses et perdus dans un univers de cailloux et si peu accessibles. Nous traversons ces vastes espaces. Nous trébbuchons souvent car le sentier est très pierreux mais au bout du vignoble, en quelques enjambées nous voilà à flanc de roche, descente panoramique.
Je me promets de dénicher un jour le vin de ces vignes. Promesse à tenir car le retour est scabreux. On croit que ça descend, puis ça remonte, et puis ça redescend et puis ça remonte... pentes en alternance. Je trouve ça un peu long. Il nous faut presque une heure pour amorcer notre vraie descente. Un peu difficile car ce sentier n'est pas tendre avec nos semelles. Trés étroit, envahi de ronces, caillasses et galets qui roulent... Nous descendons pendant une heure. Je vais très lentement car c'est un exercice périlleux pour ma cheville. (la descente était annoncée : longue mais douce....) C'est vrai la pente n'est pas raide, vraiment pas. Mais zut alors, que c'est long. Ça fait quatre fois que Laurent m'annonce via son GPS, on est en bas dans 15mn.... Tu parles, à vol d'oiseau oui !
Et puis nous arrivons sur la départementale qui longe l'Argens et débouchons émerveillés à l'écluse de Correns. Un barrage, de vastes espaces dans lesquels s'isolent des baigneurs quelque peu téméraires... Nous on s'isole pour notre pique nique. La baignade ? Vous nous en croyez capables ?
Ensuite nous reviendrons à Correns en fin d'après-midi par le sentier des vignes ; trois kilomètres qui nous sont familiers désormais.
Nous avons mis 4h pour aller de Correns aux plages de l'écluse... C'est une belle équipée pour ma cheville. Elle est raidasse à l'arrivée...
Doliprane ou pas doliprane ? Douche d'abord... J'ai longuement arrosé d'un jet tendre et froid ma cheville. Je l'ai carssée, rassurée et félicitée. Me voilà au top pour m'affaler avec un livre. Et puis ce soir, le resto est au village donc pas doliprane... Je promets pas de déambuler des heures pour les photos de nuit.
Beaucoup d'entre vous habitent pas loin.. Si vous ne connaissez pas cette vallée de la Sourn, allez-y, Et si vous connaissez, retournez-y. Les ballades sont multiples et de tous niveaux. Il y a de jolies plages tout au long de l'Argens. Il y des randos canoé-cayak sur toute la rivière. Il y a des sites d'escalade impressionnants... Il y a des villages paisibles, des habitants souriants et courtois, peu de monde mais que des gens bien.
Il y a des crues à pas se rouler par terre, mais des crus très prometteurs et sans danger.
Nous, on y retournera...Dans l'immédiat et dès demain, cap sur les Cévennes pour dix jours. Parenthèse totale de portable et d'Internet. Bizz du paradis.
JanouB
Mardi, 21 septembre 2020
D'ajournements en ajournements nous avons enfin récupéré le petit camion et l'avons armé pour le départ. Quel bonheur. On n'imagine pas la quiétude que ce si petit espace peut offrir à ses heureux usagers. J'aime son odeur à la fois prenante et personnelle. J'aime les sons feutrés qui arrivent de l'extérieur. J'aime le grognement de la pompe à eau. J'aime le confort des fauteuils qui pivotent pour devenir salon. J'aime le foutoir des équipets dont le contenu nous dégringole dessus dès qu'on lève un battant. J'aime la douche, si étroite et si facile à entretenir. J'aime la cuisine minimaliste qui ne s'encombre pas de plats sophistiqués. Mais permet d'enrichir notre quotidien de manière aussi simple qu'inventive. Rien de superflu dans ce "logement".
C'est à la fois bien suffisant pour notre confort et d'une belle intimité. Nous sommes proches l'un de l'autre et cependant chacun dans notre cercle. C'est si facile ainsi de s'isoler mais aussi de se retrouver, de communiquer, de rire et de râler ensemble. Car si on rouspète, l'esprit de l'escapade c'est de râler ensemble et contre l'extérieur. Et surtout d'en rire. J'y retrouve la complicité naturelle qui s'installe dans la vie sur un voilier. Mais dites-moi, pourquoi ça ne se passe pas comme ça à la maison ?
Il suffit que je monte à bord pour que me poussent des ailes. Et laurent reste le compagnon idéal.
Un monde modeste avec cependant à bord un luxe "offert". Une sorte de grill électrique qui nous permet de faire nos grillades dehors et une soirée raclette pour notre anniversaire de mariage. Ça démarre joyeusement nos vacances d'automne.
Notre première étape sera à l'ouest de Béziers. Découverte à pied de Capestang, sympathique bourg, tranquille et sage et peu touristique. En vélo c'est une piste caillouteuse mais très roulante. Pour un premier tour d'une bonne trentaine de kilomètres. Je suis enchantée. Nous longerons le canal, ses berges vertes et ombragées ou pas... nous flânerons autour du port de Poilhes, une écluse ça retient la bonne humeur (hein Danièle, hein Dominique, oh là, là que de fois nous vous avons évoqués pendant ce séjour canal...) Nous flânerons dans le port de Colombiers et nous rentrerons en quittant le canal, une piste à travers vignoble secs et arides par Montady.
Le clocher gothique de Capestang nous ramènera joyeusement à bord. Quel beau circuit. Nous avons fait l'impasse sur Minerve (rien à voir avec la déesse romaine de la sagesse hélas !) Ce serait une plongée dans la douloureuse histoire des Cathares et je ne suis pas prête à l'affronter. Et puis une multitude de sites voisins nous appellent, nous y reviendrons. Promis.
Jeudi 23 septembre.
Avant Carcassonne, j'ai l'intuition que la pause idéale sera à Homps. Je sais que c'est un ancien port très convoité de la grande époque du canal parce qu'à cet endroit il s'arrondit en une large cuvette qui permet aux péniches de manoeuvrer facilement. Le port idéal en quelque sorte. Il est devenu un port de plaisance très réputé. La grande et belle capitainerie fait office de "Château des vins du minervois", d'office du tourisme et d'agent de location de la gabare qui promène les touristes sur le canal.
J'aime beaucoup cette ville. Nous sommes posés au bord du canal, un espace ombragé, le long du quai. Nos fauteuils y sont à l'aise. Aux premières loges. Nous y avons passé un séjour formidable. Contaminés peut-être par l'esprit décontracté des plaisanciers, les quelques routeurs voisins sont communicatifs et enjoués autant que discrets. Une sorte de communauté bien agréable.
C'est la première fois que je retrouve cet esprit là sur la route. J'adore ! Et puis c'est très distrayant. Les pilotes des yachts et autres pénichettes, dirigent quelquefois leurs engins de manière quelque peu cavalière. Difficile de maîtriser la vitesse, la direction, la taille du véhicule. Mais pourquoi ça marche pas comme une voiture ? Y'a un moteur, un volant pourtant. Crotazut, voilà que le vent s'en mêle. Ils sont un peu lourds de l'arrière-train ces engins, fichtre que c'est traître... On se frôle, on arrive un peu vite contre le quai, on rate souvent les amarres lancées par un qui prend pitié de ce navire en déroute... A terre, on rigole car il n'y a là aucun danger. A la fois on s'amuse, à la fois on ressent un petit pincement au coeur... Dure quelquefois la nostalgie... de la navigation.
Port de Homps
Un p'tit tour en vélo. Nous longeons le canal jusqu'à Roubia, nous continuons sur une piste plus ou moins carrossable, mais bon, j'ai vécu pire en Touraine (hein Pascal !) ou moins y'a pas d'herbe pour cacher les ornières... Je peux les éviter. La piste redevient sympathique jusqu'à Paraza. C'est un peu étrange car les vignobles qui s'élèvent en légers coteaux trempent quasiment leurs pieds dans le canal.
Laurent me propose une échappée vers un site extraordinaire. Pour rappel le Canal du Midi ou Canal des deux mers, réalisation audacieuse (1666 à 1681) de Pierre Paul Riquet relie les eaux de la Garonne (à partir de Toulouse ) à celles de la méditerranée, jusqu’au niveau de Sètes (240 km). La Garonne à cette époque permettait malgré ses caprices l'accès au Canal des deux mers depuis Bordeaux. Au XIXème s. sera construit le Canal Latéral de la Garonne qui reliera le Canal du midi en toute sécurité. Le canal du Rhône à Sète qui prolongera le Canal du midi sera exploitable à peu près à la même époque. C'est la voie royale de la navigation fluviale qui va permettre de relier directement les deux mers sans contourner l'Espagne. Gain de temps, gain d'argent... Louis XIV (donc Colbert, contrôleur général des finances) en son temps a financé au moins le début et en partie les travaux du Canal du Midi. Il a eu raison d'y croire. Mais pas que, car inévitablement, le budget réel a largement dépassé le prévisionnel et Riquet qui était aussi obstiné que génial s'est quasiment ruiné pour mener les travaux comme il l'entendait. Un surhomme à mes yeux. Quinze ans de travaux, finalisés par Vauban, ils ont permis la mise en service du canal. Le canal du Midi est alimenté essentiellement par le ruissellement des eaux de la Montagne Noire.
Au niveau de Paraza un problème se pose. Le bief croise la rivière Répudre. L'incroyable Monsieur Riquet qui ne recule devant rien décide de construire un "pont-canal" qui enjambera la rivière. Rien que ça et c'est une sacrée première pour ce genre d'architecture. Lorsque nous nous arrêtons sur ce "pont-canal" je suis "éboustrouffée"... Les eaux tranquilles et narquoises du canal suivent leur chemin balisé, en toute quiétude, tandis qu'en dessous la Répudre roule ses caillasses, herbes et autres poissons dans un torrent nerveux et bruyant. Elle doit être rudement vexée d'avoir été ainsi contournée.
Tout ce bief est noyé dans la verdure. Nous y déployons notre royal pique-nique, on ne peut pas moins ici. La vaste clairière de chênes verts qui borde le canal est un enchantement. Oh là, là, que j'ai aimé cet endroit.
Nous reprenons nos vélos après cette pause émouvante par Ventenac en Minervois puis retour à Homps... par la route départementale, j'en ai ma claque des casse-reins du début de notre périple. Et puis cette route confortable est quasi déserte, pourquoi s'en priver... Un autre style de roulage et de paysage. Des champs, des forêts, des vignobles fréquentés par de rares engins tardifs qui piétinent entre les rangs de vigne. Les vignes deviennent rousses, quel chic. Couleurs qui signent la fin des vendanges, maintenant ça doit bosser dans les caves.
Une promenade romantique en soirée nous mènera par une large allée entre gazon et grands arbres parfaitement alignés au lac de Jouarres. Nous hésitons à venir y passer la nuit. L'ambiance chaude et calme, le désert qui règne sur cette plage, des bandes de gazon fort accueillantes... C'est bien tentant tout ça. Mais l'ambiance joyeuse du port de Homs nous plaît, et puis on a la flemme de déménager... Jouarres ce sera pour une autre fois.
Samedi 25 septembre 2021
Nous voici au nord de Carcassonne. Là encore notre instinct nous guide vers un site d'une étonnante majesté. LASTOURS.
Nous poserons nos pneus et nos semelles dans un camping désert, face à Lastours, lieu-dit le Belvédère. La patronne qui ferme la saison accepte de nous garder deux nuits.... Plein prés, dominant deux vallées, l'Orbeil et le Grésillou. Ce village s'offre comme un secret dans le creux de ses deux vallées. Nous dominons un site exceptionnel, face aux impressionnantes ruines des quatre châteaux. C'est là que Laurent va installer une fois de plus son antenne radio portable. Faut dire qu'il profite d'un super espace pour tendre sa filaire en utilisant les espaces campings vides. Un ciel bien dégagé, pas de parasites urbains, ça marchera plutôt bien. Amis om, j'en profite pour vous saluer cordialement. Je communique peu, mais je vous écoute, juste une oreille dans le monde radio-amateur... Juste solidaire de Laurent qui s'y éclate si bien.
Sur la vitre, joli décor non, ! Promis, j'ouvrirai pas le hublot !
C'est là que je vais plonger dans l'histoire sanglante et révulsante des Cathares et de leur extermination par les Croisés. Simon de Montfort un bien triste sire mène le combat contre les hérétiques. Aussi cruel qu'illuminé, celui-là. Cousinage mystique avec les Vaudois ? Ça m'intéresse prodigieusement.
Donc quatre châteaux, Cabaret, Tour Régine, Surdespine, Querhineux... Cabaret, le bûcher le plus violent de cette période barbare. Les Seigneurs de Cabaret sont des "hommes purs-dits Cathares". Sur leur éperon rocheux, ils dominent Lastours et le monde qui les encercle. On ne peut pas s'empêcher de s'émerveiller. On se laisse bercer par l'esprit troubadour qui émane de ces tours survivantes à des siècles d'érosion naturelle. Le soleil couchant inonde les deux vallées et les ruines se dressent presque dorées dans le ciel qui devient sombre.
Nous prendrons le chemin qui descend le long de l'Orbiel pour atteindre le village de Lastours. Le même que les ouvriers utilisaient autrefois. Comme c'est émouvant de les imaginer. L'ancienne usine textile sert aujourd'hui d'entrée aux quatre châteaux. C'est aussi l'Office du Tourisme. Il faut compter quasiment trois heures pour crapahuter d'un château à l'autre. Y'a des merveilles qui se méritent. Nous retournerons à bord du petit camion par la route, tout aussi déserte, qui remonte vers le Belvédère, par Salsigne ; un parcours plus reposant et lumineux avec toujours en toile de fond, ce site exceptionnel.
mardi 28 septembre 2021
Nous revoilà calfeutrés à bord et je suis vraiment songeuse. Je chipote mon café du matin. Dans ma tête, tout plein d'images du monde ouvrier à son apogée. Ambiance chaleureuse et communautaire qui liait les travailleurs aussi bien ceux de la mine d'or de Salsigne que ceux de l'usine de filature de Lastours. J'imagine les va-et-vient dans les sentiers que nous avons empruntés. Les ouvriers qui peuvent encore en parler disent qu'ils avaient de bons salaires, liés aux risques du travail ; que le boulot était varié et que l'ambiance était bonne... On vivait en fraternité ouvrière. Un monde utopique en quelque sorte, le charme de la mémoire sélective. J'y crois que moyennement à ce monde ouvrier idéal.
- Ça va trésor ?
Je fais un bond formidable sur mon siège, pour un peu, le petit camion aurait sursauté aussi.
- Oui, ça va. Je pense à Lastours, au monde ouvrier de nos grands-parents et parents.
- Et les Cathares, ils ne t'intéressent plus ?
- Si bien sûr.
Laurent passe sa main sur mes cheveux, sympathique sourire du matin. Du genre de ceux qui font des promesses, vous voyez ce que je veux dire ?
- Trésor j'ai prévu de t'embarquer dans un lieu dont tu n'oses même pas rêver. Ensuite Montolieu.
- Tu connais les lieux dont je rêve toi ?
- Quelques uns, oui et celui-là est à quelques tours de roues. Nous dormirons sur place et ensuite nous irons à Montolieu.
- T'as une idée où on va dormir ?
- Oui, et ça te plaira.
- Aujourd'hui, à 10h le matin, on sait où on va poser nos pneus pour la nuit ?
- Oui, et je suis prêt à parier qu'on y sera les seuls.
- Wouha, alors là, il va neiger. Mais j'adopte et je regarde plus la carte.
Le vent pousse aux fesses du petit camion. Il ronronne gentiment. Nous grimpons à travers la Montagne Noire. Un manteau végétal déconcertant ombre la route. Alternance de hêtres, de sapins, de robiniers, chênes verts. Des autres aussi que je ne sais pas identifier. Vaguement familiers. Mais les fougères au pied, c'est sudiste ça ? Et puis, les châtaigniers, auraient-ils imigré des Cévennes ? Les sapins, les épicéas, c'est plutôt les forêts de mon enfance... J'aime bien ce mélange de bois, car tout m'est familier. Toutes les formes et toutes les couleurs me parlent. Bientôt s'affiche "Gouffre de Caprespine". Puis s'ouvre sur notre droite, une belle aire de repos, complètement isolée. Un pré, à fleur de vallée, au milieu des arbres, paisible et désert comme je les adore. Le petit camion et moi, on est d'accord. Laurent a fait un choix formidable en venant là.
A quelques pas de là, Caprespine. Ça n'a rien à voir avec une grotte, d'ailleurs ça s'appelle un gouffre, et quel gouffre. 250m de profondeur, qu'un balcon de verre surplombe, 200 mètres au dessus du vide. Cela permet une vue incroyable sur les voûtes de calcites ciselées par l'eau qui suinte. Des lustres, des statues aux postures invraisemblables, des cierges irisés, une chambre immense qui dégage une faible lueur rôsatre, jaunâtre, verdâtre, un lac enchanteur...Je suis fascinée par les lustres en cristal, si si, ! D'accord, ils sont un peu de travers, mais c'est de l'art "néogrottique" à l'état pur. Un choc visuel et moral. Où qu'on lève les yeux où qu'on baisse la tête, c'est immense et prodigieux.
Je me sens nettement mieux soudainement. Par contre Laurent semble un peu pris de la gorge et pâlot ; sont-ce les effets humides du gouffre ?
Lorsque nous sortons de cette ambiance fraîche (14°), il n'est vraiment pas en forme. Le café exécrable du bar local va juste le rendre encore plus malade. Les yeux larmoyants, il va ruiner notre stock de mouchoirs jetables. Quant à la nuit, ouille, ouille, ouille, éternuements, ronflements d'ogre, poussées de fièvre...
Petit déjeuner sombre malgré le soleil magnifique.
- Tu veux qu'on rentre à la maison ?
- Non, il faut qu'on aille à Montolieu.
- Je sais pas ce qu'il y a là-bas, mais c'est pas oblilgé qu'on y aille.
- Si, si, j'y tiens, on peut pas rater ça.
- Wouah, t'as organisé un rendez-vous secret ?
Il tente un sourire guère convaincant, dois-je m'en offusquer ?
- Oui, enfin non, c'est pour toi ce rendez-vous.
Il se lève soudainement impatient, prêt à débarrasser le p'tit déj.
- T'as fini, on y va ?
- Attends, pourquoi Montolieu ?
- Parce que mon trésor, Montolieu c'est la cité du livre.
- Tu veux dire comme à Fontenoy la Joute ?
- Oui, j'imagine, allez bouge-toi ! Je suis presque en forme. On fonce !
J'ai rarement quitté un pré avec autant d'impatience. Laurent reprend le volant. Il semble plus guilleret mais j'aime pas les ombres sous ses yeux, son regard larmoyant et ses éternuements en cascades... Je l'observe en douce. Je suis émue, vraiment, qu'il se coltine ce détour juste pour moi. Il aurait peut-être préféré rester un jour de plus à Caprespine pour se reposer, faire de la radio. Mais je n'ose pas le lui proposer, il risquerait de dire oui. Et moi maintenant je ne pense plus qu'à la cité du livre.
Un grand parking à l'entrée du village. Je sens bien que Laurent a du mal à grimper le parking extérieur alors je retiens mon impatience pour rester à son rythme. Donc nous y voici. C'est un village moins paysan que Fontenoy, plus médiéval aussi. Tout en pierres. Ça ne manque pas de charme. (Douce pensée pour Thérèse et Michel)
Je fuis rapidement la première librairie. L'odeur de poussière et de papier mal stocké m'étouffe aussitôt. Un vrai capharnaüm que certains qualifieraient de caverne d'Ali Baba... Peut-être mais c'est irrespirable pour moi. Aurais-je des goûts luxueux de vieille bourgeoise ? Savons-nous vraiment qui nous sommes ?
Les deux boutiques suivantes sont claires, bien organisées, inodores ou presque. Ça tombe bien, je trouverai là à coup sûr Le Livre qu'il me faut pour faire le parallèle entre Vaudois et Cathares... Si, si, si, ça existe et c'est Laurent qui me le dégotte dans la cinquième boutique.
Faut que j'vous dise aussi que j'avais perdu de vue les Cathares. Scotchée au feuilletage, au humage, au palpage d'une collection de six livres "luxe", 60 ans d'âge, pas très vieux mais quel chic ! Voilà que je reste paralysée. Une folie mais à bas prix, que je trouve le moyen de négocier en y ajoutant l'ouvrage de Duvernoy sur les Cathares. Magnifique non. Si je peux négocier c'est que ces beaux livres ont deux défauts, ils ne sont pas assez vieux pour les collectionneurs .... et personne ne les achètera pour les lire. Alors, ils s'empoussièrent sur l'étagère "Je ne sais même pas depuis quand je les stocke..." dit le libraire. Il doit me trouver un peu zinzin, mais quelle importance. Et moi, je trouve que ça tombe rudement bien notre rencontre à eux et à moi. Leur couverture cuir est d'une douceur ferme et solide, les arabesques dorées à l'or fin ont un chic fou, la peau finement tannée est restée vive de couleur et d'aspect. Quelle douceur... et surtout la série est complète. De plus, dans un état qui frise la nouveauté. Leur contenu m'intéresse et je les lirai avidement. Ils ne remuglent pas l'odeur étouffante du vieux papier oublié. Le croirez-vous ? Vraisemblablement, ils n'ont jamais été ouverts. Rien que de les toucher je frémis... Alors les lire ! Je vais les ranger soigneusement au fond de mes habits pour pas les abîmer et me réjouir, me réjouir, me réjouir, à l'idée qu'à Velaux, je les sortirai du placard. Un moment de vie exceptionnel pour moi.
Montolieu est aussi le fief des artistes. Beaucoup de résidences destinées aux sculpteurs, aux peintres, aux illustrateurs et des tas d'annonces d'ateliers possibles... Mais rien concernant des ateliers d'écriture. Dommage hein Annette ! et ça me surprend vu le nombre de bouquinistes...
jeudi 30 septembre 2021
Nous longeons une rivière sympathique La Clamoux, route en lacets qui nous permet de franchir la Montagne Noire. J'avais envie de visiter Mazamet mais c'est une ville assez ordinaire. Beaucoup de boutiques fermées et à vendre. Et puis le musée du Catharisme nous a grandement déçus.
L'état de Laurent est stationnaire, il fait avec. Il ne se sent pas vraiment malade, mais il ne se sent pas bien non plus. Il se soigne au doliprane, ravinsara et un espèce de sirop homéopathique auquel nous ne croyons ni lui, ni moi... Mais j'ai que ça sous la main. Il propose d'aller jusqu'au bassin de Saint Ferréol, il a repéré un camping où il pourra se reposer.
Excellent choix. Nous reprenons donc les traces de Pierre Paul Riquet. C'est chouette la visite de ce bassin complètement artificiel. L'idée de Riquet c'était d'y concentrer toutes les eaux qui dégringolent de la Montagne Noire. De là, elles sont canalisées par "la rigole" jusqu'au point de partage des eaux d'où cette Rigole alimente le canal du midi dans les deux sens.
Vendredi 1er octobre 2021
Laurent se sent mieux. Nous quittons le bassin de Saint Ferréol pour plonger dans un monde rural qui nous est familier, prés, élevages, forêts. Les vaches rousses agglutinées les unes aux autres se protègent mutuellement du froid car il ne fait pas bien chaud aujourd'hui. Le regard 'une vache m'inspire toujours de profondes considérations.
Genre : Un regard vide n'est pas forcément un regard imbécile.
Nous ferons un dernier tour en compagnie de Monsieur Riquet jusqu'au partage des eaux et flânerons autour de l'obélisque dressé pour lui en 1825 sur le site de Naurouze, partage des eaux de Montferrand. Nous lui devons bien cette marque de respect, et puis la campagne est si belle autour du monument.
Nous n'avons pas raté le château de Saissac dont les fondations dateraient de l'an 900, légué en 960 au conte de Carcassonne.
Plus tard ce château deviendra la propriété familiale cathare de Bertrand de Saissac. Toutefois les seigneurs hérétiques du lieu se sont rendus à Simon de Montford, le triste sire, pour échapper aux représailles.
Le château est ensuite passé de mains en mains au gré des influences politiques puis laissé à l'abandon, jusqu'à ce que la ville l'achète pour le restaurer. En 1979, un trésor y a été découvert : 200 deniers, monnaie royale, datant de la fin du XIIIème siècle. Belle affaire cette ruine cathare.
Samedi 2 octobre 2021
Patrata ! Nous voilà tous les deux prisonniers de la rhinomachinchose... Laurent va nettement mieux et moi je patauge et ronchonne et toussote, et mouchote... Nous avons fait réserve de plusieurs cartouches de mouchoirs jetables, ouf... Et puis vous avez vu, le temps se couvre... Malforme, camping, pluie et tempêtes à l'horizon, le choix est vite fait.
Cap sur Velaux. Ma parole, le petit camion se sent pousser des ailes, l'odeur du foin peut-être.
Mais Laurent et moi, sommes bien déterminés à repartir au plus vite....
LA MINE DORT, L'ARSENIC VEILLE...
Nous venons de quitter Lastours à pied pour Salsigne, à la recherche d'une boulangerie. D'immenses collines, sortes de buttes dénudées, aplaties à leur sommet imposent leurs masses sombres sous un ciel parfaitement propre. Surprenant dans ce foisonnement de verdure. Que font ici ces sortes de terrils ? Nous sommes très curieux de savoir ce que cachent ces montagnes si artificielles. Et là on tombe sur les fesses. Ces géants sombres malgré leur aspect fatigué sont loin d'être inoffensifs. Ce sont les zones de stockage de l'ancienne mine d'or de la vallée de l'Orbiel, Parce qu'en France, ici même, de 1910 à 2004 ce fut un gigantesque site d'extraction de l'or à ciel ouvert. Fichtre !
Nous n'avons pas rêvé longtemps. Parce que si ce site a été le premier site de France pour l'or, il a aussi été le premier site pour la récupération de l'arsenic. Pour extraire les métaux précieux, il fallait broyer et concasser une tonne de minerai. On récupérait ainsi 7 à 8 grammes d’or… et 40 kilogrammes d’arsenic, les deux étant géologiquement liés. Les mineurs sont tous des victimes de l'arsenic. La plupart morts des méfaits de l'arsenic étaient appelés "la tribu des nez percés". L'arsenic qui entre par voies respiratoires provoque le percement de la cloison nasale. (70% d'entre eux en souffrait) On n'aime pas évoquer les risques de cancerts, de maladies respiratoires, de maladies de peau et autres dégâts dus au contact permanent de ces métaux redoutables.
Depuis que la mine a été comblée, il est toujours le premier site de pollution en France. Des montagnes de déchets toxiques sous forme de poussières ont donc été compactées dans des "bigs bags" bien connus des chantiers, et stockés à ciel ouvert, à la merci des pluies et des vents et des épisodes particulièrement dangereux de la météo locale.
Hé oui, à Salsigne on ne dépollue pas, on confine.
Un composé de poudre de roches, dont entre autres, le plomb, le souffre et surtout l'arsenic. En cet état conservés depuis 2004, date de fermeture de la mine.
C'est du lourd, comme diraient Luchini et le monde métallurgique.
L'orbiel, cette pauvre rivière qui n'en demandait pas tant est épouvantablement polluée par les résidus que la pluie ou le vent entraîne dans leur folie. Dans le village de Salsigne, et dans toute la vallée, l'air est malsain. Après les crues de 2018, 58 jeunes enfants (sur 143) révèlent des teneurs en arsenic largement supérieures aux normes sanitaires.
Par dérision, un petit ruisseau très vif de couleur opaline, couleur surréaliste de pollution, a été baptisé "la rivière à pastis".
Et puis, faut pas s'affoler, on nous annonce, que la pollution est circonscrite à http://www.desescapades.fr/drupal/sites/default/files/recomm%20orbiel.pdfune surface de 200m2. Faut-il croire qu'à Salsigne, les rivières, les torrents, le vent et les éléments respectent cette frontière ? Ouf pour Carcassonne qui est à 15 km.
Le pire se situe bien entendu à Salsigne et la vallée de l'Orbiel qui ne peuvent y échapper. Hélàs, il faut rester discret. Vous imaginez la catastrophe pour les agents immobiliers de la vallée. Plus personne ne voudrait s'installer là, si on savait. Vous imaginez la claque pour le tourisme, les artisans, les commerçants. Alors chut !
- Quand avez-vous acheté votre maison ?
- Il y a un peu plus de 6 mois.
- Et vous n'avez pas eu peur de cette pollution ?
- Non, nous ignorions tout de la situation sanitaire ici. L'agent immobier ne l'a pas évoquée.
- Et le notaire ?
- Le notaire non plus ne nous a pas mis en garde. C'est l'omerta à ce sujet. Personne n'en parle. Sauf les comités d'alerte. Les anciens ouvriers et quelques élus de Salsigne et Lascours. Ils remuent le cocotier mais y'a pas grand chose qui tombe.
- Et maintenant qu'allez vous faire ?
- Mon bébé de 16 mois est gravement contaminé par l'arsenic, mon fils de 3 ans aussi. Nous déménageons avant qu'il ne soit trop tard pour eux.
- Donc vous vendez la maison
- Oui et rapidement j'espère. Elle nous fait horreur.
- Les futurs acheteurs seront-ils informés du risque majeur de cette pollution ?
- Ça s'est le boulot de l'agent immobilier et du notaire, pas le nôtre.
En 2018 un chantier de protection du site et recouvrement des déchets avaient démarré que le Coronavirus à sabordé. En attendant que reprennent ces actions, Il suffit de vivre selon les bons conseils de l'ARS.
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Préambule : En piste pour le premier coucounet d'une petite trilogie de navigation atlantique. Les personnes qui ont reçu le premier voyage, avec Lune de Miel, vont se retrouver en terrain familier dès les premières lignes. Pour nos nouveaux contacts ce sera un peu plus difficile car il ne fait aucun doute que beaucoup de nos références sont étroitement liées à cette première et magistrale expérience de l'année 2002. Je sollicite toute votre indulgence quant à la forme et au fond des textes qui vont suivre, sachant qu'ils sont toujours écrits dans l'urgence et que peut-être la liberté de m'exprimer implique quelques savoureuses entorses à l'usage correct de l'écriture. S'il est vrai que je m'adresse à vous en vrac, ne perdez jamais de vue que j'ai la conscience aiguë de chaque personne qui va lire ces lignes, et l'un ou l'autre y trouvera de petits clins d'oeil pas forcément explicites mais réels. JanouB |
Vendredi 16 avril 2004
Il est 16 heures en Martinique. Je débarque de l'avion.Je suis encore toute imprégnée de l'ambiance du continent. Les huit heures d'avion fonctionnent comme un espèce de sas dans le temps, qui me rend à la terre. Je suis complètement décalée. C'est aussi le coeur chamboulé que je récupère mon bagage sans hâte. Quelques pas vers la sortie, et le miracle a lieu aussitôt. Laurent est là... tout entier. Le visage fraîchement repeint aux couleurs du soleil. Il y a là quelque chose de terriblement familier et de neuf en même temps. Il y a aussi l'ami Serge.V, qui s'est intensément cuivré au contact du soleil. Leurs sourires m'inondent d'un bonheur frissonnant.
En route pour la découverte du catamaran dans un mouillage tout à fait familier, le Marin. Le cata s'appelle Galatée, c'est un Catana de 13 mètres de long et 7 mètres de large à peu près. Notre habitation de Velaux montée sur flotteurs en quelque sorte.
Lorsqu'on monte sur un catamaran et qu'on pratique le monocoque, on est épaté par l'espace. Et il va falloir que je m'approprie cet immense île flottante pour quelques semaines. Ce n'est pas du tout la même chose de "visiter" un navire en faisant ou pas une promenade à bord que de le découvrir en se disant que chaque chose va devenir mienne pour un moment de vie. Que d'incertitudes !
Voilà j'ai d'emblée un gros problème; C'est un engin est beaucoup trop gros pour moi.
La première pensée intense profonde et obsédante est pour mon frère, le Jeannot de mon doux pays des Vosges. Je l'entends qui rigole dans la coursive, "ah te voilà bien... t'as l'air fine maintenant !"
Je ne pense pas encore au comportement en mer. Comme toujours quand je suis inquiète, je m'implique en douceur. Je m'avance sur la pointe des pieds, au sens vraiment propre. J'observe. Laurent très gai et très taquin, m'entraîne sur le trampoline... Il danse la dessus comme un pantin désarticulé. Je me risque avec beaucoup de prudence. Je n'aime pas que le sol soit élastique. (J'ai une pensée brève pour la Noiraude, vous imaginez la Noiraude sur le trampoline)... Je m'étale à plat ventre, il faut que je vois la mer en dessous. Comment ça se passe en navigation; Pas de panique, on est encore au mouillage. Je m'imprègne le plus possible de sensations agréables. Il y en des foultitudes sur ce cata. Il y a d'abord bien entendu cette stabilité remarquable. On ne ressent ni les remous des annexes qui secouent le mouillage, ni la houle qui sévit plus ou moins selon le moment. Il y a surtout le fait qu'on se déplace sur un espace très large, que le pont est très haut au dessus de la mer. Je peux tenir l'eau à distance et ça, c'est réconfortant. Bon, je crois que je m'y ferai à ce luxe.
Trois jours au Marin, nous y laissons Serge.V qui reprend l'avion. Un curieux moment de doutes et d'impatience pour Laurent et moi. Voilà que nous n'avons plus de chef. Aïe, aïe Aïe, nous voici livrés à nous-mêmes. Serge, au secours ... Et puis, je me ressaisis. Le temps pour moi de retrouver le chant aigu et strident des petites grenouilles translucides qui enchantent nos soirées. Le temps d'essuyer quelques grains d'eau tiède. Le temps de rencontrer Laurent, de parler un peu de ces 15 jours hors de nous-mêmes, de nous reconnaître et renaître ensemble.
Nous avions l'idée de quitter rapidement le Marin et de nous arrêter à Saint Pierre sur la côte sous le vent. Nous avions envie de retrouver quelques enchantements déjà vécus de cette sympathique petite ville. Mais j'ai le souci de la navigation en tête, et finalement je fais une autre proposition. Voilà, je gère à peu près l'espace, il faut que je me frotte à la navigation. Je suis préoccupée, il faut que je fonce... Cette grosse bête multicoques, baptisée Galatée me séduit et m'effraie à la fois. Ces deux sensations sont toujours de vrais bonheurs de vivre, et j'ai envie de précipiter les choses. Pour aller du Marin aux Saintes directement, il y a 106 miles nautiques. Une quinzaine d'heures de navigation que Laurent établit au jugée. La dessus je n'ai pas d'opinion pour le moment. Ces trois jours d'observation, de prise en compte de l'espace commence à me peser, il faut maintenant que je me frotte à la bête en mer. Je sais que la nuit ce sera plus difficile, mais une fois passé ce cap, j'aurai fait le plus dur de mon initiation. Hardi petit, c'est décidé pour le décollage. Je suis ravie que Laurent soit d'accord avec moi.
Mardi 20 avril 04
On quitte la Martinique à 13 h après le repas. Départ en douceur et sans encombre. Le guindeau est obéissant, Laurent maîtrise bien les deux moteurs.
Malgré un voilier qui sommeille au dessus de notre chaîne on part en douceur et sans stress. Laurent me laisse la barre pour sortir de la passe encombrée d'un certain nombre de cayes peu avenantes. Elles sont repérées et la lumière nous révèle leurs larges taches jaunâtres. Nous naviguons au portant. Un vent sympathique d'environ 15 noeuds nous pousse sur une mer très sage. Un vrai bonheur, on a de l'ombre dans le cockpit grâce au toit rigide que Serge.V. a fait monter à Trinidad. Nous partons pour une croisière de luxe. On dépasse le diamant qui n'a de brillant que son nom. Laurent a tracé une route à environ 5 milles des côtes car nous souhaitons échapper aux effets pervers des montagnes. Entre les sommets le vent peut débouler avec violence en s'engouffrant dans ces espèces de couloir. L'instant suivant on est sous la montagne, complètement à l'abri et le navire n'avance plus. Nous savons que cette alternance de violence et de pétole, c'est pénible voire dangereux, car imprévisible.
La journée que nous avons choisie est une magnifique journée, avec de beaux cumulus qui étalent sans vergogne leur cellullite dans un ciel parfaitement bleu. Modèle à suivre !
Nous avons Laurent et moi, installé ensemble un ris pour réduire la grand voile en prévision du canal de la Dominique que nous passerons de nuit. Le canal de la Dominique entre l'île et la Côte nord de la Martinique est un passage très musclé. La météo annonce 15 noeuds pour la journée, 20/25 noeuds dans les canaux, petite houle de 1,50m sous le vent des îles. Vent un peu plus sérieux en atlantique, jusqu'à 30 noeuds et houle jusqu'à 3 mètres. Nous on s'en fout, on reste à l'abri des îles.
A 15 heures nous traversons la baie de Fort de France, le vent est super, en dessous de 20 noeuds. On fonce à 9/10 noeuds. Belle allure. J'ai l'impression d'avancer avec une étonnante facilité. Ma parole, il ne demande qu'à avancer ce navire !
L'éolienne "grillonne" allègrement. Entendez par là, qu'elle se prend pour un grillon en quête de femelle. Elle est très sympa cette éolienne, si elle chante c'est qu'elle fournit de l'énergie et son sifflement n'est pas agressif. C'est un modèle peu courant. Je l'aime bien, elle a le mérite d'être discrète et de fournir au moins le jus pou le frigo... Navigation sans histoire avec des petites accélérations à plus de 10 noeuds. Franchement j'aime bien, et j'envisage avec sérénité la nuit. En attendant je me remplis les yeux de mes images favorites. Les poissons volants nous prennent pour un monstrueux prédateur et giclent de tous les côtés. Leur vol plané est spectaculaire. Mais la panique provoque des folies irréparables. Des fois, ils se loupent dans leur élan et retombent sur le pont; J'ai retrouvé aussi mes oiseaux favoris, les puffins aux plumes moirées. Ils volent comme je voudrais nager si jétais moins sotte. C'est pour ça que je les aime et qu'ils me rassurent. S'ils le font dans le ciel, peut-être qu'un jour je le ferai dans l'eau. Quelques battements tranquilles avec les bras, un long moment de plané relaxe, quelques battements, une nouvelle pause. De jolies boucles dessinées dans le ciel en toute harmonie. Quel bonheur !
Je reconnais émue le joli clocher de Saint Pierre et ses maisonnettes empilées au pied de la Montagne Pelée. Quand à la montagne elle se cramponne toujours aux nuages gris et lourds et les empêche de tomber. Qu'elle les garde. C'est très bien ainsi. Après Grand rivière on est à la pointe nord de la Martinique, le relief s'aplatit et le vent s'engouffre dans notre voilure. Sa vitesse dépasse les 25 noeuds et la mer se forme. C'est l'effet du canal de la Dominique. On y entre un peu trop vite pour mon goût, mais je m'abstiens de couiner. Tout de même pas dès le premier jour. Je reste donc stoïque, j'observe la mer, je surveille les flotteurs, les cabrures du navire, et j'ouvre grand mes oreilles. Il est 19 heures, le soleil est couché mais des lueurs bleutés éclairent toujours le ciel. La mer devient très sombre.
Brutalement l'effet atlantique nous tombe dessus. On a beau le savoir et s'y attendre, nous subissons quelques minutes de doute Laurent et moi. Le spido monte à 12 noeuds, le vent apparent grimpe à 28 noeuds. On est au travers. Les vagues frappent sans relâche le flotteur tribord. Et la houle atlantique déborde ici avec fureur; Autant s'y coller maintenant pour une deuxième prise de ris. Lumière de pont pour éclairer la manoeuvre et qui nous plonge dans le noir absolu; Je déteste ça. Laurent s'équipe, ciré car ça mouille sérieux sur le pont, harnais, ligne de vie, pour aller au pied du mat, libérer le premier ris et installer le deuxième croc. Quant à moi je me cramponne aux différentes drisses et écoutes et j'obéis aux ordres. Opération réalisée en un clin d'oeil. Une fois que nous avons roulé environ 2/3 du foc, la navigation devient nettement plus confortable.
Canal de la Dominique, Galatée et son équipage partent à l'assaut de tes caprices !
Les vagues de la grande mer, s'engouffrent dans le canal et de jolis creux d'environ 3 mètres s'écrasent sous notre tribord. C'est pas le moment que je choisirais pour aller gambader sur le filet entre les deux flotteurs, mais à l'arrière, abrité des vagues on se laisse chahuter sans trop souffrir. Par contre les vagues qui foncent par le travers font un boucan de tous les diables. Elles provoquent aussi un espèce de tourbillon qui bouillonne violemment à l'arrière de chaque flotteur. Je n'aime pas trop ce raffut de chute d'eau qui dégringole. C'est franchement pénible. J'ai renoncé à descendre dans les toilettes, je crois que l'escalier m'aurait jetée par terre.
Nous, jusqu'à maintenant on naviguait en 2CV. Ca gite dans les virages, ça cahote gentiment sur les bosses de houle, mais ces mouvements là nous sont familiers et presque tendres la plupart du temps. Et nous voilà dans un 4x4 qui saute et rebondit, mais pourquoi suis-je venue me perdre dans ce bouillon.
Regardons vers l'avant, et oublions....Donc je me cale et je scrute la nuit. Les étoiles peu à peu s'allument et le ciel diffuse une lueur appréciable. Si je vois les étoiles, il n'y a pas de grain en vue. Parce que ça, au milieu du canal, j'aimerais vraiment pas. La mer se confond avec le gris de l'horizon.
Un peu dur tout ça, mais il n'y a pas de danger. Lorsque nous approchons de la Dominique, notre vitessse d'un coup tombe à 6 noeuds. Rapidement, nous sommes à l'abri de la terre, Galatée se calme, nous aussi. La houle reste un peu dure. On renvoie ensemble notre voilure avec facilité.
On croise peu de bateaux. Longer la Dominique ne pose aucun problème. C'est une belle nuit sans lune mais riche en étoiles. La voie lactée nous éclaire superbement. Le long de l'île nous croisons une dizaine de navires qui pêchent au "lamparo". Mais ils suivent tous le même rail, ils sont parfaitement alignés à plus de trois miles de nous. Nous les gardons à l'oeil, mais ça ne pose aucun problème; Nous dormons une heure chacun. A une heure du matin, plus un pet de vent. On se met au moteur, et Laurent en profite pour faire un peu d'eau avec le dessalinisateur. Ce dessal est une installation très fastidieuse à mettre en fonctionnement et je crains de ne pas m'y faire. Alors que c'est si facile sur Lune de Miel. Pour la traversée j'achèterai quelques bouteilles d'eau au cas où...
Le jour se lève lorsque nous passons en douceur et à la voile le canal de Guadeloupe à environ 7 noeuds de vitesse. Je vous offre ce premier lever du jour en vue des îles de Guadeloupe. Il est 5 heures du matin.
La voie lactée s'éteint la première, puis les étoiles progressivement. Le ciel devient gris clair, une lueur rosée qui vient de l'Est enrichit les nuages.
La mer devient couleur de bronze à l'avant du bateau. Au travers et à l'arrière elle est comme couverte de cendres brillants. L'écume éclate de jolies nappes de mousse rose sur ce gris anthracite. C'est une vraie merveille. Jusqu'à ce que le soleil tout d'orange vêtu éclate d'un coup à l'horizon. Je me sens délicieusement bien, dans peu de temps nous serons en terrain familier, les Saintes.
Mercredi 21 avril. 6 heures du matin.
Nous abordons les Saintes par la Passe des Dames. Laurent à la barre et moi scotchée devant l'écran PC à lire la carte et le guider à travers les cailloux. C'est un endroit remarquable, la passe n'est pas large mais facile.
Il y a peu de monde aux Saintes. Et c'est toujours aussi magnifique. Je vous raconterai plus tard. Maintenant j'ai sommeil et Laurent aussi. A la prochaine !
Demain départ pour Déshaies. C'est de là que partira ce message.
Janou
Proverbe du jour : " Lorsque l'éolienne grillonne, c'est l'équipage qui frissonne "
Il faut vraiment faire une pause aux Saintes. La vie de village y est tranquille, géniale même à bien des égards ; ça me rappelle Porquerolles. Mais les navettes y sont plus rares et les touristes aussi. Ce qui est génial ici, c'est la population. Il n'y a pas eu de trafic d'esclaves comme dans le reste des Caraïbes car l'île trop sèche n'est pas favorable à la culture. Ce sont donc essentiellement des Bretons pêcheurs qui ont colonisé l'île. Il n'y pas de métissage ici. C'est très déconcertant d'aborder une grande femme rousse à peine halée qui vous répond avec les incroyables formules créoles. Ah, le piège des apparences ! Vous vous rendez-compte, ces personnes ont la même allure que nous, de gens civilisés, et ils parlent comme des nègres. Leur langage créole à quelque chose d'indécent qui n'est pas à sa place. Je me moque un peu de je ne sais pas qui en écrivant ces lignes, mais j'adore cette manière d'être déconcertée. Sentiment instantané qui fond aussi vite que du café soluble une fois prise l'habitude de croiser tous ces visages souriants et sympas.
La baie qui encercle le bourg est un mouillage extraordinaire. Les maisonnettes aux toits rouges et blancs bordent la plage à l'abri des palmiers. Au nord, la Guadeloupe étale ses immenses forêts de manguiers, tamariniers et flamboyants en fruits. La pointe grise des sommets se noie sous les nuages. Où que se portent les yeux, je me laisse bercer par une vision de rêve. Je fais partie d'une magnifique carte postale.
Dans la soirée, Laurent m'offrira à terre, le cocktail de fruits crémeux, saveur dominante de fruits de la passion et mangues, à peine acidulé par un peu d'orange et délicieusement rehaussé d'un peu de gingembre. Je me souvenais de ce délicieux breuvage, et ce n'était pas un idéal, il existe pour de vrai et c'est au bourg des Saintes.
Jeudi 22 avril 2004
Nous quittons les Saintes avec un petit pincement au cœur, mais nous avons une belle promenade d'environ 40 miles à faire le long de la Guadeloupe. Perspective très réjouissante;
Il est 10 h30, Nous traversons la baie de Pointe à Pitre à 6 nœuds sous un ciel cotonneux. Promesse d'une belle journée sans grains. On s'y loverait...
Encore que le ciel de Caraïbe soit souvent volage. La galette sombre de Marie Galante disparaît dans l'horizon. On part plein vent arrière avec juste la grand voile et la bôme prise par le palan de retenue de baume. Je suis enthousiasmée par ce palan et je vais tanner Laurent dès notre retour pour qu'il nous équipe ainsi. Le cordage improvisé que nous utilisons sur Lune de Miel nous a souvent joué des tours. Leçon de sagesse à retenir,
Merci Serge !
Côte sous le vent de Guadeloupe, nous reconnaissons le joli village de Rivière Sens, prémices de Basse Terre noyée dans la verdure. Les effets de couloir des montagnes qui dominent provoquent des rafales qui déboulent à 27/30 nœuds de vent. (La Soufrière culmine à plus de 1400 mètres et les montagnes le long des côtes varient de 600 à plus de 700 mètres pour les 3 Mamelles au nord de l'île). On a réduit la voilure, un jeu d'enfant car on l'a prévu assez tôt.
Nous sommes en terrain familier et on connaît les facéties du vent tout le long de la Guadeloupe, même à 3 miles de la côte. On avance à 9/10 nœuds, au grand largue. C'est vraiment la meilleure allure, quel que soit le navire. La houle ici n'est pas trop gênante, bien qu'annoncée 3 mètres en mer. Faut quand même que la terre nous abrite au moins de ça !
A 12h45 nouvel effet de terre, panne totale de vent. On roule le foc et en avant le moteur pour une petite heure de dessalinisateur. Décidément, ça fait trop de raffut cette installation, faudra pourtant que je m'y fasse. C'est appréciable, l'eau douce courante... Et puis il est performant cet appareil, il paraît qu'il produit 150 l/à l'heure. Le nôtre est vraiment discret, mais il ne produit que 60 l/L. A chacun ses priorités n'est il pas ?
Le vent revient à 14h45, avec bien entendu de nouvelles rafales à 28/30 nœuds. Les sommets sont noyés dans la noirceur d'un grain qui ne se décide pas à décoller. Nous naviguons au portant, l'éolienne grillonne follement et le navire s'envole. On reconnaît les mouillages sympathiques déjà repérés avec Lune de Miel, quand on était en vacances et qu'on avait le temps de folâtrer aux Trois Tortues, à l'anse de la Barque...
15 h 30, Encore un effet dévastateur des sommets, d'un coup le vent tourne et passe à 33 nœuds. Pas la peine de perdre du temps pour une navigation au près qui devient vite inconfortable. On repart au moteur d'autant plus volontiers que nous pouvons envisager de ferler nos voiles. Nous sommes à 3 miles du mouillage, les premières maisons s'alignent sur les coteaux. Mais la houle nous secoue pas mal. Nous sommes vraiment soulagés d'entrer dans le mouillage. Y'a plein de places, on peut aligner 60 mètres de chaîne et ce n'est pas du luxe ici. Le mouillage est un goulet entre les collines, gare à l'effet venturi, d'autant que la journée de demain est annoncée pluvieuse et ventée, ....
C'est joli Déhaies. On s'y sent très très bien. C'est aussi un petit village, deux rues principales et parallèles dont une le long de la baie ou s'alignent les commerces.
Quand le soleil se couche, Laurent et moi, nous nous étalons sur le trampoline. Il fait doux, le vent nous caresse les fesses sous les mailles du filet. Nous rêvons l'un contre l'autre et les étoiles s'allument dans notre ciel.
Samedi 24 avril 2004
Le téléphone sonne juste après notre petit déjeuner. Une gentille nymphette annonce sa visite en fin de matinée. La jolie Marion viendra partager notre repas. Un agréable moment de rencontre entre passé et avenir. Merci, mille mercis, amis Danièle et Lucien de nous avoir adressé ainsi votre joyeuse présence.
14 heures, nous rendons Marion à la terre et à ses fantastiques projets de voyage avec Luc et nous décollons pour une virée de 120 miles vers Saint Barthélemy, notre remontée vers le Nord.
Les branchés de la "nav", ils disent St Barth comme d'autres auraient dit, St Trop... En ces quelques mots je vous donne un aperçu de L'île. Mais d'abord y'a de la route à faire. Et quelle route !
Le vent nous cueille à bras raccourcis dès la sortie du mouillage. Toujours de travers, on démarre à 7/8 nœuds pour rapidement passer à la vitesse qui secoue, plus de 10 nœuds. L'anémomètre affiche rapidement 33 nœuds, on s'amuse à prendre un deuxième ris. Histoire de s'étirer un peu les muscles défraîchis; La grand voile tombe toujours facilement et ça ne pose aucun problème. On roule presque la moitié du foc. Nous passons à 8/9 nœuds mais nous avons l'impression que les vagues nous frappent plus brutalement.
Jamais je n'aurais imaginé un tel boucan avec si peu de houle, elle est annoncée moins de deux mètres. C'est franchement inconfortable mais le ciel est magnifique, que des bons nuages blancs dans un ciel parfaitement bleu. Je me cale donc le mieux possible à l'arrière du cata. Et je me laisse secouer et balancer et ballotter comme sur des montagnes russes. Après tout y'en a qui paie pour ce genre de sensations à terre.. Réjouissons-nous camarades, ça secoue et même quelquefois ça mouille...
Nous sommes rapidement en vue de Montserrat. Le soleil couchant derrière l'île traverse les lourdes fumées noires du volcan qui bouillonne au sud. Lorsque nous arrivons sous le volcan, il se fond dans la nuit. Les sorcières sont en vacances et le chaudron magique ne rougit pas sous les flammes. On voit nettement les larges coulures refroidies des coulées de lave qui balafrent le versant est. Le paysage est dévasté, désolé, triste et noir, tout paraît à l'abandon. A l'Est, même la longue silhouette d'Antigua se dissout tristement dans l'horizon. La lune montante diffuse une lueur blafarde qui blanchit la mer à bâbord. A tribord, l'écume festonne sous les étoiles de bien jolies phosphorescences.
On se félicite Laurent et moi d'avoir pris nos deux ris pour la nuit. Car le vent ne faiblit pas et même il nous arrive de grimper à plus de 9 nœuds. On s'installe à tour de rôle dans le carré pour un moment de détente, dormir pas la peine d'y compter. Le bruit est infernal. Les vagues qui viennent du travers se cognent dans les flotteurs, elles giclent sous la coque, d'énormes coups de masse qui font vibrer tout le navire. La vaisselle dans les coffres est prise de folie, gling gling grincent les tasses, glong, glong, résonnent les casseroles... Et l'éolienne grillonne à grands tours de pales.
Quelle nuit de folie !
Dehors, mais dehors c'est nettement plus chouette. D'accord, ça secoue et on tibube... mais le navire file sa route tout droit entre les îles sans s'accorder le moindre écart.
A 3 heures du matin, les lueurs de St Barth s'allument à l'horizon. La Grande Ourse culbute au-dessus de l'île. Quel merveilleux chargement verse-t-elle ainsi juste sur St Barth avant de sombrer à l'Ouest ?
5 heures du matin, le jour se lève, les étoiles se sont éteintes, et la lumière devient bleutée. Nous dépassons le mouillage urbain de Gustavio, nous contournons de sympathiques rochers aux allures étranges. Les îles qui embrassent St Barth nous accueillent à bras ouverts dans leur creux douillet. Depuis notre dernier passage, la zone est classée réserve marine, et des bouées gratuites ont été installées pour les plaisanciers. Ca c'est de la vraie protection de l'environnement.
Bon, moi, je me pieute, à bientôt !
Dimanche 24 avril 2004.
Nous n'avons dormi que deux heures ce matin. L'impatience de profiter de St Barth a eu raison de notre fatigue et nous a jeté en bas de notre couchette un peu trop vite. On est tous les deux vasouillard. Mais la magie du lieu nous remet d'aplomb dès qu'on s'installe pour un petit-déjeuner de luxe dans le cadre magique du Colombier.
Quel endroit magnifique ! Les eaux sont d'une pureté incroyable et des reflets tantôt outremer intenses, tantôt brillance de l'émeraude sont émis par les fonds. Les tortues viennent zoner autour de nos flotteurs. Je suis hypnotisée par leurs facilités de déplacements. Des mouvements très mesurés de mémères en promenade et une allure très vive, pleine de charme, ah que j'aimerais savoir nager comme ça. Leur petite tête pointue qui se dresse comme un périscope, avant qu'elle replonge pour nager entre deux eaux. C'est vraiment rigolo.
En fin de soirée Laurent qui flâne sur les fréquences radio-amateur BLU, entend notre ami André, VA3AF, au Québec. Nous en profitons pour lui annoncer notre présence prochaine sur le Réseau du Capitaine. Pour rappel le Réseau du Capitaine est une assistance formidable pour les navigateurs radio-amateurs qui assurent ses vacations depuis le Québec. Nous nous retrouvons tous les jours, en fonction de notre position, de la route parcourue et du cap prévu, ils nous tracent notre carte météo remise à jour en permanence. C'est pour Laurent et moi une aide de navigation inestimable. Mais c'est bien plus que cela. C'est un contact chaleureux, souriant, parfaitement fiable. C'est un fil palpable entre nous et la terre, c'est une équipe de potes. C'est la magie du fonctionnement radio-amateur dans toute sa force et sa générosité. Il n'y a que des radio-amateurs pour assurer comme ça ! Ce sont les mousquetaires du fil qui chante. Vous avez du comprendre combien je les aime. Quel bonheur de les retrouver !
Lundi 25 avril 2004.
Nous quittons L'île paradisiaque de Saint Barthélemy à 10 heures du matin. Nous avons un peu plus de 20 miles à faire au portant pour atteindre la baie de Marigot à St Martin. La mer est un peu agitée mais notre allure en vent arrière est franchement géniale. Les vagues arrivent avec juste ce qu'il faut de vigueur pour nous pousser aux fesses. Le foc seul nous permet d'avancer à plus de 5 nœuds. Cette allure me comble. C'est l'amble du chameau. On balance gentiment d'un bord sur l'autre, les vagues se défrisent le long de notre coque. Elles y perdent leur couleur et leur vivacité. C'est trop bon !
Laurent envoie une petite heure de moteur pour refaire un peu d'eau douce. Quel soulagement quand on revient à la navigation à voile !
Depuis que je pratique le catamaran de Sylvie et Serge, c'est la première navigation vraiment idyllique que nous partageons Laurent et moi. Ce qui me permet enfin de croire en des moments extraordinaires pour les prochains jours.
Nous faisons le plein de gasoil à notre arrivée à Marigot. Demain nous nous préparons psychologiquement, intellectuellement, et techniquement pour la traversée. Je vous enverrai un mot rapide pour vous dire quel jour est prévu le départ.
Saint Martin.
Nous nous sentons merveilleusement bien dans la baie de Marigot. Nous retrouvons avec enthousiasme tous les charmes de Saint Martin avec bien sûr une multitude de rappels concernant notre précédent passage avec notre ami Serge F de Stenella; Vous nous manquez Stenella et toi, ami Serge, je t'embrasse fort en passant.
Le vent fonce à 25/30 nœuds de manière très soutenue dans le mouillage. Ce n'est pas pratique pour aller à terre. Mais ça amuse follement Laurent. Et moi bien entendu je ronchonne parce que, avec l'annexe si on ne veut pas se faire inonder par les vagues de face, il faut mettre des gaz. Comme vous savez, le cheval au galop, ce n'est pas mon truc !
Nous avons fait le tour des cata pour voir si on trouvait un pote de traversée. Mais la plupart retournent vers les Bahamas. Nous ferons donc route avec le Réseau du Capitaine, pour nous soutenir...
Hier a été une sympathique journée de loisirs tranquilles, en ville avec un peu de magasinage, reconstitution de l'avitaillement en produits frais, après-midi musique dans la fraîcheur de la cabine, et soirée resto dans la Marina Royale de St Martin.
Ici s'achèvent les vacances, on entre dans le vif du sujet. Notre boulot maintenant, c'est de rapatrier Galatée aux Açores... avec pour le moment un vent annoncé de l'Est, 15/20 nœuds. Nous ferons donc route vers le Nord pendant quelques jours...
Nous décollons aujourd'hui dans la matinée, après avoir envoyé ce message et organisé le navire pour la traversée. Pour le moment je baigne dans une douce impatience, un peu d'appréhension aussi.
Dans 15/20 jours, à notre arrivée, je vous adresserai une nouvelle tranche de vie comme nous les aimons Laurent et moi..
Nous étions une fois, deux rêveurs...
A bientôt. Janou B
Mercredi 28 avril 2004 "18°O5'N - 63°06W"
jusqu'à Horta, Ile de Faïal, 2300 nautiques.
Nous aimons tant St Martin que l'idée de quitter une nouvelle fois cette île accueillante nous rend un peu tristes. Mais il y a en vue une longue traversée avec tout ce que cela implique de surprises, bonnes ou mauvaises, d'espaces libres et d'abandon à soi-même. L'instant d'avant le départ, est un moment unique où se culbutent toutes sortes de sentiments contradictoires. Ils nous inscrivent dans une dynamique de départ très troublée. Un peu d'effervescence mais pas trop, beaucoup d'anxiété et quelque impatience.
Un de mes amis dit : "ce que je préfère dans la navigation ce sont les escales". Moi j'aime bien les escales, mais ce n'est pas le meilleur de la navigation. Le moment de vie le plus intense, le plus riche, le plus prometteur, celui que je préfère, c'est le moment du départ. Et nous y voici, en plein dedans.
On liquide quelques détails matériels.
- Ce barbecue fixé sur le balcon arrière, tu crois qu'il est utile là où il est ?
- La planche à voile, surf et tout le bazar qui va avec, est-ce prudent de les laisser le long des filières ?
- T'as remarqué que la vaisselle en opulence empilée comme elle peut, nous tombe dessus dès qu'on ouvre une porte. Est-ce que je peux virer les verres à champagne, les muggs, coupes à dessert, thermos en tous genres et autres futiles objets de salon ?
- Les gilets de sauvetage ousse qui sont ?
- Voyons l'inventaire du bidon étanche de survie : Gps portable, quelques biscuits, deux bouteilles d'eau, les fusées portables, des petites jumelles, le couteau suisse, de la ficelle, la VHF et des piles de rechange. Donc, nous sommes bien prêts : les gilets de sauvetage sont sous la table du carré, y'a qu'à tendre la main pour les prendre. Les pilules anti-mal de mer sur la table...y'a qu'à... On a sérieusement revu l'arrimage des planches à voile, j'ai soigneusement empilé dans une caisse toute la vaisselle inutile.
Au moins on se fera pas amocher par un coup de verre à pied intempestif.
Et puis le plus important de tout nous avons pris rendez-vous radio avec nos amis du QSO du Capitaine, et ça aussi c'est un rude morceau de chance de les avoir avec nous, disponibles, chaleureux, efficaces, et de si joyeuse compagnie. C'est ici que je vous salue du fond du coeur chers Amis, André, Pierre, Jean-Yves et Michel, car vous faites bien partie intégrante de cette traversée.
11 H tapantes, doux ronronnement de moteur, Laurent à la barre, je lève l'ancre. Tout est en ordre, je jette un regard déjà nostalgique sur la magnifique baie de Marigot qui m'échappe définitivement. Adieu les Caraïbes...
Nous envoyons la voilure avec deux ris dans la grand voile.Et bien entendu Ami Serge de Stenella tu es fort avec nous à cet instant précis.
Pourtant, très vite, la navigation nous bouscule et chasse nos états d'âme.
Nous partons par vent d'est, 25/27 noeuds réels, donc ça pousse fort. La houle annoncée, 2,50 M nous chahute mais nous savons que le départ est souvent assez chaud. Nous devrons négocier la longue passe le long d'Anguilla avec le vent presque de face. Normal n'est-ce pas ? Cependant Galatée remonte magistralement au vent. Si ça trouve on passera en tirant deux longs bords bien ajustés. A 14 heures on frôle la pointe d'Anguilla mais en s'aidant des moteurs ça passe impec. On s'en tire plutôt bien.
La mer ne nous accueille pas gentiment du tout; la houle frappe sauvagement, surtout une fois qu'on est au large. De trop grosses vagues passent par dessus bord. Elles fouettent l'avant, jaillissent le long des filières en gerbes immenses et s'écrasent jusqu'à l'arrière. Une vague plus virulente que les autres passe par dessus le rouf, une cascade ruisselle le long de la paroi du cockpit. La porte du carré et le grand hublot au dessus de la cuisine se transforment en cascade de pluie. Impressionnant tout ça. Rafraîchissant mais pourvu que ça ne dure pas trop longtemps. Galatée avance d'une démarche très chaotique. Un pied sur la crête d'une vague, l'autre dans le creux, la suivante qui nous bascule sur l'autre bord. C'est très casse figure tout ça.
Et on se la casse la figure...C'est une très dure journée qui voit les îles se dissoudre dans une ombre de plus en plus grise puis se confondre entre ciel et horizon.
La nuit tombe à 18h30, je suis toujours un peu inquiète de savoir les nuits aussi longues en début de traversée. Nous avalons une soupe, et blottis l'un contre l'autre nous surveillons les étoiles, puits de lumière qui jaillissent de la nuit. A minuit le radar prend la relève. On s'allonge chacun sur une banquette du carré. Pas tranquilles du tout les deux navigateurs, pourvu qu'on entende l'alarme.
On ne se rend pas trop compte dehors, mais dedans, le bruit est infernal. C'est vrai qu'on navigue au près serré. C'est vrai que la mer est très agitée et que les vagues s'engouffrent et s'écrasent avec violence entre les deux flotteurs. Quand j'étais petite je dormais avec ma soeur et ma mère dans une chambre dont le mur était mitoyen avec l'écurie du voisin. Toute la nuit on entendait les chevaux qui battaient du sabot. C'était des chocs sourds, profonds et réguliers. J'aimais bien, ça faisait partie de mon environnement;
Au début le choc des vagues contre la coque me rappelle cette ambiance; C'est presque sympa. Mais je suis à peine endormie que je me réveille en tremblant de frayeur. Il n'y a plus l'un ou l'autre cheval qui se défoule une patte, mais toute une cavalerie qui se culbute sous la coque. Quelle violence, mais ils vont passer à travers le mur ces crétins ! Les effets secondaires à l'intérieur sont dignes de l'exorciste. La table se soulève et reste suspendue quelques instants dans une vibration effrayante. Je reçois des formidables coups sous les reins qui me lèvent de ma couchette. Ma couette serait-elle en lévitation ? Certains chocs, vibrent avec tant de violence que le navire donne l'impression de se cabrer, de déraper. On reste suspendu à un fracas épouvantable. Si un instant d'accalmie nous permet un répit, un semblant d'endormissement, je suis réveillée par une larme qui tombe du plafond directement sur mon nez, sur mon oeil, sur ma bouche, dans la cou. Impossible d'échapper à cette goutte qui tombe avec la régularité d'un métronome. Cette nuit chaotique nous jette dehors épuisés bien avant que le jour se lève. Nous restons blottis à l'arrière calée dans les pare-battages en guise d'oreiller. Et nous grelottons.
L'horizon se teinte rapidement de rose, la nuit devient bleutée. A Quatre heure et demi, le jour se lève. Ouf on va revivre. Le cauchemar est fini. Tu parles !
A 6 heures, le soleil me réchauffe gentiment. La mer est toujours aussi peu sympa; Une houle profonde d'environ 3 mètres nous ballottent d'un bord à l'autre, les petits plis de surface, houle du vent, se lèvent, se fondent dans la grande vague avant de s'écraser sous Galatée. l'écume déroule ses frisettes et fait la belle, mais elle ne me charme pas, pas du tout. Et pourtant. Les vagues se cassent sur l'étrave et retombent en pluie. Des perles diamantées pleuvent à bâbord. Le soleil doucement se lève à l'est. Entre deux eaux, juste sous mes yeux apparaît dans la nuit de la mer, un magnifique arc en ciel sous marin. Il prend pied je ne sais où dans le flou des profondeurs et son arche magistrale s'arrondit juste sous les vagues.
C'est juste une apparition. C'est magnifique parce que c'est fugitif. Alors je passe un temps fou, à traquer ces mirages de couleurs. Si les conditions n'avaient pas été aussi difficiles, il n'y aurait pas eu les retombées de l'étrave et je n'aurais jamais eu cette chance inouïe de naviguer entre des arcs en ciel qui flottent sous l'écume.
Un vague chatouillis dans l'estomac, une paresse insurmontable m'envahit. Il est temps de traiter le mal de mer. Laurent attend que je me ressaisisse pour faire le tour du navire et s'assurer que la nuit n'a pas trop maltraité notre embarcation.
Aïe aïe aïe. Les fonds, absolument tous les fonds sont inondés. On s'aperçoit alors que l'eau passe dans toutes les cabines à travers les joints des hublots, les plafonds gouttent, y'a aucun doute. Oui mais où encore pour qu'il y en ait autant de l'eau ?
C'est le début d'une routine de pompage à surveiller, toutes les quatre heures et une fois au milieu de la nuit. Avec des sandows et des cordages Laurent serre comme un malade les hublots dans leur logement.
Efficace ? Pas sûr mais quoi faire d'autre pour limiter les dégâts ?
On attaque le deuxième jour. A 11h du matin, nous avons parcouru 145 MN. On ne doute pas de faire mieux, c'est encore notre galop d'essai. Dans la matinée, la mer se calme un peu. La navigation devient nettement plus praticable. On reprend confiance. Notre moyenne est de 8 noeuds. Sympa non ?
On se rend compte vers 10 heures que quelque chose ne va pas dans la grand'voile; on dirait par exemple qu'elle est molle le long du mat, qu'elle bagotte, qu'elle est bizarre. Observations, il y a deux coulisseaux qui voyagent tout seul en ascenseur. Une réparation d'urgence s'impose. Nous décidons d'affaler la grand voile et d'avancer en s'appuyant juste sur le génois. Deux sangles qui tiennent la voile aux coulisseaux sont en ruine et l'un des oeillets est arraché. On répare donc, en avançant tranquille sur la pointe du foc. Dans la foulée, Laurent resserre tous les goujons des lattes qui en ont ma foi grand besoin.Et ça repart. Avec une mer très variable qui nous malmène comme elle veut. On serre les dents et les fesses. Ca finira bien par s'arranger.
J'ai souvenir d'une traversée il y a deux ans, dans la pétole, sur une mer d'huile. On bronzait en lisant au soleil ou en comptant les méduses à voile.... Dans quel monde était-ce donc ?
Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DES VOSGES
- Coucou, la Denise, t'es là ! Hé oui, me revoilà, tu vois je pense toujours à toi. (Bon, je me présente pour ceux qui me connaissent pas. Je suis "Ouin-Ouin", c'est moi, le Bon Canard ! Je m'appelle Ouin-Ouin parce que j'étais trop pressé de naître. Quand j'ai cassé ma coquille, mon bec était pas tout à fait sec. J'ai amoché le C de mon bec et depuis je souffre d'un défaut de prononciation. Y'en a qui disent que ça me distingue; J'aime bien l'idée d'être distingué.)
Donc pour revenir à vous autres ma parentèle, figurez-vous que j'ai eu un sacré morceau de chance en trouvant cet équipage qui voulait bien m'embarquer. Ils sont du pays. C'est fou les hasards de la chance non ?
Ils me laissent quelques lignes ici en disant que c'est ma place, parce que je suis un porte-plumes...Je pense que je n'aurai pas de problèmes avec cet équipage. Ils ne répondent pas à mes questions, mais j'ai l'habitude. Je ne trouve jamais quelqu'un capable de "oin-ouiner" avec moi. C'est pas compliqué d'inventer des réponses et j'en suis toujours content.C'est super les Antilles. J'ai fait de belles rencontres, les plus belles au hasard des mares et des fontaines. J'y retrouvais des cohortes de grenouilles créoles qui ont piaillé comme des poules effarouchées au début qu'elles m'ont vu patauger dans leur eau. Elles sont si petites que j'ai été très surpris par le raffut qu'elles ont fait; Elles sont terriblement farouches. Mais à force de se tremper le derrière dans la même eau, nous sommes devenus intimes. Elles ont repris leur joyeuse modulation de contralto et moi je tortillais mon petit derrière en cadence. "Que d'amours splendides j'ai rêvées..." J'ai fini toutefois par être repéré par les humains. Au regard concupiscent qu'ils jetaient sur moi j'ai bien compris qu'ils me voyaient comme un goûteux poulet. Je ne veux pas finir en canard boucané. Il est temps que je reprenne le chemin de la basse cour. C'est pour ça la Denise, tu vas bientôt me revoir. Mais pour le moment faut que je m'installe à bord. Y'a un bazar pas possible dans mon plumier. A plus...
1er mai 2004 "26°16 N - 62°40 W".
Reste 1890 M/nautiques ...
Le vent nous mène plein nord. Laurent pense que nous devrons peut-être aller vers les Bermudes, si les conditions ne changent pas. Si on fait ça, je n'aurais jamais le temps de venir jusqu'aux Açores avant le 23 mai... Quelle cruelle déception pour moi. On passe la matinée à réfléchir à cette option. La mer par moment est noire et les vagues nous inondent sans ménagement. Nous ne quittons pas les cirés. Je suis souvent gelée. Les gélules du docteur Van Gaelen sont remarquables. Je me sens bien, à condition de rester dehors. Je suis interdite de séjour dans le carré, je n'y survis qu'en position horizontale. C'est donc Laurent qui se coltine, les repas, les vaisselles, les liaisons radio... Aussi bien, si j'étais seule, je ne me nourrirais que de thé et de yaourth. Mais il est là, attentif, et s'occupe magistralement de mon bien être. Moi je le seconde sans problème à condition que ce soit dehors. Il est sympa à mener ce catamaran. Tout est accessible, prises de ris, affaler, hisser, border, choquer. On fait souvent les manip car le vent n'est pas trop régulier. Mais c'est sympa, on s'ajuste sans arrêt au vent; On avance vraiment bien. Le rêve secret de Laurent c'est de dépasser un autre navire. (par exemple on dirait que c'est une régate et qu'on sera arrivé pour les crêpes...) Mais dans ce monde on ne voit personne, on n'entend personne.
L'univers est à nous tout seuls.
Le vent passe à l'Est. Youpi, on va enfin prendre le cap des Açores. On réajuste notre voilure.
A 16 heures un phénomène nous échappe. On sent que quelque chose change dans notre allure. Le foc commence à battre. Le pilote annonce "of course". Une saute de vent nous ferait-elle malice ? Le pilote va bien redresser la barre.
C'est son boulot. On attend. Le spido annonce 0 noeud. C'est l'opulence. Notre pilote automatique se serait-il endormi sur la barre ? Non, les voiles se regonflent, on va bientôt repartir. Voilà, le navire se met en branle. vous le sentez qui bouge ? les voiles sont gonflées... Oui mais on fait toujours 0 noeud... Coup d'oeil machinal vers le sillage... Au secours, on recule....
Galatée, le cata-strophe est de retour. C'est la ligne de pêche qui bien entendu se prend dans une dérive ou dans un flotteur ou pire dans l'hélice... La réflexion est vite menée. Agissons avant la nuit. On se met à la cape.
Autrement dit, on vire de bord avec le moteur tribord en prenant soin de laisser le génois à contre. L'équilibre entre la poussée de vent sur la grand voile et sur le génois à contre arrête le navire. On remonte la dérive, on récupère du mou dans la ligne, on la dégage du flotteur, mais pas de chance, il semble probable que des tortillons sont pris dans l'hélice. Faut que tu te mouilles ami Laurent ! Il décide par commodité de plonger tout nu. Pendant
qu'il se déshabille, j'assure un cordage autour du flotteur pour lui donner une main courante sous l'eau.
- Tu devrais mettre un gilet de sauvetage.
- Oui, et je fais comment pour aller sous l'eau avec le gilet..?.
Il descend donc héroïquement les marches qui mènent à la baignade. Une fois qu'il est dans l'eau je réalise que je n'ai même pas une bouée à lui envoyer en cas de pépin. Je récupère une défense, que je garde contre moi. Je profite d'un moment où il fait surface pour le quitter des yeux un instant et je décroche la gaffe. Au cas où mon bras serait trop court si je dois l'aider à remonter. Notre cap est au 90. Si je dois faire demi-tour pour le récupérer en perdition, faudra que j'aille au 270... Je réfléchis à tout ça, et je scrute sous le flotteur à me décarquiller les yeux. De temps en temps, j'aperçois un pied ou une main qui gigote à fleur d'eau. Il est toujours vivant. Vous imaginez tout ce qui peut me passer à l'esprit, alors que nous dérivons gentiment au milieu de l'océan, que Laurent s'éternise dans l'eau et me laisse seule à bord.... Est-ce qu'avec la gaffe je peux exterminer un requin....Je tremble comme une feuille;
Nous sommes à 26°56 N et 62°37W et Laurent prend tout nu son bain de l'après-midi. Quel frimeur !
En une éternité et quatre plongées, il a libéré l'hélice. Donc tout rentre dans l'ordre. Il remonte à bord, triomphant. Moi, je me sens un peu bête et nulle sur ce coup là. Je planque la gaffe et la défense de sauvetage discrètement. On met le moteur tribord pour donner de l'élan à Galatée et le réveiller de sa sieste... Loi des séries. Le moteur tribord démarre au quart de poil, et cale dès que Laurent accélère. Je suis bien contente ce coup-là de l'avoir pas mis en route moi-même. Je vois d'ici le regard inquisiteur :
- Qu'est-ce que tu fous ? Démarre !
Le moteur ne cédera à aucune tentative; Aucune alarme ne couine (ne ouine dirait Ouin-Ouin le Bon Canard). C'est triste un moteur qui démarre pas; c'est déprimant, désolant et très énervant. Même après un bain vivifiant au milieu de l'atlantique à des centaines de miles de la terre.
Cet épisode nous rappelle du déjà vécu entre Motril et Carthagène avec Lune de Miel. Le diagnostic paraît évident. Le moteur ne démarre pas parce que le gasoil n'arrive pas...
Course vers la case moteur. Observation, réflexion : qui a mis du savon dans le décanteur, il fait des bulles ! Bon on se contente du moteur bâbord pour remettre le bateau à son cap et repartir à la voile, la nuit porte conseil on verra demain.
Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DANS LES VOGES.
- Coucou La Denise, c'est encore moi, Ouin-Ouin, le Bon Canard. Je te rassure, avec mes équipiers c'est super. Ils sont d'une délicatesse. Tu vois, même qu'on ne parle pas le même langage, je sens bien qu'ils font des efforts pour se mettre à ma portée. Il y a du mimétisme dans l'air. Ils ont adopté ma démarche balancée. Ils plient les genoux, ils écartent les pieds vers l'extérieur, ils se dandinent avec une incroyable facilité. Rare cette élégance chez les humains. J'en suis tout ému. Il ne leur manque que les ailes pour être parfaits.
Entre autres délicatesses, ils m'ont réservé dans les fonds du navire de superbes mares; il y a là une réserve d'eau régulièrement renouvelée et inépuisable; Je barbote quand je veux bien au chaud dans les entrailles d'un flotteur. C'est excellent pour mon hygiène et ma santé mentale.
Nous avons été poursuivi ce matin par des espèces de gros volatiles noirs qui avaient l'air de vouloir monter à bord. J'étais content, ça me faisait de la compagnie. Nous leur avons envoyé du pain sec, des bananes séchées, des épluchures de pommes de terre pour manifester nos bons sentiments à leur égard. J'ai "Ouin-Ouiner" tout ce que pouvais avec mon bec handicapé. Mais ils répondait en "païe-païe", Je n'y ai rien compris. Ils n'ont pas fait beaucoup d'efforts pour nous connaître. Que des prétentieux ceux-là ! Je vais cacher mon âme mortifiée dans mon plumier. A plus....
Lundi 3 mai 2004 "31°12 N - 60°06 W"
à parcourir : 1520 M/naut
C'est aujourd'hui le grand jour. Le vent passe au portant. 10/12 noeuds annoncés, le rêve. Pour comble de bonheur, à 6 heures du matin Laurent attrape une magnifique daurade coryphène au bout de sa ligne, de la tête à la pointe de la queue, 1,18 mètres, magnifique non. On règle d'abord son compte à la daurade. J'en réserve 500g que je mets au sel, (encore une pensée bien douce pour Jeanot qui m'a filé cette idée, lui c'est de goûteux haricots verts de son jardin qu'il conserve ainsi) et le reste au frigo. On en mangera au moins 4 jours, midi et soir. la daurade, on adore, ça tombe bien. Notre allure est très sympathique, toutes les voiles sont pleines. La mer varie les nuances de bleus. Elle ondule d'une magnifique mouvance. Elle se plisse à peine de sympathiques risées. Je me sens délicieusement, magnifiquement bien.
Laurent retourne au moteur défaillant. Il purge l'air, l'eau et dans la foulée change le filtre à gasoil. Tout paraît en ordre. Il remet le moteur en marche, je serre les fesses... Efficace ma concentration, ça repart aussi sec... Mais le mystère reste entier. Nous ne saurons jamais, qui à mouillé le gasoil.
15h 30, notre vitesse tombe à 4 noeuds. On se croirait sur Lune de Miel.
Inconcevable ! Spi dites-vous ? Ok, spi pour tout le monde !
Je ne vous détaille pas cet envoi magistral. Une maîtrise totale de l'opération. Qu'est-ce qu'on est bon tous les deux; J'adore les manoeuvres sur Galatée. L'accélération nous décoiffe. On passe à 7 noeuds. Véritable jouissance. J'inscris dans ma mémoire pour les jours difficiles le magnifique sourire de Laurent posé béatement sur l'horizon. C'est un beau spi, dans des nuances de bleus qui trouvent harmonie totale entre ciel et mer. Une jolie bulle qui se tient légèrement de travers, sans faux pli, ni faiblesse. C'est le plus beau moment de ces quelques jours parce qu'il s'inscrit dans la marche idéale du navire. Il fait doux. La daurade qu'on déguste à la lueur des étoiles est succulente. C'est une soirée merveilleuse à guetter la pleine lune. Je me cale à l'arrière, et je me laisse bercer. "mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou". C'est une nuit scintillante. Je capte trois étoiles filantes et je rêve; On dit qu'il faut faire un voeu très vite à l'apparition d'une étoile filante.
Je dépose la première étoile sur une petite fille qui va naître bientôt dans l'amour d'Alexandra et d'Olivier. Je rends aux deux autres étoiles leur liberté de bienfaits.
Mardi 4 mai Position : "32°00 N - 57°26 W"
Nous passons une nuit idéale. Juste réveillés à tour de rôle par le souci obligé de la navigation. Le jour se lève toujours vers 4 heures du matin. Le vent est au Sud. Nous envoyons de nouveau le spi à 6h30 avec toujours autant de facilité. Notre vitesse est de 9 noeuds. Le vent apparent est de 12 noeuds.
- C'est fou ce qu'il marche bien ce navire. Dis Laurent, on est devenu sacrément bon au spi. Ils ont qu'à bien se tenir les potes de régates...
Mais Laurent est dans un autre monde. Pour le moment, il scrute la têtière de spi en se frottant les cheveux d'un geste machinal qui ne laisse aucun doute quant à son état d'esprit. Il a au moins un souci, et voudrait bien débusquer la solution sous ses cheveux... Moi, quand je suis contente, je voudrais que tout le monde le soit. Alors j'insiste.
- Hou hou, tu n'aimes pas notre allure ?
- Ouhais, si bien sûr. Mais il ne m'inspire pas ce spi. Il n'est pas de première jeunesse; il a déjà été restauré quelquefois. On a intérêt à surveiller le vent. Si on frôle les 15 noeuds, à mon avis c'est la catastrophe pour nous et la voilure de Galatée.
Des fois, il est bizarre cet homme. C'est vrai la mer est magnifique, le ciel est magnifique, le spi est magnifique, tout ça pour faire une bien belle allure à plus de 8 noeuds. Et Serge V. nous a dit d'utiliser le spi sans hésiter. Alors, dites-moi, pourquoi s'inventer d'avance des problèmes...
Laurent continue de se gratter les cheveux. Nous chercherait-il des poux dans sa tête, un si beau jour ?
- Et si on en profitait pour réparer le filet du trampoline ?
- T'as raison, ce sera sympa...
Vous me verriez gambader sur ce trampoline, vous ne me reconnaîtriez pas. On revoit tous les élastiques plus que douteux qui ont été malmenés par les giclées d'eau. On coupe des bouts, on noue, on rafistole. On chante en travaillant, on rigole, on se secoue sur le tatami. La vie est si douce au milieu de l'atlantique.
A 10 heures on revient à l'arrière du bateau mais folâtrer à l'élastique, ça m'a épuisée. Je confie donc notre si belle embarcation au skipper du bord et je m'installe pour dormir dans le carré. Effet instantané.
Ouille, ouille, ouille... Je rêve d'une formidable explosion ? Un bruit de voile qui se froisse, des claquements de drisse. Un Laurent qui hurle. "Arrive vite, le spi a explosé"
Le spi n'est pas gonflé à l'hélium que je sache ? Mais j'ai le sens de l'urgence et je bondis. C'est pas beau à voir. Un vrai cauchemar. C'est pas compliqué à décrire, le spi est fendu de haut en bas, en deux parties qui battent dans le vent. L'écoute qui a été lâchée instantanément s'empêtre à l'arrière du cata pas marrant du tout. Le boucan est épouvantable. Laurent à l'avant, repêche à toute vitesse des lambeaux de tissu dans lesquels le vent s'engouffrent. Il ne sait où donner de la tête. Je ne réfléchis même pas, je me précipite et me jette à plat ventre dans le tas tout en tirant un maximum de tissu vers moi. On arrive ainsi à récupérer un énorme tas de chiffon détrempé. Un spi, cette monstrueuse serpillière ? Les cordages se déchaînent, Tu parles d'une valse... Et un cri de Laurent.
- Vite la canne à pêche, elle se barre...
Je me rue à l'arrière. Et je me bagarre avec une drisse, une écoute, un bras de spi enchevêtrés prisonnier du barbecue. Entortillé autour de la canne à pêche un vilain cordage la tire inexorablement dehors... Je me dépatouille comme je peux pour libérer l'écoute coincée à mort autour du barbecue. J'y suis presque, un épouvantable coup de drisse me fouette la main. Ma main, quelques instants prisonnière du barbecue, de la drisse et cette écoute incontrôlable qui me martèle les phalanges. Un cirque, l'horreur. L'idée me traverse que si je ne me dégage pas illico, je vais me retrouver dans peu amputée des doigts. La panique me donne de la ressource, et je finis par me libérer et du coup à empoigner la canne à pêche, que je sauve ainsi d'une noyade assurée, mais je vous le redis, car c'est très grave, au péril de ma main gauche. Dites encore que je ne suis pas capable d'héroïsme... vous autres, bien tranquilles au bord de votre piscine ou dans votre hamac sous les cerisiers.
Ma main n'est pas belle à voir. Et je ne vous ferai pas cadeau du spectacle. En gros, elle a tout d'une aubergine qui aurait grossi coincée entre des cailloux. Et je ne vous ai même pas dit combien je souffre. Normal, puisque j'ai décidé d'être héroïque. Je berce donc cette pauvre chose si vilaine et me laisse tomber sur un siège du cockpit. Je suis dégoûtée de la vie. Laurent me rejoint.
- T'as un problème ?
Je lui montre l'aubergine. Aïe, aïe, aïe... Il me soigne au gel d'arnica. Et je crie comme un veau au contact glacé du produit. Je ne parle plus, je ne pense, plus, je ne regarde plus la mer, ni le ciel, j'attends que la douleur s'anesthésie d'elle-même. Et je demande une journée de congé pour accident de travail. Accordé !
Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DANS LES VOSGES
- Coucou, salut la Denise. C'est moi qui revient ! Ouin-Ouin, le Bon Canard !
Il s'en passe de bien bizarres ici ! Finalement le plus gros danger pour moi ce n'est peut-être pas la mer. Il y a peu de temps, j'ai cru que nous allions accueillir un nouvel invité à bord. J'étais canardement content. Je me suis dit que ce serait chouette de faire "couaroche" avec un autre animal. C'était un joli poisson de taille respectable, plein de couleurs, jaune, vert, vaguement rasta avec tout ce fluo. Il m'inspirait bien. Lorsqu'enfin il a été hissé sur le pont, j'ai pensé qu'il avait du être victime d'un règlement de comptes. Il était salement amoché et saignait abondamment. Il faisait peine à voir. J'ai pensé qu'on allait le retaper, lui offrir soin et réconfort comme l'imposent les règles d'assistance et de courtoisie en mer. C'est alors que le skipper est sorti du carré en brandissant un couteau suisse grand ouvert. Son regard acéré m'a terrifié. Son sourire féroce découvrait des dents de carnassier. Et sa langue qui se pourléchait et son regard cruel et impatient... Je vous jure un vent de folie souffle à bord, que la météo n'a certes pas prévu. Au secours, vite aux abris ! Où est mon plumier ?
Mercredi 5 mai 2004 - Position : 32°16 N- 54°00 W restent 1320 M/naut
Nous avons passé une nuit difficile. La houle par le travers s'est intensifiée, des vagues courtes qui déstabilisent et nous harcèlent. On fait du rodéo sur les crêtes... Je suis traumatisée par l'accident de spi, dans un véritable état d'angoisse que je n'ose pas dire à Laurent. J'en pleurerais si je n'étais pas si grande...
Je m'endors douloureusement. Peut-être même que je perds conscience. A un moment, j'identifie le souffle géant de la vague sur la trappe de secours sous le plancher. Là non plus le hublot n'est pas étanche. Des giclées d'eau envahissent le puits, et ressortent dans une monstrueuse succion. A quel moment une vague décolle-t-elle le hublot ? Elle envoie le caillebotis à travers le carré et la violence de ce ras de marée sépare le catamaran en deux. Dans un fracas épouvantable Galatée s'ouvre comme un abricot. Je suis couchée dans un flotteur, qui devient kayak et prend l'eau de partout. Je vois de la mousse qui gonfle, qui m'étouffe... Laurent disparaît par moment dans l'autre kayak sur tribord. Il cahote à quelques vagues de moi, mais le boucan de chutes d'eau, de succions, de chocs et de coups dans la coque est tel que je ne comprends rien à ses hurlements. Une drisse voyageuse depuis mon flotteur passe en tête de mat et retourne vers Laurent. Elle est rouge et noire. Un espèce de cordage minable traîne dans l'eau. Zut, l'hélice du moteur ! Je ramène ce bout dangereux qui se transforme en linge gluant et suintant. S'il est toxique tant pis pour moi, je n'ai pas de gants. Je le tire. C'est une écoute qui me rapproche en douceur du flotteur de Laurent. Mais je me demande où se trouve le pilote qui couine comme une souris.
- Janou réveille-toi on a un problème !
Je jaillis en liquette dans la nuit; Il y a bien des étoiles à profusion et même un bout de lune dans le ciel. Il est 3 heures du matin... Le froid me transperce de la nuque aux talons. "Of course" dit le pilote automatique, et ça veut dire qu'il n'est pas d'acccord avec lui-même. Tiens donc... Pas grave, ça arrive souvent. Pourquoi Laurent s'affole-t-il ?
- Peut-être que le vent a fait un caprice. C'est pas la première fois. Remets Galatée dans le lit du vent d'un coup de barre.
Réponse quelque peu irritée, d'un qui est mieux réveillé que moi.
- La barre est à fond, impossible de se remettre au cap. On est à l'arrêt...
- Mets le moteur !
- Oui, mais je crois que quelque chose fait systématiquement tourner le bateau à droite. On est coincé je t'assure. Je ne sais pas quoi faire !
Moteur ! On repart mollement. La bête rechigne, une vraie bourrique ce navire quand il s'y met. Le spido recommence à compter... Ouf, il a pas perdu l'ordre des chiffres.... On passe à 7 noeuds au moteur et on a le bon cap. Où est le problème ? Si on était coincé, pourrait-on avancer à 7 noeuds au moteur ?
On affûte nos réglages de voilure ; on attend un peu. Point mort. Une minute, à peine... et le bateau imperceptiblement recommence à flairer le vent. On dirait qu'il ne peut pas y résister. Quant au pilote automatique, il bloque la barre à gauche mais on remonte toujours au vent. Au milieu de la nuit, c'est insurmontable comme casse-tête. On relève les dérives. On fait marche arrière.
Si quelque chose est coincé dedans ça décoincera peut-être. Trop simple pour être vrai... Totalement inutile. Même après plusieurs tentatives, impossible de rester au cap. Finalement aucune solution cohérente n'apparaît. Laurent se gratte toujours le cheveux, mais l'effet magique ne se produit pas. Ecoeuré, il tente un truc qui n'a aucune chance de marcher.
Mais il est fatigué alors ... quand la logique est à court d'idées autant faire avec le farfelu. Le mérite c'est de nous donner l'impression qu'on avance dans la solution. Il choque la grand'voile jusqu'à la déborder complètement. Il l'assure avec la retenue de bôme. Et il borde le génois à fond. Une vraie planche à repasser ce génois et notre allure pour le moment c'est du largue. Décidément, j'ai tout à apprendre en matière d'allure et de vent... Parce que ça marche super bien. On attend au moins une demi-heure. On assure les réglages et on repart à 8/9 noeuds, cap 74, impec. La notice technique Catana conseille de relever plus ou moins les dérives lorsque la vitesse augmente et selon l'allure. (hein Serge ?). On applique la règle. On relèveles dérives, juste ce qu'il faut pour ménager le bateau. On ralentit à 6 noeuds et Galatée se remet instantanément face au vent... Quelle nouille ce cata. Aucune consistance ! Il serait du genre masculin celui là que ça m'étonnerait pas !
Finalement on laisse nos voiles dans leurs positions peu orthodoxes, choquées et bordées à la fois. On redescend les dérive pour se stabiliser et nous reprenons notre route pour finir la nuit bien préoccupés mais avec un pilote qui maîtrise la barre.
Lorsqu'on navigue on peut ainsi être amené à de graves et essentiels problèmes techniques et intellectuels. Ils ne souffrent aucun délai de réflexion. Qu'il fasse nuit, que nous soyons complètement la tête dans le coma, et les yeux pisseux ne doit pas nous empêcher de réfléchir "intelligent". Et vous autres pendant ce temps là, vous vous demandez qu'est-ce que vous allez manger à midi, où est votre dentifrice ou pourquoi votre compte bancaire est en débit ? Que des futilités. Comme je vous envie quelquefois.
Le jour se lève sur un ciel tourmenté. Le vent a passé la masse nuageuse au fer à friser pendant la nuit. Tout autour de nous, les cirrus étalent leurs lignes crantées et les petites virgules qui s'échappent de cette belle chevelure nous inquiètent quelque peu. Un front froid s'annoncerait-il ? Le baromètre est toujours à 1024 Hpa, toujours en hausse. Mystère !
Il y a maintenant une semaine que nous sommes partis de Saint Martin. Nous avons parcouru 1145 M/nautiques, une moyenne de 163 M/naut par jour. Vous remarquerez que nous ménageons notre monture avec une moyenne de moins de 7 noeuds.
Jeudi 6 mai 2004. Position : "33°02 N - 50°50W" Restent : 1155 M/naut.
Nous décalons nos réveils d'une heure. Histoire de rattraper le décalage horaire qui nous attend aux Açores, sachant que là-bas nous vivrons à l'heure TU. C'est l'heure du Réseau du Capitaine. Et c'est Jean-Yves (VE2NOR) qui envoie le premier pavé dans la mer :
- Désolé, les amis, une dépression se forme au nord. Vous y serez dans 24 heures. On parle de 35/40 noeuds de vent. Vous ne pourrez pas l'éviter...Pierre (VE2VO) appuie sur l'alarme :
- Laurent va falloir que tu prouves tes talents de navigateur. Prépare toi, et surtout prépare Janou psychologiquement. Je pense que tu sais faire...
André (VA2AF)avec sa voix si grave assène le coup de grâce :
- Laurent prépare des coussins pour Janou, si ça se passe mal, tu nous appelles on vient la chercher.
Merci les potes pour votre sollicitude, ça me va droit au coeur. Mais franchement j'en mène pas large à ce moment-là. Vous avez vraiment rien de mieux sous la main question météo ? Il est 7 heures du matin, et je n'aime pas la journée qui s'annonce.
Vous connaissez Laurent a force de le pratiquer à travers les coucounets ?
Voilà ce qu'il dit :
- Ne sois pas inquiète. On n'a aucun problème; 35 noeuds de vent, on les a déjà eus avec ce cata sous les grains. T'as bien vu, c'est facile de réduire. A 33 noeuds on a pris deux ris. On a de la marge jusqu'au 3ème ris, et même un 4ème si on veut...
- Tu parles d'un 4ème ris. La bosse n'est pas passée et y'a même pas de poulie disponible dans la bôme. A quoi il va bien pouvoir nous servir ?
- On peut en libérer facilement une. On utilisera la poulie d'un ris qui ne sert pas. C'est une super option du cata ce 4ème ris.
- Comme si tu dis qu'une voiture a cinq roues. Belle option la roue de secours, si tu veux t'appuyer dessus et qu'elle est dans le coffre.
- Allez regarde comme la mer est belle, le baromètre monte à 1025, elle n'est pas encore sur nous la dépression.
A 16h 30 on retrouve Michel (F5DV) qui nous donne la météo précise préparée depuis le Canada par Jean Yves. Normalement dans ce contact radio, on prend notre tour. Nous passons en 3ème ou 4ème position Laurent et moi en fonction du trafic. Je panique presque quand j'entends Michel annoncer d'office.
- Je m'adresse en priorité à Laurent, F6FEH, j'ai de la météo d'urgence pour lui...
Il confirme la cata-strophe pour très bientôt, et renouvelle les incitations à la prudence.
Condoléances des potes navigateurs qui naviguent dans des zones plus calmes, au moteur. Aïe aïe aïe ça se confirme et c'est grave !
Commence alors pour nous une véritable fuite devant la dépression. On ne vit plus qu'au rythme de la météo. Celle du Réseau, le matin, qui nous assure de toute sa compassion et nous taquine un peu, mais nous inquiète vraiment. Ils ont raison d'ailleurs, il ne faut jamais prendre ce genre de menace à la légère. Nous nous référons à la météo fine et personnalisée que Michel nous transmet le soir pour 24 heures. Elle a été préparée par Jean Yves, elle est d'une précision remarquable. On recoupe avec la météo de soirée que Laurent capte en BLU de Boston sous forme de cartes. Boston nous donne les prévisions sur 48h et 96 h. l'alerte donnée par Jean Yves s'y retrouve. La dépression s'enroule joliment derrière nous. Elle s'étale dans une zone terriblement vaste et nous poursuit de ses assiduités.
Le décor de ce texte se complique; nous subissons toujours une houle profonde de plus de 3 mètres. Des vagues croisées brisent cette houle et transforment la mer en soupe mixée. Nous subissons toujours le fracas des vagues et leurs secousses dans le carré ; on se casse toujours la figure, et on pompe toujours l'eau dans les fonds des flotteurs. Boire un thé, une soupe ou un café relève toujours du défi. Vous vous souvenez des Jeux télévisés de Guy Lux. Une équipe devaient transporter un verre d'eau sur un plateau en se déplaçant sur un tapis que l'équipe adverse secouait frénétiquement... Nous devenons des champions dans ce domaine... mais il nous arrive encore de boire par inadvertance avec un oeil ou une narine... Il nous arrive aussi de nous affaler sur la table du cockpit alors qu'on veut s'asseoir à l'arrière du flotteur. Géniale la stabilité sur cette savonnette; comme les cata sont réputés pour leur stabilité, rien n'est prévu pour retenir les objets posés. Le pire c'est l'espace cuisine; c'est très joli, plus joli que chez moi. Bien entendu ce très beau plan de travail ne supporterait pas les cardans que nos installations de cuisson sur moncoque doivent subir. Comme toutes les casseroles camboulent systématiquement pendant la cuisine, nous fixons deux pinces étaux de chaque côté des ustensiles qui sont sur le feu. Si Laurent n'avait pas eu cette idée, il fallait se résoudre à quelques ébouillantages et à lécher notre soupe sur le plancher.
La dépression qui s'annonce pour aggraver ces incommodités, ça ne m'emballe pas du tout. Je voudrais bien être à la maison à rôtir sur la terrasse au lieu de me faire courser par de gros nuages gris.
On a fait la moitié de la traversée, on devrait faire la fête, manger des crêpes au Nutella et boire du Chinon. Mais le coeur n'y est pas. On se met cette charmante soirée de côté pour fêter l'après dépression si on y survit. L'idée d'ailleurs me traverse qu'on ferait mieux de s'offrir une charmante soirée tant qu'on est encore de ce monde... J'ai rêvé d'avoir une petite fille. Elle est presque prête et si ça se trouve j'entendrai même pas ses premiers "ouinements"... Zut alors, ça je ne le dis pas à Laurent. Il a un moral d'enfer. Il a calculé qu'en surveillant notre vitesse, surtout en aucun cas ne descendre en dessous de 7 noeuds, nous arriverons à Horta avant le grand frais.
- On va traverser en 14 jours et sans le moteur. T'es chiche ?
Et moi qui suis toujours prête à toper, je ne me sens pas l'âme joueuse. Je dis oui, bien sûr, mais si peu convaincue.
Vendredi 7 mai 2004 position " 35°07 N - 47°OO W" distance à parcourir : 945 M/naut
Le baromètre grimpe toujours, 1026 Hpa, mais la dépression ripe sur l'anticyclone des Açores qui descend mine de rien vers le sud. On évite la route nord, le mieux qu'on peut avec le vent qu'on a. On se relaie la nuit pour surveiller les humeurs du vent, les frissonnements des voiles et les états d'âme du pilote automatique; la journée c'est plus facile on a l'oeil et l'oreille en alerte permanente et on réagit beaucoup plus vite. Ce sont d'étranges nuits. Nous sommes réveillés par un changement imperceptible de battement de voile; ou par un couinement inattendu, ou par un ralentissement du brassage d'eau dans le sillage. C'est subtil mais ça dénote dans le raffut ambiant. Nous passons vite fait un ciré sur nos vêtements de nuit. (vieux pantalon en coton et liquette, ou vieux jogging bien ample). N'oublions pas que la mer est toujours facétieuse et que la vague qui va nous inonder ne prévient jamais. Premier coup d'oeil dehors, état de la voilure, direction du vent, cadrans indicateurs, vitesse du vent apparente, vitesse réelle, vitesse du bateau, cap... On retouche ou on retouche pas. Si un ris est à reprendre ou à relâcher on le fait à deux. Sinon celui qui s'est levé le premier laisse l'autre au chaud et fait comme il pense que c'est bien de faire. Quand tout est en ordre avant de se recoucher, dernier regard vers le ciel... nuages, pas nuages... gros grain, ou petit grain... Avis du radar...l'analyse globale est bonne on se recouche; on oublie la vie envahissante des choses qui bougent, vibrent et crient en permanence dans le carré. C'est peut-être pas cette nuit que la dernière vague explosera le cata. Et quelquefois on se rendort avant la prochaine alerte...
Nous vivons au rythme des astres et des catastrophes qui n'arrivent pas. Nous nous couchons vers 20 heures, des nuits très agitées, très houleuses, épuisantes... Nous sommes installés dehors à l'affut du soleil dès 4 heures du matin. On en a grand besoin pour se réchauffer les os et le moral.
Lorsque le jour se lève, jusqu'à ce que le soleil soit sorti de l'horizon, la mer se creuse. La houle monte vraiment à l'assaut des bordées. On se fait inonder par l'écume. Nous croisons des cohortes de méduses à voile et je les observe fascinée. On dirait qu'elles sont ballottées par la houle, qu'elles se laissent porter à la va comme je te pousse. Lorsqu'elles se trouvent au portant, le vent gonfle leur minuscule voile qui se dresse et les méduses partent d'un grand élan. Elles avancent en remontant au vent. Lorsqu'elles sont face au vent, leur voile retombe. Elles se laissent de nouveau porter jusqu'à ce que la mer les remette dans le lit du vent. Elles sont si jolies les petites méduses à voile avec leurs reflets irisés de mauve et de rose. Elles reculent pas, elles, quand elles sont face au vent. Ce sont les bijoux de l'atlantique. Si dangereuses aussi. Mes doigts s'en souviennent encore, de la caresse des filaments, il y a deux ans.... Alors j'admire béatement, je rêve mais je ne touche surtout pas.
Vers 9 heures, on se love dans la chaleur du soleil, à l'abri des retours intempestifs de vagues qui grimpent lestement à l'avant des flotteurs et balaient inlassablement le trampoline. La houle diminue et peut descendre à moins de deux mètres. Le problème c'est la mer du vent, qui ébouriffe la surface de l'eau et provoque de grands déferlements d'écume. Lorsque nous somme moins secoués, Galatée avance toujours en cahotant, ses deux pieds trop grands ne se synchronisent pas. Il reste en déséquilibre permanent. Mais les mouvements deviennent plus doux. On est moins bousculé, on a le temps de se rattraper à un chandelier, une filière ou un hauban.La météo annoncée si désastreuse nous incite à fermer le plus possible nos issues qui font de Galatée une pissoire. Nous décidons de scotcher tous les hublots du pont par l'extérieur. Nous décidons de virer tout ce qui évoque du danger à bord ou de l'insécurité. Le barbecue est désinstallé et mis au fer ainsi que les cannes à pêche. Bien fait pour eux. Nous déplaçons la planche à voile vers le milieu du bateau, mieux arrimée, car tous les cordages ont pris du jeu. Le surf, et les wishbones, descendent aussi au fond du cata. Ceux là ne nous voleront pas sur la tête si notre navigation s'aggrave.Tout ce travail qui nous déplace vers l'avant du bateau nous offre en prime de belles aspergées d'eau de mer. En fin de matinée j'abandonne pour préparer le repas et Laurent continue ses navettes entre l'avant et l'arrière, le dehors et le dedans, dans son ciré ruisselant.Après le repas, il décide d'aller fixer plus solidement la housse de baume (excusez-moi, j'adore cette malice d'écriture, et j'en ai tant besoin de "bôme" au moral).
La partie avant du lazzy-bag qui passe autour du mat offre trop de prise au vent. Et là, les filles ouvrez grands les yeux; Imaginez que je parle ainsi de votre compagnon, votre favori.
Il transpire à s'agiter ainsi sous sa capote plastique (je parle du ciré). Il décide donc de travailler à l'aise. C'est l'après-midi, le baromètre grimpe toujours et le ciel est limpide. Donc, cet homme si élégant, d'un geste définitif, enlève son caleçon. Mais comme la mer mouille sérieusement à l'avant, là où il va pour travailler, il garde la veste de ciré. Vision très érotique d'un homme qui gambade tout nu dans sa veste rouge, d'où dépassent très subtilement les rondeurs de son joli derrière offert aux vagues. Cette petite folie mise à part, nous sommes très sérieusement préparés. Je ne crains même plus le coup de vent. Et puis je suis complètement d'accord avec Laurent. Aussi longtemps qu'on est devant la dépression, elle nous rend service puisqu'elle nous assure le vent qu'il faut pour avancer... Franchement on ne peut pas rêver mieux, mais faut surtout pas mollir.
Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DANS LES VOSGES
Coucou, la Denise, t'es toujours là ! je suis de nouveau avec toi. C'est moi, Ouin-Ouin, le Bon Canard. Je suis content d'écrire à quelqu'un qui me comprend. Des fois j'ai l'impression que j'entends sourd. Par exemple, à bord il y a une radio. Elle m'a d'abord enthousiasmé. Cette modulation que mon oreille à perçue, c'était du Ouin-Ouin tout craché. Incroyable non, des humains qui ouin-ouinent.
J'ai écouté attentivement. Très étrange, je comprenais tous les mots, et pourtant les phrases n'avaient aucun sens. Quelqu'un passait des chiffres ou des lettres, le correspondant les reprenait. Ils n'en finissaient pas de se balancer des listes de chiffres et de lettres chacun leur tour, ils les répétaient, répétaient ; un autre correspondant reprenait avec un autre système de chiffres de lettres. Et ça recommençait. Mais de quoi s'agit-il vraiment ?
Un code de communication ? Ce navire innocent est-il un repaire de bandits, d'agents secrets ?
Dialogue entendu hier vers 16 heures :
- Est-ce qu'il y a encore des canettes dans la cabine ?
- Bien sûr tu veux que j'en monte une ?
- Oui, si tu veux....
Alors là, je n'en crois pas les oreilles que je n'ai pas. Il y aurait des petites canes à bord de Galatée et j'en n'aurais rien su. Je suis pris de tremblements, j'ai la tête qui bourdonne, j'ai le coeur qui palpite, l'estomac qui chavire et mon âme qui ouin-ouine, qui ouin-ouine.... Je roule littéralement sur les talons de la femme qui descend chercher la canette. Sera-t-elle blanche, grise ou brune, ma petite canette ? Moi, j'ai un faible pour les brunes. Je rêve d'une jolie brune à la pupille sombre et veloutée... Avec un gros croupion clair... Alors là, je ne me contrôle plus... Je m'empêtre dans les marches, je dérape en virant dans la coursive, je suis pris de spasmes nerveux lorsque la femme se penche dans le coffre à canettes. Aucun son ne sort du coffre. Que signifie ce silence ? Mes amies auraient-elles été droguées. Si ça se trouve c'est un navire espion qui fait la traite des canes blanches ?
Je vais mener une enquête discrète mais je n'aime pas trop ça.
Bon je suis peut-être en danger, faut que je me protège. Je vais connecter mon plumier sur www/ausecours.nav. Je te reparlerai plus tard, si je survis !
Samedi 8 mai 2004 position " 35°06 N- 43°14 W" restent : 740M/naut
Je subis de nouveau la pression de la dépression dans ma tête. On se fait rattraper par le mauvais temps ! Le baromètre est tombé à 1025 Hpa au milieu de la nuit.
Il est 4 h du matin, une faible clarté passe par les hublots. Dans mon sommeil je sens un effleurement dans les cheveux. Une présence discrète, à peine un souffle, une brise toute douce. Le froissement d'une aile sur mon front. Je n'ouvre pas les yeux, c'est doux comme un rêve. Mais je suis intriguée. Je passe la main dans mes cheveux et j'y rencontre ceux de Laurent plus courts, plus soyeux.. Il sait que je suis inquiète. Il sait que je ne suis pas enchantée par la journée qui s'annonce... Simplement il me dit, "ne t'inquiète pas. Je suis là et tout va bien". Il a raison Laurent. Rien de mauvais n'arrive après le baiser du papillon.Toutefois lorsque je me décide à mettre le nez dehors parce que nous subissons une violente accélération, le ciel ne me fait pas de cadeau. C'est partout de la grisaille. La ligne de front froid est sur nous, bien chargée de pluie. Le vent passe à 35 noeuds en un instant. On prend un 3ème ris in extrémis. Galatée se ressaisit. Le problème de ces coups de vent sous grain, c'est qu'il lève une mer courte, violente et hachée. C'est épuisant à bord. J'en ai vraiment marre aujourd'hui mais je ne peux pas changer de bord. Il faut bien que je me contente de celui-là.
Nous serons malmenés, secoués, bousculés dans le tambour d'une machine à laver qui n'en finit pas de nous rincer et de nous essorer jusqu'à 14 heures. D'un coup les nuages reprennent un aspect plus clair; ils s'arrondissent, se font bonasses. L'allure revient au largue. Mais la houle est toujours fantasque avec de grandes vagues qui nous poussent de travers. Le navire devient volage.
Il fait d'incroyables embardées. Serait-il ivre ? Le vent apparent revient à 2O/25 noeuds. Ainsi nous nous sommes rapprochés de la dépression qui nous a chassés devant elle. Intéressant comme effet... Je reprends espoir parce que si nous accélérons lorsque la dépression s'approche de trop près, elle n'a aucune chance de nous rattraper. Qu'en dites-vous ?
Dimanche 9 mai 2004 position : "35°58 N- 39°34 W" distance qui reste : 553 M/naut
La distance à parcourir se réduit sérieusement. Les prévisions météo sur 96 heures nous permettent de penser que nous avons échappé à la dépression. Du moins son centre se déplace nettement vers le nord des Açores. Nous devrions pouvoir bénéficier des effets secondaires jusqu'à notre arrivée à Horta, île de Faïal. Ma main ne me fait plus souffir. elle est tout à fait désenflée. Elle a bien des couleurs un peu étranges qui varient entre bleu et noir... Mais nous ne la mangerons pas en ratatouille. J'avais tellement de soucis que je n'ai pas pris le temps de vous dire que nous n'avons pas vu un chat depuis notre départ. Trois immenses cargos au large à deux jours d'intervalle qui nous ont croisés de très loin, deux de jour, un de nuit. Quelques oiseaux qui ont fait un bout de route en piaillant derrière le sillage et nous ont laissé tomber. Nous n'avions rien de satisfaisant à leur mettre sous le bec. Mais aujourd'hui est un grand jour qui voit apparaître les premiers dauphins. Ils jouent entre les deux flotteurs. Ils nagent par groupe de 3 ou de 4. Ils caracolent. Ils sautent, ils plongent, ils nous guignent de leur petit oeil vif, et repiquent du museau. Nous nous sommes précipités à l'avant pour faire partie de leur jeu. Laurent tape en cadence du pied et moi je chante à tue-tête "ma commère quand je danse"... ou bien je pousse des petits cris comme ouin-ouinerait un bon canard. Entre les dauphins et nous c'est un festival de plus d'une heure.
Ils réapparaissent dans l'après-midi et juste avant le coucher du soleil.
Quelle journée de charmante compagnie.
Lorsque la nuit tombe, nos feux de routes ne veulent pas s'allumer. On verra ça à Horta. Pourvu que le feu de hune suffise à nous rendre visibles...
Le soleil se couche dans un flamboiement de couleur rose. Laurent dit que cela nous assure un temps idéal jusqu'à l'arrivée.
Lundi 10 mai 2004 position "36°46 N - 36°18 W" restent : 388 M/naut
Les dauphins ne nous quittent plus. Ils caracolent et louvoient comme s'ils étaient les cousins de Galatée. Peut-on rêver plus belle escorte ? Vers midi, je laisse flotter mon regard sur les imposantes dunes que la houle roule d'une ligne à l'autre de l'horizon. Les reflets sont superbes. Le soleil écrase le bleu outremer des vagues pour faire dans les risées une frisure d'argent. Je vois apparaître au loin un peu en arrière une immense gerbe de pluie. Etonnant giclée d'écume; Y aurait-il un rocher inattendu où se brisent les vagues par là-bas ? L'immense corolle de pluie réapparait plusieurs fois au travers. Non seulement ce rocher est immense mais en plus, il se déplace. J'appelle Laurent et ses jumelles. Ils confirment tous les trois qu'il s'agit très probablement d'une baleine. Elle avance à belle allure et nous suivons des yeux son magnifique jet d'eau, comme de la pluie qui tomberait sur une ombrelle invisible. Mais ça se passe vraiment très loin de nous. Je crois que je préfère ça. Vu la taille de la corolle, je n'aurais pas aimé me trouver sur la route de ce monstre marin. Echapper à une vilaine dépression pour que Galatée se retrouve bouleversé cul par dessus tête parce qu'une baleine distraite ne veut pas céder le passage. Ce serait vraiment trop bête ! J'ai rendez-vous avec une petite fille moi, dans quelques semaines et il faut que je lui apprenne à chanter, "ma commère quand je danse..." pour jouer avec ses premiers dauphins...
A propos du spi que nous avons fusillé, Laurent en lisant distraitement le livre de bord, s'aperçoit qu'il avait déjà souffert de déchirures en 2002... On comprend mieux, notre malchance.
Nous captons les premiers signes de vie humaine à la VHF, Susa'Na qui appelle Nérée. Comme les deux navires ont du mal à communiquer, Laurent s'interpose. On se lie ainsi par VHF avec deux voiliers qui font route pas loin de nous, vers Horta. On sympathise. Ok les amis, on ira ensemble boire un verre chez Peter Zee !
Mercredi 12 mai 2004 à 52 miles de l'arrivée.
Nous sommes levés avant l'aurore. Le ciel est parfaitement dégagé. On avance bon train, au grand largue, avec toujours les larges embardées propres à Galatée qui ne dessoule jamais. On s'y est habitué. Galatée est un bateau ivre, ivre de vent, ivre de mer, ivre de ciel... un peu comme nous. Ainsi nous baignons tous dans une joie impatiente; nous sommes heureux, vraiment heureux Laurent et moi de savoir que nous allons bientôt toucher Les Açores. Nous y avons de merveilleuses traces à revivre.Nous scrutons l'horizon avec avidité. A 9h, nous sommes à 35 miles de la terre. Une ombre pointue se détache du ciel, mais les contours sont encore flous. Une écharpe de nuages se déroule sous la tête de ce sommet qui paraît immense, Pico, c'est le Mont Pico...
Faïal est bientôt visible, avec ses sommets brumeux, ses prairies qui dévalent des collines, ses petites maisons blanches comme des maisons de poupée, dont les détails peu à peu se dessinent. Une route en lacets apparaît, les toits et les volets se teintent. L'énorme rocher éclaté du volcan baigne toujours son gros pied noir et torturé en avant de la falaise. C'est un moment tant attendu et si vite arrivé. Nous finissons ainsi d'enrouler notre corde de noeuds marins à travers l'atlantique. C'est un moment intense, et je crois bien que Galatée aussi vibre d'allégresse.
Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DANS LES VOSGES
- Coucou, la Denise, t'es là. Tu m'attends toujours. C'est moi Ouin-Ouin, le Bon Canard. On touche presque la terre. Je suis si content. La traversée a été excellente. Regarde ce bilan.
- Distance parcourue de Saint Martin à Horta : 2436 M/nautiques
- Durée : 14 jours
- Pas du tout de propulsion moteur. 2 heures occasionnelles pour remettre le navire au cap ou pour faire de l'eau douce.
- Notre vitesse moyenne a été de 8 noeuds.
Nous nous réjouissons de ne signaler aucune perte humaine, ni animale. Nous déplorons toutefois quelques pertes matérielles :
- un verre
- une assiette plastique
- Un spinnaker très usagé.
- Une gaffe
- des feux de routes dont le plastique fendu avait pris l'eau.
L'équipage est en pleine forme.
Je me sens magnifique. Influencé par la mode créole, je me suis fait friser les plumes. J'ai l'air d'au moins 6 mois plus jeune. Je suis beau, mais beau...
Mais surtout, la mer iodée et salée qui m'a régulièrement lustré le dos a laissé dans mon plumage des reflets gris du plus bel effet. Je vais faire un malheur dans la Basse-Cour.
Il faut maintenant que je sangle mon plumier pour l'envol, que je lubrifie mais ailerons. Sois patiente, la Denise, le Bon Canard arrive, à tire d'aile.
A plus...
Nota Bene de Horta, île de Faïal (ACORES)
Nous laissons passer le mouvais temps sur Horta. Dès que la météo nous paraît favorable nous filons sur Punta Delgada, (Sao Miguel) où nous laisserons Galatée. (147 miles, une petite croisière que nous espérons sympathique entre les îles, les cachalots et les dauphins).
En attendant des vents favorables, nous tracerons comme la tradition l'exige notre empreinte En attendant la météo idéale, nous allons peindre notre empreinte sur le pavé de la Marina; pendant la traversée nous avons fait une esquisse de Lune de Miel (en 2002) et de Galatée (en 2004). Dessin polychrome dont nous sommes très fiers.
Notre retour par avion à Marignane est prévue avant le 24 mai. Salut l'ADIS, je fais tout ce que je peux pour être là, mardi matin.
Chers Amis,
Nous nous lançons enfin dans l'aventure, Laurent et moi, on se donnait 10 ans pour réaliser ce rêve, l'échéance est là, ce sera maintenant ou jamais, donc ce sera maintenant.
Nous avons embarqué à notre insu une vachette bougonne et quelque peu hypocondriaque, La Noiraude, directement importée de nos enfances... Nous voilà pas loin du largage....
"Tout ce que je réussis de bien dans ma vie,
Je le dois à mes rêves...!"
Manuel JOST
Juin 2000
Nous voici bien des semaines d'enduits, de grattages, de ponçages, bien des semaines de factures plus tard. Tout de blanc "époxiller", Notre navire vient de naître. Il devient "Lune de Miel".
Mi-juillet, il intègre son port d'attache à Martigues. C'est le moment où nos potes parlent de vacances, Corse, Sardaigne, Baléares, nos anciens horizons. Ils ont passé leurs fin sde semaines bercées dans les mouillages de la Côte Bleue, dans les calanques ou à Porquerolles. On les voit tous circuler sur les pannes bronzés, détendus, souriants... Laurent et moi, on sue, on ruisselle, on s'épuise. On se noie dans l'accumulation de détails aussi importants qu'urgents à régler. Notre départ est programmé mi-octobre. La main en visière, j'ai beau scruter l'avenir immédiat... Les trois mois qui restent suffiront-ils ? Nous n'en finissons pas avec les installations techniques et les finitions intérieures du bateau. Pour nous assurer un revenu d'appoint nous mettrons notre maison en location. Il faut aussi intégrer quelque part dans notre planning, le déménagement de nos objets personnels et toutes les actions administratives liées à ce départ. Le compte à rebours s'accélère. Les mines fleuries des vacancier nous angoissent. Parce que pendant de temps là, à quoi se prépare-t-on au juste nous autres ?
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- Alors, ce départ, c’est pour bientôt ?
- Oui, dans quatre semaines exactement.
- Mince alors, vous serez prêts ?
- Bien sûr. Une semaine pour installer le dessalinisateur qu'on vient de recevoir. Une semaine pour installer la capote et le bimini. Une semaine pour déménager nos meubles de la maison et régler les derniers problèmes administratifs. Et la dernière semaine pour les ultimes petits bricolages et l'avitaillement.
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- Alors ce départ, ça se précise ?
- Oui, on largue les amarres dans quinze jours.
- On voit bien que ça prend forme. Votre capote de descente est toute belle et votre bimini aussi. Laurent s'en sort avec le dessalinisateur ?
- Pas de problème, l'installation sera opérationnelle dans deux ou trois jours.
- Vous partez tout seuls ?
- Pas exactement, nos deux fils ont pris une semaine de congé pour nous accompagner jusqu'aux Baléares. C'est chouette non ?
- Oui, vraiment, ils vivent bien votre départ on dirait.
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- Laurent tu crois que nous serons prêts dans huit jours ?
- Je crains que non. On retardera de quelques jours si c'est nécessaire.
- On ne peut pas faire ça, les garçons n'ont que huit jours de congés.
Laurent passe pour la dixième fois son index le long d'un joint d'arrivée d'eau du dessalinisateur.
- Zut zut zut, j'en ai marre de cette chiotterie, ça goutte toujours !
- Comment on fera avec les garçons si le bateau n'est pas prêt ?
- Tu m'embêtes, je ne sais pas comment on fera. Enfin si je le sais ! On partira en retard et on les déposera quelque part sur la côte ouest au lieu d'aller avec eux aux Baléares !
Ben voyons ! Nos deux fils ont pris une semaine de congés pour prendre le départ avec nous. Parce que voyez-vous, que les parents quittent les enfants, ce n'est pas correct. Ce sont les enfants qui quittent les parents lorsque le moment est venu. Donc, les garçons prendront le départ avec nous. Et après notre petit bout de route commun, ce sont eux qui nous quitteront. C'est ainsi que ça doit se faire et pas autrement. Je ne supporterai pas de les laisser sur le quai de Martigues. J'ai bien du mal à imaginer ce déchirement, s'il faut en plus assumer un abandon... Et puis ce départ terrible qui nous habite Laurent et moi depuis des années, nous devons le vivre avec eux. S'ils se sont libérés tous les deux pour avoir une semaine de vacances, et nous accompagner jusqu'aux Baléares, ce n'est sûrement pas pour rester trois ou quatre jours sur le quai de Martigues à se prendre les pieds dans nos caisses mal rangées et les outils de Laurent éparpillés dans tout le carré. Faire trois jours de cabotage et prendre joyeusement le train pour rentrer chez eux, largués vite fait à la première gare à portée de nos amarres.
- Merci les gars, c'était chouette de nous aider à larguer !
Je n'insiste pas, mais une chose est sûre, c'est que nous partirons à la date prévue ou que nous ne partirons pas du tout, juré, promis...
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- Alors, t'as fait ton avitaillement ?
- Non, c'est pour demain. Je suis effrayée rien que d'y penser. Je suis démoralisée. Laurent avait raison. Y'a trop de choses à finir... Et les garçons qui arrivent après-demain.
- Ne t'inquiète pas. Quoi que vous fassiez, vous ne serez jamais prêts. Ce qui n'est pas fait vous le finirez en route... ou bien vous ne le finirez pas. N'attendez pas d'être prêts, vous ne partiriez jamais !
Enfin une parole intelligente ! Merci Sylvie.
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Le moteur volvo MD40, tout neuf, lui il est prêt. Efficace coups de mains de José et Olivier.
Octobre 2011 suite,
La météo s'annonce sympa, vent dans le dos. Pas de gasoil non plus à Ibiza. Pas grave puisqu'il y a du vent annoncé pour plus de douze heures, après on avisera. Le vent est au nord force quatre, cinq, ça nous va. On part vent arrière avec le foc tangonné. Impeccable.
De belles gerbes d'eau frisent la coque, beau spectacle. Il fait doux, c'est là qu'on est vraiment heureux de naviguer.
La pétole tombe avec la nuit et le moteur reprend son ronronnement. A minuit je décide de me coucher. J'ai à peine enlevé mes chaussettes que Laurent m'appelle. Panique à bord, il a repéré les scintillements des bouées de filet... Sont ce des filets dérivants ? Ces maudits filets ne sont pas rares en Méditerranée. Si on a la malchance de les rencontrer, ils faut les longer pendant plusieurs milles. Ils vous déroutent, vous font perdre votre temps et sont dangereux. Malheur à celui qui s'empêtre dans ce piège. Soit il plonge dans l'eau glacée pour taillader rageusement le filet et libérer son navire, et se barre à toute vitesse comme un voleur. Soit il plonge dans l'eau glacée pour taillader rageusement le filet et le pêcheur lui tombe dessus pour exiger le remboursement de son outil de pêche dévasté. Ce n'est jamais bon pour le plaisancier. Vous connaissez ce jeu de ballon prisonnier. Une partie de errance recommence le long des bouées. Dur de pas se faire piéger. La déroute est d'au moins cinq milles. On n'en finit plus de longer des feux qui scintillent au ras de l'eau. Le ciel est couvert et la nuit très sombre. Les bouées qui flottent se cachent quelquefois dans les vagues. Bientôt on ne sait plus où donner du regard. De quelle sorte de filets s'agit-il ? Se peut-il que ce soit seulement des casiers et qu'il y en ait une telle multitude ? Les lueurs nous cernent. Aucun navire de pêche en vue.
Faudra-t-il se résoudre à les traverser ? Nous n'avons même plus le choix. Il faut passer à travers, au moteur hélas et en serrant les fesses. Le voilier n'a pas bronché. Il n'a pas pilé brutalement. Nous ne saurons jamais à quoi correspondaient ces semailles lumineuses.
Avant le jour, Le vent s'est levé. Il n'est plus du tout favorable. Notre allure s'est modifiée. Allons y pour un bord de prés très serré. Le pilote automatique n'a pas aimé les ruptures de cap. Les vagues emportaient l'étrave et le pilote craquait, nous aussi. Les soucis de filets nous ayant tenus réveillés une partie de la nuit, nous avons les nerfs en pelote. En début d'après midi, le vent est devenu force six, la houle violente nous a ballottés salement... Heureusement que la plante d'Alex avait été adoptée à terre. Elle n'aurait pas survécu à cette journée là. Le vent et la houle de face ont fini par nous arrêter. Il est cinq heures du soir.
- Laurent t'as pas l'impression qu'on recule ?
Moteur ! Et puis on alterne voile et moteur. Dans les deux cas, nous tirons des bords de folie. Il peine le pauvre moteur, il peine, peine trop. Ce n'est pas humain de souffrir ainsi. Il cale. Un moteur tout neuf ! C'est pas du jeu... C'était pas prévu ça...
Le techno du bord, fronce les sourcils. Que se passe-t-il dans la "salle des machines". Faut y aller voir. Il touche à tout et à rien. Il tente quelques remises en route qui avortent instantanément ou presque... Je m'accroche à la barre pour me donner une contenance et lui il se gratte les cheveux. Nous sommes redoutablement efficaces à ce moment là. Il est sept heures du soir. Il fait nuit, on est à vingt cinq milles de Carthagène, l'abri le plus proche. Silence total sur la mer. Après concertation et différents diagnostics, Laurent retient le plus plausible, qui est la panne de carburant. Soit il n'y a plus de carburant, soit il n'arrive pas. La jauge nous annonce encore une cinquantaine de litres, sauf que moi je ne fait absolument pas confiance à la jauge ; on verse une dizaine de litres de réserve, histoire de voir. Mais le moteur fait seulement semblant de repartir. Donc ce n'est pas la panne sèche. Le tuyau serait-il bouché ? Ami Laurent, joueur de clarinette, flûte ou harmonica à ses
heures va souffler un air,
pas plus efficace qu'un pet de coucou. On dérive gentiment à un nœud comme veut la houle. Faut-il nous résoudre à attendre le matin et le retour du vent ou de la tempête annoncée à la dernière météo ? Les symptômes de panique, vous connaissez ? Des sueurs, des pensées confuses, des frissons, des tremblements. Bon, c'est tout ça, alors c'est sûr, je panique en silence et c'est affreux. Je ne bronche pas. Si Laurent s'en rend compte, il ne va pas aimer, et ça ne l'aidera pas à trouver une solution. Je me dis que nous sommes fatigués, que la couchette arrière serait géniale, la couette est si moelleuse. Où serons-nous à minuit ? Où dormirons-nous et quand dormirons-nous ? Je me caille comme c'est pas possible. Et la nuit est fantomatique avec les ombres gigantesques de la côte qui se rapproche. Stop, stop, réfléchissons positif.
- Dis Laurent, on a bien une pompe pour le vélo. Peut-être que ce serait plus percutant comme souffle ?
- Où c'est qu'elle est cette pompe à ......... pied ?
Laurent disparaît à l'arrière du bateau et revient avec la pompe ; quel génie cet homme. Il maintient l'embout sur le tuyau du réservoir et moi je pompe.
Un coup, deux coups, cinq coups, ça marche pas du tout. On insiste. Y'a des dérapages, des petits souffles qui se perdent dans la coursive. Désespérant.
- Essaie de pas bouger le tuyau quand tu appuies !
On se concentre chacun à son poste. Encore un coup, puis un autre. Voilà, le miracle s'est produit, et le gasoil finit par passer. Instantanément le doux ronronnement du moteur caresse nos oreilles et nos nerfs dans le sens du poil. Ouf ! On avance doucement, économiquement. Nous ne sommes pas certains de notre réserve de carburant.
Carthagène est en vue. Il est minuit. Nous n'avons que la carte PC comme info locale. C'est très sommaire. Y a-t-il un accueil plaisancier ? Pas sûr du tout. Il y a une zone portuaire commerciale et industrielle importante et une marine militaire. Avec la tempête annoncée, ils nous feront bien une place les copains marins. D'ailleurs en pleine nuit, on compte bien se la faire tout seuls la place. Si ça déplaît, on avisera demain matin.
Comme on fait gentiment route vers le port, Laurent retourne surveiller son moteur. Tout va bien, il tourne parfaitement rond. Je descends à mon tour. Il est minuit. On dit dans les romans que c'est l'heure du crime. Quel est ce bruit ? On dirait qu'une rivière dégringole à l'arrière.
- Laurent, viens voir, y'a un bruit bizarre dans le coffre arrière.
Il penche la tête vers le carré.
- T'es vraiment traumatisée toi. Je viens d'écouter, il marche super bien ce moteur.
- Mais c'est un bruit d'eau. Comme une cascade qui ruisselle.
Il descend donc. Il soulève une latte du plancher, juste devant l'évier. Inexplicable et fort inquiétant, les fonds sont inondés. Il se rue à l'arrière. Je l'entends rouspéter très fort. Hors Laurent ne crie jamais. Aïe aïe aië. Serait-il écrit que nous ne devons pas arriver à Carthagène ?
- Y'a un problème avec le joint de l'arbre d'hélice; Il s'est desserré. Je vais essayer de remédier à ça. Ne t'inquiète pas tout va bien. La pompe de cale va évacuer l'inondation.
En attendant, l'arbre d'hélice il se transforme en véritable chute d'eau. Maintenant, ça gicle allègrement dans l'arrière du navire. On n'avait pas entendu la pompe de cale à cause du bruit du moteur. Enfin on suppose. Pendant que Laurent sort sa trousse d'urgence, l'eau continue d'entrer à toute allure. Elle clapote à bâbord, au ras du plancher, grâce à la gîte. Stoïque comme toujours, Laurent repique la tête dans la cale moteur pour resserrer le joint qui transforme l'eau de mer en fleuve. Et moi j'écope pendant une bonne heure. Juste pour que le niveau d'eau disparaisse sous le plancher. Une drôle d'odeur indéfinissable, comme une odeur de marqueur, m'étouffe. Je suis écœurée. Je monte sur le pont; qu'au moins je surveille la route utilement au lieu de me ronger les sangs. Il en met du temps, Laurent. Dans ces cas là, j'ai une idée précise de ce que c'est la notion d'éternité. Je m'arrache douloureusement quelques cuticules avec les dents. Ça me fait mal mais ça m'occupe. Voilà que Laurent réapparaît dans le carré, à portée de voix. Et pour une nouvelle inquiétude.
- Qu'est ce que ça sent ?
- Je ne sais pas ! ça fait bien dix minutes. J'ai pensé que c'était peut-être les fonds, ou le puisard...
Il redescend dans le carré. Pourquoi, se donne-t-il tant de mal pour soulever le plancher. On patauge dans la flotte, c'est visible qu'il y a de l'eau partout. Je croyais avoir tout écopé.
Il pousse un cri
- Merde, la pompe, elle est en rade. C'est pour ça, qu'on a tant d'eau dans le carré. Pourvu que mon joint soit étanche maintenant.
C'est la joie totale à bord. Nous sommes tous les deux dégoûtés de la vie. On voudrait juste pouvoir dormir et il faut recommencer à écoper. Dieu merci, l'eau n'entre plus.
Il est deux heures du matin, Carthagène pue. On entre dans une baie fort peu accueillante. De sinistres carrières avec des gueules grandes ouvertes sur la mer, des grues qui se penchent de tous les côtés ; une zone vraiment moche dans les ombres de la nuit. Plus loin c'est la zone militaire, guère plus réjouissante. On aperçoit toutes sortes de lumières, jaunes, rouges, vertes. Où va-t-on se caser ? Où est la ville ? On entre plus profond dans le bassin. On croit apercevoir des mats derrière une gigantesque digue en béton. Laurent pense que c'est un port à sec. On s'approche sur la pointe de la quille. Tiens, des bouées de chenal qui ouvrent un chemin le long d'une digue. Allons y ! Tout juste derrière la jetée, il y a des quais avec plein, tout plein de places. Et le bonheur total c'est une torche qui nous fait des signes et une ombre d'homme qui fait des gestes. Alors on oublie l'odeur infâme des usines, les silhouettes effrayantes des chantiers, car il y a là le plus sympathique des marineros, qui nous amarre à quai avec des gestes très professionnels.
On se couche sans réfléchir complètement gelés et épuisés mais tranquilles.
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Tard le lendemain, le port nous paraît vraiment sympa. C'est peut-être la lumière du jour qui veut ça. On fait un gros petit déjeuner. L'après-midi, je nettoie les fonds. Rinçage total à l'eau douce. Je sors les bouteilles calées sous le plancher. Leur bain les a drôlement vieillies. Elle ont un petit air de derrière les fagots. Dommage pour les étiquettes. Je rince tout ce beau monde, j'essuie soigneusement. Laurent change la pompe de cale qui n'a pas survécu. On remet tout en place sauf un Chateauneuf du Pape 95 oublié sur la table. Tant pis si on nous prend pour des pochtrons. Délice des délices, cet apéro est l'un des meilleurs de toute ma vie.
Dans la soirée, Laurent a faim mais il est dégoûté du pain de mie. Je décide de faire du pain perdu. J'ai aussi trouvé en ville des beignets de poisson. C'est un repas déconcertant, mais le pain perdu enrichi de nutella, alors ça franchement ça vaut bien une nuit d'insomnie en mer....
Nous avons besoin d'une journée de détente. C'est un samedi très sage à Carthagène. La tempête fait rage et on est secoué jusque dans le port. La météo annonce force onze dans le golfe du lion.
Le coup de vent se déplace vers les Baléares. Mais d'abord, il va nous décoiffer. Les bateaux affluent dans le port. Il y a beaucoup de pavillons français ici. Je traîne sur les quais entre deux averses et le vent qui me bouscule. J'aime bien intercepter des petits bouts de conversation. Ils viennent de n'importe où tous ces équipages. Il y a un mec en face dont la femme vient de se casser .
Il interroge tout le monde.
"D'où tu viens ? comment c'est là-bas ; Où tu vas ? Quand ? t'as des infos à me filer... Tu sais comment c'est Gibraltar !"
Nous sommes tous ici pleins d'incertitudes, mais lui, il est fascinant parce qu'il les affiche. Les autres, tous les autres qui font semblant de pas en avoir des incertitudes, ils ont toujours quelque chose à lui dire. Il rassure cet homme. Si on peut lui répondre, c'est qu'on est mieux armé que lui face à la mer et à ses pièges. A bien les écouter ces plaisanciers, on s'aperçoit qu'ils disent aussi n'importe quoi. Prudence, prudence, il va falloir faire un tri sélectif des infos captées au hasard des rencontres. Et finalement éviter les questions. Quand on parle de la mer, il n'y a pas de question juste. Elle est si changeante. Que voulez vous espérer des réponses dans ce cas ?
Il me fait de la peine aussi cet homme. Je me rends compte à quel point la notion d'amour peut être une fumisterie totale. La navigation serait-elle le test "qualité" de la relation amoureuse ?
Si votre femme vous quitte ça signifie qu'elle tient plus à sa peau qu'à la vôtre ?
Laurent sort du carré. Il émerge le regard un peu flou de son monde informatique.
Nous profitons d'une éclaircie pour aller traîner un peu en ville. S'offrir une sortie bar, pourquoi pas ? Rencontrer des gens, baragouiner entre l'anglais et l'espagnol, comme deux vaches de la nationalité que vous voudrez. C'est très rigolo de pas savoir quelle sorte de vache on est.
Carthagène nous déconcerte. C'est une ville sympathique mais dévastée. L'ancêtre Carthaginois qui a créé la ville nous fait rêver. Hastrubal... As trou de balle... C'est notre première impression. C'est d'abord un site de fouilles perpétuelles. Dans la vieille ville éventrée, les murs explosés côtoient des maisons précaires. D'une rue à l'autre on passe d'un monde propre et aseptisé à un monde dévasté. On ne sait jamais où on va poser les pieds. On suit de belles artères bien vivantes, bordées de palmiers, puis on croise des venelles rustiques et odorantes. Quelques pas plus loin on débouche sur un chantier archéologique plus ou moins abandonné qui a des allures de décharge publique. La foule est dense et colorée. Je pense à l'Opéra des Rats de Léo Ferré. C'est vraiment une ville très étrange. Peut-être qu'un jour Lune de Miel s'y mettra en hibernation.
La tempête fait rage. Mais c'est dimanche et on s'en fout. A huit heures du matin le clairon de la caserne voisine nous réveille. Les autres jours on était tellement crevé qu'on ne l'avait pas encore repéré. Il pleut, il fait un temps de chien, 10 ° au réveil. Laurent se lève le premier. Il installe le petit radiateur électrique, cadeau de notre fils, Jo, pour tempérer le carré et se recouche. Rudement sympa ce petit radiateur. Sous la couette, le clairon nous a rendu joyeux. On fredonne le coeur des gamins pour se croire dans Carmen ; ça nous fait rire.
Matinée lecture, tranquille. Laurent est captivé par son ordi et les cartes PC qu'il apprend à maîtriser. Cet atlas mondial est fort secourable. Laurent vient de découvrir dans le secret des fenêtres informatiques les indications de marées par zone. Inestimable ce trésor. Je mitonne des petits repas avec les vivres frais du marché. On a eu des nouvelles des deux garçons par SMS (message texto - économique et rassurant - vive la technologie). Je me sens bien. C'est chouette la tempête vu d'un bon abri.
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Les avis de coups de vent, s'enchaînent les uns aux autres. On attend tous une météo plus favorable. Des plaisanciers, pas si plaisants que ça, ceux qui restent là pour l'hiver, nous disent qu'on est parti trop tard pour la traversée vers les Canaries. Ils nous disent aussi que le plus chiant reste à faire jusqu'à Gibraltar et la météo radote. L'heure est à la déprime. Le vent ne faiblit guère ; il est passé à l'ouest. Autrement dit en pleine face avec une houle de trois à quatre mètres. Tout le monde reste à quai. Puisque c'est comme ça, je vais prendre une douche chaude au réal club de Carthagène.
Il a fallu attendre jusqu'à mardi pour revoir le soleil. J'ai l'esprit de plus en plus vif en espagnol. Je baragouine un langage infâme, mais je me fais comprendre. En ville, une dame m'a dit que nous subissons la température qu'il fait en janvier. La tempête s'est bien décalée vers l'Est et la météo s'annonce plus clémente même si les avis de coups de vent sont toujours émis. Nous avons hésité à partir ce matin, c'est le vent à l'ouest et la houle qui nous ont finalement retenus ici. Nous sommes toujours prisonniers de la tourmente. Pour nous remonter le moral, nous nous offrirons un repas en ville. Laurent quand il ne prospecte pas les ouvertures radio prospecte la ville en vélo.
A propos de la radio, il a contacté "le réseau du capitaine, sur 14118 Mhz à 12 h TU". Ce sont des radio amateurs Canadiens qui transmettent des bulletins météo très sûrs et très précis ; Nous communiquons ainsi très facilement avec des navigateurs sur toutes zones et ça marche super bien. Mais il faut impérativement être titulaire de la licence radioamateur décamétrique. Nous avons plongé ensemble dans le monde radioamateur dans notre jeunesse, quelle riche idée nous avons eue à ce moment-là. Jamais nous n'aurions imaginé que nous l'exploiterions pour traverser l'atlantique. En ce temps là, nous habitions en Touraine, l'aventure se dessinait derrière les vignobles... et la mer était un rêve inaccessible.
Laurent est en grande discussion radio avec un mec bigrement informé. Sa modulation est un vrai régal. C'est depuis Carthagène que nous faisons connaissance avec un nouvel ami radioamateur, Michel, F5DV.
Il pleut des cordes. C'est jeudi matin. Il fait 6° au réveil joyeux du clairon ... Je guette l'arôme délicat du café de Laurent avant de me "déhotter". (comme on dit dans mon doux pays des Vosges). Concertation à trois autour des tartines beurrées : Laurent, la météo et moi. On se contraint à rester là encore aujourd'hui. Aucune nécessité d'affronter un vent de face plus ou moins sûr, et de la pluie en masse. Il faut garder à l'esprit qu'on n'est pas là pour se prendre la tête. Vous pouvez compter sur moi pour vous le rappeler.
J'espère que Laurent ne sera pas souvent d'humeur grise parce que dans ces cas-là son traitement radical, c'est un resto sympa. Gare à nos finances si c'est fréquent. On se harnache donc de cirés et parapluies et on repart à l'assaut de la ville. Ça ne me dérange pas trop. Je suis comme tous les gens un peu "flous" dans leur tête, j'adore marcher sous la pluie. Je compte bien sur le chauffage de Jo pour me sécher au retour. Laurent nous a repéré un resto de pêcheurs fréquenté essentiellement par le voisinage du port. Ambiance pause déjeuner des gens qui travaillent. On se sent vraiment bien. C'est un bonheur intégral ce gastro besogneux. Petits calamars à la plancha et fritures variés, espadon grillé. Des délicatesses inattendues aux saveurs de friandises. Nous sortons de là complètement repus, parfaitement armés pour une virée à travers la ville humide. On aura arpenté Carthagène dans tous les sens. Je garderai l'image d'une ville dans la grisaille et la tourmente. Une ombre planquée derrière un mur en ruine se pique au milieu des détritus, à deux pas d'une magnifique rue marchande aux trottoirs dallés de mosaïques. Salut Carthagène, que les Espagnols écrivent Cartagena.
C'est déjà vendredi, vent ou pas vent cette fois nous sommes décidés à partir. On quitte notre premier copain d'étape qui partira pour Gibraltar la semaine prochaine. Je ne connais ni son prénom, ni celui de son bateau... Promesse de se retrouver plus tard soit par radio, soit ailleurs. Ces rencontres fugitives m'ont toujours enthousiasmée. On échange ce qu'on a de meilleur. Et peut-être qu'on se reverra, avec déjà des sensations communes, des souvenirs communs et peut-être des sentiments.
Nous avons attendu la fin de la tempête pendant une semaine et on quitte la baie au moteur. Normal ! C'est ainsi la Méditerranée. On avance pépère sur une mer sage et confortable, sans un pet d'air. Laurent est aux anges. Il a capté par radio un ami cher de l'équipe des Tourangeaux. Incontournable radio amateur des liaisons longue distance, notre ami Jacques, indicatif radio F5TA vient de réapparaître dans notre quotidien. Quelle extraordinaire surprise de l'entendre après tant d'années de silence radio. Laurent s'incruste dans la liaison avec l'Australie. Impec. Surprise et bonheur de Jacques. A travers lui, c'est toute la Touraine qui nous tombe dessus, notre jeunesse aussi. C'est l'heure nostalgie.
Dans la journée la température est sympa, presque estivale, une quinzaine de degrés. On optimise le rendement moteur en s'aidant de la grand'voile. C'est pas terrible. Mais la mer est vraiment sympa ; on reçoit la visite familière du pitpit qui se pose sur la plate forme arrière. Puis il s'enhardit. Il volette autour de nous, va prospecter sous la capote. Il y reste quelques instants à l'abri du vent. Une miette l'attire sous le banc, mais ce n'est pas conforme à son menu ordinaire et il néglige. Il revient sous la capote. D'un coup d'aile, il va faire un tour sur la bôme. Laurent le menace.
- N'en profite pas pour faire caca, ou gare à tes fesses !
Petits coups de tête à droite, petits coups de tête à gauche, le pitpit inspecte l'horizon. Peut-être qu'il se pose aussi des questions météo... Mâle ou femelle, ce sympathique petit oiseau ne manque pas d'audace.
Quelques dauphins nous croisent mais on ne les intéresse pas. Ils font leur bonhomme de chemin et nous enrichissent d'images furtives.
Lorsque le soir tombe, un premier quartier de lune se couche quasiment en même temps que le soleil. Mais les étoiles suffisent à nous éclairer. Je participe à la magie de la mer et je pense à tous ces regards fixés sur le petit écran de Thalassa et qui rêvent d'être à ma place.
A vingt-deux heures Laurent prend sa veille. La nuit est fraîche mais agréable. C'est une veille passive, il reste planqué derrière la capote. Le pilote automatique fait bien son boulot.
Du fond de la cabine arrière, pelotonnée sous ma couette, j'entends vaguement des frottements d'écoutes sur le pont, le moteur au ralenti, et puis je m'endors.
Il est deux heure du matin. Le moteur ronronne toujours. J'ai dormi quelques heures. je suis en pleine forme. Laurent peut s'offrir son tour de bien être. La nuit est vraiment tranquille; l'horizon reste net, avec des feux lointains de bateaux qu'on ne croisera même pas. A trois heures du matin, d'un coup, je sens qu'on accélère et que la grand voile prend le vent et nous "décape". (comprendre "modifie" notre cap ). Le vent qui nous boude depuis plus de douze heures choisit le moment où je suis seule à la barre sur un bateau que je connais à peine, en pleine nuit pour se manifester. D'un autre côté si je me débrouille toute seule pour envoyer ce monstre de foc, ça serait plutôt rassurant pour moi. Je ne vous l'ai pas avoué mais j'ai un foutu problème avec la barre à roue. En secret je l'appelle la "grand roue", c'est vous dire à quel point elle me panique. Quand on navigue avec une barre franche, on ressent les effets immédiats des mouvements du bateau. C'est vraiment facile et simple à gérer. On a l'impression d'être en prise directe avec la mer.
C'est très jouissif. Rigolez pas les mecs, je suis très sérieuse en ce moment. Il se passe des choses importantes dans ma vie. Avec la barre à roue, il faut au moins deux tours pour ressentir une quelconque modification de route. Il faut redresser vite, et en général à ce moment là, j'ai perdu tous repères par rapport à la ligne droite. L'inertie à prendre en compte est terrible. Alors pensez donc, régler les voiles toute seule en gérant cette grand roue, ça défrise un peu plus mes cheveux en baguettes de tambour. Sans compter qu'immanquablement, lorsqu'on envoie le foc et qu'on borde, il y a une écoute facétieuse qui se prend dans l'une ou l'autre des bastaques. Bien entendu pendant que je me pose toutes ces questions affreusement tangibles, Le vent passe au sud et on accélère, de six nœuds on atteint neuf nœuds. Vite, réagir. Je vais quand même pas réveiller Laurent qui dort du sommeil du juste. Il a fait son quota de veille lui. Étonnant tout de même que le mugissement du vent ne l'ait pas réveillé. Donc il me fait confiance. Problème ! Ah les filles, pouvez vous imaginer comme mon coeur bat fort tout seul dans la nuit ? Seigneur, j'ai une de ces trouilles. Un regard appuyé à l'horizon, il s'agit pas qu'un container fou me fonce dessus au moment où je merde avec le foc ou la grand roue. Tranquille, tranquille, la voie est libre. J'installe la manivelle dans le winch. Je coince l'italienne avec ma main droite ; je cramponne l'écoute sous le vent; je n'ai pas d'autre main pour garder la deuxième écoute sous tension. Je décide qu'elle ne se coincera pas na ! Après tout, Laurent n'est pas très loin. Tétanisé par le froid, il s'est couché en anorak. Il sera vite sur le pont, bon pied bon oeil. C'est génial de pouvoir compter sur lui. Mais t'en fais pas petit, je vais tenter la manœuvre toute seule. Au milieu de l'immense baie d'Alméria. je libère doucement l'italienne, et c'est parti. En cinq secondes le foc est envoyé, nickel. Il s'ajuste parfaitement au vent. Bon, c'est vrai, mon écoute libre se coince bien un peu, mais c'est pas méchant. Réglage de voile, réglage de pilote..
On file à plus de huit nœuds, rien qu'à la voile. Il ne fait aucun doute que Laurent a forcément entendu ma manœuvre. Le changement de régime du moteur, les écoutes qui raclent le pont, puis le moteur qui s'arrête et le bateau qui gîte. C'est pas possible qu'il n'ait pas capté tout ça. Mais il est délicat et me laisse une chance de me dépatouiller. Quel merveille d'homme que cet homme là ! C'est toujours étonnant de réaliser combien les gestes simples peuvent prendre des dimensions terribles en mer. Au bout d'une demie heure de navigation sympa, Laurent pointe sa tête. "Tout va bien ?" Il est épaté qu'on aille si bon train. Si je lui avais raconté, je suis sûre qu'il ne m'aurait pas crue. Il se recouche toujours en anorak dans le carré pour se caler un peu mieux...
Ah que j'aime le chant du vent et la fuite de l'eau sur la coque dans ces moments là...
Je suis aux anges. Il y a un peu de mer qui se forme, forcément, mais "Lune de Miel" réagit parfaitement bien. J'ai quelques états d'âme. On va pas s'appesantir là-dessus.
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Laurent se réveille enfin à six heures du matin et c'est moi qui gèle. Le grand bol de soupe traditionnel va me requinquer un peu. Mais ça ne suffit pas à me réchauffer. Je me recouche. A dix heures on repart au moteur. La journée qui va suivre n'est pas des meilleures pour moi. Je suis vaseuse, fatiguée, comateuse, l'estomac douteux, le nez bouché, les yeux qui piquent. La mer s'agite et moi je ronchonne. Laurent a repéré sur la carte PC un port qui a l'air sympa, Motril . D'accord pour Motril, je vais m'y refaire une santé.
On s'arrête en début d'après midi au bout d'une des deux pannes. Seule place qui semble libre, seule place passager de ce port minuscule. Assez sympa mais très isolé. C'est juste une pause repos, rien d'intéressant à y faire sauf et ce n'est pas négligeable, nous trouvons enfin une station gasoil en état de fonctionnement. On est samedi et le marinero n'est pas en congé. Génial !
Nous quittons Motril sous le soleil vers neuf heures le lendemain matin. Nous sommes tous les deux confiants. On ne s'arrêtera pas à Malaga; il paraît que le port n'est pas accessible et que les droits sont prohibitifs. On a repéré des petits ports sympas partout sur la côte. Un petit village côtier peut aussi nous dévoiler bien des charmes. Pourtant longer l'Espagne du sud, c'est pas beau. Des immeubles aux abords des villes, d'immenses roches toutes grises que les sommets de la Sierra Nevada enneigés éclairent vaguement.
Les navires respectent les sens de navigation côtière. Nous sommes donc très tranquilles et on repart au moteur, vend sud/sud ouest, quasiment nul.
Nous avions décidé de partir plus tôt, mais vers huit heures le matin, Laurent a jeté une oreille radio sur le vingt mètres, un appel hasardeux, au cas ou notre ami Jacques serait 5TA serait par là.
Les irréductibles Tourangeaux étaient là. Des bouffées d'amitié ont traversé les ondes.
Je ne peux pas résister et je prends exceptionnellement le micro pour saluer ce joyeux monde. Il y a plus de dix ans que je n'ai plus pratiqué la radio. C'est chouette de renouer avec eux. Ils font partie de notre histoire à Laurent et à moi. Vraiment les liaisons radio nous comblent. Entre le rendez-vous météo quotidien avec le Canada et les navigateurs radioamateurs, et les amis à terre. C'est franchement inespéré. Ce n'est pas sur mer qu'on navigue, c'est dans les nuages.
Le début d'après midi est vraiment doux. Il est vrai que je n'ai pas quitté ma "turbulette". La turbulette est une combinaison molletonnée très épaisse dont on habillait les nourrissons nerveux qui se découvraient la nuit dans leur sommeil. Elle pouvait remplacer les draps et couvertures. Donc Laurent et moi depuis que nous faisons de la voile sommes équipés de nos turbulettes en laine polaire. Et ce n'est pas du luxe. C'est un vêtement chaud et confortable qui nous laisse libres de tous mouvements. Méfiez-vous toutefois, ce terme n'a cours que dans le secret de ce voyage.
Laurent reste scotché dans le carré. Il tente de capter les cartes météo par radio. Il surveille tous ses fabuleux écrans et les connexions inter actives, PC, Gps, pilote, navtex . Il s'éclate avec tout ce matériel. A vrai dire je ne sais pas vraiment ce qu'il fait. C'est son jardin secret dira-t-on.
Il émerge sous le soleil. La douceur ambiante le surprend. Il reste un peu dehors puis il décide de nous cuisiner du riz au chorizo. Un vrai régal. Après le repas, il redescend dans le carré quelques instants et réapparaît cul nul.
Il déambule sur le pont, on dirait qu'il a envie de danser. Il est magnifique. Il y a dans ses yeux et au coin de ses lèvres une intense lumière, harmonie parfaite avec la mer et le ciel. C'est aussi ça le bonheur. Je rigole. Entre mon allure emmitouflée dans ma turbulette et son derrière tout blanc et tout joyeux, nous formons un drôle d'équipage. C'est pourtant très conforme à la réalité de notre association.
Laurent a fini d'exprimer sa joie de vivre. Je bûche un peu mon manuel de conversation espagnole et je reprends mon observation de la mer. Le puffin et son vol si particulier chasse autour du bateau. Y aurait-il promesse de poisson ? Je me demande pourquoi notre ligne de pêche trempe en vain depuis quelques heures dans notre sillage. Laurent bidouille sa ligne. Il décide de ranger sa mitraillette. Halte là. C'est de pêche que je parle, pas de guerre. Donc Laurent roule sa mitraillette et la remplace par un rapala, à maquereau précise-t-il. La dorade ce sera pour plus tard. Faut-il y croire à cause d'un puffin pêcheur ? Laurent redescend dans le carré. Le rapala est livré à lui-même. Comment voulez-vous attraper le moindre poisson dans ces conditions ?
En fin d'après midi on aperçoit Malaga que nous négligeons pour pousser jusqu'à Benalmadena. La marina nous accorde une place par VHF. Je suis très fière de mes progrès en espagnol.
Et nous voici dans un autre monde. Benalmadena est une immense marina, toute neuve, noyée dans la brume du soir. Comment décrire ça ? Époustouflant. Les marinas sont alvéolées entre des constructions plutôt futuristes. Les toits dorés sont en dômes, en coupoles. Les quais ressemblent à des allées bordées d'alcôves. C'est une ambiance intime mais aussi très conte oriental.
Disons le franchement, c'est aussi affreusement artificielle. C'est clinquant, c'est tout neuf. La marina est un vrai village. Dans la nuit on fait un tour qui nous impressionne. Laurent se dit complètement bluffé. Il parle une fois de plus de repas au resto. Va falloir que je me décarcasse pour la cuisine ce soir.
Demain il fera jour. Nous irons voir ce qu'elle a dans le ventre cette ville étrange. Si météo veut départ mardi. Gibraltar est à une cinquantaine de milles, presque en vue.
Il n'y aura rien de plus à dire sur la fabuleuse Banalmadena. A la lumière du jour les bords de mer ressemblent à des fêtes foraines en rupture de clientèle. Ce qui devrait être la cité, n'est qu'une banlieue de béton. Le ventre de cette ville n'a pas d'entrailles.
Notre contact météo de treize heures, le Réseau du Capitaine, nous incite à partir vite. La tempête s'annonce pour mercredi. Il faudra attendre à Gibraltar la fenêtre sympa et ce serait bien d'y être rapidement. La météo espagnole annonce des creux de deux à quatre mètres avec un vent d'Est force trois à cinq. Excellent pour nous, si ce n'est la houle qui m'inquiète un peu. En fin de soirée on va observer la mer depuis la digue. Elle est à peine ridée, très calme. Les creux annoncés ne sont pas là. C'est décidé, nous partirons tôt demain matin. Nous sommes même impatients de partir. Les conditions météo s'annoncent géniales.
Au port, un avis de coup de vent vient de tomber pour demain dix huit heures sur toute la Méditerranée. Il se confirme léger pour Gibraltar, force six. C'est bon pour nous, vent arrière, pas de houle annoncée. A la tombée de la nuit nous serons sûrement arrivés à Gibraltar ; ça promet simplement une intéressante navigation.
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C'est avec un réel enthousiasme et beaucoup d'impatience que nous nous lançons dans notre petite croisière d'une cinquantaine de milles nautiques. Nous sortons de la baie de Banalmadena tôt le matin. Toutefois, sitôt sortis de l'enceinte protégée du port, la houle nous prend de travers. Des petits creux qui font les grands sauts. Les grands sots ! Mon estomac brasse allègrement le chocolat chaud que j'ai avalé de si bon cœur. Le long de la côte, c'est franchement intenable. Il n'y a pas assez de vent pour lutter contre la houle. On est d'accord pour tirer un long bord vers le large. A dix milles des côtes le vent s'établit. On installe la grand voile. Et c'est parti. On va cahin-caha, je ne suis pas dans une forme mirobolante. Mon moral s'effiloche. La mer est grise, couleur bronze par endroit. Le soleil n'est pas franc, et de grandes ombres noires menacent l'horizon. Le ciel est sale. Cette maudite houle qui vient du sud nous préoccupe. Il y a eu de la vraie tempête là-bas, ça ne fait aucun doute. D'heure en heure la houle se creuse mais le vent reste stable, environ vingt nœuds bien établis. Laurent a installé les voiles en ciseaux avec une écoute prise à l'avant comme frein de bôme.
Je somnole plus ou moins, toujours emmaillotée dans ma turbulette. À cette allure la capote ne nous protège pas de l'air très frais. J'envisage un petit somme, calée contre la banquette du cockpit. J'aurais pas dû ! A peine ai-je fermé un oeil que je sens le vent me gifler le visage. L'instant d'après un choc violent me réveille définitivement. Laurent se bagarre avec la grand roue.
Le voilier je ne sais pas ce qu'il fait, peut-être qu'il fait comme la mer veut, le voilier. Le pilote automatique a perdu la boule, on est parti au lof. La retenue de bôme a craqué, et l'empannage nous a surpris. Mais la retenue a été utile, pas de dégâts apparents, qu'on croit.
En quelques instants Laurent a repris la situation en main. Mais je n'ai plus du tout la tête à rêvasser, malgré mon état toujours dangereusement nauséeux.
"Faut-il prendre un ris ? " Tardive la question, comme souvent quand on veut avancer vite. Comme toujours, quand on se demande s'il serait sage de réduire la voilure c'est que ça aurait déjà du être fait. Nous roulons une partie du foc et nous décidons de barrer à tour de rôle. C'est sportif, intéressant, grisant. Lorsque je prends la barre en début d'après midi, la mer a changé d'aspect. Les vagues se courent les unes après les autres. Elles se rattrapent, se chevauchent comme si l'une se dressait pour voir par dessus l'autre. Certains creux dépassent quatre mètres, c'est magnifique. Je jongle avec la grand roue. C'est un véritable exercice d'entraînement à la barre pour moi. J'en ai tant besoin. Il y a du défi dans l'air. Désormais, nous avons roulé complètement le foc et Lune de Miel dépasse les neufs nœuds avec juste sa grand'voile réduite. Les cordages chantent, le vent gronde. Le rocher de Gibraltar tout noir se précise. Dans moins d'une heure nous serons à l'abri du vent d'Est dans la baie d'Algésiras. Enfin, c'est ce qu'on se dit.
D'énormes pétroliers sont au mouillage le long du rocher. Les côtes du Maroc se découpent loin dans la brume. Et les vagues déferlent. Elles font les coquettes, elles déroulent leurs dentelles blanches et les étalent. De grandes flaques de cristal frisent la mer toute noire. J'ai le sentiment exaltant d'avoir apprivoisé la grand roue. Le voilier glisse sur les plus hautes bosses de houle et repart à l'assaut de son cap. Il réagit magistralement à la mer qui nous malmène. C'est vraiment une brave bête. Je n'avais jamais lutté contre une mer aussi magnifique. Je ne donnerais ma place pour rien au monde.
En début d'après midi Laurent reprend la barre parce que nous entrons dans la baie d'Algésiras. Gibraltar est derrière le rocher, il faut virer à tribord, s'enfoncer tout au fond du trou. Le vent se calme quelque peu, la mer aussi. On se croit à l'abri du rocher. C'est le moment de virer de bord, pour affaler la grand'voile car nous sommes toujours vent arrière. L'empannage devrait être facile à maîtriser. C'est aussi ce qu'on croit. Mais c'est compter sans les rafales intempestives qui dévalent du rocher. Et l'empannage est terrifiant. Ce coup, là, il y a des craquements sinistres. Moteur !
Je me mets face au vent, il faut d'urgence ferler la grand'voile. Laurent prend trop de temps pour faire le ménage sur la bôme. Si je ne devais pas cramponner la barre à deux mains, je me rongerais les ongles. L'immense rocher noir se rapproche.
"Mais non, t'es encore à un mille au moins et on est face au vent. Arrête de réfléchir et reste face au vent...."
"Oui Seigneur ! facile à dire !"
Laurent revient dans le cockpit. L'ambiance à bord devient plus calme. Je me ressaisis. J'essaie de comprendre ce qui s'est passé. Au même moment, Laurent et moi nous sursautons. La bôme a poussé un petit cri, à peine une plainte. L'instant d'après elle pend lamentablement délogée du vit de mulet.
Comment est-elle arrivée là ? Un vice de mulet peut-être !
Laurent s'est précipité au pied du mat. Moi j'ai repris le cap. Lui, il est dans une rage noire. Vous devez vous demander comment je peux savoir que Laurent est dans une rage noire. Si, je vous jure, elle est noire comme la mer qui nous entoure sa colère ! D'abord avec sa grosse voix des mauvais jours et avec l'accent alsacien qui resurgit, il envoie dans le vent quelques gros mots bien sentis. Franchement ça me soulage aussi. Il ne crie pas. Ce serait trop frustrant, le vent crie plus fort que lui de toute façon. Laurent est toujours très conscient de la portée exacte de sa voix. Mais il dit sa déception, son dépit, sa colère contre le matériel, contre les éléments, contre lui-même. Calmement, avec juste ce qu'il faut dans le ton. Et puis, angoissant silence. Laurent se concentre. Il se gratte les cheveux. Vous vous souvenez, geste qui sauve quelquefois. Le diagnostic suit rapidement.
"Évidemment, c'est fixé avec des rivets de merde en alu... Quelle misère ! Comment voulais-tu que ça tienne ? "
Il tripote un peu la voilure vaguement ferlée.
"La voile n'a pas souffert. Je crois que c'est pas méchant.."
Moi je suis complètement d'accord. A quoi bon dramatiser d'avance.
C'est à ce moment là que le hale-bas rigide auquel on ne pensait pas du tout se couche gentiment sur le pont. Caprice ou défaillance ? La bôme dégringole.... Pas méchant dites-vous ?
Le pont fait vraiment désordre. On ne s'affole surtout pas. L'urgence c'est de mener le voilier contre le vent qui déboule toujours n'importe comment. Même au moteur, on ne fait pas ce qu'on veut.
Qui parlait de rocher et d'abri ? Dans quel foutu pays arrivons-nous ? Et avec quel foutu bateau ? Tant pis, on repère le poste douane. On sait qu'il faut s'y annoncer avant de se caser quelque part. Histoire de simplifier les formalités. C'est comme ça Gibraltar. Il faut accoster le long d'une panne flottante minable. A peine de la place pour deux bateaux. La première est occupée. On cafouille comme c'est pas possible pour se caser. Je saute à quai pour amarrer l'avant mais je perds mon cordage et le vent pousse sur le nez du bateau qui recule, cette nouille. Il s'empêtre dans le voisin, et moi, je gesticule sur le quai. Je me sens désespérément inutile. L'équipage du bateau accosté qui s'abritait au poste de douane sort comme diables d'une boite pour aider Laurent à se dégager. Finalement Laurent recule, reprend sa manoeuvre et se met à couple. Simple et efficace. Pourquoi vouloir à tout prix provoquer les éléments néfastes ? Si vous saviez combien je suis fatiguée, et Laurent donc. On se regarde, on rigole. C'est nerveux.
L'opération administrative a un peu traîné. Mais on finit par se caser sur une panne sympa. Parallèle à la piste aéroport, il y a un port bien abrité pour guetter la clémence du ciel, Marina Bay. On est enfin dedans, au chaud. Vérification des fonds du bateau, extraordinairement secs malgré nos terribles conditions de navigation. Pour fêter ça, Laurent sort au hasard du plancher une bouteille de Saint Emilion. Après une telle journée on adore ce genre de loto. C'est tellement bon de trinquer ensemble.
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Intermède pour sourire avec mes enfants et notre parentèle dans les Vosges
- Allô, Docteur, ici c’est la Noiraude !
- Bonjour la Noiraude, je vous entends mal, où êtes-vous ?
- Ah, bonjour Docteur ! C’est normal qu’il y ait de la friture au bout de la ligne, je suis en mer !
- En mer ? Allons bon, vous rêvez encore la Noiraude. Ce ne sont pas les vaches qui prennent la mer..
- Si, Docteur, je sais où je broute tout de même ! Je suis sur un voilier.. Il s’appelle « Lune de miel » mon voilier… Hein ça vous fait un choc ?
aïe, une vache sur un voilier… J’ose pas vous demander ce qui vous arrive mais dites le quand même !
- Voilà Docteur, c’est le voilier qui a un problème. Il s’agit de sa bôme. Vous savez ce bras monstrueux qui porte la grand voile. C’est affreux, ma bôme, elle a le bras arraché. On dirait une fracture ouverte ; ça pendouille, c’est lamentable. Que faire Docteur ? C’est douloureux à regarder, insoutenable !
- Calmez-vous la Noiraude, ce n’est peut-être pas si grave. Et si ce n’était qu’une luxation ?
Il est neuf heures du matin dans le port de Gibraltar et j'ai une flemme pas possible. Je tire les rideaux de la cabine arrière sur une journée qui ne s'ouvre pas. Il fait gris, il fait moche.
Les rafales violentes ont fait couiner les amarres des voisins toute la nuit. Pas les nôtres elles sont savonnées. La pluie tambourine sur le pont. Chouette le bateau sera lavé ! Nous, ce matin on a les idées vraiment bien claires. On est au chaud sous la couette. Conditions idéales pour analyser nos mésaventures d'hier de façon positive. Finalement on est content que les rivets nous aient lâchés ici. Ce sera plus facile à gérer. Imaginez que cela nous arrive au milieu de l'atlantique. Ce ne serait pas insurmontable mais moins commode tout de même pour réparer ! Bon puisque la vie est belle, debout pour le petit déjeuner.
Une heure plus tard, je rentre de la douche. Un homme est debout devant Lune de Miel. Il paraît hypnotisé. Il détaille le bateau comme s'il rencontrait un rêve. Je m'approche doucement. L'homme se rend compte de ma présence. Il parle dans un français impeccable. Bien ! ce monsieur !
- il est à vous le voilier
- non, il est à mon mari.
- Ah, il a de la chance votre mari...
Il se replonge dans sa contemplation. Il adresse au flanc arrondi de Lune de Miel des sourires épanouis et des soupirs langoureux. Il est cloué sur le quai, il paraît vraiment secoué le bonhomme. Il ne s'intéresse absolument pas à moi. Donc la chance de Laurent, ce n'est pas moi. Il n'est peut-être pas si bien que ça, ce Monsieur. Il m'énerve un peu. Je monte à bord avec une pointe de jalousie. Se peut-il qu'un jour un homme me regarde encore de cette manière ? J'appelle Laurent pour qu'il vienne parler à l'homme. Ils auront sûrement des choses à partager. Mais lorsque je ressors du carré, l'homme a disparu.
Deux heures plus tard, Laurent est replongé dans la lecture des cartes météo entre le PC et le récepteur HF. Moi, j'ai envie de prendre l'air de la terre. Je quitte le port et m'engage le long de la zone portuaire. Je pense à l'admirateur béat du voilier. Si un voisin regarde une épouse avec cet air heureux, amoureux, épanoui, le mari en prendra sûrement ombrage. Les deux hommes ne deviendront sûrement pas copains. Mais si le même voisin regarde le navire avec les mêmes sentiments, le mari sera flatté et réjoui... Et les deux hommes auront envie de se rencontrer. N'est-ce pas étrange ? Serait-il vrai qu'un homme peut avoir plus d'égards, plus de respect, plus de confiance en son voilier qu'en sa femme ?
Restons sérieux, aujourd'hui la mer m'intrigue. Mon idée c'est de rejoindre la pointe de la baie et voir à quoi elle ressemble quand il y a tempête et qu'on n'est pas dedans. Une enceinte fortifiée protège le coeur de la ville. Je commence par longer l'extérieur des murs. Beaucoup de circulation sur cette voie à caractère industriel. Après une demie heure de marche, je longe toujours les remparts sur ma gauche. Des palmiers dattiers stériles et faméliques s'accrochent aux pierres grises. Sur le trottoir de droite, les ateliers suivent des usines qui suivent des entrepôts. Aucune visibilité vers la mer. C'est d'une rare mocheté. La rue se réduit. Il doit être à peu près midi. La nuit tombe et il pleut à seaux, comme on dit dans mon doux pays des Vosges. Les panneaux, l'allure des gens, la nuitée et la pluie à midi, aucun doute, je suis en Angleterre.
J'arrive au bout de cette triste rue. C'est une impasse fermée par une porte grillagée. C'est encore un entrepôt. Les frigos font un raffut assourdissant. J'hésite au milieu d'une espèce de cour. Les camions entrent et sortent. Un homme vient vers moi avec son sourire anglais. Hé, je ne suis pas sûre que vous sachiez reconnaître le sourire anglais. Il suffit d'aller se perdre dans les docks à Gibraltar un jour de pluie pour voir ça.
Dialogue : ( Je n'écris pas en V.O. Vous ne supporteriez pas mon accent...)
- Hello, Qui cherchez-vous ?
- Hello, je cherche Monsieur Becker.
- Ici ?
- Bien sûr.
- D'où venez-vous ?
- De Marseille.
Le mec hésite, il rigole et disparaît dans un hangar. Moi aussi j'hésite. Je suis normalement face à la mer mais les murs des hangars bouchent l'horizon. Imaginez que le mec revienne avec Monsieur Becker, j'aurai l'air fine. Donc je fais discrètement demi-tour en pataugeant dans les flaques et en évitant les semi-remorques...
Dommage, Je ne saurai pas comment est la mer aujourd'hui.
Au prochain carrefour, je me glisse à travers une porte du rempart et je débouche sur la Main Street. Je suis dans l'enceinte de la ville. Fin novembre, c'est déjà Noël dans cette rue là. C'est une rue commerçante et piétonne, typique de n'importe quelle petite ville provinciale. Les boutiques touristiques sont collées les unes aux autres. Il s'y vend essentiellement de l'alcool, du tabac et du matériel photo. Il y a un monde fou. Mais la foule ici est très différente de celle qu'on croise en Espagne. C'est plus ordinaire, avec une touche d'excentricité ça et là. Une cape en lainage mou sur une robe de soirée en satin.... et des grolles pour aller danser la polka. Il y aussi des figures tout droit sorties d'un roman d'Agatha Christie. C'est rigolo de déambuler à travers ce peuple pas du tout cosmopolite. L'anglais est de rigueur ici. Je suis loin de l'ambiance glauque que prêtent beaucoup de romans à la ville de Gibraltar.
Je suis contente d'y rester quelques jours.
Mais dès la prochaine nuit, ma vie se complique. Je me réveille au milieu de la nuit avec l'épouvantable sensation de ne pas pouvoir bouger les reins. Mon dos me fait affreusement souffrir. Le vent a été d'une violence inouïe. Toute la nuit j'ai senti le bateau qui se débattait entre les amarres. Il se couchait, gémissait,. Il ne voulait pas se soumettre au vent. C'était terrible. Il y a eu des craquements et des grincements que je ne savais pas identifier. Et j'ai tellement mal au dos.
Laurent ronfle, l'heureux homme !
Ce matin, la météo se modifie. Le beau temps doit revenir mais le vent passera rapidement à l'ouest/nord ouest d'ici lundi. Il faudrait qu'on puisse passer dimanche. Serons-nous prêts ? Nous avons pas mal de bricolages à entreprendre. J'espère que nous ne devrons pas poireauter ici une semaine.
J'appellerai les enfants pour leur signaler notre départ de traversée Canaries ou Madère, lorsque ce sera imminent.
Le port de Gibraltar se réveille.
La lumière est si belle qu'on se croirait un dimanche de Pâques. L'effervescence est revenue sur les pannes. On parle, on flâne, on s'active. Les filières et les haubans s'ornent de tout le beau linge qui sèche. C'est le grand pavois des familles en vadrouille. Une douce rumeur de vacances plane dans l'air ; les enfants courent sur les pontons, les bébés braillent dans leur couffin. Les amarres ont cessé de gémir. Le soleil enfin nous redonne les images de la vie en couleurs. Le vent est si doux, si léger, pourquoi pique-t-il les yeux ?
Est-ce de l'émotion ?
Mais nous n'avons pas perdu notre temps. D'abord parce que malgré le mauvais temps et les avis de tempête qui ont agité la baie, nous, on était peinards, à l'abri, presque au chaud. Le carré se régulait à 15 ° avec notre mini chauffage.
Laurent a réparé provisoirement le vit de mulet ou vide mulet , ou vice de mulet selon le degré de ma colère La réparation est un rafistolage de fortune. Pas facile de trouver les pièces adaptées, d'autant que les mesures ici sont anglaises.
Nous avons réinstallé la grand voile qui finalement se trouve plutôt bien de cette révision générale. Laurent a installé le nouveau pilote automatique qui ne voulait pas s'adapter à la colonne de barre. Il a fait la vidange du moteur. Encore une histoire de fou. Lorsque nous avons acheté les différents filtres moteur à Martigues, le vendeur à pris les références dans sa bible. En toute sécurité : notre moteur est tout neuf, et volvo, c'est fastoche à retrouver... Confiance aveugle dans un professionnel. Bien fait pour nous. Une fois de plus la confiance aveugle nous punit. Le filtre à huile n'est pas le bon... Heureusement qu'on l'a trouvé à Gibtraltar.
Malgré les avatars nous ne sommes pas d'humeur grincheuse. Tout va bien ; L'anticyclone des Açores qui s'était fourvoyé du côté des îles britanniques revient au bercail. De beaux jours en perspective. A coup sûr ?
Laurent s'éclate avec des liaisons radio de folie. Il vient de contacter une anglaise qui est sur la panne d'en face. Mais la radio ne sert pas qu'à ça. Heureusement qu'on a le décamétrique pour les infos météo car le navtex est très capricieux et dans les ports il reste muet la plupart du temps. La liaison avec le "Réseau du Capitaine" est géniale. Nous recevons des prévisions sur cinq jours et des conseils personnalisés en fonction de notre route.
28 novembre 2011
Encore une semaine d'immobilisation qui nous a permis de réfléchir à la manière dont nous allions passer le "strait". Quitter Gibraltar, c'est toute une affaire. Il faut bénéficier à la fois de vent et de marée favorables pour favoriser le passage du voilier à travers le détroit. Plus d'un voilier s'est vu refoulé du passage à cause de la conjugaison courant de marée et vent contre lui. Les conseils qui pleuvent autant que le ciel sur les pannes exigent un tri très sélectif. On se languissait tous les deux de partir. Nous n'avons pas choisi les conditions météo idéales. Il aurait fallu patienter deux jours de plus. Vent faible mais de face. On s'en accommodera. Il a au moins le mérite de ne pas nous barrer le passage. En exploitant le courant lié à la marée, soit trois heures après la marée haute, pour bénéficier de la marée descendante, On est passé sans problèmes mais au moteur. Il a fallu attendre le bon moment, c'est à dire seize heures, heure locale. Il a donc fait nuit très vite et ce n'était pas rassurant. Nous avons sagement longé la zone de navigation côtière espagnole jusqu'à Tarifa. Il y avait un monde fou. Mais les gros ferries et les tankers et autre semi remorques de la mer ont leurs voies au milieu du détroit et finalement, ils nous doublaient de loin ; ça s'est un peu compliqué au niveau de Tarifa car les lignes Tanger-Tarifa forcément nous coupaient la route. Quelques savoureux moments d'angoisse. Il y avait une houle importante. Nous n'étions pas très à l'aise d'affronter tout ça dans le noir.
- Janou, regarde, on est en atlantique.
Et voilà. La mer avait changé d'aspect. La houle annoncée trois à quatre mètres nous y attendait avec des mouvements croisés tels qu'ils sont souvent en Méditerranée. Le mal de mer a rapidement frappé notre équipage. Laurent a bien résisté mais il ne s'éternisait pas dans le carré. Quant à moi, je suis restée en semi coma pendant vingt quatre heures. La première nuit m'a terriblement impressionnée. Pendant que je faisais ma veille, et quelle veille avec le mal de mer qui me tordait les tripes et la cervelle. Parce que c'est comme ça le mal de mer. Ça vous neutralise aussi bien la plomberie viscérale que la plomberie intellectuelle. Je comprends maintenant à quel point c'est grave de péter les plombs. Je n'utiliserai plus ces termes à la légère. Nous n'avons quasiment pas dormi cette première nuit. Le bateau était secoué comme un prunier. Le grondement des vagues qui frappaient la coque résonnait affreusement dans le carré. C'était infernal.
Pendant six heures nous avons ainsi été chahutés par une houle croisée détestable. Progressivement les mouvements se sont adoucis. Il y avait toujours d'énormes vagues mais elles sont devenues longues, profondes, régulières. Le voilier suivait leurs courbes dans un ample mouvement de berceau. J'ai d'abord eu un peu peur. La clarté de la lune révélait des ombres qui fonçaient sur nous par le travers ; et c'était magique parce que ces ombres en arrivant donnaient l'impression de s'écraser sous le bateau. Là où j'attendais un choc violent comme en Méditerranée, il y avait un mouvement d'une extrême douceur. En regardant vers l'avant, je voyais l'étrave monter le long de la vague qui nous portait. Et ça recommençait. Aussi longtemps que nous avons subi ces assauts de vagues nous avons eu l'impression de monter une côte qui n'en finissait pas. Ainsi la mer n'est pas forcément plate! Quelle découverte extraordinaire...
Le deuxième jour, j'ai commencé une cure de nautamine de trois jours. Quitte à être à moitié dans le cirage qu'au moins je ne sois pas malade... Très efficace ! J'étais pas folichonne mais je me sentais plutôt bien.
Nous avons navigué une dizaine d'heures au moteur. Dans la matinée, le vent s'est établi. La houle bien formée ne nous gênait plus. Mais elle était dangereuse à l'intérieur. On avait intérêt à bien se cramponner. Je me suis fait piéger en allant aux toilettes. Le choc m'a probablement déchiré un muscle au niveau de l'épaule. J'ai bénéficié de massages parfaitement contrôlés à distance par mes amis radioamateurs et puis surtout j'ai enduré. Ne nous éternisons pas sur ce déplorable incident.
Dans l'après-midi, le vent est passé plein vent arrière, la mer s'est assagie. Laurent a décidé de tangonner le génois et le foc Pichon. Que je vous parle un peu de ce foc particulier. Il y en a qui ont un sou fétiche comme Picsou par exemple. Nous en a un foc fétiche et c'est le foc Pichon. Il est formidable. Conforme au nom qu'il porte, il est d'allure modeste mais d'une efficacité remarquable. Amis voileux, ce foc vous fait rêver. Dommage vous ne le trouverez chez aucun maître voilier; nous en possédons l'unique exemplaire depuis des années. Hérité de notre premier voilier, un petit Remora nerveux, nous le gardons précieusement d'un bateau à l'autre, depuis 1985.
Forcément un foc fétiche, ça ne se cède pas.
Donc, notre génois associé à notre foc Pichon forment un sympathique tandem. On a tenu une bonne moyenne d'environ six nœuds et demi. Laurent a cru judicieux d'y joindre la grand voile. On ne changera pas Laurent, il veut toujours tenter mieux. Finalement c'était pas terrible la grand voile.
Elle déventait le génois alors nous l'avons rapidement affalée. Notre vitesse n'en n'a pas souffert et l'allure était plus facile à gérer.
Le pilote automatique s'est débrouillé pour négocier avec la houle et le vent. Il s'est bien tenu. Faut dire qu'on l'a eu tout le temps a l'oeil ; avec ses engins faut maintenir la pression,. Lorsqu'ils sont livrés à eux-mêmes, il leur arrive de faire n'importe quoi. Nous n'avons pas pris ce risque. Le radar nous a permis des veilles passives. Nous devions rester vraiment vigilants. Nous avons croisé des bateaux de pêche ou des filets jusqu'à plus de soixante milles des côtes. Et puis on a commis une erreur. C'est d'avoir réglé l'alarme radar à deux milles. Sachant qu'on file à six nœuds, qu'on peut croiser un navire qui file à vingt ou vingt cinq nœuds, les vitesse s'ajoutant, ça fait pas beaucoup de temps pour réagir. Mais d'autre part si on élargit le cercle d'alarme du radar, il devient carrément gavant. On passe son temps à sortir pour vérifier la route.
Deux milles, ça nous paraissait bien comme compromis.
Troisième nuit, minuit et demi. Laurent prend le relais. Je me cale comme je peux sur la couchette du carré. La houle s'est radoucie mais le bateau est toujours un peu chahuté. Je dormais depuis au moins une demie heure. Je perçois un grondement angoissé de Laurent;
- Mais qu'est-ce qui fout ce con ? viens voir vite ?
Dans ces cas là, j'ai vite fait de tomber de la couchette. Les nuits de veille on dort tout habillé pour gagner du temps en cas de réveil de ce genre. Pas le temps de récupérer la turbulette. Le stress me tiendra chaud. Vision de cauchemar. A moins de deux milles un gigantesque bâtiment éclairé se dirige vers nous. Comment l'éviter ? Difficile à dire car il n'a pas de feux de route. On voit un immeuble de cinq étages tout enluminé qui n'a même pas l'air de bouger. De loin dans la nuit les géants de la mer donnent souvent l'impression qu'ils n'avancent pas, surtout quand ils n'ont pas de feux de route. Pourtant forcément, il bouge. On se pose des questions.
Appel insistant à la VHF, en anglais, en espagnol, en allemand, en français ; le capitaine n'est pas polyglotte ou bien il est sourd. Muet c'est sûr.
Comment imaginer la trajectoire de cet engin ? On ne sait pas évaluer la distance qui nous sépare dans le noir. Et puis voilà d'un coup, il émerge franchement à portée de voix. On entend ronfler ses moteurs. C'est terrifiant.
Nous passera-t-il devant, derrière ou dessus ?
"Que fait-on ? Où aller pour l'éviter si on ne connaît pas son intention ?
On est toujours avec nos deux focs tangonnés donc avec une lattitude réduite de mouvements. Je trouve que le bateau se rapproche dangereusement et je ne comprends pas que Laurent à la barre ne réagisse pas.
- Je sais pas quoi faire, tu crois qu'il nous passera devant ?"
J'observe, j'évalue, je prends trois secondes....
- Non, je suis sûre qu'on se le paie. C'est évident que nos routes se croisent. Qu'est ce qu'on fait ? Laurent vite, on va se faire écrabouiller, regarde il est là.
Tous le monde sait qu'en régate, je couine toujours largement avant que quiconque nous approche. Là vraiment, on ne rigole pas. Nous étions tous les deux tétanisés. Laurent ne s'est même pas gratté Les cheveux. C'est vous dire qu'on n'en mène pas large. Décision !
- Y'a qu'une solution on se met face au vent on s'arrête et on voit ce que ça fera.
Sauf que moi je pense toujours aux questions bêtes.
- Face au vent avec deux focs tangonnné ? on ne va pas reculer ? Et s'il passe derrière nous, l'affreux navire ?
Heureusement qu'il fait noir, je ne vois pas le regard mauvais de Laurent mais je l'entends nettement son regard assassin.
- Face au vent, c'est une image. Je voudrais bien m'arrêter et qu'il passe où il veut ce foutu bateau tueur de voilier...
Bon d'accord. Aussitôt dit aussitôt fait. Je ne respire plus. La manœuvre est délicate et le grossier bâtiment nous ronfle de plus près dans les oreilles et il nous éblouit en plus. Quel bruit ça va faire, quand il va nous cogner ? Combien de temps ça met un voilier pour couler ? Où sont les gilets de sauvetage ? Merde les gilets, où y sont les gilets... Et puis, zut, je ne peux pas descendre dans le carré. Je ne peux pas quitter le pont, pas quitter Laurent, pas maintenant. Si on doit mourir noyé, ce sera ensemble. Quelle horreur ! Ça va pas non, de penser des trucs pareils ! Je me concentre sur les moments qui vont suivre. Laurent donne un tour à la barre à roue. Lune de Miel se met légèrement de travers, et vire doucement mais il est toujours sur la route de collision. Je reste rivée sur l'énorme bâtiment. Je suis incapable de bouger. Je ne peux pas croire qu'on va mourir noyé dans un instant, dans un fracas de ferraille et de flotte emmêlées. Passera, passera pas ? Les voiles commencent à fassayer, on ralentit et le navire se rapproche dangereusement. Il est monstrueux ce bâtiment. Et il vient à notre rencontre. Quoi que ?
Voilà les deux focs tangonnés se mettent légèrement à contre. L'idée me traverse que ce n'est guère orthodoxe et j'ai failli sourire. Et il faut sourire car on a l'impression de s'arrêter. L'effet est saisissant. On s'arrête tout simplement et le monstre lui, il continue. Il nous passe sous le nez, à moins de cinquante mètres, lentement, lentement, sans le moindre signe de politesse. Il n'y pas une âme de visible à bord.
Quand j'y pense je tremble encore. Parce que ce corniaud il nous aurait coulé et j'ai la certitude qu'il ne s'en serait même pas rendu compte. Je l'ai suivi des yeux jusqu'à ce qu'il se fonde dans la nuit. Je me suis concentrée sur ma colère. J'aurais voulu être une sorcière sous la pleine lune pour le pulvériser d'un seul regard bien appuyé. Je me suis rassemblée sur ma haine et je l'ai fixé, fixé ce navire. Dommage, il y avait la pleine lune, mais je ne suis pas sorcière...
Le navire s'est fondu dans la nuit ;
Nous sommes restés longtemps silencieux, sous le choc. Puis Laurent m'a proposé un thé.
- Faut qu'on parle, qu'on comprenne ce qui est arrivé.
- Mais il n'est rien arrivé. Tu as tout bien fait. C'était nickel. Tu nous a sauvé la vie.
- Non, on est des imbéciles. Nous n'utilisons pas nos équipements d'aide à la navigation.
- De quoi parles-tu ?
- Du radar, Janou ! Au radar, on aurait vu comment se déplaçait le navire ennemi.
- Peut-être mais c'était net qu'il venait sur nous et ça ne nous aurait pas dit quelles intentions il avait, ce con ? Alors c'était de toutes les façons un loto, valait mieux pas passer. T'as tout bien fait comme y faut, je te dis !
Il nous a fallu un moment pour digérer ça. Nous sommes restés dehors, blottis l'un contre l'autre, émerveillés d'être là, deux coeurs qui palpitaient comme un seul humain... Deux siamois on était, c'était terrible.
Bon, on repart ?
Nous avons repris notre cap, nous somme lentement retombés dans la routine de la navigation déjà. Laurent s'est levé pour activer le radar, c'est quand même une aide à ne pas négliger. Les évènements m'ont bouleversée et je reste en état d'alerte. Laurent en profite pour aller dormir un peu. Je me confie aux étoiles et je m'apaise peu à peu. Il suffit d'un radar vieillot mais en parfait état de fonctionnement pour que je me sente vraiment bien dans cette nuit bizarre. Nous bénéficions d'un oeil à balayage constant désormais. Et quel oeil ! Qu'ils y viennent les navires fantômes. Le vent et la mer m'ont repris dans leur mouvement dansant. Et je suis vite retombée sous ce charme là. Une fois de plus, seule au monde, sauvée du monde. Ça fait tellement de bien de respirer. C'est franchement génial.
Parce que c'est vraiment comme ça la navigation. Des moments brefs d'intenses terreurs dont on n'a pas vraiment conscience parce que l'urgence c'est de sortir de ce merdier ; et des moments d'intenses bonheurs qui nous inondent et dépassent tout le reste.
Par exemple, au large de l'Espagne après Gibraltar, Le pitpit est revenu nous voir. Je l'aime bien cet oiseau. Il a l'air intelligent. Il garde sa tête bien droite et nous observe tranquillement. Il utilise le bateau pour de longues poses. Il est un peu fada ce drôle d'oiseau. Il se cale un peu au hasard sur la grand roue. Je l'ai pourtant dit qu'elle est traître celle-là et instable. A peine a-t-il fermé un oeil qu'il dérape et se rattrape in extremis d'un coup d'aile. Quelques battements désordonnés, faut qu'il reprenne ses esprits le pauvre. Finalement il fait comme nous. Il s'abrite sous la capote. On voit tout de suite ceux qui savent où il fait bon vivre.
Deux soirs de suite, juste avant la nuit, une tribu de dauphins nous a rattrapés. Ils nous ont offert un festival de cabrioles à l'avant du bateau. Laurent les appelait en tapant sur la coque. Et les dauphins revenaient. C'était impressionnant. Mais ils ne se laissent pas capturer par l'image. Ils sont imprévisibles, apparaissent, bondissent, plongent, nagent à fleur d'eau et disparaissent de nouveau. Ils ne sont jamais là où l'oeil les attend. Laurent était subjugué et heureux , aussi fou que ces facétieux nageurs.
Et puis la première pêche de Laurent. C'est notre premier et seul repas de poisson frais. Si, si, je vous jure que c'est vrai. Laurent a pêché une bonite. Un beau thon blanc d'au moins deux kilos. Non c'est pas une pêche de Marseillais. C'est une vraie belle prise qui nous a fait trois repas. Heureusement je dormais pendant ce temps là, je n'aurais pas supporté d'assister à l'assassinat . A mon réveil, je l'ai trouvée magnifique cette bonite. Mon estomac dominerait-il mon âme ?
La lune magnifique se levait avant la fin du jour. Le jour se levait avant que la lune se couche; Nous n'avons jamais été dans de vraies nuits. Dans la journée on a l'oeil occupé donc l'esprit aussi. Mais Le mouvement des astres est très lent. Il ne se passe rien la nuit. Même le ciel est difficile à lire sous la pleine lune, pour peu qu'il y ait quelques nuages. La nuit modifie l'espace. On a l'impression qu'on pourrait toucher la ligne noire de l'horizon. Quand le jour se lève l'horizon recule.
***********************************************************************************************************************************3 décembre 2001 - Lanzarote
Nous sommes arrivés hier dimanche vers seize heures aux Canaries soient trois jours et demi en mer. On est à l'heure TU. On dirait que c'est l'été ici. Je reste saisie par cette chance. Cette île de Lanzarote qui nous accueille est une chaîne de volcans. La roche est noire et le paysage lunaire. C'est magnifique, saisissant de solitude.
Le port de Puerto Calero est une marina d'un luxe époustouflant. Les bittes d'amarrage sont en laiton astiqué. Faut voir comme ça brille. Les pannes flottantes, ajustables à la marée, sont en teck. Quant aux sanitaires, c'est plein de chromes, de faïences magnifiques, de grands miroirs. Les vasques sont immenses. Grand luxe vraiment. Les quais sont bordés de palmiers cocotiers. Les parterres sont couverts de fin gravier noir, couleur de la roche ici. On croise des flâneurs élégants de tout âge. A l'entrée des pannes des annonces rappellent que les enfants et les chiens doivent être tenus en laisse. Les navires sont magnifiques. Il n'y a quasiment pas de français. On les reconnaît facilement avant de repérer le pavillon de nationalité. Ce sont les bateaux les plus minables. Les autres, les beaux brillants entretenus par les marineros du port sont de nationalités diverses, beaucoup d'espagnols, d'allemands, d'américains... quelques anglais. Les britanniques ne sont guère mieux lotis que les français. Nous avons été surpris de trouver des navires immatriculés au canada, à Salt lake City. Il y a beaucoup de catamarans. C'est une pause vraiment sympa après les brutalités maritimes.
Lors de notre dernière réunion d'équipage de bord, je vous rappelle que nous sommes deux à bord, nous avons décidé que désormais, en cas de séjours en port, on choisira de préférence les plus chics. Parce que si on s'offre du confort alors il faut que ce soit le meilleur. Sinon au va au mouillage. On est d'accord là dessus. Elle est géniale la vie...
Enfin en Espagne ça ne pose aucun problème car les ports sont bon marché. A Carthagène c'était moins de dix euros la nuit. Ici, c'est vraiment ce que nous connaissons de plus fabuleux pour moins de quinze euros la nuit... Je ne suis pas certaine qu'il existe des ports si raffinés en France. Et à quel prix ?
Il est tard. Laurent affamé commence à cuire les crêpes. Je le sais, il ne résistera pas au plaisir d'en faire sauter une. Et ici, les crêpes sautées n'ont pas hauteur sous barrot. Je crains le pire.
L'urgence m'appelle une fois de plus.
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Las Palmas - 6 décembre 2001
C'est la Saint Nicolas ; il fait 25 ° à Las Palmas, Gran Canaries. J'ai pris mon premier bain en atlantique. L'eau était sympa. Je me suis offert quelques brasses. Le cul au ras du sable, ne perdez jamais de vue que je suis terrorrisée par la flotte et que je déteste me baigner. A la maison, je ne prends que des douches et jamais l'eau ne coule d'en haut. J'ai toujours la douchette à la main et je m'asperge avec d'infinies précautions. Donc quelques brasses, pour faire celle qui s'éclate en Atlantique. Mais n'y croyez pas trop, c'est rien que du semblant.
Nous avons hésité à venir ici, moi j'étais même carrément contre. Notre guide déconseille fortement cette escale. Port dangereux, anarchique, mal équipé et saturé, que des horreurs. Mais Laurent avait contacté par radio SUBSOU, le bateau du copain Jean Pierre (celui de Carthagène dont je connaissais pas le nom). Donc Jean Pierre venait de s'y poser. Les deux hommes avaient envie de se revoir. Première révélation de ce voyage, Laurent a plus besoin que moi de communiquer avec les gens. Faut dire que moi, j'écris pour me défouler, pour rêver, pour rire. A chaque escale ma petite cure internet me permet de vous rencontrer. Je suis donc fort accompagnée. Ce n'est pas le cas de Laurent. Donc, j'ai fini par céder, après tout faut pas croire tout ce qui est écrit dans les livres. En fait depuis l'édition de notre guide pourtant tout neuf, la ville a fait un effort remarquable pour réhabiliter ce port. Il a été agrandi, dépollué, organisé. C'est récent et du coup il est quasiment vide. Entre nous et nos voisins on pourrait caser au moins trois autres bateaux. Donc nous sommes ici pour notre première démarche de vie sociale depuis le départ. Changement d'ambiance. Beaucoup de bateaux sont là parce qu'ils sont avariés... victimes d'avaries, si vous préférez. Notre voisin, un somptueux trimaran a cogné un objet non identifié en plein jour à dix huit nœuds. Un autre a des problèmes de régulateur d'allure, un autre des problèmes de pilote. un certain nombre des problèmes de météo. Et nous on voudrait traiter sérieusement notre problème de vide mulet, vice de mulet, vit de mulet. On voudrait aussi refaire de l'avitaillement en produits frais et puis des bricoles. Nous devenons plus intime avec le skipper de SUBSOU.
C'est pour lui qu'on est là. Il s'appelle Jean Pierre. Il doit avoir à peu près l'âge de mon fils aîné. Il nous parle beaucoup de sa compagne et de ses deux filles. Je les prends tous en affection. On passe avec lui d'excellents moments d'intimité et de partage. On attend ensemble que la météo nous aide à partir. Lui, il ira directement vers la Guadeloupe où doivent le rejoindre ses trois femmes.
Nous on veut s'offfir une escale par le Cap Vert. Mais on sait qu'on se retrouvera quelque part en Caraïbes. Il est radioamateur, aucun riqsque qu'on se perde.
Nous côtoyons et communiquons avec d'autres équipages. Les navires sont de tous styles. Ils viennent de partout et souvent de loin. Nos voisins sont Bulgares, Hongrois, Canadiens, Américains, Français. On cause ici toutes sortes de langues. Nous sommes passés du monde de la plaisance au monde de la navigation. Nous sommes tous en instance de grand départ. Les uns vers Dakar, les autres vers les Antilles direct ou le Cap Vert. On a le sentiment réel d'être entre gens du voyage. C'est un vrai bien être. Laurent et moi nous ne sommes plus tout à fait des plaisanciers. Même si nous ne sommes pas encore des navigateurs nous pouvons enfin nous identifier au monde de la mer. Et malgré notre ignorance des choses de la mer.
Des baroudeurs de tous poils, jeunes en général, hantent les pannes à la recherche d'embarquement. Je n'aurais jamais cru qu'il y avait autant de candidats pour ce genre d'aventure.
Trois heures du matin. Je me réveille en sueurs. Laurent ronfle à côté de moi dans la cabine arrière. Que fait-il là ? Panique dans ma conscience. Le navire est livré aux fantaisies du vent et du pilote automatique. 0n fonce je ne sais où dans la nuit noire. Pas un soupçon de lune. Pas une lueur d'étoiles. C'est le noir absolu, le gouffre total. Le bateau glisse sur une mer d'huile. Mon estomac se contracte sévèrement. Je n'entends aucun son, pas de fuite d'eau sous la coque, pas de râle de gréement, pas de crissement de cordages, pas de bruissement de voiles. Il se passe vraiment quelque chose de pas ordinaire.
Je suis coincée au fond de la couchette. Laurent me barre le passage. Mais pourquoi n'est il pas en veille ? Je suis immobilisée, impossible de m'extirper pour jeter un oeil dehors, reprendre les choses en main et me rassurer. Terrible moment de panique. Je secoue Laurent
- Laurent réveille toi, qui fait la veille, qui surveille notre route ?
Laurent hagard se dresse sur sa couchette, complètement dans le cirage.
- Je sais pas, tire le rideau..
Puis il réalise que c'est grave.
Il saute comme un démon de la couchette et soudain retombe sur le lit.
- Andouille, on est amarré au port, on dort à Las Palmas, regarde.
Je tire le rideau. Pas de doute, on est scotché au port. Les lueurs bienfaisantes de la ville sont là. La rumeur sympathiques des voitures me chante dans les oreilles. De loin en loin un camion plus proche troue cette rumeur. L'odeur sourde des gaz d'échappement, des usines et de la ville me chatouille merveilleusement les narines. J'éternue. Quel soulagement. Je me laisse tomber sur le lit estomaquée.
Et on rigole, et on rigole.
Croyez moi, il y a de vraies nuits d'enfer à bord....
Nous n'avons pas eu le temps de découvrir vraiment l'immense ville qu'est Las Palmas. Il semble que ce soit une ville moderne, affairée, bruyante fatigante. Mais il faudrait que je prenne le temps d'aller vers la vieille ville pour avoir une idée plus juste des charmes secrets de ce site. Pour le moment cela m'échappe complètement. Toutefois, le port est vraiment très agréable. Notre panne est à au moins trois cents mètres du quai. Nous ne sommes pas gênés par la vie citadine. Je vous confirme que ce port est vaste, facile d'accès. Quant aux places, on a l'embarras du choix. Nous sommes sept ou huit par pannes, elles sont prévues pour une trentaine de bateaux.
Laurent avec le réseau radioamateur établit des liens. Hier nous avons eu la visite d'un couple qui habite là depuis deux ans. L'homme est venu lui apporter un autre type de cartes météo. Personnellement je n'ai pas saisi l'intérêt, car nous sommes extraordinairement soutenus par le "Réseau du Capitaine". Ce sont des hommes qui font un travail remarquable et dont nous apprécions la fiabilité. Bien sûr que c'est vrai ! C'est de la météo marine qu'ils nous transmettent. Par exemple, ils nous disent depuis trois jours que probablement nous ne partirons pas mardi. Bingo, ça se confirme. ! On sait qu'à Gibraltar et au delà ça bastonne dur. Ici Pétole ! Partir pour faire trois jours au moteur, ce n'est pas raisonnable. D'accord !
Donc on est toujours là et probablement jusqu'à jeudi ou vendredi. La fenêtre météo idéale serait jeudi avant midi. C'est pas beau ça ! Et le plus génial c'est qu'à partir de là, on bénéficie enfin des alizés mythiques. Un bon vent pour filer au largue, au large. Y'aura théoriquement un petit problème. Grâce à la dépression du Nord, la houle sera d'environ six à sept mètres. Joli chahutage, chahutage n'est pas forcément chalutage, en perspective. Après tout, ce ne sont que des prévisions.
On garde donc la direction et la force des vents qui nous conviennent parfaitement. Pour l'état de la mer d'ici jeudi, ça changera peut-être.
Actions :
Laurent a fait usiner une pièce idéale pour sécuriser notre hale-bas rigide qui a fini par avoir vraiment mauvaise mine. Théoriquement on l'installe demain.
Quant à moi j'ai fini les rideaux tribord du carré. Un petit coup d'oeil à droite en regardant vers l'avant du bateau. Ils sont or, de couleur jaune si vous voulez banaliser, avec de magnifiques soleils en surimpression. Ouah, comment ça crache ! Super. D'accord les ourlets sont un peu hésitants, une ligne ondulée, une sorte de vague. Est-ce que ça choque vraiment dans un bateau ? Mesuré, taillé et surtout cousu main. Bel ouvrage ma foi ! Laurent ne partage pas mon enthousiasme. je me demande bien pourquoi.
Le propre de la vie à quai, c'est de flâner, de s'attarder sur les pontons. Boire un café par ci, un apéro par là, une coupe de vin, c'est un acte social important. C'est rudement intéressant de faire parler les compagnons. Ils ont tous plus vécu que nous; on en raconte de belles sur nos futures destinations.
Entendez ça : les autorités locales du Cap Vert sont fouineuses, enquiquineuses, pointilleuses en un mot emmerdantes. Donc armez-vous de patience lorsque vous voulez passer par les services d'immigration. Vos nerfs quelque peu émoussés devront s'y faire. Il ne s'agit pas de rigoler dans ce monde là.
La sécurité est douteuse en particulier dans la capitale à Mindelo. Pour les autres villes, les ports sont sympas mais les mouillages, c'est l'horreur. Le temps d'arriver sur la plage avec votre annexe, votre bateau a été dévalisé ; le temps de faire trois pas pour vous dégourdir les jambes, votre annexe à disparu. Si vous pouvez vous dépatouiller pour remonter à bord, c'est sympa parce qu'à ce moment là, un jeune garçon souriant arrive avec une annexe qu'il a "trouvée un peu plus loin". Il est prêt à vous la vendre un bon prix. Super, c'est la sœur jumelle de celle que vous avez perdue. Dommage, elle est livrée sans le moteur. !C'est pas dramatique on ne s'éternisera pas au Cap Vert et peut-être qu'on dormira à tour de rôle dans l'annexe...
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Las Palmas - Gran Canaries
La météo est toujours défavorable pour les jours qui viennent. Vent sud/sud ouest, deux à quatre nœuds ! Nous n'allons tout de même pas partir au moteur, pour un périple annoncé de huit cent cinquante milles. Le rendez vous Alizé est pour samedi. D'accord. Ainsi nous ferons un peu de tourisme. Nous décidons de louer une voiture et d'aller à la découverte des terres.
Premier moment de jouissance totale lorsque nous nous asseyons dans la voiture. Incroyable comme on se sent bien lorsqu'on a le derrière calé dans les coussins. Nous sommes fascinés de la vitesse à laquelle nous avançons dans les rues pourtant fort encombrées. J'en conviens aujourd'hui, vivre en ville à pieds lorsque les services de transport urbain sont rares, c'est épuisant. Epuisant pour nos jambes, épuisant pour nos têtes, nos oreilles en particulier, épuisant surtout pour mon dos.
Les quartiers autour du port et la partie de la ville appelée Isleta sont des centres urbains modernes, affairés et bruyants. La concentration urbaine à Las Palmas est affolante. Nous sortons difficilement de cette zone.
Autoroute du Sud, une direction "Vallée Juvamar" nous paraît de bonne augure. A ne se fier qu'au nom indiqué on se retrouve à échelle plus réduite au quartier "frais vallon" de Marseille. Ce ne sont pas des endroits destinés aux touristes. Les immeubles font trois ou quatre étages.
Ils sont posés un peu n'importe comment. On a l'impression que les façades ont été peintes avec ce qui restait de pots de peinture d'un immeuble à l'autre. Depuis le front de mer, c'est du meilleur effet. Ça fait des taches colorées et vivantes sur la roche noire. Mais de près c'est autre chose. Les bords de route et tout l'environnement sont envahis de plastiques, gravats, détritus de toutes sortes. Nous croisons des enfants qui sortent de l'école, des gens affairés qui rentrent chez eux. Nous sommes déconcertés. Le peuple que nous croisons n'est pas en harmonie avec le quartier. Ce sont des gens très soignés. Les gamins ne jouent pas au foot avec leur cartable. Ils sont en uniforme. Les femmes poussent de magnifiques landaus.
Nous finissons par sortir de la ville. Plus une âme qui vive. La campagne est lugubre. Des montagnes de roches noires nous cernent. On a l'impression de grimper sur d'énormes crassiers. Des palmiers rachitiques et même les figuiers de barbarie font peine à voir. On prend la direction de Santa Brigida. C'est un autre monde. Ville dortoir, magnifiques villas, magnifiques rues ombrées. En face d'un hôtel cinq étoiles on trouve un alignement de restos. Ouf, on meurt de faim et on ne trouve pas une boutique dans cette ville résidence.
Repas économique et sympa, bouclé en moins d'une heure. C'est vrai qu'on apprécie la vélocité des serveurs. A peine êtes-vous assis que la carte vous tombe sur la table. A peine la carafe d'eau est-elle sur la table que l'entrée vous est servie. Vous avez tout juste fini votre assiette que la suivante est déjà posée à côté. Génial.
On repart vers le centre de l'île. Sur l'autre versant le panorama change complètement. La campagne devient verte et opulente. Des arbustes magnifiques qui sont en France des plantes d'appartement, inondent l'espace. Il y en a le long des routes, il y en a dans les jardins, il y en a dans les terrains en friche, il y en a partout. Ce sont de grands arbustes qui donnent un air de fête à la campagne. Les feuilles du bas sont vertes et plus haut sur la tige, elles deviennent rouges. En haut des tiges il y a une espèce de grappe de fleurs jaunes. Celles que nous trouvons chez les fleuristes sont un peu les petites sœurs de celles-ci. Les palmiers sont immenses et n'ont pas été dépouillés de leurs vieilles branches qui pendent le long du tronc comme de la paille. On dirait qu'ils sont en robe de chambre. Il y toutes sortes de cactus géants. Le fameux candélabre toujours minable sur nos terrasses étire ses grands bras pour toucher le ciel. Les figuiers de barbarie sont larges et gras. Il y a aussi de grands eucalyptus. Nous nous demandons comment cette végétation si diversifiée peut cohabiter. Mais nous ne sommes pas des spécialistes et cette question ne nous étonne pas longtemps. C'est si bon de se laisser émerveiller.
Après Vega de San Matéo nous montons vers le parc national. D'un coup on tombe dans une nappe de brouillard et nous ne voyons plus rien. Nous continuons de monter jusqu'au sommet dans le brouillard. On ne s'arrêtera que quelques instants pour faire quelques pas entre les eucalyptus dans l'air humide avec un rien de déception.
Sur le versant sud vers Telde on quitte le brouillard pour retrouver la mer. Tous les villages qu'on traverse bénéficie de la même architecture complètement anarchique. Il n'est pas rare que le mur d'une maison soit de plusieurs couleurs. Le bleu outremer s'oppose au vert billard sans le moindre souci d'harmonie. Quand au jaune (canari ?) c'est la couleur maîtresse des habitations souvent mélangée à du blanc ou à une autre couleur. La plupart des édifices publics et souvent les églises sont de ce jaune plus ou moins ocre. Les villes ont l'aspect béton des villes nouvelles. Rien à retenir. On revient à Las Palmas et nous avons un aperçu du vaste espace touristique du littoral et des plages immenses et magnifiques. Mais à part les plages, je crains qu'il n'y ait pas grand chose de passionnant à faire à Gran Canarie. Nous profitons de la voiture pour repérer la cathédrale et les vieux quartiers de Las Palmas. Découverte à faire demain, à pied, à trois kilomètres du port. Une promenade de santé !
La cathédrale de Las Palmas est un édifice en espèce de grès gris-noir; probablement la roche volcanique locale. Elle date de 1570, mais à part son énorme silhouette, elle n'a rien d'admirable ; deux clochers de chaque côté et une sorte de tabernacle ouvert et vide dépassent du fronton. Pas une statue, pas de découpes de pierre façon dentelles. C'est sombre, c'est sobre. Il paraît que l'intérieur est riche et magnifique mais le portail est fermé lorsque nous nous présentons. Nous ne sommes hélas pas du genre à piétiner des heures devant une église. Nous quittons les rues piétonnes dont la foule déborde des boutiques pour nous enfoncer dans les petites rues de quartier. Notre promenade prend une autre dimension. Les appartements donnent directement sur le trottoir. Les gens qui passent s'arrêtent, toquent à la fenêtre pour parler à leurs voisins, voisines. On croise un homme endormi sur son canapé. On salue un autre qui regarde la télé vautré dans son fauteuil. Les gens disent bonjour, ils sont souriants. Ils sont à la fois dedans et dehors. C'est la vie intérieure des familles posée à fleur de trottoir.
La météo se prolonge dans les mêmes conditions mais on a décidé que si le vent ne venait pas à nous, c'est nous qui irions à lui. Ras le bol d'attendre. C'est décidé nous partirons demain...
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Nous attendons le "Réseau du Capitaine" pour avoir un dernier pronostic météo avant de prendre la mer. Les conditions ne doivent pas changer d'ici mardi. Nous attendons l'alizé depuis dix jours. Probablement que ça suffit. Jean Pierre sur Subsou partira dans un jour ou deux. Il a encore des petits problèmes à régler avec son régulateur d'allure. Mais nous, c'est décidé, on se casse.
Aussitôt dans la baie, nous trouvons une mer croisée, houleuse. Vous savez celle là qui est idéale pour réveiller le mal au coeur. L'eau est grise ou bronze. Je déteste cette couleur. Depuis le départ des Baléares, le mal au coeur, je l'ai de manière systématique. Je pense que nous restons trop longtemps abrités dans les ports et que je me désamarine.
Je vois défiler la ville, la cathédrale toute noire qui se détache comme une ombre monstrueuse au milieu des immeubles colorés de la ville. Je ne profite guère de ces images. Je ne me sens vraiment pas bien et Laurent ne vaut guère mieux que moi. C'est particulièrement difficile pour moi. Un violent coup de cafard prend le dessus. Les garçons me manquent. Je pense à leurs taquineries, je les entends, je les vois et ils ne sont pas là. Je vous parlais de mal au coeur, voilà ça s'aggrave. Laurent est désolé de me voir si piteuse. Il fait le clown. Il me raconte des trucs compliqués pour m'occuper l'esprit et je fais semblant de l'écouter. Je me demande vraiment ce qu'on fiche là. J'en ai plus que marre d'être roulée d'un bord sur l'autre. La mer devient savonneuse, pas étonnant que j'ai l'impression de me casser la figure dès que je lève les yeux.
Dans la soirée je me sens mieux. J'avale deux bols de soupe. On décide de tirer un grand bord vers le Sahara. A neuf heures le vent se réveille. On est au près mais du coup on accélère. On décide de prendre un ris dans la grand voile. Sous la lumière restreinte de la lampe de pont, c'est un beau cirque cette opération. Enchevêtrements de cordages et nœuds en tous genres, voiles face au vent qui battent le rappel. Dur quand on est à moitié dans le cirage. On finit quand même par venir à bout de cette prise de ris délicate. On file six, sept nœuds, voiles réduites, on est plutôt content. Pendant douze heures on ne croise pas âme qui vive. Il n'y a pas de lune mais le ciel est clair. Et les étoiles donnent une lumière tamisée fort sympathique. J'ai rarement vu ciel autant étoilé. Ma parole, c'est presque une nuit de Noël.
On tire des bords entre cinq et six nœuds, à 20° de notre cap.
La carte nous dit que nos sommes au large du Maroc, on longe le Sahara occidental. Le temps est toujours au beau fixe et on tire toujours des bords, vitesse hélas très restreinte, entre trois et quatre nœuds dans la journée. La nuit on met le moteur, pendant environ six heures, pour permettre à celui qui dort un repos tranquille, sans souci de navigation. La mer à peine ridée déroule son tapis de houle. C'est magnifique. On se croirait au milieu de prairies ou de champs immenses et vallonnés, qui ne sont ni bleus, ni verts. Quelquefois quand le vent souffle sur les terres il donne aux blés ce mouvement de vagues ample et magnifique. Mais ici l'immensité de l'espace est terriblement impressionnant. La mer s'étale et on avance en douceur dans ce champ immense aux couleurs moirées et changeantes. Lorsqu'il n'y a pas de vent en Méditerranée, la mer devient lisse et brillante, tellement lisse qu'on croirait glisser sur une patinoire. Ici, ça n'arrive pas. Il y a toujours, des rides, des bourrelets, des dunes. La mer ici est en mouvement permanent. La température est douce et on se laisse simplement bercer. Nous avons vaincu le mal de mer. Je peux aller et venir sur le bateau très librement. Je fais la cuisine dans le carré. On mange dehors. La température est d'environ 20° dans la journée, 18° la nuit. Je lis, je fais des mots croisés. On écoute beaucoup de musique aussi. Nous avons des rendez-vous fixes qui ponctuent le temps et font que les journées filent à toute allure.
A huit heure trente le matin, on passe un petit moment radio amateur avec l'un ou l'autre des copains de Touraine. Jacques et Roger sont d'une fidélité remarquable. A midi, nos amis Canadiens nous donnent la météo pour les jours à venir et nous conseillent la route. Le soir vers vingt heures Laurent passe une petite heure avec toutes sortes de gens. C'est le moment un peu plus intime avec Jacques quand il est là. Il y a aussi l'ami de Montpellier qui prend régulièrement des nouvelles et téléphone à notre fils José pour les lui transmettre. On retrouve plus ou moins les mêmes. A travers notre route, qu'ils suivent depuis leur station radio, ils s'intègrent eux aussi à notre voyage. On leur raconte les étoiles, le ciel, les conditions de navigation et comment on avance. Et puis on blague. Il n'y a aucune obligation dans cette relation et c'est ce qui fait sa force. Il s'agit simplement de deux ou plusieurs personnes qui ont envie de naviguer avec nous depuis leur espace radio posé à terre.
C'est une nuit magnifique. Nous sommes à environ cent cinquante milles de la côte. Nous avons remarqué sur la carte marine que les fonds de mille mètres de profondeur forment un plateau qui remonte à cinquante mètres en plein sur notre route. Pas la peine de se dérouter. Y a pas de souci, avec nos deux mètres de tirant d'eau, on a de la marge.
Je me réveille pour mon tour de garde. Laurent ne m'entend pas. Je passe la tête dehors. J'en crois pas mes yeux. Y'a des lumières de tous les côtés. Je sors comme une bombe.
- Mince qu'est ce qui se passe ici ? Où on est ?
Laurent pousse un soupir.
- C'est incroyable. Tu fais bien de te réveiller. On est cerné par les bateaux de pêche. J'en ai compté trente autour de nous dans un rayon de moins de quatre milles nautiques.
- En face du désert, mais d'où ils sortent ces pêcheurs ?
Laurent me conseille de regarder dans l'eau. Et alors je réalise qu'il se passe quelque chose d'extraordinaire. Le bateau avance sur un cercle de lumière phosphorescente. Les vagues d'étrave éclaboussent l'eau noire de gerbes étincelantes. Et lorsque mes yeux s'habituent à l'obscurité, je vois d'énormes éclairs qui traversent les vagues tout autour de nous. Je n'ai jamais rien vu de plus extraordinaire.
Ainsi nous sommes sur les fameux plateaux qui doivent être saturés de zooplancton. Le zooplancton c'est des amas de micros crustacés. Ils dégagent cette lumière quand on brasse l'eau. Les éclairs sont tout simplement des poissons qui fuient autour de nous à travers le zooplancton. Et les pêcheurs s'en donnent à coeur joie.
Les projecteurs arrière ou latéraux des navires nous renseignent sur leurs manœuvres de chalutage. Selon qu'ils ont leurs feux de route ou pas, on sait qu'ils ont de l'erre ou qu'il n'en n'ont pas. Et on fait du slalom en tenant compte des cent cinquante mètres de filet qu'ils peuvent tirer. Laurent a mis le radar. Quelquefois, il ne sait pas s'il voit un ou deux bateaux. Les éclairages se confondent. Le radar les positionne parfaitement et permet de voir leurs déplacements. Vous avez remarqué que l'expérience nous rend moins bête. On sait exploiter notre radar désormais.
- J'ai l'impression d'être place de la Concorde à sept heures du soir. Depuis deux heures je slalome entre eux. Mais on sort de la zone. Je vais bientôt te laisser le pilotage.
- Oh qu'est ce qui lui prend à celui-là ?
Celui-là, c'est un énorme chalutier qui n'avait pas de feu allumé sur son chalut et Laurent s'est approché trop près en pensant qu'il faisait tout simplement route normale. Et le voilà qui corne comme un damné et qui nous envoie ces projecteurs en plein dans la tête. Belle illumination ma foi, qui met bien en évidence cette fois son chalut à l'arrière du navire. Virement de bord vite fait, bien fait. Je me suis réveillée au bon moment, on dirait.
Une heure plus tard on laisse les pêcheurs loin derrière nous. Nous sommes seuls avec la mer. Dans la nuit, on a l'impression de naviguer sur un cercle de lumière. L'écume s'éclaire de lueurs vertes et jaunes. Laurent épuisé a rejoint la couchette avant, et moi, je m'offre seule sous le ciel étoilé trois heures de magie pure et d'émerveillement.
Depuis mercredi nous ne faisons plus de veille active. Nous naviguons dans un désert. Nous sommes seuls au monde au milieu des vagues comme des dunes à perte de vue. En quatre jours, nous avons croisé trois cargos, les deux premiers de très loin, le dernier c'était dans l'après-midi et ça n'a pas posé problème. La nuit on se fie au radar pour nous protéger d'une rencontre fortuite. Il veille pour nous de onze heures ou minuit jusqu'à six heures du matin. Laurent reste en début de nuit et je prends la relève à six heures. Pour rien au monde je ne voudrais louper le lever du jour. Je vous raconterai plus tard le jour qui se lève. Je n'ai pas fini de m'imprégner de ce miracle quotidien.
La nuit je dors dans le carré car j'ai l'oreille plus fine que Laurent pour déceler l'alarme radar. Lui, c'est les changements d'allure du bateau qui le réveillent. C'est important quand on navigue à la voile. Le moindre changement le sort de son sommeil. J'ai beau savoir qu'il est particulièrement sensible à sa position sur la couchette, il m'impressionne à chaque fois. Pour moi, gîter d'un côté ou de l'autre, ou pas gîter du tout, c'est pas ça qui me réveille quand je dors. Je me moque complètement de la manière dont je suis couchée. Aussi bien je dors assise ou par terre ou debout. C'est épatant comme ça. Nous avons chacun nos aptitudes, et elles sont importantes toutes les deux. Laurent c'est les mouvements du bateau, moi c'est le moindre bruit.
Et selon l'état de la mer, le bateau parle d'une autre manière. Les cordages grincent ou ils chantent, les voiles claquent ou sifflent. Lorsque le vent souffle de l'arrière la bôme se prend pour un tuyau d'orgue. C'est une autre sorte de concert. La coque gémit, ou bien elle cause. Les vagues grattent, frappent ou caressent. Souvent Laurent et moi on se regarde tout surpris. Au même moment, on croit entendre une voix humaine, un cri ou une mélodie. C'est simplement notre bateau qui vit avec la mer. Parole, les sirènes, on les entends souvent.
Peut-être que nous sommes bénis des dieux de la mer.
Chaque jour Laurent met sa ligne à l'eau. Le deuxième ou le troisième jour, je me suis dit que ça devenait lassant cette manie de rincer son fil. Et puis on ne sait pas pourquoi ça a commencé à marcher, du maquereau pour commencer. Et puis le grand soir, la grande fête à bord, c'était vendredi soir, inouï, incroyable, j'étais convaincue que c'était seulement des histoires de pêcheurs à terre autour d'un pastis. Laurent a pêché une magnifique daurade, la fameuse, l'illustre dont je n'ose pas écrire le nom de peur de l'estropier, vous savez, la cori... Si vous pouviez imaginer le sourire fier et béat de Laurent. Et depuis, il fait des merveilles à la pêche. C'est peut-être comme la chasse aux champignons la pêche. On cherche, on cherche, on peut rester bredouille pendant des heures. Il suffit d'en croiser un, pour que toute une culture apparaisse et que le sol se tapisse de jolis bolets bruns.
Deux mois de navigation viennent ainsi de passer depuis notre départ de Martigues. Nous sommes aujourd'hui en vue du Cap Vert. Dans l'Est de la France, En Touraine, A Marseille, partout où sont semées nos attaches, les gens baignent dans l'effervescence du réveillon. Dans la plénitude de la mer, impossible d'imaginer cette ambiance festive, pleine d'opulence et de richesses. C'est presque Noël et cela ne représente absolument rien de particulier pour nous. C'est en principe notre dernière nuit de veille avant le Cap Vert. Comme nous nous rapprochons des côtes. Nous avons repris notre veille active. A quatre heures du matin, je prends la relève. A sept heures le jour se lève. Nous sommes à vingt milles de l'île de Sal. Je devine les découpes de la côte. Je contacte les amis Tourangeaux par radio. Pierre est là, attentif, anxieux. Ouf, on est presque arrivé. Il va passer un réveillon détendu.
Le soleil luit. Il fait 23 °. Il fait délicieusement bon. On longe une île plate de roches sombres. Posés ça et là quelques sommets arrondis.
Laurent manque d'enthousiasme. Il n'est pas sûr de ce qu'il voit.
- On dirait des verrues, pire que ça on dirait des pustules. C'est moche non ?
C'est bête à dire, mais ça s'appelle le Cap Vert alors on attendait de la verdure. C'est un autre désert qui nous accueille, c'est un désert sinistre. La houle d'ouest de trois ou quatre mètres se brise sur les rochers. Des gerbes énormes éclaboussent la côte. On aperçoit deux éoliennes et d'énormes citernes Shell. On sait que l'entrée du port et de notre mouillage sont par là. D'immenses nappes d'écume jaunâtre salissent la mer qui s'agite. Nous sommes inquiets, le mouillage risque d'être rouleur.
Pas la peine d'insister sur nos péripéties de mouillage. Il y a trente voiliers dans un espace qui peut raisonnablement en accueillir une vingtaine. Presque tous en attente de météo alizé pour traverser. Certains sont là depuis quinze jours. Après trois ou quatre tentatives d'accrochage de notre ancre dans un trou acceptable, on finit par se caser. Rude gymnastique pour mes épaules. Oui, y a un guindeau électrique pour l'ancre mais quand on refait la manœuvre et qu'on la fait et la refait et qu'un orin a été annexé à l'ancre, forcément je cafouille quelque peu . Un vrai cirque. Je suis épuisée quand on décide que là où on est on reste. Je suis, vaseuse, déçue.
Un petit tour de reconnaissance à terre s'impose. Gonflage d'annexe, quelques vêtements plus "habillés", godasses autour du cou, et nous voilà sur le quai des pêcheurs. Le village s'appelle Palmeira au nord ouest de l'île. Et ce n'est pas du tout, absolument pas ce qu'on m'a raconté du Cap Vert. Dès qu'on a posé le pied sur le quai, les gens viennent à nous. Ils se présentent, nous demandent d'où on vient. Comment ça va. Les gamins sont magnifiques, beaux comme des premiers communiants. Sont-ils déjà en habit de dimanche ? Les petites filles ne sont pas prêtes, même les toutes petites de cinq ou six ans. Elles courent devant nous avec des bigoudis sur la tête. On devrait se sentir en parfaite sécurité ici, sauf qu'on a été pollué par ceux qui parlent de la ville. Les autres plaisanciers vont à terre en laissant leur bateau ouvert. Ils laissent leur annexe à un anneau à quai sans surveillance. Nous on ne sait pas. On n'ose pas et on cadenasse aussi bien le bateau que l'annexe. Je pense qu'on a eu tort. Les gens qu'on croise précisent dans un français très approximatif et avec un sourire indulgent, qu'ici c'est un endroit bien, qu'il n'y a rien à craindre... et Joyeux Noël... Je n'ai pas bonne conscience. je crains que nous les ayons offensés.
On baragouine avec ces gens qui parlent exclusivement créole une espèce de bouillie de portugais et d'anglais. On se comprend tout de travers, et on finit au bar du village. Laurent offre un coup à boire. Comme il refuse le deuxième tour, nous sommes invités à la soirée de Noël qui se passe sur la place. Ce premier contact avec le village est déconcertant. Je ne me sens pas à l'aise du tout. Les neufs jours de mer ont "ensuqué" Laurent. Lorsqu'on rentre au mouillage, il monte le premier à bord et oublie l'annexe avec moi à bord évidemment. Je dérive gentiment vers le large. J'ai les rames mais la dame de nage est foutue et je n'arrive pas à lutter contre la houle et le courant. J'ai l'air maligne ; je rouspète méchamment et bien entendu Laurent rigole, l'infâme. Sur le coup, je l'ai très mal pris. Je croyais me poser dans la cabine et dormir. Et je suis là dans l'annexe à m'éclabousser avec des coups de rame parfaitement inutiles. Et plus je m'énerve, plus je me trempe et moins je rame. Que je sois inondée de flotte ce n'est pas grave, le soleil aura vite fait de m'essorer. Mais zut je voudrais bien revenir au bateau. Je me sens affreusement ridicule et ça m'énerve. aïe aïe aïe. Et Laurent rigole toujours depuis la plate forme du voiler au lieu de plonger à mon secours. Si je l'attrape celui là, je l'étripe. D'un coup, ma colère tombe. Je suis découragée. J'en ai marre. Je me laisse simplement dériver vers le premier bateau assez proche. L'homme à bord m'a vue arriver. Il ne rigole pas lui. Ma bêtise doit l'énerver. Il se penche au dessus de son étrave. J'attrape sa chaîne de mouillage et je me tire vers lui. On se regarde, on ne se parle pas. Je voudrais juste dormir. Je lui tends une de mes rames. On se tient comme ça quelques instants l'un à l'autre. Et moi, j'attends, c'est le vide absolu dans ma tête. Je me fiche complètement de ce qu'il fera. J'envisage de lâcher la rame, de me coucher dans l'annexe et de dormir, et lui il fera ce qu'il veut de mon problème.
C'est la seule idée qui m'effleure, je me sens un peu pompette. Pourtant je n'ai pas bu d'alcool. Que m'arrive-t-il ? L'homme qui siffle entre ses dents devient complètement flou et il bouge d'une drôle de manière. Zut alors, que je suis vraiment fatiguée. Un jeune homme tout beau, tout noir, se pointe dans un zodiac pétaradant. Je me rends compte qu'il attrape mon amarre et me tire. Il me ramène tout simplement chez moi. Non, je ne rêve pas. Ce n'est pas un Tarzan des mers. C'est tout simplement le "boy" de service. Je le salue d'un geste, mais il ne me regarde même pas. Le sourire que je fais l'effort de lui adresser se cogne au cul de son annexe. Il est déjà parti. Il a du bien ricaner de me voir si godiche. Je suis si lasse, que je n'ai même plus envie de me disputer avec Laurent quand je monte sur voilier. D'ailleurs il ne rigole plus trop Laurent en m'aidant à me hisser sur le pont.
Une fois en sécurité sur Lune de Miel, je me sens bien ridicule avec ma colère. Je suis si fatiguée. Je ne sais plus si nous nous sommes parlés Laurent et moi. Je m'affale sur ma couchette. Après tout il n'y a que ça d'important à ce moment là. Je ne veux rien savoir d'autre que le sommeil dans lequel je vais enfin me laisser tomber pour quelques heures.
Dès que je suis couchée, mes idées s'éclaircissent. Il est sept heures du soir. Notre petit réveillon de mouillage est prêt. Les deux garçons nous ont parlé au téléphone dans l'après-midi. Je suis apaisée. Je dors deux bonnes heures.
Lorsque je me lève, Laurent a préparé une gentille table de carré. La soirée est sobre mais sympa. On rigole de mon épopée en annexe. On écoute radio cap vert qui émet de la musique de Noël, un tour d'horizon des chants de tous les pays. A Noël au Cap Vert on écoute "mon beau sapin" "le Noël blanc" et toutes sortes de chants qui parlent de neige, de rennes, de traîneaux. Pour les enfants d'ici je me demande ce que ça évoque le mot neige. Pour nous c'est un réveillon intime et génial.
Le jour de Noël à Palmeira, à neuf heure le matin, il fait 26 degrés. Mais le vent souffle doucement de l'est et nous rafraîchit merveilleusement. On se sent terriblement bien ici. Nous ne ressentons pas ce sentiment d'envahissement si fréquent dans les mouillages de vacances. Pourtant, il ne fait aucun doute qu'on se gêne plus ou moins. Les zones d'évitage ne sont pas franchement respectées. Il y a dans le mouillage une solidarité qui nous surprend et qui nous réjouit. On n'a pas d'argent local et il n'y a pas moyen d'en trouver avant mercredi. Aucune importance. Un voisin nous a avancé trois mille escudos qu'on ne lui demandait pas. On les rendra quand on pourra. D'autres qui ont eu des problèmes en arrivant sont venus nous conseiller pour notre mouillage. On cherche le gas-oil dans des jerrycans. Un quelconque bateau que nous n'avions pas repéré est venu nous en emprunter pour faire son plein en une fois.
Ce matin nous avons fait un tour dans le village. Les maisons sont précaires, plus ou moins finies. La rue principale est goudronnée. Il y a une petite place avec une rue qui va vers le port et passe devant l'église. Celle là est pavée. L'église, c'est plutôt une petite chapelle toute rose. On dirait une maison de poupée. Mais tout le reste, c'est des habitations en parpaings, rarement crépies, posées sur la terre tassée. On va de l'une à l'autre dans un dédale de venelles en terre battue. Les rares boutiques ne se différencient pas des maisons d'habitation. Une vieille femme abrité sous un arbre a posé un grand sac en jute tout bosselé devant elle. C'est la boulangère qu'on a cherchée longtemps dans un magasin qui n'existe pas.
Le village a fait la fête toute la nuit. Les échos de la musique ont troué le mouillage de dix heures le soir jusqu'à neuf heures ce matin. Beaucoup de monde maintenant s'active. Mais ils ont tous plus ou moins les cheveux à la verticale. On a flâné dans le village et en dehors. Laurent s'est fait d'autres copains qui nous ont initiés au punch local. Il est moins cher que la bière et moins cher qu'un verre d'eau.
Il y a une semaine nous plongions notre ancre dans cette baie avec pas mal d'appréhension. L'aspect désolé de cet énorme caillou, gris, plat et desséché, nous a vraiment inquiété. Ce n'était certes pas ce qu'on attendait du Cap Vert. Ensuite nous avons été saisi par l'harmattan, un vent local qui vient de l'Afrique et déplace d'énormes nuages de sable. Nous nous sommes réveillés au milieu de la nuit complètement estomaqués. Pourquoi ce cauchemar de mistral sifflait-il dans les haubans en pleine nuit et si loin de la Provence ? Coup d'oeil inquiet par le hublot. Les bateaux dansaient sur leur ancre et la mer soulevait des gros paquets de mousse sur la plage. La plupart des équipages veillaient sur leur pont. Toute la journée nous avons ainsi été chahutés dans le mouillage. La plage s'enveloppait d'un épais brouillard de sable. La lumière était tamisée de rose. Bien entendu dès qu'on était dehors, le vent cinglant nous gavait de poussière. Pas facile de tenir debout sur le pont. C'était pénible et impressionnant. Quant à prendre l'annexe pour accoster sur le quai, cela relevait de l'exploit. Dans la matinée nous avons dû reprendre notre mouillage parce que bien évidemment nous roulions sur un voisin. Celui de devant glissait sur notre ancre. On lui est passé bien prêt. Quand j'ai voulu lever l'ancre, un cordage coinçait dans la baille de mouillage, qu'est ce qu'il faisait là, celui-là ? Il s'est pris dans la chaîne. Laurent n'arrivait pas à tenir le bateau contre le vent. Il me braillait des ordres auxquels je répondais en hurlant que j'avais des problèmes et d'autres chats à fouetter que de l'écouter. Je vous laisse le soin d'imaginer cette pagaille; la joie totale. Mais il n'arrive rien d'insurmontable quand on a un couteau suisse dans sa poche. Deux coups de lame exaspérés, le nœud qui coinçait ma chaîne, proprement égorgé, est tombé en mer. Bien fait pour lui. Ne me demandez pas à quoi il servait.
Nous sommes restés à bord toute la journée à surveiller les mouvements désordonnés et violents du bateau. Il n'y avait rien de possible à faire à terre. Et puis, on préférait être vigilant à bord. Plus d'un a dérapé. Deux résidents permanents du mouillage ont perdu leur ancre. Pourquoi cette agitation infernale dans un mouillage jusque là si tranquille ? Et puis, le vent est tombé en début de soirée aussi brutalement qu'il était arrivé. Le calme est revenu, magique.
Beaucoup plus sympa, la nuit suivante nous avons été réveillés à deux heures du matin parce que nous ne sentions plus aucun mouvement. On se serait cru dans notre lit en Provence tellement c'était tranquille. Le silence était absolu. Préoccupé par ce calme incongru, on jette un oeil par le hublot. On s'attend à voir les bateaux plus ou moins alignés comme ils étaient en début de nuit lorsqu'un courant d'air vivifiant les maintenait sagement au bout de leur chaîne. Mais la vision qui nous est offerte sous la lune est toute autre. Il n'y a pas un pet d'air. Les voiliers n'ont plus leur allure de gentils toutous qui tirent sur leur laisse. Ils sont face à face, parallèles, têtes à culs ou tête à tête. Certains donnent l'impression qu'ils se causent. Pendant que les équipages dorment, les navires sans vent n'en font qu'à leur tête. Etant donné l'organisation des mouillages, plus d'un est venu caresser son voisin. On échange quelques mots pour rire avec ceux qui veillent. Mais pour nous pas de soucis. Pour une fois, on est bien casé. On peut se recoucher l'esprit tranquille. Quel bonheur inestimable. Au matin, y'en a qui ont de petits yeux, et ce n'est pas d'avoir fait la fête. Enfin, tout cela est anecdotique. Ces petits soucis sont compagnons obligés de notre vie au mouillage.
Nous attendons toujours le vent de nord/est, qui est annoncé, et nous permettrait d'aller vers l'île de Sao Vincente dans de bonnes conditions. Nous ne sommes pas pressés. Cette île peu accorte nous plaît infiniment.
Nous nous sommes habitués à l'aspect désolé, décharné, sauvage, aride de ce caillou plus noir que gris. C'est aussi l'ambiance tranquille des familles au quotidien. C'est un vrai privilège de pouvoir s'y poser. Nous nous y sentons comme dans mon doux village des Vosges. C'est familier, intime et reposant. Le village est propre mais il est loin d'être aseptisé. La population est agréable, et certaines images restent en moi, belles comme des rêves.
Il y a l'arrivée des barques de pêche le matin. Je ne m'en lasse pas. Ce sont de petites barcasses en bois. Il y a trois ou quatre pêcheurs à bord. Ils s'amarrent contre le quai à fleur d'eau. Ils balancent leur pêche directement sur le quai et vendent à bout de bras. Il y a une dizaine de personnes, hommes, femmes et enfants, qui guettent leur arrivée. Le poisson est nettoyé, écaillé, débité, directement dans l'eau du port. Les prix sont annoncés à la louche. Si bas qu'on ne se pose aucune question. Si on n'a pas de monnaie, le pêcheur rajoute une ou deux prises à votre choix. Il ne rend jamais la monnaie.
Les poissons locaux sont des sortes de maquereaux qu'ils appellent "caranques" et une autre sorte qui s'apparente au mérou et qu'ils appellent "garouba". Un jour ils avaient du barracuda qu'on s'est partagé à plusieurs familles. Des plongeurs rapportent de la langouste qu'on peut acheter directement à l'usine qui fait le conditionnement. Ce sera notre repas très bon marché de nouvel an. Depuis que nous sommes ici, le poisson fait partie de notre ordinaire. Dans le village il y a un marché, avec exactement trois étalages. On y trouve des fruits et légumes locaux et beaucoup de légumes secs. Il n'y a pas un kilo de tomates de disponible dans chaque présentoir. On achète donc les légumes par trois ou quatre pièces. Il n'y a jamais de quoi remplir un filet. Les légumes sont minables, les tomates à peine plus grosses que des abricots. Les poivrons de la taille des piments. Mais leur saveur est incomparable. Il y a des petites bananes à foison, qui sont fondantes et particulièrement goûteuses. On en fait une véritable cure. Depuis le petit déjeuner jusqu'à un en-cas en fin de soirée en passant par le quatre heures. Il y a aussi une petite épicerie, mais les prix sont prohibitifs. Le beurre est vendu en conserve. Les locaux y achètent le sucre, le café, le lait, uniquement en poudre. Ils y vont chaque jour et achètent une cuiller à soupe de sucre, ou de lait en poudre, trois pommes de terre, deux tomates. Les pains vendus sur la place, sont des petits pains à sandwiches, pales et sans saveur.
Il n'y a pas d'eau courante sur l'île. Une usine de dessalinisation tout près d'ici fournit l'eau pour tout le monde. Chaque matin, la "fontaine" est ouverte de neuf heures à treize heures. Tout le monde se précipite avec ses réservoirs et ses bidons pour faire le plein. L'eau est vendue trois escudos les dix litres C'est vraiment l'effervescence. Les brouettes se croisent, les femmes avec leur bidon sur la tête. Ce village est joyeux. La population est très jeune. Jusqu'à maintenant je n'ai rencontré que deux personnes qui donnaient l'impression d'avoir plus de soixante ans. Les femmes en particulier sont éblouissantes. Elles sont très coquettes. Elles portent les mêmes vêtements que nous. Soient des pantalons de toile, soient des jupes droites serrées et très courtes avec de sympathiques débardeurs légers et chatoyants. Sachant qu'elles n'ont pas de fer à repasser, je voudrais bien savoir par quel miracle elles peuvent être si élégantes. Elles sont presque toujours pieds nus. Une femme svelte et souriante me croise avec son seau sur la tête et son allure citadine. Quel merveilleux contraste. Puis sa silhouette dansante disparaît entre les murs roses et bleus. Cette vision du quotidien m'enchante. Je passe des heures assise sur un caillou à regarder passer les gens. Et bien entendu, ils s'arrêtent et me parlent. Je pense que je les intrigue parce que je m'assieds par terre les mains dans les poches. Pas de voiture, pas de lunettes de soleil, pas de caméra, pas d'appareils photos... Quelle sorte de touriste suis-je donc ?
La ville de Santa Maria au sud livre quelquefois des charters de touristes qui débarquent sur notre petite jetée avec leur attirail photographique et leurs regards dérangeants. Ils font sur la place des taches de couleur claire qui foutent en l'air toute l'harmonie du site. Les enfants ricanent d'eux, "touristes, bonbon" (ils disent bom-bom). Les touristes font semblant de pas entendre et les bousculent. Ca fait rire les gamins. Si un touriste généreux met la main à sa poche, c'est toujours ça de pris. Mais pour les enfants c'est plutôt un jeu, des paris entre eux.
Tout le monde se promène pieds nus ici, hommes, femmes, enfants. Les jeunes jouent au foot pieds nus sur la plage. Mais il y a aussi un vrai terrain pour les vrais matches. Ils sont passionnés de foot. Zizou est un véritable héros. Devant les maisons, à l'ombre des acacias, Il y a des joueurs d'échecs, de cartes et surtout du fameux jeu local, l'awalé.
Il n'y a pas de tout à l'égout. Les eaux usées sont gardées dans des seaux, hygiéniques comme on dit dans mon doux pays des Vosges. En fin de journée les femmes calent le seau sur leur tête. Elles traversent le village, dépassent la jetée des pêcheurs et des annexes des plaisanciers jusqu'aux rochers. Elles balancent leurs eaux sombres directement dans la mer. Comment voulez-vous faire autrement ? Sachant qu'il y a ici environ deux mille habitants, vous imaginez l'aspect des rochers aux abords du village. Je tremble toujours quand je vois passer une femme avec son seau sur la tête gambadant pieds nus d'un rocher à l'autre. Mais y a pas de soucis, l'équilibre est idéal, la démarche parfaitement assurée. Les poubelles publiques sont juste au dessus, dans le même coin. Elles sont ramassées deux fois par semaine et débordent largement autour. Pour peu que l'harmattan s'en mêle, cela fait le bonheur des chèvres et des ânes qui broutent les bouteilles de bière ou de cocas. Les pauvres bêtes sont d'une maigreur effrayante. Il n'y a pratiquement pas de viande ici,. Lorsqu'on en trouve, elle est congelée. Les locaux font des brochettes de poulet. Il ne fait aucun doute que les volailles sont garanties d'élevage au grand air. Il faut les éviter quand on flâne entre les maisons. C'est d'ailleurs assez sympathique le matin d'être réveillé à bord par le chant du coq. Mais ces bestioles sont tellement raides que c'est immangeable.
Le rhum local est très doux et je l'apprécie. Les hommes en boivent des quantités impressionnantes. Outre le "ti punch", ils nous ont aussi proposé une préparation sympathique de rhum au cacao. C'est de loin, le rhum que j'apprécie le plus. Pour moi du moment qu'il y a du chocolat.
La vie s'organise aussi avec les autres bateaux. On se rend des services, on se file des tuyaux. La solidarité est totale. Ce soir, pour la fin de l'année nous improvisons une soirée sur un autre bateau, Okeanos. Plus tard, nous irons faire un tour dans le village qui lui va, probablement exploser si c'est comme à Noël. Ce sera sûrement intéressant.
Quel étrange réveillon de fin d'année. La soirée a été vraiment chouette. On était reçu par Claude, propriétaire d'Okeanos et résident permanent de l'île. Il vit sur son bateau. C'est le pilier du mouillage.
C'est l'image type du baroudeur quinquagénaire. Il vient d'Ostende, où il était pâtissier dans sa jeunesse. Passionné de plongée pendant ses loisirs, il en a vite fait son gagne-pain. Il s'est construit son ketch, dix huit mètres, en acier, il y a une vingtaine d'années. Il a vécu huit ans à Conakry. Il travaillait sur des îles à la protection des tortues et gonflait son pécule comme chercheur d'épaves. Il s'y est fort enrichi. Il raconte des histoires fabuleuses dont il est toujours le héros. Nous l'écoutons les yeux grands comme des soucoupes et la bouche en cul de poule. Et puis tout son visage s'éclaire, et il rigole en silence, rien qu'avec ses yeux. Il agrémente ses propos d'une stupide histoire belge. On se dit qu'il se fout de nous. Mais ces histoires sont tellement extraordinaires. Et c'est si bon de rire bêtement.
On était huit chez lui. Nous avons partagé des mets délicats. C'était vraiment l'opulence. Soirée intime, ambiance exotique et un peu mystérieuse.
Ce matin, j'avais la tête un peu à l'envers. Dans ces cas-là, je m'offre une pause hamac. Le hamac, il est installé entre l'étai et le mat, à l'avant du bateau. Quand on est allongé dans le hamac on a une vision panoramique du mouillage. Sous le soleil, les constructions claires illuminent les abords rocheux qui bordent le mouillage. La petite chapelle rose domine la place au dessus du quai. Les maisons ont l'air pimpantes de loin. Elles alignent leurs couleurs à l'arrière. C'est jour de fête et les pêcheurs sont restés à terre. Les barques sont enchaînées les unes aux autres et font leur ronde juste devant le quai. Les enfants bruns, sautent au milieu du cercle en poussant de grands cris. Notre voilier est un peu en retrait dans le milieu de la baie, face à la plage. L'alizé qui s'installe froisse la surface de l'eau. Le chant du vent est régulier. Le hamac me berce d'un bord à l'autre dans un mouvement que l'inertie du bateau contrarie. C'est assez étrange comme sensation. Pour qui souffre d'insomnie, c'est à mon avis un remède incomparable. Je bénéficie du soleil et de l'air frais. Tous les deux me caressent délicatement. J'écoute les bruits du village, les ânes, les coqs, les enfants. il y a des cris, des rires, et des rares voitures. La température est idéale. Je laisse simplement venir à moi la vie molle du village, lendemain de fête.
Quand je suis ainsi paresseusement étalée dans le hamac, j'ai du mal d'imaginer certaines histoires qui courent à travers l'île concernant les requins. Il paraît qu'ils sont plus nombreux qu'on croit ; ils attaquent rarement l'homme, mais ça arrive si le sang les attire dans le secteur. Il y a deux mois, un Allemand qui barbotait autour de son bateau s'est fait dévorer tout cru là où nous sommes. Un voisin débitait un thon juste à côté de lui, directement dans le mouillage. Ils n'ont même pas vu arriver le requin. Il arrive subrepticement en eau profonde quand il veut fondre sur une proie. Comme ici les fonds sont troubles à cause du sable tout le temps brassé avec l'eau. Personne n'a vu venir le drame.
A vingt kilomètres d'ici, la ville de Santa Maria est organisée en immense complexe touristique. Les requins n'ont pas le droit d'y zoner. L'escale requin est uniquement à Palmeira. A Santa Maria, il y a une trentaine d'années c'était encore le havre des tortues qui ont bien vite disparu des plages bouleversées par le tourisme. Il y a d'immenses plages de sable doré, et le site est organisé pour le bien être des clients qui paient cher le luxe qu'on leur propose. Je n'aime pas Santa Maria qui bénéficie pourtant d'un fabuleux bord de mer. On y rencontre des flâneurs venus d'Europe qui s'offrent ainsi une page de vie dorée. Les femmes étalent négligemment leurs bijoux et les hommes se donnent des airs décontractés. Une allée pavée faite pour les escarpins des si jolies dames, permet de longer la plage sur des kilomètres. C'est aseptisé, lumineux, rassurant et parfaitement artificiel. Dans les complexes hôteliers tout est prévu pour simplifier la vie des résidents et leur éviter de fastueuses recherches en ville. Location de voiture, taxis, boutiques, équipements sportifs. La route qui vient du village est une véritable frontière entre deux mondes qui ne doivent surtout pas se rencontrer. Le pays et les touristes.
Je suis soulagée lorsque je reviens à Palmeira. Pourtant à Palmeira, le sable est plutôt noir. La baie n'est pas très bien abritée et la mer toujours opaque. Le village est pauvre mais il n'y a pas de misère. Le quai des pêcheurs est souvent puant mais si joyeux. Les gamins nous courent dans les jambes. Laurent aussi y est heureux. Si nous nous y sentons si bien c'est que probablement il est à notre mesure.
Ces gens ne sont pas riches. Ils n'ont pas l'eau courante, ils n'ont aucun confort dit moderne. Peu de télés, pas de machines à laver, voitures en ruines ou pas de voiture du tout, pas de téléphones, ni fixes, ni portables. Mais ils vivent plutôt bien. Ils ont des vélos, des brouettes, des femmes qui portent des charges impressionnantes sur leur tête. Ils mangent de la volaille et du poisson en guise de viande. Ils sont bien nourris. Ils sont propres, ils sont bien habillés. Il n'y a pas de mendiants, aucun nécessiteux d'aucune sorte. Ils vivent simplement avec ce qu'ils ont. A cause de l'influence des touristes qui prennent de plus en plus de place, à cause de l'alcool et du haschich que les jeunes consomment sans modération, Je suis inquiète toutefois pour l'avenir de Sal.
Il y a quelques jours, nous avons loué un taxi qui nous a conduits à la saline. Mais pas n'importe quel taxi. Nous avons mobilisé un taxi collectif pour nous deux. Ici les taxis collectifs sont des "pick-up" transformés en char à bancs. Dix à douze personnes s'y entassent pour aller à Espargos, la ville la plus proche et aussi l'aéroport. Le taxi nous a emmenés à Pedra de Lume et il nous a recherchés en fin d'après midi. Nous avons fait les trente kilomètres de route à travers ce désert de roches qu'est l'île de Sal, secoués comme des pruniers, la tête en prise direct avec le vent. Une course très vivifiante et rigolote. Ensuite, nous avons largement eu le temps d'explorer le site. La saline est un immense cratère légèrement en dessous du niveau de la mer d'environ un demi kilomètre carré à un kilomètre de la baie. L'évaporation naturelle de l'eau laisse de magnifiques dépôts de sel. Vers 1850 la saline a été exploitée et le sel exporté en particulier vers le Brésil. Aujourd'hui l'activité est très réduite et ne concerne que la consommation locale. Mais c'est un endroit vraiment extraordinaire. Les bassins étalent leurs cristaux blancs irisés de rose et de mauve. Les fonds du volcan sont couverts de dentelles étincelantes. On accède à ce cratère par un tunnel qui débouche sur une vaste étendue blanche et brillante qui se fond dans le bleu de la mer. C'est comme des tapis de neige qui s'étaleraient là par inadvertance. Quelle merveille. Les ruines des anciens équipements de l'exploitation donnent un air surréaliste à cette descente hors du temps, hors du monde.
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On est mercredi, nous sommes à Sal depuis dix jours. L'alizé se manifeste régulièrement. Nous avons décidé de quitter Palmeira pour Sao Vincente. Nous avons eu beaucoup d'échos contradictoires de Mindelo et nous avons envie de nous y frotter avant de quitter le Cap Vert. Dès que nous avons quitté la baie nous sommes pris dans une houle infernale. La fameuse mer croisée que je crains le plus. Les vagues sont exceptionnellement courtes, quatre à cinq mètres, fréquence tous les huit secondes. Laurent n'a déroulé que le foc. Notre allure est bonne, six nœuds au largue. Ce serait pépère sans cette maudite houle.
J'ai du mal à quitter Palmeira. Après plus d'une semaine ici, j'avais établi des liens. Je m'étais orgnaisé un quotidien tranquille. Sérénité totale. Hier soir, j'ai dit à tout le monde "à demain" comme les autres soirs. Je ne voulais pas admettre que Sal allait s'arrêter. C'est toujours comme ça quand on quitte un lieu attachant. Il faut s'arracher. C'est douloureux. Mais en même temps, j'ai envie d'autre chose et je vois s'éloigner les rochers noirs avec une sorte de fébrilité.
Le ciel est chargé de lourds nuages et le soleil est hésitant. On n'a guère chaud à bord. Le vent vingt à vingt cinq nœuds nous pousse sur les vagues mais le voilier fait de drôles d'embardées. Nous nous relayons toutes les trois heures pour la nuit. Il pleut des poissons volants sur le pont que je remets scrupuleusement à l'eau.
Nous arrivons à Mindelo à neuf heures le matin. Nous avons mis dix huit heures pour faire cent vingt milles. C'est pas si mal. Le mouillage est sympa. Mais l'alizé souffle ici par rafales très violentes qui nous ont surpris. Les sommets qui nous entourent provoquent cet effet d'entonnoir.
On a mis soixante mètres de chaîne. J'espère qu'on dormira tranquille.
Le mouillage est vaste, on peut tourner autour de nos ancres.
Notre première approche de la ville n'est pas enthousiaste. Il n'y a rien de génial ici. La ville nous paraît banale, à part quelques maisons de type colonial qui sont vraiment jolies. Il y a des magasins, des boutiques, un marché local. Bien ordinaire tout ça. Lorsqu'on débarque sur la plage avec l'annexe on se fait harponner par un mec qui nous impose quasiment de lui confier notre zodiac. On accepte, on sait que sinon il sera volé. Quand on revient, le zodiac est toujours là, mais personne ne le garde. On est revenu au bateau quelque peu indécis; On verra ça demain. Le mec demain nous demandera-t-il de lui payer une surveillance qu'il n'a pas faite ? On doit retourner à terre pour acheter des légumes et du pain.
Après demain on doit traverser vers les Antilles. Nous nous assurerons toutefois que la fenêtre météo est acceptable avant de nous lancer. La traversée doit durer une vingtaine de jours.
Décidément, Mindelo est décevante. Où se cache donc l'exotisme qu'on vient chercher ici. La tour fortifiée de Belem, incongrue dans ce ciel d'Afrique, affiche l'histoire du pays et son influence portugaise. Nous sommes loin de la sérénité de Palmeira. Il n'y a pas de port, juste un immense mouillage. Le vent dévale de l'île voisine de santo Antao entre les sommets de Sao Vincente. Le mouillage est au fond de ce vaste entonnoir. L'effet venturi est éprouvant. Nous restons confinés à l'intérieur du bateau. C'est franchement dommage. Prendre l'annexe pour aller à terre relève de l'exploit. A la rame, il vaut mieux ne pas y compter. Notre gardien sénégalais est agréable et sympa. On a passé avec lui un contrat oral pour un forfait journalier de cinq cents escudos. Garde systématique du canot, de jour comme de nuit, prise en charge de nos poubelles, aide aux transbordements de nos vivres, enfin tous services adaptés à nos servitudes de mouillage.
Que dire de Mindelo ; que le marché est minable ; qu'on se fait souvent accoster par des ambulants africains, Sénégal-Ghana-Mali, et que c'est quelque peu agaçant ; que le vent très violent soulève de vrais nuages de poussière ocre ; que cette poussière masque souvent le fond de la baie et question paysage, ça laisse à désirer ; que Laurent y a noyé son portefeuille avec ses papiers, sa carte bleue et quelques petits sous.
Bref, qu'on a décidé de changer de site et qu'on prend le large demain....
Le Cap Vert ne dispose d'aucun équipement spécifique pour les voyageurs de la mer et les mouillages sont franchement pénibles. Il vaut mieux venir ici en avion et s'y offrir d'un bon hôtel la découverte des îles.
6 janvier 2001
Je ne sais pas si c'est de bon augure, mais nous quittons la baie de Mindelo presque au calme à douze heures, temps universel.. Relève de mouillage sans histoire. Les bateaux copains qui nous entourent fêtent notre départ dans un sympathique concert de cornes de brume. On est carrément euphorique. Je suis sûre que notre bel optimisme auréole notre embarcation. Vous vous rendez compte, on va traverser l'atlantique, tous les deux tous seuls, l'aventure commence.
Petit pincement dans l'intérieur du corps, et magnifique impatience...
On a toujours raison de rêver, raison d'espérer. C'est toujours ça de pris sur l'adversité. Mais la dure réalité de la navigation nous tombe vite sur les voiles. A peine Lune de Miel engagé dans le couloir entre les deux îles, Sao Antao, San Vincente, l'effet Venturi nous bouscule violemment. On s'y attendait. On était toilé très modeste, un ris dans la grand voile et trinquette. Mais le rappel est sévère. La mer est hachée, torturée, affreusement pénible. Nous naviguons ainsi pendant deux heures de secouage permanent. D'énormes giclées de vagues nous bondissent dessus par le travers. Les claques sont glaciales et éprouvantes malgré la capote. Pourtant j'ai dans les yeux l'image magnifique des rochers sur lesquels la mer brise en lames violentes. Nous dépassons San Vincente. Nous sommes sortis du couloir et de ses effets dévastateurs. Autre genre de galère, le calme absolu, irrémédiable et désespérant de la mer masquée par l'île San Antao que nous longeons pendant deux bonnes heures au moteur évidemment. En fin de soirée, nous sommes à une vingtaine de milles de la côte, elle s'estompe gentiment, mais on est toujours en panne de vent. Le calme est revenu, nous nous détendons. Il suffit de s'armer de patience en attendant le vent. Nous quittons la terre en douceur et c'est si bon de partager le spectacle vivant de la mer assagie.
Nous sommes rattrapés par une famille de dauphins qui apparaît à bâbord. Elle nous dépasse et prend la ligne devant l'étrave pour nous guider un bout de chemin. Il y a un gros spécimen plein de cicatrices, que nous décidons être le papa ; un spécimen plus fin, plus élégant à la peau lisse et brillante qui est sûrement une jeune maman ; les deux enfants suivent. Les parents tiennent la route, à distance égale de l'étrave. Mais les gamins sont turbulents ; ils se chevauchent, coupent la route aux adultes, font des cabrioles. De temps en temps, l'un d'eux se laisse dépasser par le voilier, on le voit soudain faire un bond le long de la coque, il tend son nez vers nous. Petit curieux va ! Lorsque l'un passe à portée d'un parent, il se prend un coup de nageoire bien appliqué. Est-ce une calotte de rappel à l'ordre ou une caresse affective ? Laurent et moi nous sommes subjugués. On se penche comme des malades par dessus le balcon avant pour les voir de plus près. Laurent tente quelques photos, c'est pas facile; C'est que c'est vif ces sympathiques animaux. On voudrait bien les garder avec nous, le plus longtemps possible. On fait comme y'en a qui font pour les attirer. Laurent tape sur la coque à s'en faire péter la paume de la main. Et moi pour me donner une contenance, faire celle qui réagit aussi, je pousse des petits couinements qui voudraient imiter le cri de Flipper le dauphin.
Se lancer à travers l'atlantique en pareil équipage toute de même ça a de l'allure. Quatre dauphins ouvrent la marche, Lune de Miel les poursuit avec à l'avant un couple cocasse, dont un mec qui joue du tam-tam sur la coque et une qui pousse des couinements impossibles à identifier.
On a sûrement l'air malin. Mais c'est ça qui est génial, on est les seuls à le savoir et on s'amuse follement...
Avant que tombe la nuit, la balade dominicale des dauphins à pris fin. Notre accompagnement musical et anarchique a du finir par les écœurer. Les poissons volants bondissent hors de l'eau. Au début on admirait leurs ricochets, lequel ira le plus loin, on faisait des paris ? On croyait que d'un violent coup de queue ils se propulsaient hors de l'eau pour échapper au prédateur. Mais point du tout. Il s'agit de vrais vols. Ces étonnants poissons sont équipés de nageoires pectorales comme des voiles qui battent l'air. En fait, ils les utilisent comme des ailes. Ils se déplacent au dessus de l'eau en dirigeant leurs longs sauts planés au dessus des vagues. Ce sont de magnifiques libellules grosses comme des sardines. Ils ne sont pas très doués et souvent ils tombent sur le pont. Laurent qui affiche rarement sa culture les appelle des "exocet". J'aime bien ce nom. "Exaucé". Alors quand j'en trouve un qui se tortille sur le pont, échoué là par inadvertance, je lui file une petite pichenette pour le rendre à son milieu et je fais un vœu... Dans les images d’Épinal, il y a tout plein de bonnes fées en perdition qui sont ainsi sauvées par des humains compatissants. En échange, elles couvrent leur sauveur de bienfaits. Donc, j'en sauve un maximum. Il ne s'agit pas que je loupe ma bonne fée. Et je fais toujours le même vœu. Je ne vous dirai pas lequel , ça romprait le charme.
Le vent très doucement s'installe. En une demi heure on obtient un bon courant d'air force quatre, cinq, allure sympathique de largue. Hélas, il faut compter avec l'état de la mer. Une houle profonde d'environ quatre mètres nous prend toujours par le travers. On est salement secoué. Avec la nuit qui tombe, la mer devient toute noire. La houle, c'est un mur sombre qui glisse sous la coque et nous renverse pour réapparaître sur l'autre bord. J'ai l'impression de naviguer entre deux murs. Je me sens vraiment mal tout d'un coup.
L'angoisse vous savez, cette sensation terrible d'oppression, de trouille insurmontable, incontrôlable. Les vagues frappent violemment la coque. L'écume bouillonne au ras du pont. Des petits yeux verts et jaunes étincellent et cherchent à envahir le cockpit. Le ciel est tout couvert, il n'y a pas de lumière céleste. D'un coup notre allure change, le spido affiche sept nœuds puis neuf. On a un ris dans la grand voile et le foc est déroulé. Les vagues qui s'écrasent contre les flans du voilier font un barouf épouvantable. Je crois sentir quelques gouttes. On ne sait pas ce qui nous attend. La nuit tombe. Faudrait-il pas réduire la voilure ? On décide de prendre trois ris et de rouler la moitié du foc. S'il faut rajouter de la toile, ce sera plus facile que de réduire dans cette mer de folie qui a l'air de s'énerver.
A peine avons-nous organisé notre voilure réduite que des trombes d'eau nous tombent dessus. De grosses gouttes qui vous trempent en deux rincées. Il pleut à seaux , comme on dit... Le raffut et le brassage des vagues, deviennent éprouvants. On avance vite mais c'est très inconfortable. Laurent est renfrogné. Je le sens nerveux. La pluie se transforme en fin brouillard, et le vent d'un coup tombe complètement. Nous ne sommes plus appuyés sur les vagues et le brassage devient franchement pénible. Merci Nautamine, ça me permet de tenir la route. Le niveau sonore redevient acceptable. Le vent se stabilise et chantonne dans les haubans. Nous venons d'affronter notre premier grain. Il a duré un quart d'heure. Le monstrueux nuage noir qui bouchait le ciel s'éloigne. C'est alors que nous remarquons un bruit très suspect. Vous savez cet affreux grincement d'une mécanique prête à rompre son contrat de travail . C'est bien entendu au niveau de la bôme que ça se passe.
Laurent l'observe d'un air peu amène.
- Elle est nulle cette bôme. Elle n'est pas adaptée à ce bateau. Elle va nous péter sur la tête.
Génial, le grain avait neutralisé mon angoisse. Du coup, elle me remonte violemment au niveau de l'estomac. Maintenant je sais au moins de quoi j'ai peur. Pourtant, je crois bien que j'entends pas le même grincement que lui. Peu importe, c'est très préoccupant. Puis-je exprimer mes doutes ?
- A mon avis, ce n'est pas un problème de fixation de la bôme. Je crois que le bruit vient de l'arrière de la bôme, pas de l'avant, ni du milieu. C'est quoi ce bruit ?
- Pourquoi tu poses des questions idiotes ? Regarde seulement cette fixation, tu verras que ça vient pas de l'arrière.
Sauf que moi, quand je veux entendre d'où vient un son, avant de regarder, j'écoute. Et plus j'écoute, plus ça vient de derrière. Franchement, il m'énerve ce mec. Puisque c'est comme ça, je me tais. C'est pas que je boude, mais je préfère réfléchir pour moi toute seule. D'abord, je ne supporte pas qu'on m'accuse de "question idiote". Depuis des années, je m'entraîne à ne poser que des questions intelligentes. Et vlan, d'un coup, juste parce que Monsieur est de mauvaise humeur, il me saccage de dures années de labeur intellectuel.. D'abord si on nous avait appris à poser des questions intelligentes quand on était petit on serait sûrement moins bête en devenant vieux. Voilà encore un précepte éducatif que je découvre trop tard. Quel dommage pour mes gamins. D'ailleurs, il est réconfortant de penser qu'il n'y a pas de question bête. Il n'y a pas non plus de questions mal posées. Il n'y a que des questions mal comprises. Et toc pour Laurent !
Pendant que je remue tout ce fatras dans ma cabosse, le grincement s'amplifie donc va devenir identifiable, ou comme dit Laurent, "nous pétera sur la tête". Mais je suis contrariée donc je m'en fiche. On a bien ralenti, il ne pleut plus. On avance à moins de quatre nœuds, et j'ai mal au coeur. Laurent sort du carré. Il observe longuement la bôme. Incroyable, il se gratte les cheveux. Ouf on est sauvé. Le génie va bientôt sortir...
- On est des cloches. C'est notre troisième prise de ris qui grince. Tout de même c'est farceur un cordage quelquefois...
"On" qu'il dit. Il continue avec sa douce voix des jours amoureux...
- Il faut qu'on envoie toute la voile, profitons-en, le vent est bien tombé et on pourra avancer. On sera appuyé sur l'eau et moins secoué, d'accord ?
Lumière de hune, lumière de pont... Harnais bien arrimé à la ligne de vie. Nouveau branle-bas de combats. Manœuvre rondement menée dont l'efficacité est remarquable. On passe d'un coup à plus de huit nœuds.
A vingt trois heures, relais radar. Je m'allonge sur la couchette navigateur du carré, Laurent sur la banquette. On dors côte à côte même si ce n'est pas au même étage. On peut communiquer. Et puis je me sens si seule, si triste. Je suis contente qu'il reste près de moi. Mais c'est une nuit infernale. J'ai dénombré seize sortes de sons différents, qui se partagent entre les allures du vent ; les sifflements frottements, grincements d'écoutes ; les battements de drisses ; les raclements et grincements de poulies ; les claquements, chuintements, ou frappes de l'eau et des vagues sans oublier le glissement du bateau sur la mer et les ronflements de Laurent. Mais il y a, aussi et surtout quand on veut dormir, la ferlette facétieuse ou le jeu de clés nerveux qui vont se balancer contre une cloison ; il y a une bouteille on une conserve mal calée qui va se balancer au fond d'un coffre ; il y a la bouilloire ou la cafetière qui grince sur la gazinière ; il y a le bois des équipés et des cloisons qui travaille ; il y a une porte mal bloquée qui claque. Il y a le pilote automatique qui gémit... ou encore pire, qui ne gémit plus.
Pensez si j'ai eu le temps de les dénombrer tous ces parasites. Lorsqu'un bruit est identifié, je ne m'en soucie plus. Quand j'ai un doute, je réveille Laurent. Réponse invariable entre sommeil et réveil comateux
- T'inquiète pas, c'est normal, dors...
Combien de temps prévu ce voyage ? une vingtaine de jours ? Dans ces conditions ?
Au secours ...
Quelle élégance ce boléro au milieu de l'océan ...
Au fil ne notre navigation, d'étranges nuits s'organisent. Je me couche vers vingt heures sur la couchette navigateur au niveau des hublots du carré. Laurent veille dehors jusqu'à vingt trois heures ou minuit. Il se couche à l'avant et met le radar en veille. Ce qui est génial c'est que le radar réagit dès qu'un grain s'annonce dans un rayon de deux milles. J'ai donc le temps de sauter du lit pour surveiller notre navigation et adapter éventuellement la voilure à l'état du ciel. Ainsi je peux à la fois dormir et veiller. Quelquefois, le radar m'alerte pour du semblant de grain, j'attends simplement qu'il passe en surveillant l'écran. Quelquefois, il est carrément dérouté vers l'Est et nous frôle sans nous toucher. Je le surveille jusqu'à ce qu'il soit sorti de notre zone. Quelquefois, au moins deux fois dans la nuit, il nous dépasse et nous arrose copieusement. Si c'est un petit grain je me contente de fermer les issues extérieures. Si c'est un gros grain, je donne quelques tours à l'enrouleur pour soulager le pilote automatique et je surveille ces surfs intempestifs qui ont vite fait de nous coucher dans la houle. En gros, je dors une heure et je suis en état d'alerte, scotchée devant l'écran radar environ une demi heure. Mais ces veilles passent très vite. Je regarde bouger le ciel, et je suis fascinée par les gros amas de nuages qui se promènent sur l'écran radar. Quand tout rentre dans l'ordre, que réapparaissent les étoiles, je réactive l'alarme et me recouche pour un nouveau cycle de veille passive. Vers six heures du matin, lorsque le jour est levé, Laurent prend la relève. C'est mon tour de dormir profondément.
La nuit, je ne sais pas évaluer la hauteur de la houle, ni la violence des vagues. Il y a simplement des ombres bruyantes qui passent autour du bateau ou dessous. D'énormes paquets de nuages noirs traversent le ciel qui se confond avec l'horizon. Lorsque le jour se lève et s'il n'y a pas de grain, la mer est beaucoup plus stable que le soir. On voit très loin à l'horizon et la houle est longue, même si les creux sont profonds. Le réveil est toujours apaisant. La journée qui s'annonce promet d'être meilleure.
Quatre jours de navigation et l'alizé est là. Le foc Pichon est tangonné et le génois partiellement déroulé, Cela permet d'assurer le tirage du bateau vers l'avant. La mer est toujours aussi pénible. Nous croisons notre premier cargo en pleine nuit ; encore un qui est en plein sur notre route. A vrai dire on ne le croise pas, il vient de derrière et veut nous passer devant pour aller vers le sud. Mais ça ne semble pas le préoccuper. C'est toujours la même histoire. Laurent l'appelle par VHF, encore un qui est sourd. A un demi mille de lui, on décide de se dérouter. On est devenu plus malin, on a un radar et on l'utilise désormais. Quand le cargo nous double, Laurent le rappelle. Le mec répond qu'il est désolé, il ne parle que l'anglais. Laurent reprend.
- Vous nous avez vu ?
- Bien sûr, pas de problème. Merci pour la manœuvre. Beau travail.
C'est sûr, ça nous réconforte d'entendre ça. Mais est-ce si rassurant qu'on veut bien se le dire ?
Nous sommes familiarisés avec les grains qui sont quotidiens. Il y a toutes sortes de grains, les gros sont impressionnants. Jusqu'à ce jour, en fait de gros grain, je ne connaissais que celui que ma grande sœur achetait en mercerie pour finir ses jupes. Ce qu'ils ont de communs avec ceux de la mer, c'est qu'ils sont noirs. D'abord l'air s'agite autour de nous, un petit souffle de plus. Un rien d'accélération qu'on sent nettement au niveau de l'oreille. Le son et la caresse deviennent plus appuyés. Coup d'oeil vers le ciel. La grosse masse noire du nuage nous rattrape à toute allure. La houle instantanément se creuse. On passe fréquemment de deux à trois mètres de houle à plus de six mètres. La surface de l'eau se froisse. La mer devient noire. C'est le moment de réduire la voilure. On roule le foc enrouleur à la même taille que le foc Pichon, c'est à dire environ de moitié.
D'un coup le voilier bondit. Le vent s'oriente plus Nord que Est. Le pilote automatique n'aime pas ça et nous déroute. Les vagues nous rattrapent à fond de train. Elles nous soulèvent par l'arrière et nous glisse en douceur vers l'avant. J'appelle ça l'allure érotique. C'est vrai tout de même, ça ne se fait pas de prendre les gens comme ça par leur dessous, et par l'arrière. L'eau prend des reflets inquiétant, couleur bronze. Dans ces cas là, on se sent plus tranquille de barrer à la main. Il est arrivé qu'on surfe sur une vague. On passe alors de sept, huit nœuds à plus de dix. Pas le moment de s'affoler. C'est grisant aussi. Lorsqu'on est debout derrière la grand'roue, qu'on est à la crête d'une vague de sept mètres et qu'on se voit plonger dans la suivante. Et puis le vent qui hurle dans les oreilles, les vagues intempestives qui ne suivent pas leurs copines et nous frappent de temps en temps par le travers. Ah, celles-là sont vraiment traîtres. On a beau être arrimé au cockpit, si chute il y a, elle promet d'être sévère.
La pluie tombe d'un coup et très violemment. Les gouttes écrasent la mer. Des millions de perles de cristal piquent la surface de l'eau et dominent la houle qui s'aplatit à vue d'oeil. La mer est domptée par le grain. Elle s'étale en immenses dunes mouvantes. Le vent retombe presque instantanément. Métamorphose incroyable. En Méditerranée, sous les brumes maritimes, la mer quelquefois devient du lait. En Atlantique, La mer sous un grain devient à la fois du sucre et du sable. Il m'est arrivé d'être allongée dans la couchette navigateur au niveau des hublots du carré. Quand les creux se forment, d'un coup les hublots se voilent. Je vois arriver la mer et j'ai l'impression d'être dans un "vision scaph". Il n'y a plus d'horizon, juste une eau claire avec quelques éclats qui bouillonnent. Y a pas de doute de temps en temps dans le bouillon, j'y suis pour de bon. Mais quelquefois les grains sont insignifiants et on ne réduit pas systématiquement la voilure. On est maintenant à peu près capable de les évaluer, à la taille des nuages et au grondement du vent.
Le ciel est toujours extraordinaire. Des nuages en pagaille, de toutes sortes. Déchiffrer les nuages, ça prend un temps considérable. C'est très ludique. Presque autant que de déchiffrer les étoiles. Chaque matin au lever du soleil qui troue les nuages un magnifique arc en ciel surgit à l'ouest. Pile en face de nous. Il nous ouvre son immense porche pour la journée. J'adore cette vision du matin. Le soir l'arc en ciel est au nord est. Il paraît plus proche. On a quelquefois l'impression qu'en tendant le bras on pourrait le toucher. Il pose ses pieds sur la surface de l'eau pour son bain du soir. J'ai envie de lui passer une savonnette et une serviette de bain. Je fais des commentaires pour lui sur l'état de la mer...
Les jours passent et Laurent devient un expert de la pêche; Deux jours sur trois on mange du poisson. En général c'est de la daurade. On la prépare de bien des manières, à l'ail, à la crème, à la moutarde, nature, panée...
Un fois, une sorte d'aiguillette, un poisson très fin, très goûteux, un pur délice qui nous a fait deux repas... Et puis aussi du tazard...
Notre pain de mie, qui datait des Canaries a fini par moisir. J'ai de la farine de campagne et levure de boulanger déshydratée, alors je fais notre pain... L'arôme du pain frais qui cuit dans le four au milieu de l'océan, inoubliable sensation; pour moi c'est la plus extraordinaire de toutes les sensations que j'ai pu ressentir pendant ce voyage.
Depuis notre départ jusqu'à maintenant, j'ai traversé des moments d'angoisse inexplicable. Un matin, je suis sortie du carré, Laurent venait d'installer sa ligne de pêche. Il devait être huit heures du matin, soleil, mer à peu près sage. Tout allait bien. Et puis j'ai vu la mer au niveau du pont. Les vagues qui montaient au delà de l'étrave. J'avais l'impression que Lune de Miel bondissait n'importe comment. J'ose à peine l'avouer, mais j'ai trouvé qu'il y avait trop d'eau partout. Est-ce qu'on ne s'est pas enfoncé pendant la nuit ? Alors en douce, je suis redescendue dans le carré. J'ai soulevé quelques lattes du plancher, ouf, y'avait pas d'eau.
La nuit qui tombait aussi m'affolait quelquefois. Mais c'était juste pour moi en secret. Aux premières accélérations de mon coeur, je me forçais à scruter la mer, pour y trouver les reflets magiques qui rassurent. Les effets que je connais bien. Tout ce qui peut m'être familier depuis ces quelques jours de navigation. Lorsque nous assurons nos quarts, la règle est de s'attacher, quel que soit le temps. Dès l'instant que l'un de nous dort, l'autre s'attache au cockpit. S'il bouge de son espace protégé, il réveille l'autre. Nous avons très vite adopté cette règle, parce que sinon, je me réveillais tous les cinq minutes pour m'assurer que Laurent était toujours à bord., que le moindre choc de vague ou de cordage n'était pas le bruit de sa chute dans l'eau. Il s'est vite rendu compte à quel point ce souci me pourrissait la vie. Il respecte donc ce contrat de sécurité et je peux jouir pleinement de mes temps de repos...
Et puis aujourd'hui, lundi 14 janvier, c'est un grand jour. On a bouclé la moitié de la route. Nous venons d'ouvrir une bouteille de Rioja pour fêter ça. Il se passe dans ma tête quelque chose de difficile. Depuis notre départ, il y a de multiples moments d'enchantements, mais il y a toujours tapi au fond de mes entrailles, un incontrôlable malaise. Voilà que je comprends pourquoi ce malaise. Dans la première partie du voyage, on quitte la terre et on s'enfonce loin dans la mer, de plus en plus loin. Chaque mille qui passe nous livre de plus en plus à la mer et à l'insécurité. Aujourd'hui on change d'option. C'est la deuxième partie du voyage et chaque mille qui passe nous rapproche de la terre. Chaque mille qui passe nous rassure. Et puis, la première partie c'est vraiment bien déroulée sans rien d'insurmontable, alors y'a pas de raison que ça change. Finalement, peut-être qu'on en sortira de ce voyage un peu fou.
Nous utilisons depuis Gibraltar, le pilote automatique tout neuf parce que s'il doit tomber en panne nous préférons que ce soit pendant qu'il est sous garantie. Celui du bateau est en secours. Laurent a été fort déçu par cet outil tout neuf qui ressemble vraiment à un jouet lorsqu'on l'installe et qu'on le regarde de près. Donc ce jouet depuis ce matin patine. Et ça défrise Laurent qui lui promet une mort certaine s'il nous fait défaut.
Depuis deux jours, Laurent affirme que ce pilote est une merde . Aujourd'hui, il a enfin eu raison. Le pilote à peine né est mort. Encore un beau cirque. Fin d'après midi, avec toujours la houle qui nous secoue allègrement.. Installation de la barre franche. Là je m'offre un moment de pur délire sportif à la barre franche. Je retrouve des sensations sympathiques, le contact rude avec le bateau, avec la mer. C'est épuisant mais magnifique. Ensuite désinstallation de la grand roue pour changement de pilote, entre deux grains. Je me bagarre avec la barre franche en négociant les grains pendant que Laurent ayant calé son matériel sur la table du carré le mieux qu'il peut, désosse le pilote déficient. Il diagnostique une usure précoce de galets plastiques. Il les inverse, histoire d'user l'autre face et de continuer à piloter avec. Remanip de changement de barre. Toujours entre deux grains, réinstallation de l'engin. Ouf, ça marche. Si, si, je vous jure, un vrai miracle ; ça marche comme si c'était neuf, pendant deux heures. Au moment où la nuit tombe, d'un coup le pilote ne répond plus. Il n'y a plus de pilote à bord. Et là c'est définitif. La courroie s'est rompue. Pas commode du tout la troisième manip de transfert de barre, puis de pilote. Parce que voyez-vous, la mer nous chahute toujours durement et en plus il fait nuit noire. Par exemple histoire de faire la vraie pagaille il pourrait nous tomber dessus un nouveau gros grain, qu'on ne verrait pas venir, vu que la nuit est noire comme de l'encre.
Bon, le gros grain nous est épargné. On a tout remis bien comme il faut avec le pilote d'origine du voilier. Matériel moins puissant, moins sophistiqué mais il paraît d'excellente facture. Ne parlons pas à Laurent en ce moment. Dans sa tête, c'est aussi la nuit noire. Il ronchonne pour lui-même.
Que dit-il Laurent :
- Tu sais, on n'est pas des marins. On n'est pas prêt pour les tracas de navigation. J'en ai marre d'affronter tous les problèmes. Je me sens seul.... J'ai le cafard...
Je m'offre une douce vengeance pas charitable du tout :
- T'inquiète pas c'est normal, dors !
Je peux faire comme si c'était une nuit apaisante, de celle qui porte de bons conseils. Je vais voir Laurent dans sa couchette avant et l'invite à me rejoindre un moment dans la douceur du cockpit. Il vient scruter la nuit dehors, passer un moment de douce rêverie sous les nuages. Lorsqu'on est calé dans le cockpit, les mouvements du bateau sont plus doux, on s'y sent très très bien.
Mais le matin nous retrouve en profonde déprime. Le pilote déficient nous a tué le moral. Et en plus la météo s'annonce catastrophique avec des vents de vingt huit à trente nœuds pour le week-end et jusqu'à mardi. Bien entendu la mer va aller en se creusant. Quelle programme ! Rien de dangereux en perspective mais question croisière, le rythme n'y est pas.
Comme dirait notre André, ami météo Canadien.
- Vous n'avez pas de chance, ça va brasser... Il nous dit aussi qu'une ligne de grains nous arrive dessus et qu'on est en plein dans la zone. Ce phénomène aggravant ne va pas nous simplifier la vie. Il nous suggère donc de tirer un bord vers le nord, au lieu de l'ouest, quitte à nous dérouter un peu pour naviguer dans de meilleures conditions.
Conseil judicieux, mais je ne sais pas si ça nous simplifie la vie. Nous naviguons au grand largue et on affronte les vagues presque de face. Mais nous appliquons à la lettre ce bon vieux précepte de marins avertis. "A l'annonce du mauvais temps, il faut le fuir tribord amure", (du moins tant qu'on est dans l'hémisphère nord).
C'est une nuit d'horreur. On ne ferme pas l'oeil de la nuit. C'est épouvantable le raffut que ça subit un bateau. Et lorsque la mer est bien levée et que le vent suit, c'est insupportable. Et pourtant on n'a pas le choix, faut supporter. Quelle conne de vie ! Il faut ajouter à cela que le chahut des vagues nous a garanti des chutes sévères, une bonne dizaine de bleus chacun et souvent fort impressionnants. Et ça ne nous amuse pas du tout, mais alors vraiment pas du tout.
Pour la veille, Laurent ne peut pas dormir à l'avant. Il réintègre la banquette du carré. Dans l'euphorie de le savoir si près, j'oublie ma toile antiroulis. En principe on est sur le bon bord pour être scotché contre la cloison. Mais les vagues sont facétieuses. Au milieu de la nuit, je suis violemment basculée en bas de ma couchette et je tombe sur quelque chose de délicieusement mou, d'incroyablement élastique. Pauvre Laurent. Je suis coincée sur lui, entre la table et sa couchette. Quant à lui, il a du mal à comprendre ce qui arrive et gigote comme il peut pour se dépêtrer de cette chose énorme qui l'étouffe. Quand je vous parle d'une nuit d'horreur !
C'est un vendredi sympathique qui s'annonce. Nous sommes sortis de la zone sensible, au delà du 15°30' de latitude, on reprend notre cap plein ouest. Quel soulagement. La houle est toujours de trois ou quatre mètres mais çà nous paraît merveilleusement calme et stable.
Nos deux focs s'associent de nouveau avec allégresse pour nous tirer bien vers l'avant. Nous sommes plein vent arrière désormais. Après les maltraitances du bord de largue, cette allure mémère nous paraît délicieusement confortable. On se laisse aller à de sympathiques observations maritimes. On écoute de la musique. On chante. En mer, il suffit de si peu pour transformer la vie....
Deux jours de calme relatif. Mais c'est dimanche. Le vent nous était promis par nos amis météo, la mer nous était annoncée par nos amis météo,. On les a eus. Et ça continue. Et on en a marre d'être secoué. C'est épuisant, exaspérant, désespérant. Les objets sont doués d'animation. Ils échappent complètement à notre contrôle. Mais de quoi veulent-ils donc se venger ?
Vous posez un verre dans le fond de l'évier avec un peu de café. Vous le lâchez une seconde pour prendre un sucre, sûr et certain, c'est à ce moment là qu'il se renverse. Vous voulez boire un verre d'eau, vous ne savez pas comment ni pourquoi la moitié du contenu se répand sur votre menton, encore heureux quand il ne s'agit pas de vin rouge ou de chocolat chaud. Vous posez un outil sur une table, c'est garanti, assuré, il vous giclera sur les pieds malgré les rebords de table, dès que vous le quitterez des yeux.
Si c'est une énorme clé à mollette, c'est dommage pour vos orteils. Les sièges vous expulsent violemment contre n'importe quelle paroi, les marches des escaliers c'est le casse binette garanti. Les revues et les bouquins volent à travers le carré. Vous prenez des claques et des coups de vous ne savez quoi, ni d'où ça vient. C'est éprouvant parce que ça ne prévient pas, et on a vraiment l'impression que c'est fait exprès juste pour nous embêter. Je n'ai jamais entendu Laurent maudire les objets autant que depuis ces quelques jours. Des fois on essaie d'en rire, mais c'est trop usant, jamais ça ne s'arrête et en plus c'est souvent douloureux. Quand on fait des manœuvres, roulez du foc ou choquer une voile, on est systématiquement déséquilibré en plein effort.
Et puis de temps en temps la mer s'assagit. En général juste après un grain. Ça ne dure pas longtemps, mais c'est un bien doux bonheur.
Ouf, il ne reste que cent quatre vingt quatorze milles à parcourir.
Depuis deux nuits nous avons décidé d'accélérer la cadence. En assurant une veille active alternée nuit et jour, sans réduire le foc, sauf sous grain violent, on doit pouvoir assurer cent cinquante milles par jour, ce qui nous permettrait d'arriver demain soir. Donc on fait des "quarts" de deux heures chacun. J'ai du mal à prendre le rythme et je ronchonne quand je dois m'extirper de mes rêves au bout de deux heures. Pourtant une fois dehors, j'aime bien me trouver seule sur le pont avec les étoiles et la lune et surtout les nuages. S'il y a un grain, nous nous faisons vraiment rincer. Idéal pour nous tenir éveillés. S'il n'y a pas de grain, on chante, plus exactement, on murmure nos chansons, pour pas réveiller le copilote. Le lendemain on est un peu enroué, coup de frais du grain ou fatigue vocale. Un peu des deux probablement.
Les amis radioamateurs Tourangeaux qui nous ont accompagnés tout le long de ce voyage sont enthousiasmes et heureux lors de la vacation de nous savoir si près du but. Pendant ces dix sept jours, les uns ou les autres se sont toujours débrouillés pour avoir le contact avec nous. Cet accompagnement a été pour nous un bonheur inestimable. Au milieu de la mer, à des centaines de milles de la terre ferme, on était rassuré de les savoir là, vigilants et attentifs à nos moindres soucis, à nos moindres états d'âmes, à nos moindres bonheurs. Ils se sont fait du souci pour nous, ils se sont réjouis avec nous, ils ont été de tout ce voyage, fidèles et disponibles. Ils ont été le lien avec nos enfants. Ils ont été les voix qui rassurent, qui réconfortent et qui se réjouissent avec nous. Et puis chaque jour, nous avons retrouvé l'incontournable Réseau météo du Capitaine, géniale et chaleureuse assistance. André, Jean- Guy, Pierre et Michel, si vous saviez comme je vous aime.
C'est mardi. Il est environ midi locale. A une vingtaine de milles on aperçoit dans la bande grise de l'horizon des découpes un peu plus sombres. La Martinique enfin se dévoile. Nous avons longuement étudié le guide, les cartes, nous savons où atterrir. L'idée d'arriver nous transporte de joie. Enfin, en ce qui me concerne, pas trop longtemps. Très vite, je me torture la cervelle en projections hasardeuses. Comment ça va se passer ? D'abord qu'est-ce qui prouve que c'est la Martinique ? La carte signale des patates partout, des immenses rochers qui affleurent à la surface. Saurons-nous les repérer ? S'il fait nuit quand on arrive, comment s'en sortir ?
Notre arrivée se passe dans une ambiance tendue. Alors qu'on devrait être fous de joie, on a toutes les chances, on arrive à seize heures en plein jour, on ne peut rêver meilleure condition , on est surtout très mal à l'aise.
Laurent parce que mes angoisses l'exaspèrent.
- y'a aucun problème et je comprends pas pourquoi tu stresses comme ça.
Au moment où il finit ça phrase, les signe précurseurs d'un bon grain s'annoncent. Ce n'est vraiment pas le moment. Il nous faut donc encore négocier celui-là et pas des moindre avant d'entrer à l'abri.
Lorsque nous arrivons dans la baie "du Marin", on prend l'alizé de face. Je n'ai plus l'habitude de cette sorte d'allure. Depuis des jours, nous avons navigué au portant. Le vent me hurle dans les oreilles, et même au moteur pour traverser les zones de mouillage et s'engager dans le chenal , le voilier par moment se couche. Je suis effrayée. Le tour de force c'est d'installer les défenses le long de la coque et de préparer les amarres alors que je suis terrorisée et en semi sommeil. Je me rends bien compte que les plages sont bordées de cocotiers et que j'entre dans l'exotisme. Mais ça a plutôt des allures de cauchemar. Je me sens loin, loin de la magnifique réalité des cartes postales qui défilent sous mes yeux. Rien ne va dans ma tête. J'en pleurerais de désespoir. Je n'ose pas regarder Laurent, je crois qu'il n'est pas au mieux de sa forme. Que nous arrive-t-il ?
Le port nous accorde une place. La capitainerie nous envoie des marineros pour l'accostage. Quoi rêver de mieux ? Une demi heure plus tard, nous sommes solidement amarrés à un quai sympathique. Nous nous laissons tomber sur les bancs du cockpit, et on respire un grand coup. Nous nous sentons assommés, vidés. Je prends la main de Laurent, on se blotti l'un contre l'autre, et on respire, on respire. Il est là, tout beau, tout chaud, tout entier. J'en pleurerais.
- Tu te rends compte, on est arrivé en Martinique, tous les deux, tous seuls.....et à la voile. Tu sais à quoi je nous fais penser ?
- A deux voileux débutants ?
- Non, à deux pucerons, qui seraient tout fiers d'avoir traversé une mare aux canards.
Et on rigole, on rigole... Un excès de fatigues peut-être....
On réfléchira à ça demain... le plus urgent est di-contre
Jeudi 20 août 2020
Sur le coup de presque midi, départ comme d’hab, aux aurores. A partir de la 113, cap nord ouest, la route file sous nos pneus. Des foultitudes de voitures nordistes nous dépassent… Pas de doute, c’est la fin de la période estivale pour les aoûtiens, mais nous, enfin on s’échappe.
Notre première étape sera pour les grottes de Trabuc. Et là, les touristes qui s’attardent sont nombreux, un paquet de gamins qui risquent de rater la rentrée. Encore des attardés qui vont bouchonner les accès aux voies rapides. Que donc nous éviterons.
Trabuc est un circuit aménagé à travers les boyaux de la grotte. Des escaliers, des passerelles, se glissent entre des voûtes découpées, sculptées comme des dentelles de cathédrale sur 45 mètres de profondeur… pause magnifique sur une plate forme qui domine un lac vert. L’eau dormante y étale ses plis de soie mordorée. C’est un bel endroit où s’attarder mais pas en période estivale. Pas avec un masque permanent sur le nez et la bouche. Venez y, c’est grandiose !
Fin d’après-midi, nous redécouvrons la Corniche des Cévennes que nous avions déjà déroulée en moto et nous retrouvons le même enchantement. Falaises et sommets en enfilade, nous décidons de prendre de l’altitude. Nous dormirons à « Le Pompidou », 750 m, petite hauteur vivifiante . Nous sommes deux occupants dans le camping municipal très rustique. Les sanitaires sont fermés à cause de la crise covid. Pas grave, on a de l’autonomie.
Ma main gauche est hyper sensible et je la protège. Laurent assure toutes les corvées du quotidien. Je crois même que ça lui plaît.
Vendredi 21 août 2020
Dans la matinée, nous partons à l’assaut du col de Tararbisas, plaisir de se dérouiller les jambes sur un sentier puis sur une piste caillouteuse. Une sympathique grimpée, face aux sommets arrondis qui fuient vers l’horizon.
A la tombée de la nuit, le museau face au ciel, nos yeux se perdent dans une belle nuit étoilée. L’allumeur de réverbères se déchaîne.
Remise en question de Laurent :
- Tu tiens absolument à aller jusqu’au bout du pays ?
- C’est où le bout du pays ?
- On parlait du nord, de Cherbourg à Dunkerque par exemple.
Faut bien que je l’avoue, j’ai très envie de découvrir cette France extrême que je ne connais pas. C’était là, que je situais l’exotisme de mes vacances. Mais on peut faire ça plus tard… ou jamais.
Donc je triche un peu sur ma réponse.
- J’y tiens pas absolument du moment que je voyage et que je découvre des coins nouveaux et tranquilles… Vacances sereines, mari épanoui, telles sont mes priorités.
Grand sourire de Laurent.
- Y’a tant d’espaces. Moi j’ai envie de faire ici du tourisme de proximité.
- On tracerait des lignes à travers l’Aubrac et les monts du Cantal
- Et je serai ton pilote de ligne, sans compter que je me débrouille pas comme un manche.
- Non, mais tu vas tirer pas mal de bords.
- Dis trésor et si on tirait des bords carrés ?
Notre petit camion frise l’euphorie. C’est chouette d’être d’accord.
Samedi matin, la Corniche des Cévennes change d’aspect. La route est bordée de sorbiers flamboyants. Les milans en larges cercles traquent depuis le ciel, les chaumes desséchés. Nous ferons une courte pause café à Florac, petite ville sage et sans prétention.
Nuitée à Ispagnac sympathique village médiévale de granit clair, au bord du Tarn. Nous y déambulerons avec bonheur. Beaucoup de plages aménagées dans les galets, de rares familles s’y éclaboussent et pataugent. Un bonheur de vacances.
Lundi, Laurent nous pilote vers Mende. La cathédrale dresse son clocher pointu, magnifique flèche brandie vers le ciel. Mais la ville ne nous attire pas.
Nous nous installerons dans le pré d’une fromagerie de Saint Gal, cernée de blocs de granit ; Ici les vaches sont beiges, le poil quasiment ras, une rassurante silhouette de nourrice opulente. De bien belles nounous pour notre petite Tamara.
En soirée, la laiterie est ouverte. Nous y dégustons un fromage local goûteux et pas cher, assez proche du saint nectaire en saveur. Nous renouvelons notre stock de laiterie, beurre et yaourts en produits frais, ni traités, ni pasteurisés. Un rappel nostalgique de nos paysans Charantillais. J’ai adoré… Et puis ces vaches de l’Aubrac, couleur claire de la roche sont très élégantes.
Mardi 25 août 2020
Quand on rêve d’aventure on ne résiste pas à la bête du Gévaudan. C’est donc dans le parc des loups que nous passerons la nuit ; dans ce parc clos, les loups vivent en liberté, des allées confortables permettent de déambuler en toute sécurité à travers cette immense forêt. Gros morceau de chance, les visiteurs s’éparpillent sans bousculade. C’est chouette. Le meilleur moment c’est le spectacle pédagogique de la fauconnerie « Griffondor » qui éduque hiboux, chouettes, aigles, buses et autres rapaces…
Depuis Harry Potter on connaît tous cette école prestigieuse. Les deux fauconniers aussi jeunes que passionnés, sont joyeux, taquins et très affectifs. Une heure émerveillée entre des rapaces éduqués et très sympathiques, un brin facétieux. Ils décollent et atterrissent au ras de nos cheveux, leurs ailes nous caressent les sourcils en passant. Les grands yeux jaunes d’un hibou nous dévisage à la portée de notre nez.
Dans la sécurité du petit camion, tard le soir, je guette sous ma couette les hurlements de loups de l’autre côté de la clôture. J’essaie d’entendre les différentes modulations, cris, appels, crainte, besoin, ou plaisir et complicité… Impossible à décrypter mais c’est un concert qui m’interpelle. Je me demande pourquoi on n’entend pas les loups le jour.
Pause café à Saint Chély d’Apcher, ville sinueuse et agitée. Elle ne convient pas au petit camion. Passons donc…
La découverte de l’Aubrac nous enchante. Les prairies sont plus vertes, plus grasses. Les sorbiers rouges illuminent des forêts brouillons, d’épicéas, de peupliers, et autres feuillus. Je me sens bien dans cet univers sauvage, qui cache de secrètes profondeurs.
Nous passerons la nuit à Le Malzieu, village du XIème siècle magnifique et peu fréquenté. Les maisons de granit clair sont très chics, parfaitement rénovées. Les fleurs s’épanouissent au bord des fenêtres, le long des trottoirs… La Truyère se déverse en bras ombragés à travers la ville.
Le petit camion part enthousiaste à l’assaut de la route des thermes. Pause réparatrice à Chaudes Aigues, pour ma main gauche toujours douloureuse et trop peu peu opérationnelle.
Dans la ville nous repérons la fontaine du Par, la source coule à 82° mais je préfère m’attarder dans le lavoir municipal dont les bassins sont à 65°.
J’y plonge ma main blessée, elle s’y épanouit comme une étoile à cinq branches. Les nuances de bleu qui teintaient ma paume, le dessus de la main et le poignet sont passées au jaune verdâtre, avec le fond du bassin de rinçage en fond d’écran, je trouve que ma main a de l’allure. Je la plonge, la remonte en quelques secondes, (c’est vraiment chaud cette source) puis replonge… Super, je suis en phase d’autoréparation.
Nous prenons la route des monts du Cantal sinueuse, très forestière, toujours brouillonne envahie de fougères. Nous passerons le pont de Lanau sur la Truyère, qui s’élargit en un bien joli lac où flânent mollement deux canots.
Vendredi 28 août 2020
Pluie annoncée. Camping municipal de Fridefont, quasi désert. Pause tranquille, sobre et économique. Demain le soleil revient, nous déciderons alors de notre prochaine étape.
Affectueuses pensées à nos petits qui vont reprendre l’école, nous penserons à eux lundi. Et puis je crois bien que Tamara va découvrir sa nouvelle vie chez la nounou…
SAMEDI 29-08-20 Camping municipal de Fridefont sous les averses…. Et les éclaircies
Après un tour sympathique dans un sentier balisé « peuches » (petites collines) à travers prairies et forêts touffues, nous méritons l’un des plus beaux moments de notre rituel de vacances. Dans les villages, nous repérons toujours une petite église, une petite chapelle à quelques pas de notre pause du jour. Laurent m’y offre un concert de flûte traversière. Remarquable parce que la profondeur de la nef, la hauteur des voûtes, l’épaisseur des murs, permettent dans ces édifices, une sonorité dont l’écho amplifie et feutre le timbre de la flûte. C’est magnifique. A Fridefont, église du XIIe, parfaitement entretenue, je m’installe à l’avant de l’église. Mais la résonance est telle que c’est une soupe de notes plutôt indigestes. Je propose donc à Laurent de venir près de l’autel. Un lutrin où reposent les pages du prochain office, pile à sa hauteur, lui fera un support idéal pour ses partitions. Le son ne résonnera pas entre les arrondis de la nef, et ce sera plus comestible pour moi, installée alors au fond de l’église. Car un peu de résonance enrichit le son, mais trop, c’est trop.
Au moment où Laurent s’installe au lutrin, une alarme stridente, assourdissante, épouvantable se déclenche. Tétanisés, les mains sur les oreilles, nous attendons d’interminables minutes que ce vacarme s’éteigne.
Au moment où le calme revient, une vieille dame un peu décoiffée et les vêtements en vrac déboule très fâchée, dans l’église Elle fonce vers Laurent toujours debout derrière le lutrin, sa flûte dans la main, l’air parfaitement idiot. Et moi qui me tasse sur mon banc à l’arrière de l’église.
- C’est vous qui avez déclenché l’alarme. Z’avez pas vu le panneau ?
Laurent tout penaud se gratte le front,
- Ben non, désolé, je voulais juste faire une sorte de prière musicale. C’est pas autorisé.
Toujours revêche, la vieille dame,
- Si, c’est autorisé mais vous n’aviez pas le droit de vous installer là.
Pendant que je m’approche, elle se radoucit,
- Bon, vous êtes quand même sympas de pas vous être sauvés lâchement. La plupart du temps quand j’arrive, y’a plus personne, et là, je suis vraiment en colère.
Puis elle me regarde,
- Vous avez l’intention d’assister à l ‘office de 17h ?
Pas trop courageuse, je n’ai guère envie d’affronter une nouvelle colère je réponds stupidement.
- Pourquoi pas ?
Comme nous savons tous, ce genre de réponse sous entend pour le questionneur une réponse en oui… La dame devient tout sourire, prend le temps de redresser une mèche qui lui tombe sur l’oeil.
- Vous pourriez accompagner nos chants, il n’y a jamais de musicien ici.
Là, je fais signe à Laurent que sur ce point je ne me sens absolument pas concernée.
Ils se mettent donc d’accord tous les deux, mais faut quand même l’autorisation du « Père » qui officie et qui arrive fort à propos.
C’est un géant noir, allure décontractée. Il porte une petite mallette, on dirait un représentant pour machines agricoles. Mais de loin seulement. De près il n‘est guère avenant. Requête formulée par son ouaille favorite. Il semble peut enthousiaste, mais ne veut pas contrarier la dame. Et là c’est rigolo car Laurent ne sait pas quoi jouer, et le prêtre pas plus que Laurent ;
- Faites comme vous voulez, c’est une messe ordinaire, vous pouvez jouer aux moments de l’élévation, il y en a deux, et moins d’une minute chacune de vos interventions.
- D’accord, mais comment je saurai que c’est le moment ; vous me ferez signe ?
Haussement d’épaules agacés du curé,
- non, ce n’est pas possible pendant l’office je ne peux pas communiquer avec vous, et avec le masque en plus. Mais quand je finirai la prière,
(…..qu’il cite à toute vitesse et dont on ne repère aucun mot intelligible), je lève les mains au dessus de mon visage, pendant ce silence vous pouvez jouer… je le ferai deux fois…
Là dessus, il se dirige à pas lents vers la sacristie. Regards perplexes de Laurent qui épluche ses pages de notes sans conviction, puis se tourne vers moi.
- Tu me feras signe ? Et puis je joue quoi ?
Je lui suggère la gymnopédie de Satie, lent et douloureux, s’il le fait très lent, ça peut devenir très mystique. Et puis il connaît parfaitement, faudrait pas qu’il se vautre…
Les gens du village entrent en scène. Nous sommes surpris car c’est un tout petit village et l’assemblée compte une bonne trentaine de personnes. Aucun regard vers nous.
La messe se déroule avec tout son arsenal de prières, de chants, d’incitation au recueillement. De très jolis textes du nouveau testament sont proposés à notre réflexion. Quelques instants avant l’élévation, je touche le bras de Laurent et les notes de Satie montent et s’enchaînent avec douceur et majesté vers la voûte. C’est cristallin, enchanteur, magnifique. Les têtes se tournent vers le flûtiste, on oublie un instant que se déroule un office religieux. Quelques sourires heureux mais aussi quelques moues réprobatrices…
« car les braves gens n’aiment pas que…L’on suive une autre route qu’eux ! »
A la fin de l’office, lorsque lentement l’église se vide, Laurent décidément inspiré envoie une autre mélodie, « Ave Maria » … Moi, je suis enchantée, le public, je ne sais pas trop.
Lorsque nous sortons discrètement, les groupes qui papotent sur le parvis de l’église nous saluent presque timidement où nous ignorent. Quelle étrange expérience, presque onirique. D’ailleurs c’était un samedi, drôle de jour pour la messe du dimanche.
31-08 – viaduc de Garabit que nous devons comme vous savez à Monsieur Eiffel et qui permet au train de traverser la Truyère. Puis cap sur Saint Flour
Notre route laisse apparaître au détour d’un pont un magnifique château sur son éperon rocheux. A ses pieds un sympathique espace herbeux nous attend pour la nuit. Un sentier monte vers le château mais nous repérons plus loin un panneau tout miteux presque effacé « cascade »…. Et bien entendu nous ne résistons pas à cet invitation.
Quelle merveille, le sentier court à travers la forêt tantôt terreux, tantôt caillouteux, en descente un peu hasardeuses. On se rapproche, la cascade ronronne pas très loin. Et d’un coup nous sommes à quelques pas d’une plage de rochers. Une falaise nous fait face qui protège la grande vasque ou dégringole la cascade. Nous avons trouvé ce site formidable en fin de soirée et la lumière est étrange. Mais promis, juré, je reviens demain matin.
Mercredi 2 septembre.
Nous voulons tenter l’expérience d’un « buron ». Le buron ici, c’est une fromagerie d’estives. Autrement dit, en été, les paysans montent les vaches au pré et ces constructions de pierre un peu rudimentaire permettent de travailler sur place. La plupart de ces « burons » belles bâtisses de pierre noires sont aujourd’hui transformées en auberge de dégustation de l’aligot ou de ventes de fromages locaux. Notre Gps nous signale un « buron » qui fait de l’accueil pour les camping-caristes.
Nous ne sommes pas d’accord Laurent et moi, car la route que je vois sur la carte me paraît précaire, mais Laurent se fie d’abord à son gps… La dessus on n’est vraiment pas d’accord. Et nous voilà engagés dans une route à une seule voie mais praticable… on peut même envisager de croiser un vélo peut-être ? Croisons les poings, croisons les fesses…
Ça évolue, la route étroite devient une piste caillouteuse à ornières… Le top… Pourvu qu’on croise personne (quand je pense que par l’autre côté on arrivait par la route...d’accord c’était un peu plus long…) Bingo, un tracteur à remorque déboule d’un virage… Je propose à Laurent la stratégie d’Annette à La Rouvière, « tu t’arrêtes et t’attends qu’il bouge ». Ce que Laurent fait. Nous n’en revenons pas, le tracteur continue d’avancer, à quelques mètres il monte sur le bord de la piste avec sa remorque qui prend une inclinaison fort inquiétante… Et le paysan avec un grand sourire confiant nous fait signe de passer… On frôle le côté descendant du passage, mais ça passe… Rien que d’y penser, je tremble encore.
Quand on arrive au buron, c’est un espace paysan encombré d’engins agricoles, dans les caillasses où il sera difficile de caler le petit camion. Nous décidons donc de reprendre la route, « dans le bon sens »…
- Laurent tu veux bien couper la chique au Gps s’il te plaît?
Nos journées se poursuivent avec de belles découvertes. Après le dure montée au Puy Mary, ouvert sur le vaste horizon des monts du Cantal, nous partons à la découverte de villes rustiques et belles. La campagne toujours verte, de vastes prairies, des forêts aussi sauvages qu’enchantées. Les fermes sont opulentes et majestueuses. De belles bâtisses en grès noir, chaque pierre bordée de blanc, flanquée souvent d’une ou deux tours au toits de Lauze qui pointent vers le ciel. Quel beau pays.
Après Salers,nous passons en Corrèze. Un bien beau département. Tout aussi champêtre, tout aussi rustique, tout aussi rurale. On adore.
Mais avant je dois vous dire que j’ai rencontré au Cantal, la vache la plus sublime de toutes mes rencontres de vaches. Les troupeaux de Salers inondent les prés d’animaux au poil ras brillant, couleur rouille ou acajou. Ces reflets leur donnent une silhouette harmonieuse pas du tout massive. Elle ruminent tranquillement avec majesté. Les cornes en forme de lyre se teintent de brun ou de noir à la pointe. Oh là, là, que ces vaches sont belles. Quelle classe !
Dimanche 6 septembre 2020
Marcillac la Croisille. Il faut que je me préoccupe de la lessive. Nous décidons de prendre nos aises et le confort d’un lave-linge et d’une sécheuse au camping du lac de Lavalette. Pas grand monde et nous bénéficions d’un grand espace sous un chêne plusieurs fois centenaires… qui pleut des glands… Ça nous fait rire… enfin moi surtout, quand ça tombe dans le pastis de Laurent.
C'EST QUI LA PLUS BELLE ?
Lundi 7 septembre 2020
Nous quittons le confort de Marcillac la Croisille sous un soleil voilé et température fraîche. 18° à midi. Pause déconcertante à Gimmel les Cascades. La chapelle est ornée d’un retable aux couleurs lumineuses, qui date du XVème siècle rouge-or-vert. rénové il y a une dizaine d’années, ce qui explique sa fraîcheur. Dans une petite alcôve, secrètement fermée, protégé par une vitre anti-choc, un reliquaire de St Étienne. Cet espèce de sarcophage est de la taille d’une grosse boîte à bijoux, en fine orfèvrerie cerclée d’or.
- Dis Laurent y’a quoi à ton avis dans ce reliquaire.
- C’est quoi un reliquaire ?
- Disons, c’est une sorte de boîte à bijoux. On y garde ce qui reste d’un personnage vénéré, d’un martyr.
- Il est mort quand Saint Étienne ?
- Ouh là là, vers l’an 37, je crois. Même que c’est le premier martyr chrétien… au moins l’un des premiers.
- Et tu crois qui reste quoi de lui aujourd’hui ? Pour moi, c’est plutôt un vieux truc à valeur sentimentale.
- T’as raison surtout que ce coffret ne date que de quelques centaines d’années. Il ne devait déjà plus rester grand-chose du Saint Etienne.
Hé oui, nous autres mécréants, ne pouvons nous émouvoir que de richesses extérieures.
Encore une image de puits et l'autre versant change. Des fougères immenses, qui dépassent le petit camion, bordent les forêts. Elles deviennent infranchissables. Et débouchent sur le plateau des mille vaches, coeur du Cantal.
- T’es contente, c’est un pays pour toi ça, les mille vaches…
- Super tu me feras tout plein de portraits. C’est la Noiraude qui sera contente.
Sauf que, mille vaches ça vient d’un vieux mot local « vaca » qui signifie sources…
Les campagnes du cantal sont riches. Les fermes immenses et coquettes, avec de beaux toits en ardoises. C’est un monde rural apaisant. Les troupeaux de vaches (si elles ne sont pas mille) restent impressionnants. Les vaches ressemblent beaucoup au type Aubrac. Couleur caramel blond, jusqu’au presque blanc quelquefois. Leurs cornes sont courtes, légèrement incurvées. Mais surtout, leur museau et leurs yeux sont cerclés de blanc. Ce qui donne à leur regard une profondeur magnifique. Les plus coquettes aux yeux charbonneux sont craquantes. Ce sont de grosses bêtes bien lourdes et opulentes. De bonnes laitières.
Mais une nouvelle mode sévit dans le pays des vaches. La tendance, c’est de sélectionner des vaches sans cornes. Je les aime bien aussi, les embryons de cornes couverts de duvets clairs leur font comme un bonnet arrondi de chaque côté du crâne. Elles ont un p’tit air de première communiante… très douces, filles modèles en quelque sorte.
A Egleton nous entrons au pays des myrtilles. Seulement en rêve, ce n’est plus la saison. Avec toujours les burons d'estive.
Au niveau de Meymac, les forêts de pins douglas se socialisent. Des remparts de grumes s’alignent le long de la route et les engins travaillent activement. C’est une forêt qui a quelque chose d’urbanisé. Nous décidons de prendre la route des gorges de la Dordogne et ses multiples barrages. Ici celui de Chastaing avant celui de Bort les Orgues.
mardi 8 septembre- Journiac
Nous trouverons un site extraordinaire pour pauser notre petit camion au milieu des forêts de pins dans une propriété privée… Aventures hasardeuses toujours, heureuses presque toujours.
Notre marche quotidienne nous entraîne vers le lac (retenue des barrages sur la Dordogne). Une virée exténuante d’environ 2h. Nous traversons l’immense forêt. Son silence nous saisit. Nous avons le sentiment d’être seuls au fond d’un monde aussi rustique que propre et accueillant. Sauf qu’au détour d’un virage, je m’immobilise sidérée…
Deux jeunes biches fusent à travers la piste… presque sous mon nez… Et moi, qui nous croyais isolés du monde. Mon Dieu, qu’elles étaient belles…
Nous sommes toujours en altitude (environ 1000m) . Le Tour de France nous poursuit… Pourvu qu’il nous rattrape pas. On commence à croiser bien du monde. Nous décidons de nous réfugier au camping de la Tour d’Auvergne. Nous n’aurons de place qu’une nuit… Faut dire que les champions du tour traverseront le village demain pour foncer vers le Puits Mary et tous les lieux sont pris d’assaut… Nous connaissons les cols qu’ils vont affronter. Quel courage ils ont ces hommes là.
A la Bourboule, avant de rejoindre le petit camion, nous jetons un œil vers la montée du téléphérique. Et nous distinguons à cette altitude, d’un bord à l’autre de la vallée un long câble tendu. Et sur ce câble une silhouette en contre-jour qui traverse lentement le ciel… Pourquoi sommes-nous les seuls, Laurent et moi, le nez en l'air, le regard scotché sur ce fou qui défie les nuages. (Peut-être le distinguerez-vous sur la photo, et pourrez me dire si c’est une homme ou une femme, ou une hallucination)
Espinchal -Aveyron
A Espinchal, il n'y a rien, aucun commerce mais quantité de randonneurs pour explorer de belles pistes parfaitement aménagées. On nous informe qu'à 18h le marchand ambulant qui vend absolument de tout (pain, épicerie, plats préparés, boissons, viennoiserie... )passe sur la grande place du village après son tour dans le village. Epatant on va refaire le plein de frais.
Lundi 14 septembre 2020. Thérondels
Quelques pauses plein champs. Si vous venez dans le coin, je vous conseille le sympathique village de Thérondels dans l'Aveyron. La commune met à notre disposition d’immenses prés au bord du village que nous partageons avec les vaches. Juste un fil nous sépare de ces dames. Laurent nous a trouvés un sentier extraordinaire qui domine les monts de l’Aubrac. Varié, sauvage mais parfaitement tracé, des prairies, des sommets au ras des nuages… des forêts… Et une sorte de vilain « maringoin » qui m’a dévoré la jambe… Les charmes de la campagne, version comment survivre aux sauvages locaux !
Au fond des prés, un étang abrite quelques oies sauvages. Nous avons eu de bonnes compagnies dans nos campements isolés, des ânes, des loups, des vaches. Mais ici on découvre une autre ambiance. En soirée, les oies s’envolent. Elles tournent et virent en longs cercles en poussant de drôles de cris… Ça dure une petite demie-heure puis tout rentre dans l’ordre. Mais ça recommencera dans la nuit.
jeudi 17 septembre – La météo s’annonce catastrophique pour la fin de semaine et la semaine suivante. Nous décidons d’aller faire un saut à Laguiole, capitale du couteau… visite du musée, déambulation à travers la ville hyper touristique même à cette saison. Ne nous attardons pas.
Vendredi 18 septembre.
Nous nous plaisons vraiment bien en Aubrac, nous choisissons de nous arrêter au village du même nom. Nous ferons un tour au musée local dédié à l’histoire rurale de l’Aubrac et à la gloire de leurs vaches sympathiques.
Une autre pause à Bozouls, village très étonnant. La petite rivière Bordou, (à peine une cascade) si petite qu’elle soit, a creusé en quelques millénaires une immense falaise sur laquelle est construit le village. La corniche qui domine ces falaises est remarquable.
Samedi 19 septembre 2020. Nous trouvons un camping municipal à Campagnac. Le régisseur est en hivernage depuis le 15 septembre. La commune laisse le terrain et les sanitaires en libre accès pendant l'hiver. C'est génial. On y est les seuls campeurs dans un site magnifique. Une grande marche hier comme on les aime, entre sentiers muletiers, forêts et prés... De quoi nous ressourcer en attendant la pluie. Encore un endroit fort accueillant pour qui aime l'isolement. Laurent attend une éclaircie pour aller ramasser les noix qui tapissent les sentiers.
Je suis en mode rêverie au bord de la prairie… Hé puis, je reconnais le timbre baryton d'un Laurent des grands jours. Alors forcément ça m’interpelle. Vu que nous sommes seuls, à qui s’adresse-t-il. si tendrement. Comme s’il se forçait à parler doux…
- Oh, t’en as des beaux yeux, approche un peu, allez, doucement….
…
La voix de Laurent se veloute. Mince alors, pour qui tous ces efforts de séduction?
- Allez approche regarde moi…
….
Maintenant, il parle comme s’il s’adressait à un bébé.
- Bonjour ma toute belle. Oh, elle est jolie la « vavache »…
Je m’approche doucement. Et bien entendu, je pousse un cri en glissant.
- Bouse !
Je me rétablis de justesse. Laurent se retourne vers moi, l'appareil photo sur le museau. Il est tout réjoui.
- C’est le pied gauche, chanceuse va !
C’est « la vache qui rit »
Les Cévennes, c’est un pays majuscule de forêts inextricables et de sommets éblouissants. Et de sentiers secrets, un peu !
Des légions de chênes verts, aux petites feuilles crénelées légèrement épineuses , étonnant feuillu qui garde son feuillage tout l’hiver. Des châtaigniers aux troncs torturés par la vieillesse et dont les jeunes branches défient les lois de l’équilibre. Au printemps leurs fleurs répandent un arôme aussi puissant que troublant. A l’automne lorsque dégringolent leur feuillage et leurs bogues, les sentiers et les sous-bois se teintent d’un dégradé de bruns magnifique.
La Rouvière, c'est un mas cévenol, qui n'en finit pas de se faire beau depuis les années 1970. C'était juste une ferme en perdition pleine de trous et de bosses. Ma soeur et mon beau frère l'ont acquise pour s'y poser... s'y reposer, s'y retrouver aussi et la transformer. C'est aujourd'hui un havre paisible noyé dans la forêt. Et nous autres, y retrouvons toujours nos quartiers de toutes saisons. Car la Rouvière, c'est un gros volume, en plusieurs tomes. De beaux épisodes de vie familiale toujours aussi vivants qu'intenses.
C'est l'automne. La forêt a gardé ses beaux dégradés de vert d’un été en sursis. Malgré l’ombre imposante des chataigniers et chênes verts qui grimpent la crête d’en face, La Rouvière resplendit. Les feuilles de la vigne vierge qui tapissent le mur de façade se laissent mollement tomber sur les marches. L’escalier de lauzes s’est ainsi teinté d’ocre et de rouille. La vigne qui ombre la terrasse a été nettoyée et l’accueil dans la maison est toujours aussi troublant.
Une caresse d'éternité.
Impossible d'évoquer la Rouvière sans passer par Bonnevaux ou Nojaret. Départ de nos sentiers favoris. Des sentiers sauvages que les sangliers dévastent et transforment en calades boueuses. Des terrasses abruptes ou des bouts de murs en pierres sèches, vestiges d’anciens mas, colorent la verdure de taches brunes ou grises.
Des hameaux perchés dont les murs hauts ont des allures de forteresses. Les maisons rénovés où se mêlent les lauzes et les crépis, les fenêtres en saillies et les baies vitrées, les terrasses en pierres couvertes de vignes et les vérandas… L’acier, le verre, les tuiles et les lauzes se fondent dans la pierre grise du pays. Quelques murs en ruines, tentent de garder le souvenir de ce que furent ces hameaux, il n’y a pas si longtemps.
A partir de Nojaret, un sentier monte vers la crête à travers une immense forêt de châtaigniers. La pente est raide, caillouteuse, jonchée de feuilles mortes et de carcasses de châtaignes. Épuisante.
D’un coup le ciel apparaît, nous débouchons sur un plateau de bruyères joliment mauves et de buissons de genêts tout en arrondis et très verts. Nous dominons la vallée. Les maisons des hameaux sont semées comme des pièces de monopoly.
Je glisse sur le temps qui passe, comme un voilier glisserait sur une mer idéale. Et je rêve.
nov 2022
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jeudi 21 avril 2022,
Youpi, des semaines que j'en rêve et voilà, c'est reparti pour une brève équipée du côté des Vans en Cévennes. Même la météo est en fête. Le petit camion n'en revient pas de glisser si joliment sous une pluie diluvienne. J'imagine la fiesta dans notre piteux jardin. Les bourgeons vont exploser, la vie va éclabousser de partout... Comme se sera bon...
Pour notre char, léger virement tribord, cap nord ouest, nous roulons au rythme d'une pluie qui "fait des claquettes..." et résonne dans toute la cabine de pilotage. On est heureux, alors on chante... faux... mais quelle importance.
Notre première pause sera pour le domaine des Arnassaux, au nord de Nîmes, où nous avons déjà posé nos roues, pour une nuit d'été au milieu du vignoble. Ce sera toujours au milieu du vignoble mais dans une ambiance plus déchaînée, moins tendre. Il bourrasque, il tempête, il déluge, toute la nuit. Agréables réminiscences d'autres tempêtes. Comme ces grains de folie météo sur l'alu de Lune de Miel, du temps qu'on était les navigateurs insouciants de l'atlantique. Nous on aime ça. Tous les deux silencieux, tous les deux à l'affût. C'est trop bon, la tiédeur de la couette, la douceur ambiante de la cabine, l'esprit envoûté par les tambourinaires qui se déchaînent sur le toit du petit camion.
Vendredi 22 avril 2022
La pluie se transforme en averses aléatoires avec des poussées d'éclaircies qui promettent le retour d'un ciel clair... mais nous savons que ce n'est pas pour tout de suite. Je suis fascinée par les vignobles que nous traversons, de vieux ceps tout rabougris que de jeunes bourgeons éclairent.
- Regarde laurent une éclaircie au dessus de Saint Ambroix...
Mon pilote est concentré, il ne réagit pas. Alors j'insiste,
- T'as remarqué le panneau grotte de la Cocalière, à ton avis, c'est quoi ?
- Ben c'est une grotte tout simplement.
- Ça te dirait une pause touristique ?
- Ah tu veux visiter la grotte. Fallait le dire tout de suite.
Hop là. léger changement de cap. C'est simple la vie avec Laurent. Des fois, il suffit de demander clairement et simplement.
C'est la plus belle des cavernes que j'ai visitée. Un kilomètre de déambulations tranquilles en couloirs et escaliers nous donnent un aperçu du gigantesque travail que réalise la nature goutte à goutte au fil des millénaires. L'infiltration de l'eau à taillé, découpé, sculpté, construit sur plusieurs millions d'années d'incroyables statues, chambres à colonnes, toits pentus et draperies élégantes, disques diamantés de calcite étincelante. Et le joyau de ce trésor naturel, c'est la pisolithe, dite aussi, la perle des cavernes. Il suffit d'une poussière, d'un grain de sable tombé de la voûte, qu'une goutte après l'autre agite et tournicote inlassablement. Peu à peu la poussière s'enrobe de calcite, le mouvement circulaire provoqué par la goutte qui tombe réalise une magnifique perle de calcite immaculée... une sphérule, oublions la racine sphère, c'est joli comme nom, angélique un peu comme séraphin.
Samedi 23 avril 2022
Nous voilà confortablement installés au camping du Pradal -LES VANS... mais le meilleur, c'est de retrouver ma soeur Annette et Claude son mari dans leur accueillante maison.
Le marché des Vans nous offre sa séduction locale. C'est notre incontournable bain de foule en Cévennes. Et on ne s'en lasse pas. Les Vans est une ville fascinante, on y croise des artistes vrais ou faux, quelques gloires médiatiques, des artisans, des paysans, des nantis qui abritent ici leur confortable retraite, des jeunes et des vieux plus ou moins marginaux. On repère les uns à leur nonchalance, à leur costume coloré, pas toujours nets. On repère les autres à leur allure tranquille, leur regard pensif, leurs vêtements simples mais de bon goût... Tout ce petit monde, se côtoie, s'interpelle et offre ses sourires aux étrangers que nous sommes. A tel point que finalement, étrangers on ne se sent pas tant que ça.
Barjac, soirée musique, donnée au profit de l'Ukraine, Claude et Annette s'y produisent avec leur chorale. On ne manquerait ça pour rien au monde. Et nous aimons bien leur prestation, généreuse, appliquée et ambitieuse. Claude en maître de cérémonie est épatant. J'ai adoré. Entraînés par nos deux chanteurs et leur amie Catherine, nous quitterons toutefois ce lieu avant la deuxième partie. Le problème c'est que ça se passe dans une église et la suite du programme sera sous amplificateurs (mal gérés). Une fanfare locale amplifiée dans une église, pas de doute ils finiront en apothéose, si le toit ne leur tombe pas sur la tête. Y'a des neurones qui n'y survivront pas. Fuyons, fuyons....
Ainsi, nous nous retrouvons tous les cinq à bord du petit camion, dans l'intimité, dans l'amitié autour d'un casse-croûte improvisé. Les trois choristes n'avaient pas eu le temps de dîner avant le concert. Nous n'avions jamais été si nombreux à bord. Belle ambiance.
Plus tard, le petit camion rêve d'une nuit tranquille. Nous trouvons un espace isolé et sage à quelques pas de la ville pour une nuit placée toujours sous le signe du déluge. Mais comme vous savez, on adore.
dimanche 24 avril.
Nous avions confié nos bulletins de vote à nos amis de Velaux. Il s'agit de présidentielle, c'est pas le moment de mollir. Merci mille fois à eux, nous leur devons un voyage apaisé, avec le sentiment du devoir accompli. Et nous prendrons ainsi la route du Val de Cèze. Nous naviguons entre Gard et Ardèche. Au détour d'une vallée boisée, les Cévennes découpent le ciel. Et puis, nous longeons la Cèze que la route domine.
Montclus est inaccessible aux camping cars. Nous trouvons un espace hasardeux pour nous garer, face au tri sélectif. Ce qui nous permet quelques pas dans un village tout en pierre. Notre enthousiasme prend une claque. Beaucoup de volets fermés, pas âme qui vive. Même pas un bar pour boire un café... Un village de France sans bistro. On doit fichtrement s'y ennuyer.
Goudargues nous convient mieux. La Cèze canalisée traverse la ville. Nous y faisons quelques courses, on flâne, on traîne sous un soleil tout neuf. C'est chouette. Mais c'est à Orgnac que nous subirons un vrai coup de foudre. Nous y allons pour explorer l'aven d'Orgnac et là encore nous arrivons dans une belle forêt peu fréquentée où nous pourrons passer la nuit à proximité du site. Le gouffre est né d'un effondrement du sol, pendant des centaines d'années, ce "trou" a servi de dépotoir. Lorsque les merveilles qui s'y cachaient ont été découvertes, dans les années 1950, les dépôts sauvages essentiellement de dépouilles animales et autres encombrants ont été interdits, le site protégé...
Dans le gouffre d'Orgnac, comme dans les grottes très profondes, aucun êtres vivants ne peut survivre. C'est un monde exclusivement minéral. Pourtant en oubliant le groupe, en le laissant prendre de l'avance, me voilà abandonnée pour de précieux instants au milieu de fruits qui n'en finissent pas de mûrir, de fleurs qui jamais ne se fanent, d'animaux fabuleux qui me font frémir.
Lundi 25 avril 2022
Il est temps de reprendre un rythme moins paresseux, moins contemplatif. Nous ne perdons pas de vue que nous avons besoin d'exercice et au hasard de nos étapes nous nous débrouillons toujours pour faire quelques pas en forêt, en campagne des petits tours d'environ une heure et demie-deux heures. Le grand beau temps est revenu. Chaussons nos grolles et en piste.
L'équipée pédestre la plus extraordinaire mais aussi la plus éprouvante pour mon dos sera à travers les rochers et chaos de la Cascade du Sautadet (proche de Saint Laurent de Carnols). Ici la Cèze devient bouillonnante et creuse des falaises desquelles je ne risque pas de plonger... D'ailleurs comme d'hab, je n'ai pas de maillot de bain.
Au retour pause à Saint Rémy de Provence, petite ville tranquille où la carte du tourisme se joue à fond. Une multitude de boutiques coquettes et coûteuses rivalisent d'élégance, avec une réelle volonté de faire dans l'authentique.
Entre Saint Rémy de Provence et Maussane nous ferons une pause champêtre au col de la Caume. Le plateau promet des sentiers pédestres ombragés et verdoyants. Nous nous laissons embarquer dans un petit tour prévu d'une heure... Hé oui, c'est peu. Quelques impératifs nous sont aussi promis à Velaux...
Et nous revoilà, tous les deux, complices de biens doux enchantements.
A bientôt.
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COLMARS -JUILLET 2012
Beaucoup de bidouilles à Velaux, la maison est un piège. Ras le bol, on décampe de chez nous.
En moto mais ce n'est pas le bol d'or. Un bol d'air nous sera plus salutaire.
Départ en matinée, cap sur la Durance, Aix en Provence, St Paul les Durances, jusque que là nous sommes en terres familières, on y zone occasionnellement, c'est pas loin et la motocyclette s'y plaît, s'y reconnaît. Le pilote aussi.
Ouste, et bon vent !
Cadarache me surprend, c'est immense. Prolongement au nord est par le site "ITER" et là ça me fait drôle. Quatre lettres qui se sont affichées mystérieusement un beau jour sur la D20 entre Velaux et Rognac, route éventrée, canalisation encastrée, bazar de circulation...C'était le projet ITER. J'ai vaguement entendu dire qu'il était question de produire de l'électricité à partir du nucléaire, à la manière du soleil ! Mais ça n'évoquait pas grand chose pour moi. La route a été refermée, nous avons retrouvé notre liberté de circuler et j'ai oublié ITER, complètement oublié. Et là, je me demande quels rapports entre la D20 qui passe à Velaux, Cadarache et le soleil.
Si vous avez la réponse ?
Quant au site de Cadarache, ces espaces clôturés, hyper contrôlés, trop protégés ça me fiche de l'angoisse. Et puis le canal de Provence passe juste en dessous, alors je me demande ce qu'on récupère dans les eaux buvables qui seraient en escale dans ce coin avant de poursuivre leur route vers le sud. Aïe, aïe, aïe, ou sommes-t-on allés nous perdre, intellectuellement parlant. Éloignons-nous vite de ces lieux obscurs.
Entre Vinon et Gréoux, la campagne reprend son aspect bonasse et tranquille. Pas un chat sur la route. La moto gentiment ronfle sur le bitume. Senteurs et lumière !
Direction Nice (on ne se refuse rien) destination Colmars (t'affole pas Claude, on n'est pas perdu). Un Colmar qui n'en n'est pas un, avec son s en bout de ligne, il fait un peu faux ami celui-là. On grimpe vers le nord, vers les sommets...
L'air se rafraîchit, c'est fichtrement bon.
Pause pour l'équipage et son embarcation.
Nous y voici, Colmars et ses 'ronds de sorcières".
Le sympathique accueil chambre d'hôte local. C'est la maison de Michel et Muriel, c'est vaste, c'est clair, c'est silencieux, respectueux...
Un havre de quiétude cerné de ronds de sorcières, à vous le plaisir de chercher ce que ces sorcières là nous cachent.
Muriel Cognet-Michel François,
04 92 83 05 26 - 06 09 16 72 93
04370 Comars les Alpes. http//les.rondsdesorcieres@laposte.net
Nous nous installons et hop-là, départ aussi sec, à pied. On descend à la découverte du centre ville. Une cité fortifiée façon Vauban, garantie d'origine, des tours, des chemins de ronde, des venelles pavées et étroites. Les commerces lucratifs du tourisme y sont légions mais les pierres gardent leur authenticité. C'est bien agréable de flâner ainsi après notre journée sur roues, sur routes.
Nous décrampons nos articulations avec plaisir à travers le sentier qui mène à la cascade de la Lance... Fraîcheur quand tu nous tiens !
Nous repartons vers le château, c'est un joli site, on s'y attarde, puis le vent se lève, le ciel se couvre alors on reprend le chemin des "ronds de sorcières".
Une pluie diluvienne s'abat avant qu'on quitte le site...
On en profite pour magasiner utile.
Nous avons beaucoup aimé l'ambiance de cette chambre d'hôte, la disponibilité de Muriel, son sourire. La courtoisie de Michel. je suis captivée par sa voix, son timbre grave et chaleureux. Un couple pas banal et qu'on aimerait prendre le temps de mieux connaître.
Si vous passez par là, ne ratez pas cette chance !
Rando pédestre d'étape : sentier du lac d'Allos puis contournement par l'ouest vers le col de l'Encombrette. Dénivelé annoncé : 417m, et 3 heures A/R à partir du parking payant. Il nous fait gagner 4 km, on a payé l'octroi, 2 € (moto). Ce serait 6€ pour une voiture, là y'aurait comme de l'abus.
C'est pourtant une sympathique rando, peu éprouvante, l'air d'altitude y est bienfaisant.
On crapahute tout en joyeuseté.
Quelques petites fleurs pour nos amis Tessier,
Et puis quelques images de piscine pour Annette et Claude
ou bien vous autres qui êtes pas comme moi !
Et les marmottes qui gambadent dans les cailloux. Elles se carapatent sur le sentier avant que Laurent ait eu le temps d'armer son nikon. On s'disait aussi, c'est bizarre ces cris d'oiseaux dans le ciel désert.
Un chaume de marmottes, ça existe et c'est au lac d'Allos mais c'est pas des marmottes qui chaument.
Nous repartons bravement à dos de motos. Francis et CLaudia nous attendent à Moustiers Sainte Marie. Ça tombe vraiment bien, nous voulions faire les Gorges du Verdon, par la route.
Le Haut Verdon entre Colmars et Castellane est verdoyant, rafraîchissant. Le mélèze y est roi. lavande fugitive qui embaume par vagues successives. J'adore. Les campings que l'on aperçoit sont quasi-vides. C'est vraiment un coin attirant. Après Castellane et dès qu'on se rapproche des gorges, la campagne devient plus méridionale, des parois pelées, des chênes verts gringalets et tortueux, et des caravanes, et des voitures et des camping-car... C'est fatigant et ça pue.
Ce qui est bien, c'est que les caravanes et autres maisons sur roues passent de justesse sous les arceaux de roche qui débordent la route, et empêche notre file de doubler, la file inverse de croiser. Quant il y a foison de voitures devant nous, Laurent passe comme une fleur sans risquer de rencontre désastreuse, protégé par la caravane de tête de file. J'aime bien ça. Et j'aime aussi les parois vertigineuses, les plongées dans le lit du verdon, les virages qui débusquent d'étonnantes silhouettes rocheuses.
Retrouvailles. Francis et une partie de son équipe parapentiste. J'aurais bien aimé assister à ce moment de décollage puis de vol, mais le vent ne le permet pas. Ce sera peut-être possible vers 18h ce soir. Trop tard pour nous.
Claudia nous a concocté une sympathique rando verdon, annoncée de 3h. Pour nos vieux os, je crains que ça dépasse les 4h, faut dire que nous avons multiplié les escales. Bouteilles d'eau vides. Laurent les remplit à une cascade, on n'ose pas boire, mais on s'arrose copieusement et régulièrement d'eau fraiche. Dégoulinade glacée sur nos peaux brûlantes, frissons exquis à l'ombre des chênes verts. De bonnes pauses qui nous requinquent.
C'était vraiment chouette. Chouette de passer cet excellent moment avec Francis, Claudia et Gerda. Le sourire et la douceur de Claudia, la gentillesse de Gerda et la bonne humeur de Francis nous ont conquis.
MOTOCORSE - JUIN 2011
Nous voilà prêts à naviguer de nouveau. Cap sur la Corse. Non, pas avec avec notre voilier Lune de Miel. On s'embourgeoise voyez-vous ! Pour ce coup là, nous avons adopté le confort de la Méridionale, traversée Zen assurée par la compagnie de navigation.
Quitter Marseille par la mer avec autant de sérénité, j'vais vous dire, c'est rudement bon. Aucun souci météo, aucun souci de traversée, aucun souci d'intendance, aucun souci de route, aucun souci de cap, aucun souci de quart... Tous ces menus plaisirs offerts, le goût de l'aventure en somme, tout le luxe d'une navigation à bord de "Lune de Miel" nous les avons troqués pour un autre genre de luxe.
Celui d'observer d'en haut le travail assisté des lamaneurs, le mouvement lent des énormes cordages qui rentrent se lover sur le pont gentiment et sans broncher.
Le va et vient des pilotines qui transbordent notre pilote de port. Et puis voir défiler si lentement les quais, les hauteurs de la ville et les phares qui nous invitent à sortir par là. Je me remplirai encore une fois les yeux de ses joyaux que sont les îles du sud de Marseille. Je les reconnaîtrai et je les aimerai une fois de plus. Lorsque nous aurons dépassé le château d'If puis le Frioul, que notre navire sera lancé dans le vent et les vagues au rythme qui décoiffe, alors nous partagerons une vraie cabine avec hublot sur la mer, avec la clim, avec de l'eau chaude dans la douche et des toilettes comme à la maison. Et puis cet autre luxe un peu plus tard de ressortir à mer ouverte et partager tout plein de ponts si vastes pour y exporter notre enthousiasme.
A la nuit tombée, se laisser guider vers une table de restauration fort luxueuse, dans une ambiance feutrée avec des mets subtils et prendre le temps de déguster.... sans se soucier ni du vent, ni des réglages de voilure. Jeter juste un oeil de temps en temps vers les immenses vitres de la salle restaurant,
- t'as vu comme la mer est calme. Y bouge pas ce navire. C'est dommage non ?
Non c'est pas dommage. Car c'est une mer idéale, juste un peu froissée par une houle tranquille.
Retrouver plus tard, le rythme régulier du navire, son ronronnement puissant et son balancement qui va nous assurer des rêves magnifiques...
Huit heures du matin. Bastia. La ville est encore molle. Les voitures rares, les magasins fermés... La moto prise de frénésie ne sait pas trop où donner du guidon. On tournicote un peu. On décide de prospecter à pieds. Il nous faudra trois quarts d'heure pour dénicher l'office du tourisme. Qui nous propose une découverte du centre historique, demain 17h, avec concert polyphonique et pour finir cette digne soirée, dégustation de produits locaux ...
Épatant ! a dit Laurent, alors moi aussi.
Pour l'heure, oeufs durs, fromage, eau tiède dans le sac à dos. Nous voilà parés pour une journée de prospection vers le nord à dos de moto. Dès qu'on sort de la ville, la corniche nous offre son délire de fleurs, et de roches. Danses de capucines, de chèvrefeuilles et de passiflores qui dégringolent des murs. Des petits hameaux que la moto traverse allégrement. Les maisons sont décrépies de gris, couleur des rochers. C'est un contraste saisissant cette pauvreté des murs que la végétation illumine.
Bord de mer, attention zone touristique. Je dis ça, parce que j'ai jeté un oeil sur un guide avant notre départ. Mais pour le moment ce sont des petits villages bien tranquilles. Ils sont plus pimpants, plus entretenus, un je ne sais quoi de domestiqué, ah oui, ils ont l'un ou l'autre, resto et bar... ce que les autres n'ont pas. et puis des lauriers roses, blancs, rouges, sur tige et qui se prennent pour des rosiers. Quelques arrêts pleins de curiosité, Erbalunga, Sisco, Macinaggio... Question mouillage pour l'été, ce n'est guère prometteur, étroit, peut abrité... Mais question vie à bord dans un mouillage de beau temps, j'y songe ... Un vent de paresse frôle la moto. Macinnagio à bâbord toute, direction le port de Centuri qui nous intrigue. Nous ne le connaissons que par les cartes marines. Il mérite bien le détour, c'est magnifique et quasi désert. Un petit bout du bout du monde... J'aime vraiment bien. Oui, mais imaginer la configuration d'été est un effort difficile. Et puis les fonds paraissent douteux (roches et herbes) et l'espace est moindre. Pas certain du tout qu'on y trouve un trou pour notre ancre. C'est pourtant bien joli tout ça et ça donne envie de revenir.
Retour vers Bastia sans histoire. Le sud de la ville est complètement urbanisé, complètement dédié aux zones commerciales et artisanales. Au moins y'aura de quoi magasiner si le temps se gâte ! Mais la moto là, elle a envie de se poser, à moins que ce soit Laurent fatigué de son pilotage sur départementales plus ou moins hasardeuses. Nous arrivons à Follelli, bord de plage, Costa verde, disent les panneaux... des kilomètres et des kilomètres de plages derrière d'immenses rideaux d'eucalyptus. Nous entrons dans la Castaniccia, et c'est là que nous serons hébergés, au bord du Fiume d'Olmo.
Moment de doute à l'arrivée. Il faut s'engager dans un chemin de terre que les roues de la moto n'apprécient guère. Et surtout trois chiens hargneux qui veillent à l'entrée du chemin et nous sautent dans les roues. Et ça, le pilote, il aime pas du tout, je ne dirai rien sur la passagère, qui couine à l'arrière, et voudrait bien sauter en marche avant de se rétamer dans les gravillons. Cinquante mètres de côte dans les sillons de la terre, serrons les fesses. Les chiens nous lâchent. Ouf, on arrive. Une grande propriété en bordure de maquis. Exactement ce qu'il nous fallait. Le studio fraîchement rénové, lave-linge , lave-vaisselle, une télé capricieuse, barbecue à disposition, bien luxueux tout ça, on aurait du prévoir plus de temps. Une terrasse ombragée pour le p'tit déj, ça on adore, accès libre à la piscine, là je sais pas...Je voudrais pas déranger, vous savez comment je suis, j'ai toujours peur de réveiller l'eau qui dort... Mais Laurent plus téméraire s'y frottera. Comptez-y !
Nous sommes un peu sonnés ce soir là, et nous ne prenons pas toute la mesure de notre chance. Mais le lendemain aux aurores ! Nous achèterons une carte aux 25 000 que nous éplucherons consciencieusement. Laurent nous programme l'une ou l'autre rando locale, ça me va bien. Mais pour l'instant, prise de contact en moto, pour une lecture en diagonale des accès et paysages offerts.
Notre cher Claude est au coeur de nos pensées. Tout naturellement la moto s'engage vers Castellare di Casinca... Quelle bonne idée. Je suis un peu troublée d'imaginer un autre temps, un autre monde, Ernest, jeune gendarme, Marguerite, jeune maman et leur fils dans la poussette. j'en suis toute retournée. Le village est magnifique. Et nous comprenons mieux la passion de Claude pour la Rouvière. Ma parole, il a reconstitué la Casinca en Cévennes...
Après ce sympathique intermède affectif, nous passons le reste de la semaine à faire des chemins plus ou moins hasardeux, entre les vallées, entre les clochers, les sites historiques, les sites pastoraux, les sites religieux. De jolies lieux et des noms qui chantent, et des kilomètres de forêts dans les mollets.
Vescovato, Loreto, Pento, Piano, Casalta, Poggio, Monte Tagliu, Isolaccio, La Porta, et mon préféré Talasani.
Nous retrouvons comme de vieux amis, les cochons bruns ou noirs qui poussent les caillassent sur le bitume, ou les cochonnets qui sont affalés contre leur mère, le groin qui frétille. Lorsque nous grimpons péniblement dans les caillasses, des ombres brunes passent à travers les arbres.
"Y'a quelqu'un ? Vaut mieux s'annoncer des fois que ce serait un sanglier !
"Moi je crois que c'est un humain" dit Laurent et reprend plus fort
"Ya quelqu'un avec nous ?
L'ombre se déplace, les ombres se déplacent... et clochettes soudain de chèvres.
Ah les chèvres, elles se pointent immanquablement au moment du casse-croute. Nous aimerions leurs visites de courtoisie si elles ne puaient pas autant.
Les immenses châtaigniers nous protègent de la lumière et du soleil et nous marchons dans des conditions de rêve. Dans les vallons, d'immenses forêts de fougères. Elles font plus de trois mètres de hauteur. Nous ne nous y hasarderons pas, certains de nous y perdre. Les forêts que je préfère sont celles du chêne liège. Des ancêtres d'arbre aux écorces torturées et crevassées. Que ces vieilles forêts sont belles. Dans la campagne corse, on croise des femmes et des hommes qui parlent comme si les arbres avaient des oreilles. De jolis sons qui se chuchotent comme s'ils nous berçaient. Je me demande vraiment comment c'est un Corse en colère. Est-ce que ça peut crier ? Toutes ces personnes sont d'une gentillesse déconcertante. Ils nous abordent, ils nous accueillent, ils nous expliquent... Même quand on ne leur demande rien. Des fois j'ai l'impression qu'ils sont ravis d'avoir de la visite, surtout les vieilles gens. Je trouve que c'est un pays romantique et sauvage à la fois. Je m'y sens exceptionnellement bien.
Une incursion vers les plages qui sont toute proches. Quasi désertes, sur des kilomètres que ce soit vers le nord ou vers le sud. Laurent s'y prélassera, et moi le cul dans le sable, je m'offrirai le luxe d'une rêverie ou deux. La petite route qui remonte vers le village est bordée d'eucalyptus et de champs cultivés. Les cultures ou les vignes au ras de la plage. Nous croisons un troupeau de jeunes moutons à poil ras qui trottinent derrière le pasteur au volant d'un vieux toyota, moteur qui tourne au ralenti. Une petite virée du côté Ouest en passant par le col de Teghime. Saint Florent, et là c'est le choc total. Je suis éblouie par cette ville. Difficile d'imaginer ça en plein été mais en juin, c'est vraiment dommage d'avoir laissé Lune de Miel à Martigues. Au retour, le soleil inonde de belles parois de roches d'un vert brillant pastel nervuré de filets d'or. Fichtre, quel somptueux carrelage.
Dernier jour, nous quittons notre résidence. Dernière descente de ce chemin de terre qui m'a donné bien des sueurs. La moto est harnachée de tous nos bagages et j'ai un sac à dos qui me torture les omoplates. Les chiens sont dans un autre coin de la propriété. Soulagement général. Je brandis à bout de bras notre sac poubelles que je dois déposer au passage... Coup de pot, les chiens sont à l'autre bout du terrain. Nous voilà presque au macadam en rue civilisée, juste un p'tit creux à passer, que l'eau d'arrosage a rempli. Laurent est déjà engagé de ce côté de l'ornière, un peu surpris mais ce n'est pas profond, il décide de passer... La roue avant patine dans la boue, s'en imprègne, la roue arrière ne sait plus donner du pneu. Laurent veut remonter au sec, mais la clôture nous frôle... on fait d'étonnants soubresauts, un bond en avant, droite, gauche, droite... un coup en avant, virement de bord, ma parole les roues sont indépendantes. La moto gîte, oh là là... Et patatras, plus moyen de la retenir. Elle se laisse tomber sur la hanche. Laurent et moi on bascule le museau dans la terre, mon sac poubelle racle le gravier, mon blouson aussi... On a l'air fin... à se frotter les genoux et les manches, à secouer nos godasses, à rassembler nos détritus et à nouer notre sac misérable.
Elle a ça de bien cette moto, c'est qu'elle ne se couche pas complètement, elle nous fait juste des caprices, des semblants de fatigue, elle se pose sur son carénage et attend sagement qu'on la relève... On est deux et suffit de pousser comme un seul homme. C'est reparti. Et moi je rigole, je rigole... Croyez-moi c'est pas trop facile de se bidonner à l'arrière d'une moto qui file sur le bitume. Je ne sais pas comment c'est pour vous, mais si je rigole c'est avec tout mon corps, et la moto elle n'aime pas du tout que je me secoue intempestivement. Et puis, ça fait de la buée sur ma visière. Je retiens douloureusement un fou rire qui me bloque la respiration. C'est nerveux peut-être ! Et puis, d'un coup, le paysage me reprend dans sa contemplation intense. Laurent nous a concocté un circuit de grave.
A proximité de Corté (que nous connaissons d'un autre motocorse) nous virons vers l'inconnu, Ghisoni par le défilé de l'Inzecca, des roches en aiguilles et des gorges verdoyantes, des sommets enneigés... comme c'est étrange. A Venaco nous virons de bord pour rejoindre le col de Vizzavona (1160 m quand même !) et descente vertigineuse vers Ajaccio... Le vent siffle joyeusement dans mon casque.
A Ajaccio, nous nous souvenons d'Annick, Alain et les filles et de leur accueil si agréable, au moment d'un autre motocorse. Quel plaisir de penser à eux et à la tribu Vauthiers. Nous prenons le temps de nous attarder face au mouillage de l'avant port, vaste et si bien protégé. Du coup, ça nous ouvre des possibilités pour l'été.
J'imagine Lune de Miel, trop heureux de mouiller sa quille dans cette vaste baie, j'imagine sa chaîne qui gambade dans l'avant-port et son étrave qui broute la vague. De l'impatience me taquine...
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vendredi 1er juin 018.
Ouh, presque midi, enfin prêts ; nous voilà engagés dans un contrat vacances en CDI ; ça nous fait tout drôle.
Cap vers le nord mais par des chemins de traverse. L'autoroute vers Lyon; ce serait trop facile... Laurent et moi, on adore la route Napoléon. Pourquoi s'en priver ? Petite pensée pour Alex et Olivier en traversant Manosque. C'est le printemps de Provence. La lavande commence à illuminer les champs. Les rouges, blancs, roses des lauriers débordent sur la chaussée. Il neige des fleurs de peupliers... J'ai l'âme en vadrouille. Sauf que... Une question insidieuse me turlupine. Ami Cyrill'ost, combien de temps je vais me cramponner à mes accoudoirs pour amortir les secouages de route. Aie mon dos, au secours ! (oh les enfants, je mets 2 C à accoudoir hein ?)
A l'entrée du village de Mison (04), nous trouvons un superbe parking, idéalement tranquille.Forcément, il est face au cimetière. La vue sur le village et les ruines du chateau médiéval qui domine est remarquable. Nous y passerons une nuit magnifique.
Totale harmonie dans notre esprit de vagabondage. Nous arriverons dans le Jura par Grenoble. La N85 nous mène gentiment à Cousance (39) . Un parking tranquille devant le presbytère au pied de l'église. C'est dimanche l'église est ouverte. Une petite ballade en campagne. Nous échangeons un regard prometteur : chiche !
Le temps de repasser au camion, celui de récupérer une ou deux partoches et la flûte traversière. Zut, le bedau ne nous a pas attendus et vient de fermer l'église. Vexés on s'installe pour un petit tour de flûte en plein air, sur la seule marche de l'église. A l'intérieur, c'est mieux, l'acoustique particulier dans la pierre, entre les colonnes et la profondeur de l'espace permet une profondeur de son remarquable. Et la flûte dans cet environnement chante magnifiquement. On croirait de l'orgue mais en beaucoup plus délicat.
Mais dehors, Ravel ou Satie ou l'Ave Maria de Gounod, ça va fichtrement bien dans le paysage. Total bonheur.
Ensuite Je ne sais plus trop pourquoi ni comment, les impros de notre route nous annoncent Le Thillot. Nous sommes donc si près de Ramber ? Si ma soeur savait ça ! Donc je lui téléphone et top-là pour une pause dans son jardin. Soirée intime et inespérée avec Thérèse et Michel. La première excellente suprise que nous n'avions pas imagninée. A vrai dire, nous n'avons pas imaginé grand 'chose donc nous n'avons pas grand mérite d'être surpris.
Grandement étonnés aussi tous les deux par la neige et les routes inondées au niveau d'Aydoilles. On passe à travers des prés luisants dans lesquels les chevaux broutent, les genoux sous l'eau. Les vaches sont planquées ou rangées à l'étable. Un cheval ça nage mais une vache ?
Mercredi 6 juin 2018.
Nous entrons en Allemagne au niveau de Markholsheim. C'est un peu étrange de longer l'Alsace du sud vers le nord de l'autre coté du Rhin. Nous prendons la A5, cap Karlsruhe. Quelle déception. D'accord, les autoroutes sont toutes gratuites de ce côté-ci du Rhin et innombrables. Ben nous on trouve pas ça terrible. On en sort rapidement. D'abord, la qualité de la chaussée est déplorable. Des immenses dalles de béton pas recouvertes. On roule sur les rail des mines du diable, blong, blong, blong.... Une horreur pour mon dos. Ensuite, travaux et accidents alternent et les ralentissements sont réguliers. Un vrai bouchon (quasi arrêt) peut durer 20 km. Pire qu'une panne de vent en mer. Et puis, les poids lourds sont légions et gâchent les paysages. A part ça, de larges portions sans limite de vitesse donc sans radar, ça c'est plutôt bien. Laurent, pilote très modéré, s'en fiche complètement. Allure tranquille au portant. D'une extrême courtoisie, Laurent reste à sa place et cède le passage à quiconque le suit. Il déteste être poursuivi.
Pfuiiiiiiiiiiiii.......t, à peine le temps de le voir passer, c'est un qui déboule sur la voie de gauche et disparait aussi vite qu'il est passé. Il nous a même pas vus.
PfuiIIt, pfuit, pfuit... tnut, tnut, c'est celui qui nous dépasse et fait merci en passant. (enfin ça c'est surtout sur les nationales ou départementales)
.../...
Mercedi 6 juin 2018..Weiheim - Allemagne.
Plus nous pénétrons dans l'Allemagne, plus la verdure est dominante. Les forêts sont immenses et impénétrables. Pas mal de cultures aussi (céréales et pommes de terre). Pas de vignobles. Peu d'élevages. La Noiraude n'y trouverait pas de cousinage.
Vers 13h00 nous repérons à Weiheim, un CC parking à l'entrée d'une immense volière dans un quartier très chic bordé d'une belle forêt. On y est tout seul. Trop bon ! Nous entrons dans un monde local incontournable. Partout où nous nous posons, de préférence en milieu de forêt, nous sommes tenus éveillés par du ramage nocturne... qui se transforme le matin en ramage diurne.. ceci vaut bien une flûte sans doute !
La visite de la volière est gratuite, profitons en pour nous y attarder.
jeudi 07/06/18 - N 51°31'16.31 - E 09°55'50.73
Il faut que je trouve une solution pour mon dos que rien ne soulage. Je décide d'adopter la posture Matouyou. (Cherchez pas dans un manuel de yoga, ça n'existe pas) c'est juste en référence à une grande reine de l'Egypte ancienne, épouse du pharaon Séti 1er. Elle trône parfaitement verticale les bras en appui sur ses accoudoirs depuis des millénaires à Karnak... Alors je m'inspire des anciens qui en savait plus que nous dans bien des domaines et je copie.Vous m'imaginez royalement posée sur mon trône camion, façon Matouyou, les pieds à plat, parfaitement dans le prolongement du dos. Rien que d'y penser, je me sens déjà mieux. Vue camion, c'est à dire panoramique. Les routes nationales ou départementales sont presque lisses, les villages magnifiques. Dans les sous-bois, la lumière est rosée. Les sapinières sont chauves depuis la base jusqu'à mi-tronc. L'écorce à vif donne l'impression de saigner. Etrange et un peu angoissant. Une excellente navigation en cours.
Gôttingen est une ville superbe, à la fois vaste et tranquille. Je m'y plairais à coup sûr si je devais y vivre. Pas de rues piétonnes, mais ce n'est pas la peine. La plupart des citadins circulent en bicyclettes et les parkings des vélos sont bien plus encombrés que ceux ces voitures. Nous aimons d'emblée cette ville, un peu gothique avec de belles maisons à colombages, des boutiques riches et colorées. A 11h, un concert de cloches nous déroute de notre circuit pédestre. Pas de clocher en vue. Hé non les cloches tintent le long d'une façade d'immeuble. Un lied de Shubert, rien que ça, avec ce qu'll faut de justesse pour qu'on le reconnaisse et ce qu'il faut d'à peu près pour le son de cloche. Scotchés sur un muret nous avons adoré. Ce qui nous a surpris c'est que les piétons et vélos ont continué de déambuler autour de nous, comme s'ils étaient sourds.
Les avenues sont bordées d'immmenses tilleuls dont le gigantisme nous émerveille. Notre petit camion dans un tel espace est un séjour enchanteur. Et toujours le ramage... Une autre étape dans une ferme nous offrira les mêmes petits bonheurs. Et tout ça j'ai oublié de vous le dire, sous une météo de plein été. On s'en fout, on est toujours à l'ombre.
Samedi 09/06/2018 N 53°34'03.00-E 10°01'38.64
Nous voilà à Hamburg. Mégapole de presque deux millions d'habitants. On arrive du sud à travers la zone portuaire. Coucou José. Ici, C'est le royaume de CMA-CGM qui rivalise avec China maritima. Ben dis-donc ! Bon la mégalo-pôle c'est pas notre truc. On prendra le métro pour un bain de vie citadine. On ira admirer la magnifique Rathaus et les berges nautiques qui sillonnent la périphérie. Mais nous serons heureux de retrouver notre petit camion au pied de l'église Sainte Gertrude... impasse au calme relatif à deux pas du métro, mais en bord de rivière et sous les arbres.
Dimanche matin, 9h, on décolle sous une envolée de cloches dominicales de St Gertrude... cap vers le Danemark.
Allo, ami Cyrill'ost, J'ai plus mal au dos. Vive Matouyou. J'adope définitivement.
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Jeudi 5 juillet 2017 - N 66°03'42.78 E 12°57'21.11
Une pause enchanteresse àl'église de Alstahaug, mais l'ambiance parking macadam ne plait pas à Laurent. Nous nous embarquons dans un circuit impro à travers des petites routes qui passent d'un village à l'autre en bordure de fjord. Nous ne sommes ni inquiets, ni pressés nous savons que la nuit ne tombera pas. Bravo pour notre persévérance. Nous dénichons au bord d'un tout petit port l'endroit inattendu et idéal. Nous sommes à Leland. Il est 23h. A peine avons-nous calé le petit camion que le vent se met à souffler en rafales et soulève une belle houle dans le port. Mais le reste de cette nuit de plein jour sera très calme;
Nous quittons Leland (leidfjord) 12h15 11° ciel gris gros nuages noirs qui glissent en ronde autour de nous. Encore un étonnant tunnel de 10 km qui nous guide dans le ventre de la montagne. A 4 km de l'entrée, un panneau signale que nous changeons de commune. Quel soulagement la sortie à travers champs de lupins et bouleaux, lacs et tourbières. La montagne riante et fleurie d'un coup se minéralise; Les bouleaux et les sapins se rabougrissent écrasés sous des éboulis de roches. Gris, noirs et rouilles, d'autres images, d'autres couleurs pour un monde qui passe aux couleurs polaires d'été.
18h00 - température 9° latitude N 66°33',
ligne virtuelle du cercle polaire. Une vaste étendue complètement minérale, les montagnes arrondissent leur dos sous le vent glacial. Malgré le soleil on se pèle. QUelle importance, ce site symbolique est fort sympathique. Pendant trois heures, nous foulerons cette terre pour la seule fois de notre vie très certainement. Alors je me remplis les yeux et je respire fort cet air exceptionnel. Je suis aussi fort troublée de penser que nous sommes à 6 km de la Suède. Peu de touristes. C'est super.
21h, ce serait bien de se trouver un coin tranquille pour la nuit.
Nous enroulons dix kilomètres de pierrailles, univers désolé et aride. Et d'un coup les remparts se relèvent, le monde sylvestre réapparaît. Nous longeons une rivière.
- Laurent t'as vu le clocher là en haut.
- Non, est-ce que je dois virer de bord ?
- Oui, tout de suite à tribord allez fonce...
Nous quittons le bord de rivière; cap sur une belle église, son sympathique cimetière en bordure de forêt, isolé du village... Encore un coin idyllique.
ROKLAND N 66° 57' 48.32 E 15°18'41.58 _ 12°
Trois heures du matin dans ce Rokland aussi isolé qu'idyllique...
- Laurent, est-ce que t'as vu un pré avec des vaches quand on est arrivé ?
- Non, mais elles m'ont réveillé avec leur cri bizarre.
- Une vache ça fait meuh ?
- Ouhais, celles-là elles feraient plutôt mah ah....
- Oh là, là, d'où elles sortent ces vaches ?
- Elles ne sont que deux à se faire la conversation.
- J'ai jamais vu de troupeau à deux vaches.
- Et puis, y'a pas de pré dans le quartier, juste le cimetière et la forêt.
- écoute, leur modulation, c'est pas une modulation de vache ça.
- Non, c'est trop grave et trop guttural,
- Peut-être qu'elles ont l'accent scandinave ?
- Tu trouves pas que ça ressemble à des plaintes...
- Si, tu crois que ça vient du cimetière ?
- Non, je crois pas aux revenants, et au trolls non plus.
- T'as raison ça vient de loin. Ecoute bien, ça vient du fin fond de la forêt ça.
- Et si c'était des orignaux ? (clin d'oeil pour Patrick)
samedi 7 juillet 2018
C'est un grand jour, nous avons décidé de faire la traversée depuis Bodo pour atterrir aux sud des Lofoten Moskenes...Quatre heures de ferry. On change de monde très en douceur. Les falaises qui bordent le fjord tombent à pic dans la mer. C'est impressionnant et magnifique. On s'éloigne de ce monde immense. Le ferry slalome entre des chapelets d'îles. Le chenal est bien balisé mais je trouve qu'on frôle d'un peu trop près des hauts fonds très visibles... Vivement la pleine mer. Le nez au vent, glacée mais que m'importe. C'est avec un profond bien être que je retrouve les couleurs, les mouvements et les odeurs du monde maritime. Total bonheur sur le pont à l'avant du bateau, seule avec l'homme de ma vie.
Mercredi 24/07/18 Gällivare - N 67°04'34.42 E 21°19'53.20
Première journée de conduite, faut que j'vous raconte ça :
Je déteste conduire une voiture quelle qu'elle soit, ça nous le savons tous. Mais à quel point je déteste, vous ne pouvez guère l'imaginer. Quel mot serait assez puissant pour évoquer mon inquiétude ? Pourvu que je casse pas le petit camion de Laurent ! Rigolez-pas, il est petit ce camion mais camion tout de même. Pourtant, je me sens anormalement maîtresse de moi, dès que j'ai mis le contact. Après tout, suffit d'avancer en faisant atttention à tous les pièges de la route. J'ai du pot car les routes ici comme en Norvège sont très peu circulantes. Pour ce qui est du fonctionnement du véhicule, j'ai quelques soucis. Pas de rétro intérieur. Ce qui me gêne grandement car la visibilité à droite est quasi nulle lorsqu'on débouche ou croise une route. L'autre souci, c'est que, depuis pas mal de semaines, j'ai perdu mes lunettes de vue. Et c'est définitif. Donc je vois flou en vision intermédiaire et je vois rien du tout de près. Bon de près, j'ai pas trop besoin, jai repéré la position des aiguilles utiles et les couleurs. En intermédiaire avec effort, j'arrive à lire les gros chiffres. De loin (ouf!) j'y vois presque normalement... J'ai un autre problème qui amuse Laurent ou le terrorise, ça dépend des moments. Effet probable du stress, je ne désynchronise pas mes gestes. (Ne me demandez pas comment je fais au piano ?) Donc si je me gratte la joue gauche, le petit camion part à gauche, si je tourne la tête à droite, le petit camion part à droite... Forcément, je suis tellement stressée que je cramponne le volant comme une bouée de sauvetage. Tanguage est ici fort associé au roulage. Et le vent n'y est pas pour grand'chose. En plus, les concepteurs de cette mécanique ont eu la sotte idée de faire descendre le frein à main jusqu'au ras du sol. Le siège étant surélevé (les siège avant sont montés sur pivot et font office de fauteuil séjour aux escales) je dois quasiment me coucher sur la portière gauche pour descendre à fond le frein... C'est pas la meilleure des positions pour mon dos... Et je couine de temps en temps. Vivent les démarrages en côte. Je me réjouis d'avance et en attendant je reste lancée sur cette belle route qui file vers la Laponie.
Laurent est d'une zéniture remarquable. On avance avec modération. (trop vite à son gré... ?) Le premier circuit de plus de 200 km m'a permis de prendre en mains et en pieds, l'engin. Maintenant nous faisons des étapes plus courtes et je me sens plus à l'aise. Je ne tangue plus et je ne cale plus... Le petit camion et la légendaire patience de Laurent m'ont apprivoisée. Je dirais même qu'une réelle complicité s'est établie entre nous trois.
Et puis au bout du chemin, je sais qu'il y a toujours l'escale. comme disait notre ami Serge, l'escale, c'est qu'il y a de meilleur dans la navigation, En pleine forêt lapone, Laurent a trouvé un super espace détente, en bord de rivière. Au bout d'une piste à ornières mais je négocie ça pas trop mal. Immense, pas de manoeuvres compliquées pour se ranger. A distance respectable deux caravanes fermées. Quel bel endroit pour se ressourcer. Au réveil mauvaise surprise. Lorsque Laurent se lève, sur sa jambe, sous l'orthèse, s'étale un immense bleu qui couvre jusqu'au bas de sa cheville. Pas beau et préoccupant. Mais les piqûres anti phlébite provoquent peut-être ce phénomène. D'accord mais si ça s'aggrave, paumés ici, on fait quoi ?
- J'ai pas mal, donc tout va bien.
Il détend un peu les scratches de chaque lanière de l'orthèse, histoire de limiter la compression. Le soir c'est le haut de la cuisse qui est tout bleu. Je ne suis plus tranquille du tout. C'est dangereux des vaisseaux qui pètent comme ça, sans un cri ? Nuit d'angoisse. Je me lève plusieurs fois pour m'assurer que Laurent respire normalement, qu'il n'est pas fiévreux... et observer sa jambe. Ce jour n'en finit pas de mourir et de se lever, une vraie nuit blanche. Au lever, la situation s'est stabilisée. Pas de nouvelles traces d'explosions sous la peau.
- Peut-être qu'il faudrait appeler le médecin de Narvik pour avoir son avis ?
- A distance, par téléphone, s'expliquer avec notre anglais scolaire et son anglais scandinave. Ou là là ! Déjà que c'était dur face à face.
- T'imagines, s'il faut baisser les doses de l'anticoagulant. Où c'est qu'on a va trouver une nouvelle prescription dans ce coin aussi merveilleux que perdu ?
- En plus, comme c'est moi qui pilote, on s'en sortira pas. Quand on sait où on va je galère, mais si je sais pas où on va alors là !
- Alors on fait quoi ?
- Le mieux ce serait que tu te poses, que tu bouges pas et ce soir on avise.
Mais nous ne sommes tranquilles ni l'un, ni l'autre. Ni le torrent qui nous envoie de si jolis signaux, ni la forêt qui murmure son silence ne nous apaisent. En fin d'après-midi, je me prépare un thé, Laurent observe les bulles de son eau pétillante. C'est pas la joie à bord
- Et si j'appelais notre médecin de Velaux pour lui demander son avis, au moins on parlerait la même langue.
- J'sais pas. A cette heure tu vas le déranger en pleine consultation. En plus il va même pas savoir de quoi tu parles. Comment veux-tu qu'il te conseille ?
- Oui, mais il aura un avis médical au moins. Et si j'appelle à un autre moment, il sera en visite ou chez lui. Je le dérangerai toujours.
J'hésite, je sais pas quoi dire à Laurent; c'est vrai, nous avons confiance en lui. Si ça tourne mal, je suis certaine qu'il nous dira vous auriez du m'appeler. alors ?
- Alors essaie, tu verras bien.
Comme ce fut simple et bénéfique. Notre médecin étant abonné de "coucounets" et les ayant lus, il était tout à fait au courant; Tout de suite très rassurant. En gros une fracture de la rotule ça guérit bien. Quant aux bleus c'est ce qu'il y a plus normal. Pas de quoi s'affoler. Le genou désenfle, pas de fièvre et marche tranquille avec le soutien des cannes anglaises. Tout va bien... Le temps est avec nous... Merci mille fois, ami Docteur, pour ce soutien optmiste. Nous en avions grand besoin à ce moment là.
A peine retrouvons-nous notre joie de vacanciers, que de grands cris nous attirent dehors. Une sorte de géant a longue barbe broussailleuse, âge indéfini car il marche avec difficulté et pas très droit, mais autour des yeux la peau est lisse, rose et jeune. Le regard clair et pétillant. Il s'empare d'un de nos fauteuils et nous ordonne de nous assoir. C'est quoi ce viking insolent ? (Je reste debout vu que nous n'avons que deux sièges). Il pose trois bières sur la table et un limonadier très jolimnent décoré d'un gros poissons bleu et or. Je cherche des verres. Je m'assieds sur le marchepied du carré. Et là on se coltine pratiquement deux heures de délires plus ou moins éthyliques, plus ou moins paranos, affreusement machos, dans un anglais très approximatif arrangé en suédois, voire en allemand... Une horreur ! Il se prétend artiste. Laurent toujours poli :
- Vous peignez quoi ?
- Surtout des femmes.
- Ah bon, c'est chouette.
- Oui, je peins des vagins...
J'ai poussé un cri. "oh Non !"
Il a rigolé,
- c'est ce que je peins, mais chacun voit ce qu'il veut.
Moi, je vous le dis tout net, dans les coins paradis de scandinavie y'a pire que les ours à craindre. Laurent inébranlable faisait de louables efforts pour essayer de suivre et faire dériver les échanges sur des terrains moins troubles. Pas moyen. Finalement je me suis levée, me suis adressée à Laurent en français.
- Laurent faut qu'on y aille, tu dois marcher un peu avant le repas.
Laurent a traduit. L'artiste m'a regardée d'un air moqueur. Il a continué tranquillement à siroter son fond de bière, déblatérant sur Hitler et Trump, et les femmes (cherchez le rapport ?) avec de grands gestes désordonnés et en entonnant un thème nazzi. Mort de rire par moment, pour je ne sais quelles inepties qui tournaient en rond dans sa tête.
J'ai mis mes chaussures, j'ai tendu ses cannes à Laurent et la main au monsieur. Il a enfin compris. Il a fait silence. Il s'est levé pour nous saluer. Il a remercié Laurent pour la gentillesse de son accueil et il a disparu vers sa caravane à l'autre bout du terrain. Pauvre homme !
Nous avons fait quelques pas dans la forêt, jusqu'à un sympathique pont de bois. Nous avons entendu des hurlements, des cris à peine humains. Notre visiteur faisait-il une crise personnelle, des vocalises ? Pas rassurés, nous sommes rentrés à bord. Nous avons roulé notre auvent, plié notre tapis de sol. J'ai rangé les tables et les chaises extérieures et nous nous sommes rapatriés dans le carré. Prêts à un départ précipité au cas où. Après une nuit tranquille, nous avons quitté ce magnifique endroit.
vendredi 27 juillet 2018 -Morjvarv - N 66°01420;20 E 22°41'10.13
Nous avons repassé le cercle polaire. Moins impressionnant que de l'autre côté, par la Norvège. Mais toujours des forêts d'épicéas, des lacs, une route très belle. Mais souvenez-vous, je suis au volant, les yeux scotchés au delà du bitume... Alors le paysage, c'est plus trop mon truc. Je veux détecter la moindre ombre qui évoquerait un renne car nous en avons retrouvés sur notre route. Les chemins de forêt sont balisés de leurs petits tas de crottes. Ils zonent dans notre coin, les caribous. Ils sont aussi à l'aise sur cette nationale que les cochons noirs dans les routes montagneuses en Corse. Infestées de moustiques aussi. On s'est fait mordre tous les deux par ces bestioles carnivores qui nous rappellent les vilains maringouins des Laurentides au Québec. Sales bestioles. Cette escales là est pourtant la plus belle de toutes les escales de ce voyage. Au bout d'une large piste, d'environ un kilomètre, une allée royale à peine cabossée. Elle aboutit à une large place de sable dur. Entourée de forêts, au bout du monde. Ici, je peux me sentir calme et en vacances. Trop belles ces claires forêts. Les sapins sont maigres et poussent par paquets. Ici, une maman semble prendre son petit dans ses bras . PLus loin un alignement de quatre ou cinq arbres parfaitement droits prêts à avancer en ordre serré. Ailleurs un attroupement de jeunes arbres un peu en désordre comme des enfants qui joueraient dans la cour. Ne manque que le ballon. Ou là encore, des arbres plus touffus en rond qui font papotage comme des femmes sur la place du marché. Et les traces de rennes à quelques pattes de notre petit camion. Tout un monde ici. Le sol est tapissé de myrtilles et de caillasses. Laurent y fait des petits tours pour marcher mais aussi pour se régaler. Le bonheur tient à si peu de choses.
Mercredi 1er aout 2018 - Torefors - N 65° 53'18.31 E 22°40' 49.13
Encore une bien belle pause. Encore un long bout de piste. Encore un site parfaitement isolé et quasi désert hors quelques pêcheurs et six baigneurs qui quitteront les lieux en fin de soirée. Nous voilà en bordure d'une forêt de bouleaux, face à un bras de la Baltique. Ambiance caribou. Un ponton désafecté, site idéal pour Laurent qui n'en revient pas. Au premier lancé, magistral faut bien le dire, un esprit malin cramponne et courbe sa linge, la retient. A l'approche un immenses brochet se tortille en happant le vide. Notre chance c'est quatre jeunes gars, à peine arrivés avec leur combi qui sont venus aider Laurent a récupérer la bestiole. Ils avaient une épuisette, eux. On a partagé cette jolie prise avec des garçons plein d'enthousiasme en route depuis Angers vers la Norvège qu'ils venaient de quitter et sur la route de la Finlance puis de la Russie... Un bien beau projet.
Demain cap sur un camping, à proxité de Luléa. C'est le temps de la laveuse-sécheuse. Y'a des impératifs comme ça auxquels nous ne pouvons échapper. Ce qui me permettra d'envoyer ce message.
Ensuite nous prendrons la route du bord de mer... en camping sauvage. Faut savoir de quoi elle a l'air cette Baltique.
Nord de la Suède - Golfe de Botnie
Mörön N 65°29'01.69 E 21°57'32;04
Il y a maintenant quelques semaines que j'ai pris en main le petit camion. Nous nous sommes complètement adoptés mutuellement et avec Laurent nous formons un sympathique trio. Je me suis familiarisée au ronronnement du moteur et mon oreille perçoit avec plaisir ses différentes modulations. Finalement, je crois bien que j'y prends goût au pilotage de ce petit camion.
La route que nous pratiquons est une voie rapide style scandinave. C'est à dire qu'elle est à quatre voies ou à 3 voies, limitée à 110 km/h. Sauf que, à proximité des villages, elle est croisée par des transversales. La vitesse tombe à 70km/h voire 50 et ça repart. Certains panneaux dangers nous permettent d'imaginer de cocasses situations. .. Les icônes fréquentes d'un moto-neige ou celle d'un skieur en plein élan qui pourraient débouler d'un layon transversal, nous enchantent. Celui du renne en plein élan n'est pas différent de celui qu'on peut trouver sur nos routes forestières, à ceci près que chez nous, l'icône est un cerf... Fort étonnnant aussi des arrêts de bus en bord de voie rapide. Et régulièrement des espaces de retournement, la barrière de sécurité médiane est interrompue ce qui permet de faire demi-tour sur la voie rapide. Autrement dit, faut s'attendre à quelques surprises. Ce qui est génial et que j'apprécie énormément, c'est qu'il y a peu de monde qui circule; c'est d'un confort remarquable.
Et puis l'autre aspect qui va ponctuer tout ce périple au bord de la Baltique. C'est que nous quittons la voie rapide, pour nous engager dans des espaces de rêve mais... qui se méritent. Accessibles par des pistes plus ou moins chaotiques et qui nous posent quelquefois de sérieux doute; Auquel cas, on se pose provisoirement et on prospecte à pied. C'est ainsi que se concrétise ce merveilleux espace de Mörön. Bord de plage, qu'il ne faut pas rater si vous passer par là. Agréable diversion, Juste un tout petit port de canots locaux fort discret.
En bord de Baltique, la mer à peine aussi large que l'étang de Berre est bordée tout le long d'une multitude d'îles ou îlots peuplés d'arbres immenses. Une forêt s'imbrique dans l'autre. J'imagine une partie de cache-cache fabuleuse en canot à travers ces murailles vertes. La côte a du mal d'atteindre la pleine eau. Les joncs, les graminées ont envahi les bords et cachent de jolies petites criques de sable fin. Nous aimons longer cette côte, cannes anglaises et bâtons de marche à la main. Des sentiers sauvages nous ouvrent de sympathiques chemins dans l'herbe. Nous traversons une forêt de bouleaux dont les pieds baignent dans l'eau saumâtre, puis notre chemin débouche sur l'immense prairie qui protège des habitations. Chaque résident à construit son débarcadère et son accès personnel à la mer. On passe ainsi d'un espace parfaitement sauvage à un espace parfaitement aménagé. Aucun signe ne permet de distinguer où commence la propriété privée. La nature est à tout le monde. A un moment, au débouché d'une forêt, nous avons perdu le layon qui traversait. Un homme ramassait du bois à proximité de son cabanon. Il nous a fait signe pour nous montrer où reprenait le chemin à travers sa propriété... Ainsi se partage librement l'espace dans ces beaux pays scandinaves. Ici, nous avons visité un minuscule musée qui retrace la vie des chasseurs de phoque. Il y a une centaine d'années, c'était le gagne-pain des familles locales. Une grande barque évoque les moyens rustiques de survie de ces pêcheurs-chasseurs, qui partaient en plein hiver pour plusieurs semaines avec très peu de moyens. C'était une longue barque à rames, ils partaient à cinq ou six. Pour dormir et se protéger du froid polaire, ils tendaient une toile au-dessus du fond du bateau. Tout se passait à l'extérieur. Des gamelles rudimentaires et une bouilloire en alu. Des tonnes de vêtements épais pour survivre au froid. S'il est vrai que la chasse aux phoques était barbare, elle ne faisait pas de cadeaux non plus aux humains. Et je frissonne encore en imaginant la cruauté de leur vie de misère à ces pauvres chasseurs. L'été ils vivaient de leurs potagers et d'un peu d'élevage.
Les rennes (caribous) font aussi partie du paysage. L'hiver ils vivent dans les forêts côtières tout à fait librement. Il n'y a plus de troupeaux sauvages (nous a dit la conservatrice du musée);tous les animaux sont bagués. Lorsque la glace commence à fondre sur ce bord de Baltique, ils quittent la côte à la nage et se réfugient dans les îles voisines où ils passent l'été. C'est pourquoi on les croise sur les routes, et c'est pourquoi la trace de leurs passages est aussi visible dans le moindre layon.
vendredi 10 aout 2018
10-08-18 Lövsele- N 64° 17' 57.75 E 21°17'50.21
Encore un endroit exceptionnel dont Laurent a le secret. Une longue piste très chaotique sur plus de 5 km à travers une forêt bordélique. Jusqu'à un étroit sentier juste à la largeur du petit camion. Mais nous le savons tous, désormais, je maîtrise le volant et ne doute de rien. Hardi petit, on louvoie entre les branches qui fouettent le toit.
Laurent n'aime pas trop et au bout de deux kilomètre hasardeux nous décidons d'aller jeter un oeil à pied.... Bonne surprise. Il ne nous manque que quelques tours de roue. Nous débouchons sur une immense clairière avec la plage qui s'offre en contre bas. Encore un endroit de rêve qu'il ne faut pas louper si vous aimez les espaces sauvages et solitaires. Notre campement ici est idéal. Trêve estivale de quelques jours pour permettre au genou de Laurent de se solidifier en toute sécurité. Laurent a décidé de laisser un peu vivre librement son genou blessé et se débarrasse de temps en temps de l'orthèse. Mais les cannes le stabilisent et le rassurent.
Les 9 aout (St Amour) et 10 aout (St Laurent) sont pour nous depuis des lustres des dates que nous chérissons et festoyons. (Olivier et José s'en souviennent-ils ou bien était-ce juste important pour nous ?) Repas aussi joyeux que traditionnel : dés d'avocats salés en apéro, côtes de porc aux fins épices, mitonnées de concombres rissolés, crème de curry, et riz dorés échalote. Dessert : Magnum aux amandes... en prime dans nos verres, un rioja prestigieux soigneusement préservé pour l'occasion. Vu qu'il tombait des cordes, notre sympathique journée a gardé longuement son intimité. Le grondement de la mer déchaînée confondue avec le souffle rauque du vent dans les sapins... Oh là, là là, que c'était bon tout ça !
Plus tard, nous profitons d'une éclaircie pour déambuler à travers les sentiers. La forêt sous la brume a des aspects fantastiques, quelque peu abandonnée. Des arbres morts s'appuient sur les troncs vivants. Leurs écorces couvertes de lichens et de mousse sont décharnées. D'immmenses tapis de myrtilles s'éparpillent entre des bosses de fourmilières. Des monceaux de roches couvertes de mousses se disputent la terre avec la forêt. Parole, nous sommes entrés dans la forêt interdite de Poudlard. Dans une clairière, une énorme roche plate couverte de lichens blancs aurait pu accueillir le bal des licornes. Un énorme buisson de framboises sauvages nous a donné rendez-vous pour demain.
Vous nous imaginez tous les deux, l'un sur ses cannes anglaises, qui envoie vers l'avant sa jambe raide, l'autre, le dos de traviole, appuyée sur son bâton de marche. Et tous les deux fort heureux de cheminer étroitement l'un contre l'autre.
Oh là, là que la vie est bonne pour nous dans ce pays.
Laurent n'hésite pas à tomber les cannes pour se perdre dans les myrtilles où il fait de longues pauses pendant que je ramasse des framboises pour notre diner.
Depuis que nous dormons en bordure de bois ou de forêt (et proximité de la mer, n'y change rien) nous avons entendu souvent ces cris étranges qui nous avaient perturbés dans les fjords. Toujours vers 2h ou 3h du matin, au moment où la clarté du jour s'annonce en clair-obscur. Cette nuit, cet espèce d'appel animal a frôlé le petit camion, mais nous ne sommes pas assez vifs au milieu de la nuit...
15-08-18 - Park skuleskogen.
Laurent a décidé de reprendre le volant. Tentative de pilotage. Nous ferons un petit périple à partir d'Uméa pour rejoindre le Park skuleskogen. Parc national formidable. Une fois bien posés, nous ferons à pied un sentier parfaitement balisé au coeur de la forêt. Mais après deux kilomètres confortables des caillasses et une descente un peu violente décourage Laurent. Même avec ses deux cannes anglaises, il ne veut pas prendre le risque; Je le laisse donc sur les rochers et me lance avec bonheur dans la descente. Je déboule en haut d'un escalier de bois. Trente-huit marches quasi verticales qui plongent dans un sentier. La forêt est très dense, l'obscurité est totale. L'appel de la forêt est puissant. Je m'engage avec délice dans cette descente vers le noir, la totale protection. C'est trop bon, ce silence, cette pénombre est apaisante. Environ deux kilomètres, le sentier s'aplatit. Je sors de la forêt et je m'arrête scotchée par le panorama. Une immense plage bordée de forêts, de sable fin joliment rose, un calme souverain... Tout au fond de la baie, à peine visible une toile de tente. Plus loin au large, deux jeunes amoureux chahutent dans l'eau qui leur arrive à peine aux hanches. Je me pose le temps d'un doux rêve. Lorsque je remonte vers le sentier, une grenouille solitaire appelle avec enthousiasme. J'ai longuement profité d'une remontée au ralenti pour m'imprégner de toutes ces sensations qui font le bonheur de mes jours.
18/08/18
J'ai repris mon rôle de co-pilote et j'aime bien aussi. J'ai aussi retrouvé avec enthousiasme ma posture Matayou. Je voyage beaucoup plus confortablement. Laurent a retrouvé l'usage de ses deux jambes. Il prend d'extrêmes précautions et je trouve ça très rassurant. De ce point de vue, il est beaucoup plus sérieux que moi... Ce qui explique qu'il n'ait plus mal au genou et que je continue à grimacer à cause de mon dos...
Nous avons fait de bien belles étapes sur cette route le long du golfe de Botnie. Il y a des multitudes d'endroits où se poser en toutes libertés. Nous avons aussi visité de sympathiques petites villes, Nordingra,Harnosand, Sunsvall, Gävle.
Cap plus vers le sud est... route côtière toujours. Nous traverserons le pays des forges. Villages créés par les industriels qui ont fait de la Suède le producteur de l'acier le plus fameux que toute l'Europe s'arrachait pendant des décennies. Les immenses manoirs qui trônent au milieu de fabuleuses propriétés sont le centre de ces villages. Les ouvrier logeaient de l'autre côté de la route dans leurs maisons ouvrières. L'histoire rend largement compte du prestige de ces richissimes patrons mais elle escamote quelque peu les conditions de vie des ouvriers qui se résument par un laconique. "Ils étaient auto-suffisants et ne manquaient de rien...". Nous avons donc flâné dans ces lieux prestigieux en nous laissant éblouir par leur majesté. Longues bâtisses de communs, jardins à l'anglaise parfaitement alignés autour d'un lac articifiel, sentiers discrets, orangeraie, kiosque rustique... Tranquille comme une promenade dominicale.
Ici les maisons ont perdu leur aspect de chalets aggrandis au fil du temps. Ce sont de grosses bâtisses au toit cassé. Cela leur donne un aspect très imposant. Elles trônent comme des matrones au milieu des annexes en bois qui font le charme de toutes les propriétés scandinaves : réserve de bois, atelier, garage, four à sauna, pergola avec petit salon extérieur, jeux d'enfants... et quelquefois modeste potager. C'est aussi un monde plus paysan. Les corps de fermes sont immenses. La forêt aussi a changé d'aspect. La guerre entre le minéral et le végétal a été déclarée et souvent le minéral a gagné. Les forêts avec leurs dômes de lichens entre les racines des arbres ont été dévastées. Il reste un amoncellement de rochers et de pierres énormes ; les mousses ont séché et y laissent de vilaines traînées comme des blessures mal cicatrisées. C'est un univers chaotique et un peu effrayant. Quelques kilomètres plus loin, la forêt réapparaît avec ses arbres déracinées en travers des arbres debout, et d'énormes souches renversées qui exposent leurs dessous de manière si indécente.
19-08-18 Kallegro N 60° 20' 46.67 - E 18°15' 28.79
Nous avons visité la sympathique ville de Öregrund. Un très grand port (départ direct vers la Finlande), de très jolies rues bordées de maisons en bois, fort coquettes. Un port de plaisance où nous sommes longuement attardés que les bars et restaurants égaient. Un monde touristique qui se déploie et donne une ambiance très décontractée à la ville. Nous avons failli y rester pour dormir à proximité du port, face à la mer... Mais nous n'avons pas pu nous résoudre à devenir citadins. Cap sur Osthamnar
Et voilà notre dernier séjour dans le golfe de Botnie- Encore une réserve naturelle en bord de mer. C'est une des rares fois où nous ne sommes pas tout seuls sur l'espace. Il doit y avoir une douzaine de campeurs. Mais l'espace est grand et ce n'est pas gênant. Et puis, faut bien revenir à la vie citadine un jour ou l'autre...
lundi 20-08-18 UPSALA -
Nous entrons dans des zones nettement plus urbanisées. Les forêts toujours denses sont ici domestiquées. Des lacs à profusion, et une véritable autoroute mais d'abord pause à Upsala. Ville de Linné et Ingmar Bergman. Une très jolie ville. La vaste cathédrale (construite de 1270 à 1435) toute en briques rouges, est un vrai bijou. Ses deux flèches dominent à 120 mètres. Ici, une profonde méditation s'impose et ça fait du bien. Nous avons longuement flâné dans des rues piétonnes vivantes et tranquilles à la fois. Les étudiants sont en mode bizutage, la rentrée se fait dans la joie générale. De belles promenades sont promises le long du Fyrisan, qui traverse la ville. Si je devais m'expatrier en Suède...
Cap sur Stockhom. C'est le bout du majestueux lac Malaren que nous avons longuement longé avant notre arrivée en ville. Nous devons traverser la capitale pour atteindre notre étape en périphérie. Un peu étonnés d'entrer là sans quitter l'autoroute, un immense échangeur train, métro, voiture bus et ferries.... tout ça sur le même pont.... Il est 18h00 et la circulation est très fluide... Aucun problème. Nous trouvons un petit camping familial au bord d'un lac, absolument calme à quinze minutes à piedsdu métro pour Stockholm la grande... Et nous voici, en route, petites foulées tranquilles, (Le pas un peu lent de Laurent m'impatiente quelque peu- et me donne mal au dos) le long d'une allée en partie le long du lac. Au bout, se trouve la station de métro en plein quartier de villas très chics. Mais nous n'arrivons pas jusque là. A dix minutes du camping, Laurent se pose sur un banc, l'air soucieux. Il vide son sac à dos, fouille ses poches.
_ J'ai oublié mon porte-feuilles au petit camion ?
- Pas grave j'ai le mien avec ma carte bleue.
- Super... on n'a pas besoin de faire demi-tour alors !
Nous voilà repartis à l'assaut de quelques côtes courtes mais bonnes. Quinze minute de suées mais fort agréables. Nous essayons la borne automatique pour l'achat des tickets mais elle refuse ma carte bleue visa. Pourtant, elle a servi à retirer du liquide en Norvège. Nous nous présentons à un guichet. Une dame fort avenante d'une quarantaine d'années nous accueille dans un anglais aussi approximatif que le nôtre. Nous pouvons avoir quatre billets (AR) avec prolongation jusqu'à minuit. 14 € pour nous deux. D'accord. Bien entendu ma carte bancaire se met en défaut et nous n'avons pas un sou en espèces. Pas de banque avant la ville (une dizaine de kilomètres) pour tenter un retrait. Après plusieurs tentatives, (la dame tente de mystérieuses manipulations sur son terminal), rien à faire. Laurent émet de sérieux doutes sur mon code. (ce qui m'énerve prodigieusement) Il demande quelques minutes et via smartphone essaie d'interroger je ne sais lequel de ses comptes pour contôler la validité de mon code. Un bon quart d'heure se passe en vaines manipulations des deux côtés de la vitre. Qui devient lentement une bonne demie-heure. Heureusement pas un chat ne se présente au guichet. La dame régulièrement m'adresse des sourires désolés et patients. Je la prie de nous excuser pour tout ce temps perdu.
- Pas de problème, j'ai que ça à faire.
Finalement Laurent confirme que le code est bon. Nous hésitons. On retourne au camping et on zappe la visite de la grande ville ? Ce qui me fend le coeur. Ou bien je cours de mon pas impatient jusqu'au camping récupérer les papiers de Laurent; Laurent ne veut pas faire l'aller-retour (une petite demie heure de pas rapides en montées et descentes, c'est hors de sa moblité actuelle). La dame du guichet d'un air contrarié :
- dois-je annuler vos billets ?
- Non, non, je vais chercher nos papiers au camping.
Je laissse Laurent à l'extérieur, proche d'un square avec bancs accueillants. C'est là qu'il doit m'attendre. J'avoue que je suis enchantée de reprendre à mon rythme soutenu la belle allée le long du lac. Mais je flâne pas.
Lorsque je me pointe vingt minutes plus tard au métro, Laurent est invisible. Comme d'hab je n'ai pas jugé utile de m'embarrasser de mon tél portable. Le croirez-vous, j'ai cherché Laurent pendant plus d'un quart d'heure. Je fulminais. Mais où diable était-il allé ? Pourquoi n'est-il pas resté dans ce minuscule square bien visible ? J'ai fait le tour du petit supermarché (coop, c'est une enseigne très répandue ici) Je ne sais combien de fois le tour de la place, une mulititude aller-retour entre le square et le guichet métro. La dame toujours aussi patiente m'adresse des sourires compatissants... Elle doit penser que Laurent m'a plaquée... Je sens dans son sourire une grande pitié. Ma crainte plus réaliste, c'est que peut-être Laurent s'est emmêlé les pieds en agitant les bras (on a déjà vécu ça, y'a pas si longtemps) ou pire qu'il a eu un malaise... Faut-il me mettre à pleurer ? Finalement, ça fait maintenant vingt minutes que je piétinne. Je décide de retourner au camion, là-bas j'aurai le secours de mon téléphone portable. Décision prise, l'action me fait du bien et je repars en petites foulées. Au moment où je m'engage dans la descente vers le lac, je croise, devinez qui, de son pas tranquille qui remonte du lac.
- Mais qu'est-ce que tu fais là ?
_ Le square était plein de courants d'air. J'ai préféré m'assoir sur ton chemin en guettant les passages pour pas te rater.
- Vraiment et t'as pris bien soin de te planquer alors ?
- Pas du tout, je t'ai vraiment pas vue. Sauf une femme qui m'a laissé un doute, elle était vachement belle, elle te ressemblait ! C'était pas toi.
- Forcément si elle était trop belle, impossible que ce soit moi !
- Pfuit, tu dis n'importe quoi.
Bon, on se calme, on est dans le métro en Suède, en route pour Stockholm ! On a perdu assez de temps comme ça, on va le perdre en plus avec des fâcheries.
Quelle ville. Elle est distribuée en une multitude d'îles (14 îles principales comme autant de quartiers, avec chacun son caractère. Médiéval, commerçant, historiques ou administratif et résolument moderne. Quartier ouvrier, étudiant, ou bourgeois avec d'étonnants hôtels particuliers ou carrément bucolique. Plus de 80 édifices (musées, palais, châteaux... dont certains dominent les côteaux) Nous y passons de bien beaux moments et le plus extraordinaire dans la cathédrale. Ce qui nous a le plus séduit, c'est qu'on passe si on veut d'une île à l'autre (d'un quartier à l'autre) par des navettes maritimes. C'est chouette. Notre idée c'est de revenir en séjour exclusif (au moins une semaine) à Stockholm... par avion et à l'hôtel en ville. Quand on sera vieux ! avec la carte bleue sénior précise Laurent.
jeudi 23 -08-18 Jönköping - N 57° 46'32.86 E 13°50'31.97
Depuis que nous sommes revenus vers le sud l'ambiance change considérablement. Ici le vélo est redevenu roi des pistes. Les routes et rues y sont parfaitement aménagées et c'est un vrai danger pour le petit camion car ils déboulent de manière un peu sauvage. Quant aux risques piétons, j'ai forcément failli me faire renverser quelquefois par un vélo fou... Ils sont pire que les mouches au bord des forêts. Ils arrivent par nuées. Ils passent de tous les côtés dans les deux sens. Impossible de les affronter, faut se planquer. Je hais les cyclistes urbains. Par contre et ça ne manque pas de nous étonner, les automotilistes sont exemplaires. Dès qu'on se présente au bord de la route, ville ou campagne, on nous cède systématiquement le passage. J'en use et j'en abuse, c'est trop sensationnel.
Remettons nous de nos émotions urbaines. Notre nouvelle étape est en bord de lac. Les zones rurales sont aux portes de la ville. Mais ce n'est plus le même genre de séjour. La socialisation est partout jusque dans les forêts, qui deviennent fort disciplinées et les champs parfaitement rasés, et les prairies coupées à ras. Et les fermes opulentes et immenses. Nous avons définitivement perdu la trace des rennes. Il n'y a plus les sympathiques panneaux dangers, skieurs ou moto-neiges. L'autoroute est une vraie quatre voies, monotone mais sécurisée. Notre cap est une légère remontée vers l'ouest vers Götebörg que nous envisageons de visiter. Mais à la recherche d'un lieu sûr, nous nous rendons compte que la ville est fort douteuse. Les vols et fractures de portes sont fréquents dans les parkings urbains. C'est la ville migratoire dans tous ses excès. C'est plus négligé, plus douteux, plus cosmopolite aussi. Ainsi, le danger ne vient pas de la nature profonde, aussi sauvage qu'elle soit, mais bien des zones urbaines. Nous décidons de faire l'impasse sur cette grande ville portuaire. Nous ferons de petites étapes en bordure de village, "au p'tit bonheur la chance" ma méthode de recherche favorite. Et nous reviendrons à Götebörg dimanche matin pour prendre le ferry et passer au nord du Danemark. Voire un peu à quoi ressemble ce nouveau pays.
Ainsi nous perdons définitivement de vue ce nord scandinave que j'ai tant aimé... Nostalgie déjà. Ouste on se reprend. La perspective de trois heures en mer a de quoi me réjouir pour dimanche.
Dimanche matin 26 aout 2018, 9h10. Nous quittons le port de Göteborg Suède (pour info prix de la traversée pour nous deux et le petit camion (7m) 166 € (3h30 de mer). Compagnie Stenaline, un immense ferry de dix étages. 3 étages dédiés aux véhicules, 7 étages pour le confort des passagers... Autrement dit une totale opulence et un accueil extrêment luxueux. On se case dans des fauteuils en terrasse couverte, baies vitrées en poupe... La mer est calme à peine ourlée de petits bandeaux d'écume. Une ligne de nuages en wagonnets blancs se poussent dans un ciel parfaitement bleu. Est-ce l'altitude de notre terrasse, est-ce la mer archi-plate, il me semble que j'aurais juste à lever les bras pour toucher les nuages. Le ciel à portée de main, n'est-ce pas extraordinaire ?
Débarquement facile à Frederikshavn, pas de douane à l'arrivée au Danemark, pas de contrôle d'aucune sorte... Nous prenons la route côtière vers le nord de l'île. A babord, côté terre, ce sont de grandes zones agricoles. A tribord, la mer, de plus en plus agitée vers le nord. Puis d'un coup, la terre disparaît et nous sommes noyés dans un monde de dunes à perte de vue. Désert total, le vent forcit. Température autour de 15° mais ciel clair. A l'affut des images, je guette un avion échoué dans le sable, la silhouette d'un aviateur exaspéré et celle d'un jeune garçon aux cheveux blonds comme les blés, l'écharpe blanche au vent. Ces choses qui n'existent pas me comblent de bonheur.
Nous passerons la journée à la pointe extême nord. Grenen est un endroit fabuleux. Ici s'enlacent la mer du nord et la mer Baltique... Leur étreinte est farouche et le vent d'une violence rare. La mer y est tumultueuse. Pas la peine d'envisager un bain de mer. Quel dommage !
A Skagen, village voisin, Laurent a repéré un abri pour la nuit entre les dunes. Nous quittons la route littoral pour nous engager sur une piste sable et herbes... Et des dunes herbeuses qui se déploient devant nous. C'est le bout d'un autre monde.
Lundi 27 aout 2018 SKAGEN N 57°36'09;35 E 10°14'15;72
Le vent a secoué le petit camion cette nuit, il a rugit fort dans notre habitacle. Il ne m'en fallait pas plus pour ressentir un sympathique roulis qui m'a délicieusement bercée. Quelle belle nuit. Aux aurores, la pluie jouait des castagnettes sur le toit du petit camion et le roulis s'est accentué.
- Laurent qu'est-ce qui te plait le mieux dans cette ambiance ?
- De pas m'inquiéter pour la sécurité du mouillage...
A chacun ses petits bonheurs du jour.
Mardi et mercredi seront consacrés à des visites "culturelles". Le remarquable musée de la marine à Aalborg. Un labyrinthe de salles y exposent foultitude de maquettes, plus fines, plus belles les unes que les autres. Des instruments de navigation inattendus, des appareils de propulsion, des costumes historiques et même de la vaisselle de bord. Toute une salle dédiée au naufrage du titanique avec l'ambiance dans les glaces... Mais aussi de vrais navires, un poste de pilotage virtuel dont Laurent prend les commandes. Il ne nous ménera pas à "bon port" mais nous aurons explosé un voilier, une digue et un ferry... avant de nous couler nous-mêmes. C'est rigolo et sympa quand c'est pour du beurre ! A l'extérieur expo de ports miniatures ? de villes maritimes pour traîner en toute tranquillité et le clou du musée, un vrai sous-marin, "le pringenen". Un escalier métallique nous mène à ses entrailles. Je suis suffoquée par l'odeur de graisse chaude, et l'obscurité, d'humidité (dehors il pleut). Merci, ça me suffit ! Laurent s'enfonce dans cet étrange tunnel. Je trouve un coin abrité pour méditer sur tout ça... Tous les quarts d'heure une sonnerie dans le sous-marin sonne pour alerte fictive. J'en laisse passer deux, puis je m'inquiète, ça fait un moment que j'attends. Va falloir que je fasse porter Laurent disparu. Je me coltine l'enfilade de salles (au moins 500 mètres) au pas de course. A l'accueil, personne n'a vu Laurent et je ne veux pas entrer dans le sous-marin à sa recherche. On tergiverse avec mon anglais douteux c'est plutôt du folklore. Finalement, une dame aimable m'accompagne. Lorsque nous sommes sous le navire, Laurent arrive à babord. Il vient vers nous, d'un pas tranquille et régulier, vous savez comme le flâneur dans "les tableaux d'une exposition"... Il y a avait aussi par là un navire de guerre à explorer... Fallait pas rater ça. Je le sens encore imprégné de ce qu'il a vu et imaginé de ces vies à bord. Il y a en lui quelque chose de magnifique dans sa sénérité à ce moment-là. J'adore !
Mercredi soir -skörkping- N 68°48'11.00- E 9°55'00;00
Nous avons pénétré dans la plus vaste forêt danoise, hêtres et conifères immenses, marais et lacs. C'est le parc national Rebild. Cette forêt n'a pas la sauvagerie, ni le chaos des suédoises que j'ai tant aimées. Mais elles sont tout aussi tranquilles et sécurisantes. Encore un étonnant bout de piste où Laurent excelle désormais et nous voilà seuls au monde... Avec au soleil couchant, la lune levée sur le lac. Un petit bout d'éternité nous frôle. A 22h, un véhicule arrive à vive allure, il se range devant nous. Puis plus rien. Qui est cet olibrius qui perturbe une si belle soirée ? Plus tard encore, nous sommes surpris d'entendre dans cette solitude, le son léger d'une sorte de harpe celtique... Puis vient la vraie nuit. Lorsque nous émergeons d'une nuit tranquille, notre voisin nous adresse de grands signes d'amitié. Laurent va vers lui. Il a envie d'en savoir plus sur cette étrange musique; et nous rencontrons un homme d'une cinquantaine d'années, sec mais zen... qui dégage une odeur indéfinissable... L'homme vient du Pays de Galle et son accent est épouvantable, à cela s'ajoute le nôtre avec toutes nos approximations... alors j'ai peut-être pas tout bien compris. C'est un intégriste à sa manière; Il ne vit que d'amour et d'eau fraiche. Il compte sur la nature et la méditation pour garder la forme, et la musique. C'est un saltimbaque qui vit de sa musique de rue. Il sort l'instrument qui nous a bercé la veille. Une sorte de grand chaudron en métal léger au couvercle bombé. Faisant cercle tout autour, avec un gros creux au milieu, huit empreintes adaptées à la pulpe du doigt permettent de jouer 8 notes. Notre musicien nous dit que cet instrumen, qu'il appelle "hand pan ? " se joue sur une gamme japonaise ???? Qu'il nous joue, mais dont nous ne reconnaissons pas le timbre oriental. Il égrenne pour nous de sympathiques arpèges. Une chouette somnambule, les yeux tout pisseux vient se poser là et se laisse bercer. Quelque chose de divin nous frôle.
Nous ferons un petit tour à Viborg, ville de province typique du Danemark. On aime bien les rues piétonnes animées mais sans bousculade, des citadins qui flânent. Et de magnifiques édifices, de briques roses ou jaunes, comme toutes les constructions ici.
Jeudi 30 08/18 -
Le long de cette côte ouest, encore une visite culturelle au château 16è de Spottrup. Encore un lieu au mileu des dunes. Puis nous nous arrêterons pour flâner à Ringköping, belle petite ville typique avec un port de pêche qui nous a retenu un grand moment;
Nous nous engageons ensuite dans une sorte de langue de terre sableuse, Homlsland klit, qui sépare le fjord de la mer. Nous nous installons dans un camping proche du phare de Norre Lyngvig... Le matin nous partons à travers les dunes pour atteindre la mer du nord à 1 km de là, au pied du phare. Laurent préfère grimper, moins je préfère contourner. Mon sentier me mène à travers des bruyères brunes, vertes, roses ou mauves qui se mêlent, avec quelquefois l'éclair d'une minuscule fleur jaune... Laurent disparaît quelquefois caché par le dos d'une dune colorée et lumineuse. Je me laisse émouvoir lorsque le haut de son crâne blond réapparaît. Belle partie de cache-cache qui se joue entre lui et moi, à son insu. Sous le phare, la mer du nord roule ses vagues le long d'une plage quasi déserte. Le vent fort de la nuit a dessiné de jolies dentelles dans le sable immaculé. Tout est immense ici. Magifique.
01/09/18 - TOFTUM - PARK DE L'ECLUSE -
La route qui nous mène à l'île de Romo est une digue sur la mer qui nous enchante. Bordée de prairies, vaches et vachettes, chevaux, moutons et chèvres... tout ce petit monde se partage librement l'espace. A quelques kilomètres de l'écluse au bout de cette piste, un alignement de voitures nous intrigue. Plus loin un attroupement d'une cinquantaine de personnes, grosse tache noire qui s'étale sur le bas-côté. Accident ? L'évènement doit être exceptionnel. Il y a si peu de places pour passer. Une femme s'approche, côté conducteur. Explication en anglais bien entendu.
- Pourquoi tout ce monde, que se passe-t-il ?
- Nous attendons le "soleil noir".
- Soleil noir, une éclipse ?
- Oui une éclipse de darkbirds.
-Une éclipse de corbeaux... ?
- Oui, lorsque le soleil se couche. Vous pouvez passer lentement et vous garer plus loin.
Fichtre quel évènement en effet !
Nous continuons lentement jusqu'à l'écluse qui contient les assauts maritime. La digue, est un chouette rempart contre la mer. Un foule considérable s'est rassemblée en haut des pentes herbeuses, face au soleil qui descend sous l'hori zon. Les mammifères broutent, nullement perturbés par ce peuple qui piétinne son herbe. Nous trouvons pour le petit camion, une place très sympathique au bord de l'écluse. L'écoulement de l'eau nous bercera agréablement toute la nuit.
Bien installés, nous partons à l'assaut de la digue et aux infos concernant cette étrange éclipse.
Et là, nous rencontrons un couple vraiment agréable. Il nous montre des extraits de journaux (en Danois, on risque pas de comprendrles images sont belles. Ainsi à ce moment de l'année, les étournaux (sansonnets) se rassemblent ici. Ils organisent leur convoi de navigateurs des airs. Ils passent en troupes très serrées, en rubans dansants qui roulent et se déroulent. De gigantesques arabesques qui ferment le soleil et font sur terre une pénombre totale... une sorte d'éclipse. Il faut donc guetter le moment.
- Oui, mais vous êtes certain que c'est aujourd'hui ?
- Non, bien sûr, il faut venir tous les soirs pour saisir le bon moment.
Donc nous guetterons, ce soir là, et le suivant. Mais nous ne verrons pas le "soleil noir" des "black birds"
Cette étape un peu longue nous a permis de retourner visiter la magnifique ville de Ribes. C'est une ville qu'il ne faut pas rater. Nos deux visites nous ont vraiment séduits.
05/09/18 Lac WIETELSEE au bord de la Weyle. N 53°004 31.53 E 8°53'57;65
Nous sommes passés en Allemagne sans vraiment nous en rendre compte. Nous quittons le Danemark salués par les trois pavillons de pays Nordique. Nous entrons en Allemagne accueillis par les pavillons, européens, allemand et français.
Mais les villages changent d'aspect, plus proches des rues pavées et maisons à colombages, familiers au monde alsacien.
Mais ce qui nous choque le plus, c'est les champs d'éoliennes, par centaines. C'est un vrai spectacle. Au milieu des prés, au milieu des champs. Les tracteurs qui labourent au pied de ces monstres ont l'air d'engins miniatures. On les trouve continuellement au bord des autoroutes ou des nationales. Ces mobiles géants montent une garde presque angoissante tant c'est important. Pour me rassurer, je me dis qu'ainsi l'Allemagne prend très au sérieux la protection de la planète. Lorsque les châteaux forts ont été construits sur les hauteurs, visibles de loin, ont-ils défiguré les paysages en leur temps ? Dans quelques centaines d'années, y aura-t-il des circuits touristiques organisés genre, la route des éoliennes, comme on fait la route du vin ou celle des des châteaux de touraine... On trouverait alors, ces vestiges émouvants et aussi beaux qu'impressionnants.
05/09/18 Lac WIETELSEE au bord de la Weyle. N 53°004 31.53 E 8°53'57;65
Toujours de sympathiques étapes en bord de rivière ou au milieu des prés. Proches toujours d'une ville médiévale dont nous arpentons les pavés avec enthousiasme; C'est un bien beau pays sous nos pas. Laurent est fort adroit pour nous dégoter des lieux toujours accueillants, toujours très tranquilles, et toujours au milieu de nulle part. Je me fie complètement à lui. J'adore.
Nous quitterons notre parc à moutons (une fois habitués à nous, on ne les a plus entendus sauf de loin en loin, un agneau en perdition qui appelait sa mère) pour notre première journée d'été. On range enfin les polaires et la couverture. On sort les sandales et les shorts... Oh que ça fait du bien cet air délicat à 26° en journée.
Après Itzehoe Laurent décide de passer au sud de l'Elbe par la barge locale que nous prendrons dans un village au nom sympa, Gluckstadt. On a du pot on ne fera la queue qu'une heure. Il y a de chaque côté de la barge une sorte de pont extérieur que je vais explorer; et j'y rencontre un charmant passager allemand qui engage la conversation en français qu'il n'a pas pratiqué depuis l'école, il y a une bonne trentaine d'années. Vous imaginez la profondeur de notre conversation de trente minutes. Il me sourit, quelques mots que je ne comprends pas. Et la conversation démarre. C'est moi qui m'y colle ...
- Je connais l'île d'Elbe, mais la rivière j'avais jamais entendu parler...
J'ai beau retourner cette formulation dans tous les sens, il ne comprend rien. Ce qui nous permet de joyeux fous-rire quand il essaie de reprendre et de comprendre. Finalement il m'explique laborieusement. Je résume de longues minutes d'explication en mots hachurés et pêle-mêle.
- L'Elbe court sur 120 km depuis la Yougoslavie jusqu'à la mer du nord. Elle est navigable... Elle est magnifique...
(Faudra que je vérifie tout ça à mon retour)
Puis je change de propos et je le surprends.
- Comment vous appelez-vous ?
Il ne s'attendait pas à cette question et ne comprend pas tout de suite, forcément, il était pas encore dans ce contexte là... Il était resté sur l'Elbe.
- Je m'appelle Jeanne, et vous comment vous appelez-vous ?
Il ne comprend toujours pas, pourtant je parle lentement. Dois-je me mettre au langage "Tarzan". Non, son regard se concentre, ses sourcils se froncent. Il cherche ses mots.
- Ah oui, Jeanne, comme Jeanne d'Arc.
- Oui, et vous ?
- Je, moi ?
- Oui, vous !
- Oh j'aime bien Jeanne d'Arc.
- Oui, mais comment vous appelez-vous ?
Son visage s'éclaire.
- Ah, Moi, je m'appelle Klaus.
- Oh, comme Santa Klaus, Saint Nicolas, mois aussi j'aime bien
Et là, il me lance un regard parfaitement moqueur.
- Non comme Klaus Sarkosi, vous aimez aussi ?
- Pfuit !
On rigole de bon coeur et on se quitte car nous débarquons. Certaines rencontres comme ça, éphèmère et parfaite me mette en joie.
06/09/18 Guxhagen N 51° 12'09.72 E 9°28'47.82
Encore de belles bourgades médiévales dont on ne se lasse pas. Et qui nous permettent de nous défouler un peu les jambes. Nous nous arrêterons longuement à Nienboug. Puis nous longeons la Fulda. Encore une rivière agréable et verdoyante malgré les éoliennes qui dessinent leurs hautes silouhettes au delà des prés. Elles sont plus discrètes en petits paquets ou carrément isolées. Moins envahissantes dirons-nous. Mais incontournables.
A Weyle, belle étape et nuit parfaite proche d'une marina de la rivière Weser, haut lieu de pêche. Nous sommes estomaqués qu'au moment où le petit camion se sent parfaitement garé, un homme nous fasse signe de nous déplacer. Il nous guide juste devant, face à la rivière, vue imprenable mais un peu envahie de mauvaise herbe.
- Attendez !
Il revient avec une serpette et nous dégage un bel espace de camping tout propre puis retourne à sa pêche. Encore une belle rencontre.
Nouvelle étape à Guxhagen, au bord de la Fulda.
Nous trouverons un bel espace herbeux en bord de rivière toujours. Un grand mesti s'y prépare. Nous nous échapperons avant les folies festives. Pour ce soir, de l'autre côté de la Fulda, le clocher chante régulièrement. J'aime tellement cette ambiance. Un peu de pluie et un p'tit orage pour combler ce bonheur du jour.
08/09/18 N 49°14'18.65 E 8° 41'07.09 6 MALSCH
Nous dépasserons Eidelberg. J'avais souhaité m'y arrêter un moment. Mais l'entrée en ville à travers des rues en travaux permanents, fort encombrées et mal accessibles nous ont découragés. Avec aussi l'impression que cette ville est surtout industrielle et commerciale... Mais ce n'est qu'un avis de passage, nous n'avons pas approfondi. Tant pis. Nous prenons la direction de la Forêt Noire. Notre première étape un peu inattendue est un régal. Au milieu d'un aéroclub. Les responsables nous autorisent à nous caler au bord de la piste. Demain, l'activité ne commence qu'à 11h le matin. Nous pourrons nous offrir le luxe d'une grasse mat. C'est une autre ambiance dès 10h, on sort les aéroplanes, le gros camion qui va les tracter sur 1km se met en bout de piste. Les voitures tirent les engins en file prêts à décoller.. en fond d'écran le clocher de l'église et les premières maisons du village, une sympathique bute plantée de vignes. C'est à la fois bucolique et d'une ambiance un peu fiévreuse.
Dans l'après midi nous reprendrons la route pour une autre étape en Forêt Noire. La plaine devient brune. Les maïs courbent leurs épis bruns avec lassitude comme des petits vieux sur leurs pieds grêles. Les tournesols terrassés par l'été baissent la tête humblement, lourds de leurs graines sombres. Le soleil les fatigue. C'est ici le temps des regains et les prés aussi s'étalent en lignes sombres d'herbe sèche. Seuls les vignobles nous renvoient leur lumière métallique de raisins murs. Et les forêts sombres qui nous appellent. La ligne bleue des Vosges se perd à tribord... Nous voici à Freiburg en Brishgau. Encore une bien belle ville.
De pause en pause, nous nous rapprochons du sud de la France. Mais de bons moments nous sont encore promis. Je vous ferai grâce de cette fin de périple plus ordinaire qui nous arrêtera dans quelques jours dans le Jura, puis plus au sud. Prendrons-nous Grenoble puis la route Napoléon que nous aimons bien tous les deux ?
Je pense que début octobre nous serons opérationnels à Velaux. Je vous enverrai un mot depuis chez nous dès que nous serons posés.
Ce fut un extraordinaire voyage.
Chantent toujours dans ma têtes, les clameurs des rennes.
Dansent toujours devant mes yeux les immense forêts de laponie suédoise...
et les forêts enchantées de Poudlard.
Et je continue de rêver.
Por el camino....
Jeudi 17/10/19
Quelques reports de dates dus à l'organisation de la vente de l'appart Barri-Velaux, mais voilà, nous y sommes. La vente de l’appart attendra.... Le petit camion est prêt à démarrer, toutes les issues de la maison sont bloquées et protégées… pas de klaxon intempestif. Le pilote est au volant. J’ai encore les clés de la maison dans la main. Départ immédiat.
- T'as bien fermé partout Laurent, je peux ranger les clés ?
- Oui, je crois.
- Tu crois ou t'es sûr ?
Laurent se gratte le front de la main gauche, la droite sur la clé de contact. Il réfléchit. Patientons. Je vois passer dans ses yeux les innombrables issues de notre minuscule maison. Il ouvre sa portière, se tourne vers moi avec un sourire confondant.
- Chère passagère, un retard imprévu de quelques minutes est annoncé sur votre ligne de départ...
- Oh non, j’y crois pas !
- T’inquiète pas. Je crois que j'ai oublié la grille arrière du hangar… Juste le temps de vérifier.
Je lui tends les clés de la maison avec un soupir.
- Vaut mieux t'en assurer, y'a tout le matos jardinage et bricolage. Et puis, imagine qu’on te vole l'établi de grand papa… ou les incroyables boites rouillées ou se morfondent tes milliers de vis, boulons et autres écrous...
Il me laisse pas le temps de déblatérer davantage. Il est déjà dans le jardin.
Je réfléchis à ce que je peux avoir oublié moi aussi, puisque j'ai quelques secondes de répit…
Des coups sourds, lents mais puissants, me tirent de mes réflexions.
- Mais qu'est-ce qu'il fait ?
Je me précipite à l'arrière du hangar. Vous savez, là où il a installé son abri à bois tout en verre et dont nous sommes si fiers… Il semble d'ailleurs que nous soyons les seuls à trouver cette installation esthétique… Laurent a monté une jolie pile de buches le long du mur, contre lequel doit passer la grille pour se fermer… Mais le mur n'est pas aussi rectiligne que nous le voyons, et la grille bute dans l'un et l'autre des bois qui dépasse et Laurent à grands coups de buche enfonce les obstacles… C'est sans fin, y'a toujours un bout de bois qui « proémine »…
Comme d’hab, nous sommes presque partis.
1ère nuitée : N 43.72458 E.4.42057 Oliveraie JeanJean à Saint Gilles.
Accueil sympathique au coeur de la Camargue. Par la N113 on longe des km de marais pas un seul oiseau à l'horizon, ni dans la boue. Nous entrons dans l'Oliveraie qui sera notre aire pour la nuit. L'impressionnant portail digne d'un château, ferme à 18h pour rouvrir à 9h le lendemain. Nous voici consignés à résidence. Une promenade tardive à travers les oliviers dans l'immenses propriété nous donne un singulier sentiment de liberté. Une nuit peuplée de sons étranges, piétinements autour du petite camion, ronflements, grondements. Un sanglier prisonnier des oliviers, passera la nuit dans notre voisinage.
Au matin, nous ferons provisions d'une huile bio exceptionnelle en saveur. (23€ le litre, info pour Danièle T)
Vendredi 18/10/19 L'Ille sur Têt.
Pause improvisée dans le jardin sauvage et magnifique de notre amie Marie Hélène. Je m'émerveillerai toujours de ces retrouvailles que les hasard de la route nous offrent. Des années que nous n'avions quasi pas communiqué toutes les deux. Mais le contact se rétablit instantanément au premier regard. Telles sont nos amitiés. Le temps n'a pas de prise sur nous… La soirée avec les enfants et petits enfants nous plongent dans un univers familial que nous adorons. Merci Marie-Hélène.
Samedi 19/10/19 Port Vendre.
Faut que j'vous dise. Je tenais beaucoup à cette pause. Port vendre, qui fut quelquefois notre abri rassurant et merveilleux lors de nos traversées Baléares avec Abaca. Je retrouve cette belle petite ville estivale fidèle à mon souvenir. Les quais sont quasi déserts et les boutiques vides de clients. Rien à voir avec la folie touristique du plein été. Un yacht en panne se fait remorquer le long des quais mais le vent par bourrasques irrégulières le rabat sur un bateau de pêche amarré. Empêtrement de coques et de cordages, agitation sur le yacht du pilote seul à bord qui ne sait où donner du cordage. Cris dans le remorqueur SNCM. Défenses qui valdinguent sur le pont, y'a pas moyen que le vent les laisse se coincer entre les bords des deux navires amarrés.
- Finalement, c'est plus relaxe à terre tu crois pas ?
- Si sûrement, mais c'est plus monotone…
- Peut-être que ça ne nous plaît pas tant que ça, l'aventure en mer.
C'est donc décidé officiellement, nous tirons un trait -définitif- sur l'idée de navigation autonome.
Le museau au ras du bitume, le petit camion a trouvé où se poser, juste au dessus du port; une aire de camping formidable, quasi déserte avec de beaux emplacements au départ du sentier qui mène au cap Béart. Petite rando qui nous enchantera. Ce cap a été pour nous un passage redoutable avant celui du cap Creus du temps de notre virée vers l'Atlantique avec Lune de Miel.
Pique nique à l'abri des rochers, sous l'oeil fort intéressé des oiseaux côtiers.
Depuis quelques minutes Laurent s'agite, gesticule, émet des sons étranges, la bouche en cul de poule (si j'ose dire)
- Tu vois, je communique avec les goelands maintenant ?
- Vraiment ?
- Regarde, j'ouvre les bras, celui-là devant, il va ouvrir les ailes.
Laurent toujours assis, le sandwiche dans sa main, le tend joyeusement vers le ciel en couinant… ce qui devrait être un appel à un ami ailé.
- Et ça marche, mieux que prévu... vraiment je me marre !
Trois oiseaux fondent sur sa main. Il a le réflexe de balancer aussi sec quelques miettes loin devant lui. Ce qui déroute les prédateurs de sandwiches. Ouf !
Je me dis que Laurent semble avoir un compte à régler avec les oiseaux de mer. Pas vous ?
Un gros nuage noir fonce dans le ciel, le vent forcit en passant à l'ouest. Une pluie fine brouille le paysage. Le temps de nous dépêtrer de nos légers ponchos de poche, et hop, descente vertigineuse sur les pointes de nos grolles. et moi je rigole toujours, mais pas autant que la pluie torrentielle sur notre sentier.
Du 21 au 24 octobre 2019-Banuyls
Tempête générale annoncée et particulièrement redoutable dans notre secteur. Nous décidons de nous installer au camping municipal de Banuyls (16,00 € la nuit TTC) particulièrement protégé. Nous choisissons une terrasse en hauteur, histoire de voir passer les torrents de pluie sans être inondés. Trois jours de lecture et farniente, musique et mots croisés. Le filet d'eau que Laurent s'est amusé à creuser à l'arrière du petit camion se tranforme rapidement en torrent… mais devant la porte, on a les pieds au sec quand on pointe le nez sous l'averse. La nuit ça tembourine sur le toit. Une dégringolade de grêle fond sur notre petite habitation. Des sons plus sourds que sur la coque alu de Lune de Miel, mais comparables cependant. D'autant plus que par moment des rafales de vent nous balancent par le travers. J'adore. Ça te rappelle quelque chose Dorine ?
Vendredi 25/10/19
Nous souhaitons faire une pause à Cadaques. L'idée de retrouver des souvenirs de mouillage heureux, encore du temps d'Abaca. En particuliers avec notre ami Roger. Lorsqu'on arrive par la mer, on n'imagine pas que la terre est à ce point fermée. Pas un seul espace pour y ranger le petit camion. Ne venez surtout pas vous perdre dans des sens interdits et des interdicitons de stationnements pour CC qui nous contrarient grandement. Mais l'enthousiame revient à bord lorsque nous traversons le parc natuel magnifique de Cap Cerbères. Des pins maritimes, des chênes verts, toute végétation qui nous est familière. Ici elle est opulente et d'un vert profond qui me fascine. Nous sommes entourés de hauts sommets qui plongent vers la mer. C'est vertigineux. Qelle route sympathique.
Nous ferons une pause à Figueres avec l'idée de visiter le musée Dali. Mais la foule qui se presse à l'entrée nous décourage et puis la ville nous déçoit. Hors le centre touristique du musée, petite placette accueillante et chicos, nous passons un tas de rues transversales plutôt miteuses, qui ne donnent absolument pas envie de s'attarder. Et puis la peinture, c'est pas notre Dada comme pourrait penser l'illustre Salvador.
Nous voici de plein pied en Catalogne espagnole. Les revendications autonomistes fleurissent sur le moindre mur. Pas de doute, ici on s'active et on affiche ses tendances politiques, mais en douceur. Partout les catalans vaquent tranquillement à leurs occupations, boutiquiers, paysans, artisans. Pas d'agitation dans les rues, pas de blocages dans les carrefours, ni sur nos petites départementales. Nous traversons des villages paisibles et magnifiques. Les banderolles et affiches aux couleurs du pays catalan donnent à la moindre campagne un air festif très réussi. La Catalogne a dressé son grand pavois.
Mon seul problème c'est pour communiquer. Des mots en xr, xt, xn... et des i-grecs à tire larigot. Je n'y retrouve pas mon latin. En plus Je m'exprime fort maladroitement en espagnol. Je sens bien que mes interlocuteurs font un effort pour me comprendre, et répètent après moi des expressions approximatives de ce que je voulais dire... On finit toujours par se comprendre.
La ville de Peradala nous offrira de chouettes déambulations dans un monde médiéval presque authentique.
Mais c'est à Besalu que nous décidons de nous installer pour du tourisme plus profond. Le village est vraiment chouette et nous aimons nous perdre dans ces ruelles aux murs de roches sombres. La manière de réhabiliter ces vieux murs peut paraître discutable…. Mais nous, on aime bien.
Samedi 26 /dimanche 27 novembre.
La vallée du Ter, nous retiendra pour cette fin de semaine. Encore un bel abri, plein soleil, au pied du pond médiéval… Mais là faut que j'vous laisse, Laurent vient de sortir les vélos du coffre et piétine avec impatience.
Un beau périple en tirant des bords un coup tribord, un coup babord le long de la Fluvia...
Et la belle pause que voilà. Le petit camion est posé dans un espace dédié sympathique pour quelques embarcations à roues, quasi désert... Le paradis avec les envolées de cloches tous les quarts d'heure; Magnifique. Besalu est une petite ville en bascule entre modernité et monde médiéval. Comme beaucoup de cités que nous avons traversées jusqu'à maintenant. Visite en quelques images.
Dimanche 27 octobre 2019 - SAN JOAN LES ABASSEDES
Nous avons encore tiré des bords considérables d'une rive à l'autre du "Ter", magnifique rivière qui nous amène jusqu'à cette sympathique ville ancienne avec un pont qui date du Vème sicèle, souvent modifié, démoli, retapé mais toujours avec son allure médiévale... Nous sommes installés juste au dessus à deux pas du pont piétons, tout en pierres qui enjambe le Ter. La vue de nuit est magnifique.
La piste verte qui est à quelques pas de notre campement longe le Ter. Une virée vélo s'impose en cette belle journée dominicale. Nous partageons la piste avec les piétons. Il est à peine 11 heures et les familles déambulent dans tous les sens, par groupes bien étalés et peu enclins à nous céder le passage. J'ai jamais autant utilisé une sonnette d'alarme. Quelquefois nous croisons une autre piste. Les panneaux nous recommandent de ralentir avec prudence. Pas de problèmes, je négocie tout ça en chantonnant. la vie est belle en Espagne.
Laurent caracole joyeusement largement en avant. Je le vois qui slalome entre deux barrières en chicane au prochain croisement de pistes. Peut-être que je devrais poser pieds par terre... non ? Y'a du monde qui me regarde et je vais avoir l'air de quoi à me pavaner sur ma selle et passer le croisement en poussant le guidon comme une petite vieille qui a peur des feux en ville. C'est dit, je me lance fièrement avec un "holà", joyeux à un couple qui me croise en souriant. J'ai repéré la barrière de droite, je m'applique donc à l'éviter. Et puis je sais pas trop ce qui se passe, une ornière traitresse, la barrière de gauche trop proche, la trouille que j'ai de rater mon passage... Un peu de flou dans ma visée... Enfin un peu tout ça je suppose. Je me retrovue avec la roue avant qui ripe sur le panneau en bois. Je me rétablis un peu au hasard des caillasses qui encombrent le bas-côté. Mais qu'est ce que je fous là. La pédale est coincée entre un poteau et ma jambe droite... Crotte, zut, flute... ! Ça me fait geindre si je bouge le vélo.... Donc je n'arrête pas de geindre, mais je m'extirpe de ce piège... (ouf personne en vue pour se foutre de moi, c'est un miracle)
Je redresse la bonne femme et le vélo, et je me relance à coups de pédaliers hasardeux... en grimaçant pour pas couiner trop fort. Je suis de nouveau en selle lorsque je croise les premiers piétons, et que j'arrive à Laurent appuyé contre un pont de bois. Il doit guetter une éventuelle truite au fond de l'eau. Il se retourne vers moi très confiant. Parfaitement ignorant des affres que je viens de traverser. Faut dire que j'affiche maintenant un grand sourire un peu raide, Laurent semble s'en rendre compte.
- Ça va ?
- Au top, sauf que je me suis payée la barrière tout à l'heure. (avec juste ce qu'il faut de négligence dans le ton...)
Il garde l'air sérieux mais je l'entends rire dans sa tête.
- On peut faire demi-tour si tu t'es blessée.
- Non, on y va ?
Mon héroïsme m'épate. Au moment de repartir Laurent me lance négligemment
- T'as vu, y'avait un panneau stop à la barrière et un avertissement disant qu'on doit passer à pied. C'est pour ça, les chicanes elles se rejoignent au milieu, c'est pas évident de passer en roulant.
-... ?
Ce qui est fort génial, c'est qu'au retour après notre pique-nique vers 14h30, tous les hispaniques sont à table conformément à leur mode de vie. A mon avis, ils n'ont pas encore négocié l'apéro. Et nous, on a la voie verte pour nous tout seuls pendant 12 kilomètres. Un rêve ! Faut que je précise pour ceux qui savent pas, mais nos vélos sont "assistés" je négocie les pentes et les côtes sans l'ombre d'un essoufflement. Ça c'est bonnard ! Et ça explique aussi, que je rechigne pas à ce cyclisme nouvelle formule.
Après une excellente douche à bord du petit camion, quelques soins simplissimes. Cachons ma cheville qui est franchement pas belle. Bien égratignée avec un vilain bleu qui s'y étale voluptueusement. Ça lui passera. Oublions ces broutilles pour le moment. En route pour la visite de la ville.
Et SEU D'URGELL
Nous avions prévu un périple entre Andalousie, Grenade... voire le Portugal. Nous étions si peu fixés... Alors on a laissé le petit camion suivre son chemin... qui nous a mené jusqu'en Aragon.
C'est dans le Val d'Aran, que la vraie rencontre a eu lieu. De jolis prés dominés par les sommets enneigés et bordés de falaises abruptes où court la Garonne, torrent impétueux aussi jeune que limpide et cristallin; Et gardiennes tranquilles de ce monde enchanteur des vaches....
Mais quelles vaches. Une silouhette aérienne sur des pattes longues, fines et robustes. Une robe brune à reflets gris. Brillance délicate de l'argent. Un museau tout en finesse ourlé de blanc et de grands yeux sombres légèrement obliques; Quelle classe !
J'entends dans ma tête, une Noiraude, qui sommeille toujours en moi; mais qui fulmine pour le moment.
- Non mais, vous les avez bien regardées vos vaches. Aucune personnalité dans le fessier, aucun rebondi sur le ventre, et des mamelles affligeantes...
- Jalouse va !
- Elles sont mêmes pas laitières vos top-modèles... Trop nulles...
- Tais-toi donc, admire, ces mèches duveteuses qui retombent sur leurs petites oreilles roses... On s'y frotterait. Comme ça doit être doux et chaud, et accueillant...
- pfuiit ...!
C'est ainsi que, ensorcelés par l'élégance d'une vache, nous avons fait route vers le nord de l'Espagne et que nous y sommes restés.
Hé ou i ! ...
NOVEMBRE 2019 -
Quand on parle de l'Espagne et du tourisme que nous envisageons de pratiquer, nous évoquons toujours les villes du Sud, ou les charmes de Séville, ou les monuments et musées de madrid, ou Barcelone... C'est en quelque sorte incontournable. Nous n'avons pas visité tout cela, Laurent et moi... juste un peu, il y a longtemps. Chaque lieu en son temps.
Notre petit camion nous inspire d'autres routes. Vous savez les chemins de traverse, par ces routes mineures qui débouchent sur nulle part... Justement là, où notre petite camion aime reposer ses pneus. C'est ainsi que par courtes étapes (-60-80 km) nous cheminons émerveillés et presque seuls au monde dans ce beau pays d'Aragon... Ici enfin on parle espagnol. Mon langage reste hasardeux mais je m'amuse follement à engager la conversation avec n'importe qui, dont je croise le regard... Je comprends vraiment bien le langage usuel et c'est déjà un exercice formidable. Des fois, mon interlocuteur a le même regard que Maria, complètement déconcerté, quand je me lance dans une phrase biscornue qui n'a de sens que pour moi.... Oh là, là, je pense souvent à toi Maria... "Venga ya !"
On quitte la Catalogne à travers d'immenses plateaux, zone agricole à 300 mètres d'altitude. Puis les zones se transforment en plantations fruitières. Peu d'oliviers cependant. D'un coup le paysage se transforme, la terre devient nue, peuplée des sentinelles sculptées dans la pierre. C'est un monde minéral. Nous pique-niquons au pied de l'immense citadelle de Monzon. Au lointain d'autres ruines endormies et secrètes. Nous nous y attarderons pour respirer cette ambiance surnatuelle et nous en repaître.
MONZON
ET
MONTE-ARAGON
Le petit camion ne faiblira pas en serpentant à travers le haut pays d'Aragon.
Magnifique parc national d'Ordessa. Le pilote nous offrira de belles pauses, grandioses panoramas de forêts, de plateaux avec en toile de fond les sommets enneigés du Mont Perdu ( +de 3000 m). Allons y en quelques images...
Mais on ne peut pas visiter l'Aragon sans faire pause rustique à Huesca.... où se frôlent ruines et habitat... et sa belle cathédrale.
Nous voici à Ainsa, capitale du Haut Aragon... si belle, si rustique et si élégante.
Au sortit d'Ainsa nous débouchons dans des forêts rouges et or, scintillantes d'humidité. Puis un éblouissement de falaises sous le soleil. Nous montons à quelques 1400 m mètres d'altitude, une petite route où on croise peu de monde mais surtout des lacets qui s'emberlificotent. On monte et puis on redescend, et puis on remonte. Col des Fadas, Col de l'Espina... etc Dans le lointain des villages perdus avec leur clocher carré, ou des gorges abruptes aux fonds vertigineux... La neige n'est pas loin. Nous mettrons 4h sur cette route pour faire 60 km. Ainsi va notre petit camion, piloté par un Laurent exceptionnel.
Nous retrouverons la Garonne, à LES, juste avant la frontière.
Cap sur Velaux,
La Loire a grandi
Une ville complètement mythique qu'il serait dommage de louper. D'abord à cause de ses monuments prestigieux, dont l'immense théâtre romain qui pouvait accueillir 300 000 personnes, de magnifiques portes ou églises gothiques, des ponts exceptionnels et une animation de province fort prisée des tourismes. Car bien entendu, vous ne pouvez pas rater la maison de Juliette, et son vrai balcon de princesse... Nous assumons joyeusement nos costumes de touristes un peu benêts...
Deux belles photos pour la route, car nous avons fait cette pause entre Venise et Velaux avant de reprendre l'autoroute vers le sud de la France.
L'exotisme enthousiaste, c'est de débarquer à Venise en autocar,
et de se laisser porter par les berges, par les venelles, par les ponts. Se laisser submerger non pas par l'eau omniprésente, mais par les sons, appels des gondoliers, cris des bateliers, ronronnements des canots, piétinement de la foule ou abandon solitaire. Tout est possible à Venise.
En quelques images... choix difficile mais un diaporama est en gestation....
Bain de foule, ou isolement |
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Marée haute, le grand canal s'étale sur la place st Marc Bain de pieds inespéré, nos chevilles désenflent. |
On frise les sommets et puis marée basse, nous étions amphibiens, nous revoilà terriens. |
Cette impressionnante construction au bord de la Benta (entre Stra et Dolo) était destinée à l'accueil des hautes instances de Venise et on y festoyait joyeusement entre majestés et autres sous-monarchies.
Pourtant familiarisés avec les richesses des châteaux de la Loire, Laurent et moi nous avons été subjugués, émerveillés, inlassables de découvertes entre les 3 étages de chambres, salons et salles qui peuplent cet univers.
Nous y sommes quasiment tout seuls. On peut prendre le temps de rencontrer les hommes de ce temps là...
Des fiches signalétiques multi-langues, permettent de mieux cerner les lieux, les évènements et les choses, magnifiquement agencés pour créer l'illusion.
Je ne suis pas encore remise de la bibliothèque. Je regrette encore de n'avoir pas pu essayer le sympathique lit de Napoléon... Hé oui, notre Napoléon avait acheté en 1807 cette imposante villa pour son fils Eugène alors Vice-Roi d'Italie. Je ne maîtrise pas les accointances historiques mais il y a laissé pas mal de traces.
Quelques heures de flâneries entre jardins buissonnants taillés à la française, orangerie aux arbres gigantesques et fort appétissants, roseraie en arcades dont la voûte nous offre d'agréables replis.
Fourbus, lessivés, la tête dans les limbes royales, nous voilà tout esbaudis dehors en plein cagnard, sur le coup de midi. Mais nous ne résistons pas au labyrinthe de l'amour. Quand on sait que le labyrinthe est l'art de rechercher la vérité, faut qu'on s'y colle.
Les allées de buis parfaitement symétriques nous rendent fous. On se sépare, on se croise, on se perd, on se retrouve .... une demie-heure de tournicotages et on se retrouve à l'entrée du labyrinthe. Nous décidons de travailler ensemble et avec méthode. Quand on teste une impasse on trace avec un bâton une croix sur la terre molle. Quant on prend une direction qui va quelque part on la numérote, ainsi on sait où on est déjà passé et on élimine au fur et à mesure.
J'ai vraiment pensé à Dorine, Guillaume et Shana et au bonheur que ça aurait pu être de faire cette quête avec eux... Sur la plate-forme de la tour on se délecte de dominer les pauvres heres qui tournent en rond à nos pieds. On s'offre le luxe de leur souffler des conseils.
C'est fou comme on est fort Laurent et moi... Un bon vieux prince et sa favorite... !
J'ai passé mon enfance dans un extraordinaire village des Vosges profonds, Padoux. J'ai fréquenté Saint Antoine pendant toute ma jeunesse. Son immense silhouette qui portait l'enfant Jésus vigoureux me tendait les bras à l'entrée de l'église. Une immense statue souriante et débonnaire. Je l'aimais vraiment bien. Je n'ai jamais pensé autrement que Saint Antoine de Padoux.
Et voilà qu'à Padova, je le croise en la basilique qui lui est dédiée. À tous les coins de rue, ce visage si familier, Ce franc sourire vulgarisé dans moult vitrines et murailles. Pas de doutes c'est bien lui. Ça alors !
Et j'en apprends de belles sur mon saint à Padoue. Entre traditions et légendes, on raconte dans les murs de la basilique qu'outre ses démêlés et défis avec le démon sous de multiples formes, plus perfides les unes que les autres, outre ses rencontres inspirées avec Dieu, Jésus, Marie et toute la sainte batterie, il aurait, d'une parole, d'un regard, d'un toucher, ressoudé un membre sectionné à la hache ; harangué la mer et les poissons auraient giclé par milliers subjugués par son discours ; démontré aux funérailles d'un financier cupide que le coeur du mort était resté dans son coffre-fort ; persuadé une mule de se prosterner respectueusement devant la sainte ostie... et tant d'autres mais surtout ma favorite :
"un nouveau-né soudain doué de parole, persuade le papa suspicieux et toute l'assemblée, que sa maman est une épouse fidèle qui n'a jamais commis l'adultère. Qu'il est bien leur fils à tous les deux.
Bras tendus vers son père : 'papa, viens donc embrasser ton fils !'
Saint Antoine de l'ordre des Franciscains, donc moine chaste et misérable, vit aujourd'hui dans le luxe et la volupté. Imaginez que les saintes reliques abritent dans des feuilles d'or serties de pierres précieuses la langue du saint formolée ou sous vide (?) depuis des lustres ainsi que sa machoire.
Son tombeau est une pierre de marbre plutôt sobre, les fidèles y défilent et s'y recueillent. On trouve un peu partout des sortes de post-it préimprimés, il suffit d'y formuler sa prière écrite au saint... On caresse la pierre tombale avec ce papier d'orémus, on l'embrasse dévotement et on le dépose dans une urne sacrée... Je suis restée longuement à l'affut de ce défilé de toutes personnes, hommes, femmes, isolés ou en couples, amoureux ou distants, adolescents, adultes ou vieillards.... J'ai été fort sensible à la force vive et sereine de cette dévotion. J'ai aussi été quelque peu perturbée.
J'encaisse mal les infidélités du Saint Antoine de Padoux de ma jeunesse.
Les canaux de Padova du coup me paraissent bien ordinaires et Venise me manque déjà.
Le vaporetto est le bus fluvial ou taxi collectif de Venise, si vous préférez. Faut quand même qu'on essaie ça. On prend un forfait 24h pour tout essayer... Et on rigole bien. On fait des grands tours, on descend n'importe où, quand on trouve que ça devient trop encombré. Bon pour les îles n'on a guère le choix, les vaporettos sont bondés à tous moments.
Tant pis, cap sur Murano. C'est gentil comme endroit, c'est le fief des couleurs de verres. Mais les verreries, c'est pas notre truc
On s'échappe vite fait hors des pavés battus.
Admirons les murs peints au passage.
Un gondolier acrobatique et inattendu !
Et des ponts secrets et de traviole.
Une courte pause au Lido,
Juste le temps de découvrir une sympathique bourgade, très urbanisée avec des jolies rues bordées de villas pimpantes et très bourgeoises. On est tout surpris d'y croiser des voitures, des autobus, des taxis, une ribambelle de motos et scooters. Mais c'est peu fréquenté. Circulation fluide, sans agitation, ni odeurs de ville puante. Un bien sympathique endroit. Tiens, si j'était vieille, c'est là que je viendrais m'abriter de la jeunesse.
C'est là qu'avec nostalgie nous avons débarqué sous une phare, et que nous avons découvert la plage idéale. J'ai adoré cet endroit paisible.
Aujourd'hui, pas d'option autocar. Nous avons appris que les parkings extérieurs à la ville sont gratuits, du coup on va en profiter. Un p'tit tour vers Citadella et ses étonnant remparts. Du haut de ce chemin de ronde, (14 mètres de hauteur-les tours de guet atteignent 30 mètres) la ville a l'air d'une maquette. Cette ceinture fait un tour de 1461 mètres. L'épaissseur des murs est en moyenne de 2,10 mètres.
Un bien bel endroit à la fois citadin et champêtre, dont on fait le tour en quelques enjambées. Juste pour contempler.
Et puis retour vers Venise pour arriver à la nuitée, en quelques images.On gare la voiture à la sortie de Dolo, proximité de l'arrêt de bus pour Venise.
Nettement plus calme le quai d'embarquement des navettes fluviales |
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le soir sur les marches du palais, le voilà le vrai romantisme vénitien.
En attendant que tombe la nuit sur le grand canal |
Retour sur le coup de 23h, notre ultime périple en autocar se fera dans d'excellentes conditions. On connaît la route comme le fond de notre poche. Au départ y'a un français angoissé qui arrête pas de demander si Dolo c'est loin, combien de temps il faut, quel arrêt. De braves gens se relaient, langages des signes car nous sommes entourés d'Italiens "monoglotte" pour lui expliquer qu'il descend dans 3/4 d'h au premier arrêt. Il est accompagné d'une belle petite femme silencieuse en escarpins très fins, très hauts, et très dorés. Ils font peines les pauvres, si démunis, si paumés.
3/4 d'heure de brinquebalage en bus, banlieue de venise. On ne voit pas se profiler Dolo, nous sommes un peu surpris. Nous avons quelques repères mais là, on est en pleine campagne, il fait noir, noir, noir et le flux des voitures ne nous indique pas grand'chose de ce coin. La ligne est un peu différente, car nous allons à Dolo par Stra, et on se dit qu'on risque de rater notre village. L'anxieux de service se rapproche du conducteur, qui lui confirme que l'entrée de Dolo c'est le prochain arrêt. Quel soupir d'aise il exhale. On est content pour lui.
Pour nous aussi, notre parking est à la sortie, arrêt suivant.
Nous descendons du bus plustôt confiants, même si les rares maisons au bord de la route ne nous inspirent rien de connu. On est en plein champ. Nous sommes tous les deux persuadés que nous avons dépassé Dolo par un autre circuit et que nous sommes à Stra. Faisons demi-tour, tope-là d'accord, on verrra bien.
Il est pas loin de minuit, j'ai froid, j'ai sommeil, et notre lit à la Casa de Colori est divin et bien lointain... J'accélère le pas et je distance largement Laurent. Qui me rappelle à l'ordre et que j'envoie bouler.
- Pourquoi, t'as peur tout seul dans le noir ?
- Non mais j'ai qu'une lampe de poche, reste dans la lumière. Ça roule vite et le bas-côté est dangereux.
Bof, je piétine de l'herbe, et les bolides n'iront pas se fourvoyer si près de la route. Mais Laurent n'est pas content du tout. Et bien entendu pas question que ce soit lui qui accélère. Il est vexé de devoir marcher, il s'est mis en mode diesel. Fait chier, je fonce.
Une voiture sort d'un parking. Le chauffeur hésite à comprendre que j'ai besoin d'infos. Encore un "monoglotte", mais il comprend Dolo, me montre la direction où l'on va, et sur sa main montre 2 km.... Ça alors, mais on n'a même pas vu qu'on passait Dolo, ni l'église, ni la gare... C'est pas possible que ce soit encore si loin. Ce bus a vraiment pris le chemin des écoliers.
- tu sais Laurent ce qui est bien, c'est qu'on va arriver direct à la voiture à la sortie de la ville.
On reprend notre avancée. ce coup-là, j'attends Laurent et on commence à trouver ça rigolo. En frôlant sa poche, il se souvient de Simone Ifone, toujours en mode avion.
Et si on lui demandait son avis ? À peine quelques instants de repérages.... Elle nous indique la direction opposée... Nous voilà bien. On fait quoi quand c'est la confusion totale ? D'abord on rigole... Moi, ça m'empêche de réfléchir. Laurent péremptoire décrète que Simone ne trahit pas et qu'elle sait toujours où il va. (Diantre, c'est qu'ils sont fort intimes ces deux-là)
Comme j'ai pas d'opinion, adjugé on fait demi-tour. Ce coup-là, on marche tous les deux d'un bon pas. Je pense que le contact avec Simone a vraiment fait plaisir à Laurent. J'ai remarqué qu'il la caresse souvent du bout des doigts et qu'elle s'illumine à chaque fois. Dois-je considérer ça comme une saine délicatesse ?
Une bonne demie-heure et d'un coup le clocher de Dolo apparaît. Bien entendu, vu qu'on est du mauvais côté de la ville, (on n'était pas encore arrivé à Dolo, ll restait 2 km à faire) on s'est aussi tapé toute la traversée pour rejoindre notre voiture à l'autre bout.
Laurent caresse gentiment Simone pour la remercier et je trouve ça vraiment bien.
Les machines sont plus fiables que les hommes.
Ce n'est plus le temps de "à qui se fier" mais celui du "à quoi se fier". Dommage quand même !
Dimanche 16 septembre 2012, aux aurores...
Enfin presque, quitter la maison avant 9h, objectif atteint, pas de grasse matinée dominicale. Nous partons très légers.
La Noiraude n'est pas du voyage. Impossible de rompre son cordon téléphone avec le vétérinaire. Tant pis pour elle. On a dit évasion totale, pas de contact, pas de pollution téléphone. Juste des moments découvertes. Laurent a tout concocté, à sa manière fort décontractée qui continue de me séduire.
Donc nous n'avons pas de cartes routières, ni de cartes locales, car il n'a pas eu le temps d'en acheter... Mais nous avons sous la main, Simone Ifone, et celle-là des fois, elle nous sort de pas mal de pétrin. Désolée pour notre amie bovine mais elle râle pas Simone, elle a pas d'états d'âme et souvent, elle nous désembrouille. Laurent a isolé Miss Ifone en mode avion. J'en suis ravie. Pendant qu'elle s'envoie en l'air, elle nous bassinera pas. Elle n'atterrira qu'en cas d'extrême urgence.
A défaut de carte, je dispose d'un itinéraire google imprimé la veille... après bouclage de sa valise, il devait être pas loin d'une heure du matin pour Laurent.
Vous imaginez comme je m'amuse à lire ce roman de 3 pages qui détaille notre route rond point après rond point, puis d'un embranchement d'autoroute à l'autre, puis de nouveau des feux rouges, des croisements, et des noms de rue bizarre. Autrement dit aucun repaire familier. Ça promet, mais je n'en suis pas encore à ce décrytpage. Pour le moment, cap sur Ventimiglia, jusque là pas de soucis majeurs. Sur l'autoroute notre cap est facile à maintenir.
Fin de matinée nous entrons en territoire Italien. Nous voilà en Ligure, la mer d'un côté, la montagne de l'autre. Enfin, quand on broie pas du noir dans des tunnels immondes. Le bord de terre est couvert de serres. C'est un peu étrange ces immenses restanques couvertes de panneaux plexi ou tendues de plastiques souples. Y'a aussi de sympathiques villages et toujours des chapelets de tunnels, de quoi faire quelques neuvaines. |
La fabuleuse baie de Gênova ! Y aura-t-il dépression sur le golfe de Gênes ? Faut qu'on aille voir l'état de la mer et du ciel. Juste pour le plaisir de se souvenir de nos références météo marine. Le soleil est magnifique et c'est vraiment impresssionnant. Faut aussi qu'on fasse réserve de carburant. Et si le site nous plaît, pique-nique sur la plage ! |
Le carburant essence 95 s/plomb est annoncé à 1,94 € sur l'autoroute, sortie Genova, la route qui longe la baie, quelques stations, pas une en dessous de 1,80 €. Nous nous résignons à faire le plein à ce tarif. Mais ça ne marchera pas, cinq stations refusent l'une et l'autre nos cartes bleues. Et bien entendu nous avons en poche à nous deux à peine 30 €... Nous voilà repartis, à l'affut d'un distributeur. Et si lui aussi refuse nos cartes ? Je vous rappelle qu'on est dimanche.
Mais qu'est-ce qui nous a pris de partir si légers ? A peine le temps d'un frémissement. Ouf on a trouvé une banque qui crache des euros. On empoche quelques sous tout propres. Si avec ça on tient pas quelques jours !
Vite à la pompe ! Et vive l'autoroute !
C'est à la sortie Padova ovest (je vous le fais en Italien, ça fait joli) que ça se complique car les infos google n'ont guère pris en compte la réalité des panneaux et je finis par vraiment pas savoir où je suis. Coup de pot, on croise un plan de ville à l'angle d'un trottoir, subrepticement, pendant que je cavale aux infos locales, Laurent qui ne perd pas souvent le nord se souvient de sa passagère favorite, la bien nommée Simone Ifone... Au secours Simone. Nous confrontons nos découvertes Simone et moi et nous sommes d'accord.
On est à 4 km de notre hébergement.
C'est bien joli d'un coup la province de Venezia et la proximité de Dolo.
Fin d'après-midi, nous entrons dans un hôtel tel que je les rêve.
Un ancien monastère recyclé pour les besoins du tourisme. Un magnifique endroit, bus à portée de pattes pour Venise ou pour Padoue, (20km de l'un, 15 de l'autre), des chambres vastes et confortables, une immense salle d'eau... Génial.
Notre Casa à Dolo
Laurent sur ce coup-là a fait vraiment fort, et j'en suis autant émue que confuse. Nous faisons connaissance avec notre hôtesse, belle, souriante, le charme de cette femme est ruisselant. Elle bredouille du français, de l'anglais et parle italien. Moi, je bredouille anglais, espagnol et je parle français. Idem pour Laurent mais lui c'est l'allemand qu'il parle en plus... Et ce n'est guère utile ici. C'est assez folklorique quand on doit s'expliquer sur les menus (auxquels on ne comprend rien) sur les forfaits bus, et toutes choses indispensables à notre séjour. C'est aussi l'occasion de prodigieux fous rires. Tout nous enchante.
C'est moi qui inaugure la douche. Je m'étonne un peu d'une espèce de fistrouille qui pend sur le mur carrelé, à gauche de la robinetterie. Elle ne m'intrigue que le temps d'empoigner ma savonnette. Laurent prend le relais. J'ouvre un livre en attendant qu'il s'éponge... Ah quel bonheur...
Et là, c'est incroyable, le téléphone se met à sonner... Si, si, si...
Et non, non, non, ce n'est pas Simone Ifone, vous savez bien qu'elle est en mode aérien.
Mais le numéro de la chambre, personne le connaît. Une erreur probablement. Pas grave.
Moi aussi, je suis en mode avion. Je réponds pas au téléphone, c'est Laurent qui accourt et décroche
- Non, no problèm (qu'il répond avec un accent à faire tomber une italienne)
...
- Si si, scouza-miiiii, buéna tardé, (bon là j'vous la fais en phonétique approximative)
Il raccroche, se tourne vers moi tout réjoui.
- C'est la réception, ils ont cru qu'il y avait un accident dans la salle d'eau. Depuis la douche, j'ai appelé au secours...
- ah, pas possible, tu t'es retenu à la fistrouille qui pend près des robinets...
- Ben oui, j'savais pas ce que c'était alors j'ai tiré dessus...
C'est vraiment chouette Dolo, campagne et proximité des commodités, la voiture est à l'abri et nous pouvons prospecter tout azimut à pedibus...
TOTAL DES FRAIS pour deux personnes - du 16 septembre au 22 septembre 2012
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Il faut savoir que l'hôtel CASA DI COLORI est un endroit magnifique, et que le service est irréprochable. Le parking est fermé et gratuit. Les prix de septembre sont attractifs, mais ils sont variables selon la période et sous conditions. Par exemple, nous ne pouvions pas annuler la réservation. Laurent a trouvé cet endroit en réservant par booking.com |
Le bus est à 7 mn de l'hôtel pour Venise ou pour Padova (même ligne). Il met 35 à 45mn selon l'heure.Il y a un départ toutes les 10/20mn selon le moment de la journée.
En voiture en ville, le parking est matérialisé bleu, c'est soi "zone bleue", leurs tranches ne sont pas découpées comme les nôtres mais nous l'avons quand même utilisée. Lorsque les emplacements sont matérialisés blancs, c'est gratuit. Il y en a dès l'entrée d'une ville et c'est bien commode.(Padoue, Stra-Dolo, Citadella, notre budget parking est de 3 €)
Venise nous ne l'avons fait qu'en bus. Mais nous avons entendu dire que c'était prohibitif.(28 € la journée)
L'essence SP/95 ne descend pas en dessous de 1,76 cts/l (supermarché), prix maxi (autoroute 1,94 cts)
On peut manger le soir, un plat, un café et un dessert pour 18 €... et un verre de leur délicieux vin, "frisante". Les fabuleuses pizzas varient de 7 à 12 € selon leur complexité et le lieu. En particulier à Dolo. Mais on a fait quelques extras somptueux.
On peut manger à midi des repas chauds ou froids en terrasse, on s'en sort pour 12 € par personne avec les boissons et le café.
En septembre la température le matin tournait entre 20 et 22 ° vers 9h quand on sortait de l'hôtel.
Dans la journée elle variait de 24 à 26 °, avec de sympathiques brises. Un temps bien sympathique à part une journée un peu grise au lever, qui a vite repris des couleurs dans l'après-midi.
Velaux, Jeudi 21 mai 2015, 8h30,
youpi ! cap sur l'aventure. D'accord piloter une voiture de tourisme ça colle pas de frissons à priori, mais je ne peux me défendre d'un vieux réflexe du bon temps de notre navigation à voile et le sentiment de départ s'accompagne désormais d'une démangeaison intellectuelle que je ne contrôle absolument pas. Il me suffit de passer notre portail, avec mon petit sac et en tongs, pour flairer un air d'aventure au coin de la rue.
Aujourd'hui c'est pour la rencontre du Festival National de cinéma macédonien que nous partons. Avec dans nos bagages quelques films primés à leur proposer, qui doivent être projetés en avant-première. Ils sont sous-titrés en anglais et nous les remettrons très officiellement à quelque personnage de la capitale de Skopje pour sceller notre volonté de jumelage. Pas moins que ça ! Laissez-vous impressionner, ça va pas durer longtemps !
Jusqu'à Genova, rien de remarquable. Autoroute sans histoire, flux régulier, radars aussi innombrables que les tunnels, le Gps veille sur notre régulateur d'allure. Quelques vallons agricoles, mer en fond d'écran, que dominent de trop rares corniches. Encore des tunnels, pour l'alternance. Bien banal tout ça et quelque peu monotone. Nous faisons présentement route vers Florence, une étape prévue pour deux nuits. Samedi à 13h nous embarquerons depuis Ancona pour Durrès en Albanie.(environ 18h de traversée de l'Adriatique)... Comme dirait Guillaume avec son heureux sourire, Cool ! Et l'aventure dans tout ça ? C'est maintenant, quelque part après Genova, un appel au téléphone : le ferry au départ d'Ancona ne partira pas samedi. « Désolés, nous n'avons d'explication à vous donner » déclare la sympathique téléphoniste. - Voulez vous partir avec le prochain ferry dans exactement une semaine ? |
Panique à bord,
- dans une semaine ? Le festival sera fini, ce n'est plus la peine d'aller en Macédoine !
Fichtre, comment annoncer ça à nos amis madédoniens ? (enfin ce ne sont pas encore des amis mais ils auraient pu le devenir, ça faisait partie de l'aventure humaine comme on dit dans ces cas-là-)
- Si on annule que se passera-t-il avec nos billets ?
- Pas de problème, on vous rembourse sous quarante-hui heures !
Quelques chuchotements dans l'habitacle, décision quasi immédiate.
- Ok, annulez tout, nous allons nous organiser autrement. Merci madame.
Maintenant, faut d'urgence s'arrêter, consulter la carte, et prendre la meilleure option. La meilleure option ce sera pas le parking de notre pause réflexion. Faut dire que dans ce coin d'Italie les aires de repos sont en macadam, crasseuses et rares. On se case entre une poubelle qui vomit et des crottes de chien qui sèchent. Pas la peine de sortir de l'habitacle.
- t'as mis où la carte européenne ?
- Ben...
Rapide fouille autour de moi. Je m'éponge le front.
- Zut alors, on l'a oubliée !
Ça m'énerve d'avance.
- Elle est pas dans ton sac.
- Bien sûr que non, je l'aurais sortie pour l'avoir sous la main quand même !
- Tu veux pas vérifier.
- T'es pénible quand même.
Pause images, Florence et Pise | ||
Alors cette Europe ? Une si belle carte, toute neuve, même pas eu le temps de déchirer les plis. Tout en ronchonnant et après mille contorsions voilà que je farfouille dans mon barda. C'est génial le sac à mains, on y trouve tout ce qui est nulle part, incroyable, y'a même la carte routière de l'Europe qui fraternise avec les kleenex, la bombe anti-moustique et la crème solaire, l'étui à lunettes.... Ne parlons pas des pochettes, passeports, cartes magnétiques, bleues, sociales, associatives... du calepin et des cinq crayons gommes qui pointent leur nez. Tiens, j'ai pas pris mon téléphone portable ! On s'en fout, j'oublie toujours de le mettre en veille, en plus mon forfait n'est pas international alors c'est aussi bien comme ça. Et puis l'incontournable smartphone de Laurent est parfait pour le voyage. Il aime tant jouer avec !
Mille délicatesses pour extraire la carte de mon foutoir. Sympathique frotti de papier qui se déplie entre les sièges avant. Nos deux têtes se cognent, nos quat-z-yeux (avec nos lunettes ça fait huit) balaient les accès et routes qui vont de Venise à Skopje. Et nous ne sommes pas d'accord, mais pas du tout d'accord. Je regrette vraiment la petite part de navigation à travers l'Adriatique, pas d'embruns marins à respirer, pas de bercements de roulis en perspective, pas de côtes en fuite, pas de vagues qui nous courseraient, pas d'oiseaux qui nous fienteraient desssus, je mesure toutes ces pertes et je suis vraiment déçue. Mais pour le reste, honnêtement j'en ai rien à battre du festival cinéma et je n'ai nulle envie de me taper mille kilomètres de route par le nord de l'Italie pour rejoindre Skopje. Ça fait un long bord à tirer.
- Et si on restait en Italie, y'a des tas de villes qu'on ne connaît pas, Florence, Pise, on peut retourner à Venise. En voilà des vacances qui seraient détendues et riches en découvertes. Laurent n'est pas du tout d'accord. Nous avons entrepris ce lointain et coûteux voyage pour représenter notre groupe de vidéastes régionaux aux Rencontres Nationales de Macédoine... et Laurent se sent investit de cette mission. Il veut aller en Macédoine. Il est inébranlable. Laissons le mariner, il réfléchit. Je n'ai plus d'opinion à ce sujet. Après tout, c'est lui le ministre des finances, il fera comme ça lui chante, du moment que nous continuons nos vacances.
Finalement, Laurent a choisi l'option ferry depuis Venise vers Igoumenitsa (en Grèce). La traversée sera plus longue, un peu plus coûteuse, et l'option Grèce s'ajoute à nos vacances. Nous prendrons le temps de quelques escales avant le festival macédonien. Je nage dans le bonheur. Je le savais que la belle aventure était à mon portail.
Je vous dis un mot du ferry. Déjà un cirque monumental pour trouver à Venise, le bon port d'embarquement. (on a tourné viré, reculé, plus d'une heure, le Gps ne connaissait pas notre port d'embarquement, ni par son nom, ni par le quartier, il n'y avait pas d'adresse précise. Et y'a quatre zones portuaires où se perdre copieusement) Ensuite le ferry qui fait cette ligne est destiné essentiellement aux poids lourds. Notre BMW sur le parking s'est fait toute petite, coincée entre deux semi-remorques. Elle était émouvante protégée par ces malabars qui l'entouraient. Je suis rassurée en remontant sur le pont accueil. Dans le salon nous croisons des groupes de routiers plus ou moins musclés, habitués des lieux, familiers avec l'équipage et hyper bruyants... La langue rouleuse des grecs domine largement le tumulte. Nous quittons Venise sous le crachin et le brouillard. Un peu irréel ce départ.
D'un coup la lumière change, on se précipite sur le pont supérieur. C'est trop beau. La mer est ondulatoire, une brise sympathique force 3/4, pas utile de réduire la voilure. Le ferry se propulse à 25 noeuds... une oscillation subtile nous donne le sentiment de naviguer. Je la débusque avec délectation pour m'en repaître. Dans la tete, dans les bras, les jambes, dans le ventre et le dos, je suis émerveillée d'etre en mer, je navigue et je ne m'en lasse pas. |
Dimanche 15h, nous débarquons en Grèce.
Magnifique. Dès la sortie de la ville, les routes secondaires sont des voies royales, quasi désertes. Nous traversons de vastes plaines cernées de sommets enneigés. L'horizon est minéral. Le GPS nous guide à proximité de notre hotel à Ioannina, mais là où nous arrivons, point d'hôtel. On baragouine de l'allemand et de l'anglais, finalement un brave père de famille appelle notre hébergeur avec son propre téléphone. Il a vite fait de nous mettre dans le droit chemin. J'en profite pour faire une distribution massive de Kinder-coco aux trois enfants en guise de remerciements. Trop heureux d'abandonner vélos et trottinettes pour leur goûter improvisé.
Est-ce que ça c'est aussi de l'aventure ?
Pour le tourisme d'immenses sites archéologiques de l'époque romaine. Les maisons sont modestes, annexées d'abris ou ateliers en tôles, un peu boxon les jardins. Mais de véritables palaces peuvent s'y perdre. Nous nous sommes perdus dans Thassalonica, un monde antique en pleine cité moderne.
Une ville vraiment agréable. Nous passerons trois jours en Grèce sans voir un seul uniforme. Un pays sans la pression de la police, ça existe et c'est en Grèce, province de Macédoine. |
Nous passons la douane pour le pays de Macédoine en fin de matinée au bord d'un lac, village de Kilkis. Paradis de pêcheurs à la ligne. Très champêre la douane et fort sympathique.
Nous entrons en Macédoine.
Notre route est verte, bordée de lauriers roses, de chênes, de fougères arborescentes immenses. Une belle route quasi déserte à travers des gorges fraîches. Les roches qui s'y trempent sont abruptes et immenses. C'est troublant ce monde mineral-végétal qu'une rivière sépare.
D'un coup l'horizon s'élargit, la montagne recule et de vastes champs et plaines s'étalent à perte de vue. On croise, on dépasse des charrettes tirées par un cheval ou un âne. Le monde rural ici est besogneux, pas une seule machine agricole, juste des paysans et des paysannes penchées sur la terre... Et quelques tracteurs. Les fermes sont modestes, perdues au milieu des champs. C'est très esthétique et reposant.
Nous faisons toujours l'impasse sur les autoroutes. La petite route macadam se dégrade et peu à peu Faut éviter de grosses ornières, boursouflures, le pilote mollit quelque peu. A quelques mètres au dessus de nous, les bolides de l'autoroute nous narguent... On finit notre périple avec une bonne cinquantaine de kilomètres de piste. Au hasard d'un élargissement de terre, deux hommes sont appuyés au capot d'une sorte de pick up assez crad. Ils nous regardent passer fort intrigués. Dans le rétro j'observe leur regard indiscret jusqu'à ce qu'un virage les cache.
- Y font quoi dans ce coin paumé ceux-là
Laurent se gausse,
- Ils nous attendaient, ils préparent un mauvais coup. Sors ton flingue !
Il a même pas le temps de finir en rigolant, un moteur exacerbé nous se rapproche et le pick up nous double sans management dans un énorme nuage de poussière.
- Merde, pourvu qu'ils s'arrêtent pas !
- Et pourquoi y s'arrêteraient, tu te crois en mer de Chine ?
Il a raison Laurent. Le seul véhicule que nous avons vu a définitivement disparu. Notre piste ne cache aucun vice. Juste une injuste peur !
Deux heures de cahotiques et poussiéreux virages. On se lasse des merveilles du paysage et c'est avec soulagement que nous remontons sur une voie à figure plus citadine.
Mardi soir, le gps nous dépose à l'entrée de l'immeuble de Mitze qui nous héberge ce soir...
La mission cinéma UMCV de Laurent est sauvée....
Vendredi 19 juin 2020-Velaux
Des journées intenses viennent d'être consacrées à l'installation de notre future station radio-amateur... Laurent a pas mal arpenté notre petit terrain, grimpé sur le toit, descendu, remonté... Acheté d'occcasion des mats de planches à voile (fraîchement repeints en bleu azur et c'est du plus bel effet..)
Il s'est beaucoup gratté les cheveux aussi. Notre installation est moins prétentieuse qu'à Charentilly, beaucoup moins performante bien entendu. Mais l'avantage, c'est qu'elle ne devrait pas faire jaser dans le quartier...Tout ça pour réaliser, l'adaptation façon F6FEH d'une antenne décamètrique filaire qui a fait ses preuves ailleurs et pour d'autres OM. Mais raccourci,ajusté, ce fil est fort décevant, beaucoup trop de bruit dans tout ça. La réception est parasitée, l'émission est molle... Cette antenne ne pourra vraisemblablement fonctionner en multi bandes qu'avec un coupleur d'antennes. Ainsi nous voilà en escapade vers Lanemezan (Hautaget) là où Laurent a déniché le coupleur d'antenne idéal.
Quelques belles étapes paysannes dans l'Aude (Trèbes) ou la Haute Garonne (Arzens-Saint Gaudens)
L'aventure inattendue nous attend à Carcassonne. Nous y passons une fantastique journée, repas cassoulet en terrasse ombragée,cinq tables occupées pour une trentaine de prévues. Le déconfinement n'a pas vraiment eu lieu...
La ville est animée mais on se bouscule pas. Rares sont les visiteurs qui ne soient pas masqués. Une bien belle étape, rustique, tranquille, exotique, esthétique...
En fin d'après-midi, nous retrouvons le petit camion sagement parqué. Nous sommes fourbus par nos déambulations en ville et fort heureux de reprendre la route. Hop là !
Quelques tours de roues. Laurent pile très soudainement alors qu'il vient juste de sortir de son emplacement.
- t'as oublié quelque chose ?
- ......
Il se gratte le crâne, (geste qui exprime chez lui une immense perplexité, comme vous savez) Il ne me jette même pas un oeil. Il descend du véhicule sans un mot... aïe aïe aïe ! Il tape à la vitre.
- Viens voir, on a crevé !
Pas si dramatique, on dispose d'un kit réparation tout neuf et sa mise en oeuvre m'intéresse. Il faut le savoir, les campings cars récents n'ont pas de roue de secours, nous disposons juste de ce kit anti-crevaison, réparation d'urgence. Mais bon, ça permet juste de tenir la route si j'ose le formuler ainsi. Donc, je descends tranquillement du véhicule, plutôt curieuse qu'inquiète. Sauf que.... Il ne s'agit pas d'une crevaison mais d'une véritable explosion du pneu. Nous sommes passés sur un bout de ferraille planté au milieu de la place de parking et caché par des herbes, impossible à voir en arrivant. Le pneu est complètement désintégré. Et de pneu de secours nous n'avons pas. Zut, il est presque 17h, qui va nous dépanner si tard un samedi ?
Nous remontons à bord, papier, crayon, smarphone... suivent de longs entretiens avec la Maif, (qui déclare ça comme accident... ouf ! Mais nous devrons trouver tout seul un garage qui répare, côté assureur, on nous envoie une dépanneuse qui nous tractera au garage)
Le garage que nous arrivons à joindre, nous bouscule. Faut arriver avant 19h00, sinon ce sera pour lundi matin... Hé oui, c'est le week-end mon bon monsieur ! Ciel ! il est déjà 17h30. Faudra-t-il dormir à Carcassonne au frais de la Maif ? dormir sur le parking dans le petit camion ? dormir dans le garage qui va nous dépanner ? Aucune de ces options ne nous enchante
Passe, une demie-heure, enfin arrivent nos sauveurs. Nous devons monter à bord. Nous sommes hissés sur la plate-forme en dix minutes. Nous devrons rester à bord pendant le transfert car il est interdit d'accueillir des passagers dans la cabine dépanneuse. Laurent prévient le garage de notre arrivée imminente. C'est parti pour un court déplacement de conduite passive. Merci Saint Fiacre, patron des chauffeurs ! C'est assez rigolo de se déplacer à 2 mètres de hauteur dans la cabine du camping car, tiré par un camion... Et puis l'idée que nous pourrons repartir dans l'heure nous détend, et on rigole. Un moment très sympa, comme au cinéma. On traverse en douceur le parking, on arrive à la sortie... Notre convoi s'immobilise...
Le chauffeur de la dépanneuse arrive à notre niveau. Sa mine piteuse ne m'inquiète pas le moins du monde; je trouve l'aventure plutôt sympathique. Il nous fait signe.
- On va devoir vous redescendre. Un problème à régler.
- Un gros problème ?
- On a pété l'embrayage de la dépanneuse, on ne peut plus bouger...
- Pardon ?
- Oui, on est en panne... Mais quelqu'un va venir prendre le relais...
Des fois, on croit que la dépanneuse arrive pour nous dépanner, mais qui va dépanner la dépanneuse ? Les autres dépanneurs ont bouclé leur semaine à cette heure-là. Ciel, qu'allons-nous devenir !
Le petit camion, fort déçu, est descendu de son perchoir et nous avec. Y'a plus qu'à.... faut qu'ils... et... ils l'ont fait.
Nouvel attelage, nouveau départ en mode cinéma, et ça nous fait rire de plus belle. Nous avons eu raison de pas nous affoler.
Nous n'avons pas dormi à Carcassonne car le garage qui nous attendait a été d'une remarquable efficacité.
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Dimanche 21 juin 2020.
Une étape fort agréable à Saint Gaudens, le camping municipal vaste, herbeux et ombragé jouxte le musée du circuit automobile de Comminges, proximité du lac de Sède qui nous offre une sympathique flânerie en soirée. Ce que nous observons depuis notre départ, c'est que la plupart des sites touristiques, des musées, des expos sont fermés ou pas encore ouverts. Dommage, l'aspect culturel de notre escapade sera quelque peu décevant. Consolons nous, le camping du Lac est génial.
L'entrée est sécurisée par un portail, piloté par borne automatique. On s'identifie, on paie pour une nuit (8 € tout compris) le portail s'ouvre et on s'installe où on veut. Pour sortir, il suffit de taper le code de notre ticket d'entrée. Fastoche non ?
Lorsque nous arrivons au campement le portail est grand ouvert. Il est donc impossible de valider notre entrée car dans ce cas l'accès à la borne est impossible.
- On entre quand même ?
- Bein oui, peut-être que c'est hors saison et que c'est gratuit jusqu'en juillet...
- T'as raison, c'est pas le premier campement qui fonctionne comme ça.
Donc nous entrons, il y a quatre campeurs installés dans un espace prévu pour une soixantaine. Mais pas un humain en vue.
Nuitée idéale d'un rare confort.
Lundi matin.
On en profite pour faire les services d'hygiène obligés du petit camion et nous repartons tout guillerets. Il est content le petit camion, il sent bon le propre, il ronronne... Pas bien longtemps car nous arrivons au portail du camping qui est fermé. aïe, aïe, aïe...
Premier réflexe de Laurent, c'est d'aller à la borne pour acheter un ticket d'entrée, ainsi devrait s'ouvrir la barrière. Opération impossible car le véhicule est du mauvais côté et bloque la procédure d'entrée... Deuxième réflexe de Laurent, c'est d'observer ce foutu portail. Au ras du sol un énorme levier. Nous essayons de l'actionner, des fois que ce serait une ouverture manuellle. Par exemple pour quand le système est bloqué... Ça résiste, ça coince, ça geint, ça crie... mais ça ne bouge pas d'un pouce.
- Y'a des lustres qu'il a pas servi ce levier. Tu crois qu'il sert à quoi....
Moi j'ai pas envie de payer une amende pour détérioration du matériel public.
- Arrête tu vas tout casser. Je vais voir au bloc sanitaire, y'a sûrement un numéro de téléphone d'urgence.
- Si tu veux, pendant ce temps là, je tente autre chose...
Je trouve un numéro d'appel à la Mairie. Pendant que je fais le numéro qui sonne dans le vide (il est pas 9h) j'aperçois Laurent de loin. Il a trouvé un caddy abandonné. Il passe par le portillon piéton. Il doit penser que la cage métallique du caddy trompera la caméra et qu'elle le prendra pour une voiture. Je le vois avancer, reculer, piloter son caddy dans tous les sens. rigolo mais guère efficace. Si Guillaume avait été là, il se serait régalé de piloter cet engin en zig zag en visant la caméra. Et puis j'entends des voix... Je me précipite, peut-être que ceux là pourront me conseiller. Je tombe sur une campeuse hors d'elle. Car elle aussi est coincée. Le portail était fermé à son arrivée et elle a validé son ticket. Mais aujourd'hui le portail ne réagit pas... Je ne sais comment me libérer de cet ouragan de rage... Le petit camion apparaît dans mon champs de vision de l'autre côté des sanitaires. Laurent est au volant, le petit camion jappe joyeusement. Je cours vers lui.... Le portail est ouvert...
Tout simplement, en y mettant tout son coeur et beaucoup de détermination, Laurent a réussi à actionner le levier manuel récalcitrant. Vite barrons-nous d'ici.
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Nous prévoyons une courte pause en début d'après midi à Hautaget pour récupérer le coupleur d'antenne qui va résoudre tous les problèmes émission-réception de notre station radio. Mais l'accueil chaleureux de Serge (F6FAU) nous comble d'un bien-être que nous n'avons pas envie de refuser. Nous acceptons de nous garer dans son jardin pour la nuit. On a, semble-t-il, bien des choses à partager. Laurent et Serge, comme de vieux potes, s'embarquent pour quelques courses improvisées. J'en profite pour caresser le piano droit de Serge. Je m'y attarde pour sentir la souplesse du toucher. J'adore... Rien à voir avec mon piano numérique, même avec son "toucher lourd" comme dit la notice. Je regrette pas mon choix vu mon niveau, mais des fois, je rêve....
Elle est chouette la maison de Serge. Apaisante, spacieuse, moderne. Sous son toit artistique d'ardoises, elle abrite discrètement le monde complexe de l'OM. Musique, danse, radio, bricolage, un intéressant mélange de passions se bousculent à l'étage.
Mardi, lorsque nous avons émergé dans la matinée, Serge avait déjà planifié que nous passerions ce jour là ensemble. Il nous entraîne à la découverte de sa douce campagne au coeur de la Montagne Noire. Nous nous échappons pour une belle virée vélo dans la vallée de la Neste. Un gigantesque grand huit en montées, descentes qui s'enchaînent. C'est raide en montée, jouissif en descente, la fraicheur de la rivière nous caresse le museau. Vive l'assistance électrique mais nos batteries mettront du temps à s'en remettre.
Une bien belle, bien bonne rencontre avec Serge. Pour nous, des liens se sont ainsi noués que le monde radio-amateur devra entretenir.
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Mercredi 24 juin.
Cros (Ariège) sera notre première étape du retour, toujours champêtre et peu couteûse (camping municipal, 15 € la nuit) puis nous nous attarderons à Durfort (Tarn) puis à Fraisse sur Agout (34). Des villages paisibles, tout en pierres, enrichis de cours d'eau généreux. si paisibles ! Que ce soit en vélo ou à pieds, tout ici est rurale, et annonce de belles qualités de vie.
Dimanche 28 juin. L'exode estival paraît lancé car dans la vallée de l'Agout, les touristes circulent. C'est le moment pour nous de nous rapatrier au calme dans la petite maison Velaux. Vous y retrouver peut-être, car nous nous y abriterons tout l'été.
Dimanche 28 juin 2020
Hé oui, nous revoilà avec d'autres sensations, avec d'autres rêves, avec d'autres destinations. Option KORUS, vive l'aventure, version retraités.
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Parlons un peu de la vie à bord du Korus. Nous y sommes chez nous, et je me guéris progressivement de l'absence de Lune de Miel. Il m'arrive encore de confuser, le monde maritime et le monde terrestre. C'est toujours pour moi le même bonheur de "rentrer à bord". J'ai évoqué l'exiguité de l'espace de vie, (qu'on appelle cellule, c'est pas un hasard) moi j'aime mieux parler de carré, et tant pis si le terme est impropre. La soute (coffre arrière qui est immense) ne remplace pas la cambuse, mais l'espace est parfaitement exploitable. Y'a quand même un hic
- Dis Laurent, on pourrait pas déloger cette horrible télé ?
- En voilà une idée, elle est super cette télé.
- Elle est moche. Elle est mal placée juste au dessus des sièges passagers, je ne veux la veux pas. A qui on pourrait la donner ?
- Mais je la veux moi.
- Pfuitt, exagère pas, tu regardes jamais la télé à la maison
- Oui mais là, c'est pas pareil, c'est les vacances !
Ça alors, c'est pas l'argument que j'attendais. Imparable. Je décide de pas me disputer avec lui pour si peu de chose. On avisera en route.
Dès les premiers tours de roue, je constate que cette télé, sur un bras articulé (elle pivote dans le passage, ce qui permet de la regarder depuis le lit... ) justement pivote allégrement dans les virages. Je ne ferai pas exprès mais j'oublierai systématiquement de la caler... Si elle pouvait se péter l'articulation celle-là ! Hélas, Laurent, il y tient à sa télé, il veille au grain. Aurait-il peur de s'ennuyer ?
Dès les premiers mouillages, pardon, dès les premiers (les premiers quoi ? campements ? campages ? campingares ? aidez-moi à trouver le mot qui me manque ?) nous découvrons (l'un dépité, l'autre enchantée) que la minuscule antenne télé (champignon) ne capte que des images partielles ou nulles et du son qui bafouille... Y'a pas trop de péril finalement.
Je la trouve toujours aussi moche et j'espère secrètement m'en débarrasser. Mais la partie est dure à jouer contre Laurent ! Pourvu qu'il ne lui vienne pas à l'idée de construire une antenne de son invention. Vous imaginez un si beau Korus, équipé d'un remake Topfkreis, version télé... J'en frémis d'avance.
Dès les premiers virages, on se fait peur... Un claquement violent, un choc sourd, un grincement inattendu. Pourtant y gîte pas ce bateau là. C'est juste une porte de placard qu'on n'a pas verrouillée, le coulissant des toilettes qui s'offre des allers-retours sur son rail, le liquide vaisselle qui dégringole de l'évier, quand ce n'est pas la poubelle qui vomit par terre. Hé oui, les procédures de départ se ressemblent toutes et cela m'enchante. C'est l'aspect sympa des départs, un petit air de Lune de Miel, un p'tit air de folie.
J'y retrouve les gestes de sécurité du matériel et des équipements. Rien qui traîne sur les surfaces plates, rien sur le gaz, fermeture de toutes les issues, bloquage des tiroirs et des portes, (c'est là que j'ai pas tout en tête) mise à l'abri de tout objet susceptible de voltiger à tort et à travers, bascule des sources d'énergie... etc... le contrôle des niveaux d'eau (propre, grise (eau de vaisselle, de douches et lavabo) et noire (wc chimique) n'est pas nouveau. Notre autonomie en usage contrôlé est de 4 à 5 jours pour nous deux. Ce qui est très confortable. Mais je ne sais pas pourquoi, si j'ai l'oeil acéré sur les hublots et ouvertures extérieures (il parait que ces lucarnes s'appellent des baies, non mais, quelle prétention) les portes sont douées de vie personnelle.
Pour les parkings, alors là c'est d'une simplicité confondante. D'abord jusqu'au 14 juillet peu ou pas de monde. Il faut dire que nous priviliégions les lieux hors des routes majeures et nous n'hésitons pas à nous enfoncer dans des "pistes" dont le Gps ne garantit pas l'accès. Nous n'avons pratiquement séjourné qu'en camping sauvage ou semi-sauvage. C'est à dire à l'orée d'une forêt, au bord d'une rivière ou d'un pré. Mais nous avons aussi trouvé des "aires" en pleine campagne avec quelquefois des sanitaires très entretenus par les communes (La Salvetat, lac de Ravières (34)- Sauveterre de Rouergue (12) - Lapanouse, bord de rivière (12) - Cancale, Maulévrier (49) et son magnifique parc oriental à ne pas rater. Des aires au milieu des prés, à l'entrée de villages vraiment accueillants (Ayen (19) Erquy face à la mer, aire de l'ile aux moines, et dans le golfe du morbihan de multiples endroits... Un paradis pour les campeurs. Notre premier épisode estival, cap vers l'ouest, sortie du Langedoc. Le parcours est un enchantement. J'ai souvenir de campagnes verdoyantes, d'immenses champs de céréales et de vignobles qui ondulent sous le soleil. Des forêts apaisantes... des prairies en pentes douces tachées de vaches rousses. Au loin les montagnes cévenoles qui se couchent paraisseusement en marge de l'horizon. De jolies fermes sans prétention. Le Lot, la Dordogne et ce pays magique et enchanteur, les Causses du Quercy.
LAC DE LA RAVIERE- LA SALVETAT |
(Plouguenast)
Sûr et certain nous y retournerons |
La Touraine familière s'annonce avec ses immenses champs de maïs et de tournesols. C'est la saison du salut profond et quotidien de la nature au soleil. Les champs de tournesols sont formidables à toute heure du jour. Ici les clochers qui ont jalonné notre route sont remplacés par les chateaux d'eau qui veillent sur la compange tourangelle. Les balles de céréales sont prêtes pour l'embarquement. |
Nous ferons une pause nostalgique au château de Chenonceau dont l'histoire compliquée du trio Henri II, Diane de Poitiers et Catherine de Médicis m'émeut toujours. |
Puis viendra le moment de la Morelière à Saint Laurent du Lin. Retrouvailles avec nos amis Danièle et Dominique. Relations qui nous fondent dessus avec toujours la même intensité. Plongée dans ce monde dédié à la botanique après une soirée détendue avec nos amis Pascal et Nathalie à Veigné.
Que c'est bon de vieillir au coeur de l'amitié.
KORUS A LA MORELIERE | SOIREE JOUISSIVE | LA MORELIERE VEILLE SUR KORUS |
A Saint Roch, nous avons particulièrement aimé, le portail des "z'animaux musiciens" créé par Michel Audiard, (non pas celui ci, un autre, sculpteur tourangeau d'aujourdh'ui). Petit coucou enthousiaste à Claire et Jean Claude.
Clin d'oeil malicieux à tous les fêlés de la musique. Un enchantement !
Le coeur chargé d'émotions nous reprenons la route vers l'Ouest, cap sur la Bretagne. Une redécouverte pour nous deux qui n'avions plus respiré cet air vif et frais depuis plus de vingt ans... Nous aimons la Bretagne, son territoire varié et champêtre, ces immenses vergers, sa mer écumante et fraîche et ses ports qui se cachent souvent sous leurs rideaux de brume. Le Mont Saint Michel à la fois fort différent (sécurité due aux visiteurs oblige) et merveilleusement fidèle à son imposante silhouette de gardien de la mer. Quel endroit extraordinaire. Que tant d'hommes s'y retrouvent et partagent l'émerveillement. C'est ça qui me bouleverse.
Nous folâtrerons sur cette côte nord d'est en ouest, à la redécouverte de villages plus chouettes les uns que les autres. Pause nostalgie à Erquy et séjour prolongé dans l'incroyable golfe du Morbihan et ses milles iles. Que d'enchantement, d'heureux rappels du temps que nous étions navigateurs.
Laurent tout fou, Laurent tout flou à Cancale Dinan ville haute Bord de la Rance en vélo
Voyager et découvrir à bord d'un Korus, aussi modeste qu'il soit, c'est dans la liberté que va se nicher le luxe,
Pointe du Bay (Korus est caché sur la crête) un mouillage idéal dans le golfe du Morbihan le port le plus fantastique, Saint Malo
- Dis Laurent, t'as pas envie de naviguer, de sentir la mer bouger sous ton sol ?
- Non pas vraiment ?
- Même quand tu vois ces voiliers tranquilles, ces mouillages sages ?
- Non parce que ce soir. Je m'endormirai sans guetter le sifflement du vent dans le mat, sans entendre le grincement de la chaîne de mouillage, sans me sentir secoué et balloté par de la houle intempestive.... sans avoir besoin de me cramponner aux draps pour pas tomber. Et je me réveillerai avec le chant des oiseaux.Et je prendrai le temps de boire un bon café qui se renversera pas sur mes tongs. L'esprit tranquille et sans un seul bleu...
- Pas même à l'âme...
- ..............
- Lune de Miel est si loin
- nous profiterons d'une autre lune noyée d'étoiles. pour écouter la mer, pour écouter la brise... il fera frais et nous serons à l'abri...
... Et nous sommes libres de partir ou de rester, aussi longtemps que ça nous chante...
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Il a raison Laurent, complètement raison. C'est une autre histoire que nous vivons, d'une autre manière. C'est ça qu'y est bon dans la vie dirait Jo.
Sous la lune à la Salvetat |
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25 mai 2022
Allure escargot depuis notre départ de Velaux, il y a une belle poignée de jours. Pauses champêtres dans des cadres nouveaux quoique familiers.
Visite éclair à Dan-Dom nos amis tourangeaux. Le temps de se reconnaître, de partager un heureux moment au château de l'Islette. Château privé, peu fréquenté. Ce château, petit frère d'Azay le Rideau, fut le refuge amoureux de Camille Claudel et Auguste Rodin. C'est donc une pause romantique que nous proposent nos amis.
Et nous voici embarqués tous les quatre dans la douceur ombragée de l'Indre. On se la coule douce entre les bras de la rivière, entre les bras des rames, que maîtrise si bien, le vaillant Dominique.
Et cap sur la Normandie. En traversant la Mayenne, nous devisons très sérieusement. Pascal (F6Guz) en contact étroit avec Laurent par radio (le téléphone portable c'est pas mal non plus) donc Pascal trouve dommage que nous passions si près du Cotentin et de pas y aller faire un tour.
- Dis Laurent, et si on suivait l'idée de Pascal, et qu'on vire de bord.
- D'accord mais la Hollande, on y va quand ?
- Après ?
- Avec nos étapes moyennes de 50 kilomètres par jour, tu comptes y être avant l'hiver en Hollande ?
- Bof, je sais pas, on verra.
Laurent se gratte le front, sa décision ne saurait tarder et elle ne tarde pas.
- T'as raison, cap Cotentin, et puis on verra bien...
Youpi ! j'adore qu'on ne respecte pas le programme.
25 mai 2022
Notre première étape en Cotentin, au bord d'un lac à Saint Hilaire du Harcouët, (ça résonne breton non ?) Une pause détente avant de virer à l'ouest vers Avranches.
Laurent souvent repère sur le Net des espaces dédiés camping-car, mis à disposition par les communes. Nous trouvons toujours de belles clairières, des bords de rivière ou de lacs, des bords de prairies. Tranquilles et peu fréquentés. Nous y sommes souvent les seuls. Parfois des services sont prévus, renouvellement d'eau, vidange eaux grises, eaux noires et même une borne électrique, pas négligeable pour recharger nos vélos. Ces espaces sont toujours gratuits, les services pas toujours mais pour trois à cinq euros la nuit nous faisons provision d'autonomie pour trois jours.
Il nous arrive aussi de nous poser dans un espace privé, du réseau France Passion. Cette formule nous séduit toujours. Chez des producteurs, (vins, fruits et légumes, éleveurs, fermiers....) chez des artisans, des artistes... Des sites isolés où le petit camion s'étale au bord d'un pré, la cour d'un manoir, au bord d'un étang. Nous visitons de beaux espaces. En échange de cette nuit idéale, nous achetons les produits locaux de nos hôtes.
C'est ainsi que nous nous posons dans l'immense pré d'un manoir rénové, Domaine de Clacquerel à Sartilly Baie Bocage, cidrerie. C'est un enchantement. Apéririf offert au pommeau local.
Au fait, c'est quoi le pommeau ? Un apéritif à base de jus de pommes, enrichi de calva... A la fois doux et fort... Notre hôte nous raconte l'histoire de son manoir, les travaux qu'il a réalisés, photos à l'appui. Nous voyageons dans le temps en compagnie d'un homme tranquille, souriant, taquin aussi. La bouteille de pommeau circule au dessus de nos verres...
- Encore un p'tit coup ?
- Ben oui, hein !
Donc, j'en reprends, peut-être que j'aurais pas dû... Laurent n'est pas mal non plus, d'ailleurs. Nous avons l'âme en joie. Retour à bord hasardeux en chantant avec les grenouilles :
Apéro cidre plus calvados,
Vive la vie en Cotentos...
La voix grave de Laurent baryton, la mienne est quelque peu crécelle... et le choeur des grenouilles sont du plus bel effet, amis mélomanes, n'en doutez pas.
C'est aussi mon premier choc très personnel. Il va me clouer au bord d'un pré. Une Cotentine en costume léopard me dévisage. Quelle allure ! Une robe presque blanche semée de quelques taches rousses. Une fausse blonde en quelque sorte. Le contour de ses yeux est bordé d'une belle ombre brune. Maquillage insolite ou contour de lunettes ? Cela donne une incroyable profondeur à son regard. Son rouille à lèvre a quelque peu débordé mais son mufle n'en n'est que plus original. Qu'elle est belle ! Une vache d'une rare élégance. D'autres dans le troupeau arborent une grande taches sombre sur le pelage clair. Avec toujours ce maquillage étrange.
J'apprendrai plus tard que l'authentique Normande peut être "caille" presque blanche, bringuée (presque noire). La tête est toujours blanche avec les "lunettes" caractéristiques autour des yeux, le mufle lui aussi est bordé de sombre. C'est une vache "mixte". On l'élève aussi bien pour son lait exceptionnel (qui fait la réputation des produits laitiers normands) que pour la viande.
Désormais beaucoup de vaches sont "écornées". Ce n'est plus l'arrogance des cornes mais ce n'est plus non plus, le fier port de tête des vaches de mon enfance. Je pense aussi aux Salers, avec leurs jolies cornes claires en forme de lyres... Quelle majesté sur leur robe acajou ou presque noire... À la place des cornes, elles portent alors un petit toupet de poils qui leur donne une expression bonasse, presque tendre.
29 mai 2022
Nous voici au nord de Coutances. Gouville sur mer. En pleine zone conchylicole. Nous nous abritons à l'arrière des bâtiments. La propriétaire fameuse dame d'envergure et terriblement avenante, nous conseille d'acheter des "moussettes".... Nous hésitons, le mot est joli, mais que va-t-on se mettre sous la dent ?
- Un mets très délicat, nous dit-elle, profitez-en, c'est la pleine saison.
Ce sont des araignées de mer qui ont moins de deux ans. Si petites soient-elles, ne n'ai pas de faitout qui me permettent de les cuire.
- Attendez, dix minutes, j'en aurai des cuites à vous vendre...
Donc on attend. On traîne dans l'immense hangar où sont débarquées les poches à huîtres. Le va et vient des engins, les machines automatisées qui trient, nettoient les coquillages. Celles qui nettoient les poches. Bonne ambiance. Laurent va faire provision de coquillages, et nous ferons un vrai festin avec chacun notre moussette. Que de bonheurs inattendus dans ce pays.
Nous découvrons avec autant d'étonnement que de bonheur une multitude de pistes vertes, qui longent la mer, qui traversent les terres.
Nous bénéficions d'une météo idéale autour de 20-22 degrés. Nos vélos tournent à plein régime.
Nous sommes déconcertés par l'immensité des plages à marée basse, la mer si lointaine, comme estompée dans l'horizon. Nous sommes déconcertés par ces ruissellements de prairie, de cultures qui dégringolent en mer...
A travers landes et bocages, des pistes confortables qui longent la mer.
1er juin 2022. Après Quelques jours à Barnevelle, Carteret, nous décidons de tirer un bord nord-est... Vers Valognes et sa belle église Saint Malo. Nous nous poserons au manoir de la Hurie. Ferme reprise il y a deux ans par quatre très jeunes personnes qui se sont lancées dans l'élevage de poules, et vendent la viande sous forme de terrines, de soupe, de conserves, poule au vin, poule au pot... et bien entendu, production massive d'oeufs fermiers. Les poules gambadent dans les prés qui entourent le manoir.
Nos vélos tournent à plein régime.
2 juin 2022, la capitale Cherbourg. Quelle ville ! Le parking autour de la Cité de la Mer est immense.
- Dis Laurent, on va quand même pas dormir au milieu des voitures ?
- Tu proposes quoi ?
- Qu'on longe cette zone, on verra bien ce qu'il y a au bout.
- Tu dormirais tranquille toi, ici ?
- Ici non, mais si on va au delà de la Cité de la mer, ça paraît plus tranquille.
- Tranquille, au milieu des autobus et des hordes de touristes ?
- Exagère pas, y'a tout de suite quatre ou six touristes... Oh, et puis tu m'énerves, gare -toi je vais voir à pied.
Donc il se gare et me débarque.
Hardi petit, d'un bon pas, je dépasse la Cité de la mer, des voitures, une succession de parkings qui longent un immense port de plaisance. Plus loin, ce sont les bus vides qui piétinent. Foutu pour foutu, je fais demi-tour en longeant le quai du port. À quelques pas de là, je traverse quelques haies, une zone en béton abandonnée où devaient être posés des containers, il y a bien longtemps. Voilà, ce qu'il nous faut. Nous serons protégés par les arbres, avec vue sur le port, assez loin de la route. C'est plutôt inespéré. Le hic, c'est que ces plates-formes ne sont guère alignées. Des herbes sèches, des cassures de ciment, des trous et des failles dans le béton. Le petit camion n'a pas les aptitudes d'un vtt. Autre question, est-ce autorisé de s'arrêter là ? Aucun panneau, aucune indication d'autorisation ou d'interdiction. Zonne libre dirait-on.
Je me dépêche de retourner vers Laurent, qui bien entendu a trouvé le temps long. Il a pris la route pour venir à ma rencontre. Sauf que je marchais sur une allée discrète le long des quais en contrebas.... C'est certain on s'est croisé sans se voir. J'ai beau scruter, m'impatienter... Je décide de m'asseoir sur un caillou et d'attendre que Laurent revienne... Et d'un coup, par dessus les voitures j'aperçois le haut volume du petit camion... Ouf... Je lui explique les difficultés de ma trouvaille. Il n'est guère emballé pour lancer le petit camion sur des dalles chaotiques. Il m'envoie en éclaireuse, le petit camion piétine derrière moi. Il faut passer des zones étroites, dont les branches frôlent notre toit. Il y a des ferrailles malveillantes qui hersent le béton. Faut les repérer et engager les roues de chaque côté de ces pièges. Quelques suées, quelques cris aussi... Ouf, nous finissons par nous incruster entre les haies et sans dommage. On y est super bien. Le petit camion aussi, je crois.
CHERBOURG - LA CITÉ DE LA MER.
Le REDOUTABLE, premier sous-marin français nucléaire (SNLE) mis en service dans les années 1970. Géant de 128 mètres de long, son équipage comptait 135 personnes.
Il faut vraiment prendre le temps de flâner à la CITÉ de la MER. Outre le fameux Redoutable, les émotions sont intenses, les émerveillements aussi. Déambuler entre les bassins de l'immense aquarium, revivre la terrible et fatale dernière journée du Titanic, découvrir ce que sera l'océan du futur... et puis se détendre. Nous étions quelques rares visiteurs, pas de groupes encombrants, pas de gamins agités. Une bien bonne journée.
05 juin 2022 Week end de Pentecôte pluvieux. Nous partons vers l'Ouest, cap de la Hague. Nous nous installons à Le Hâble, un petit camping discret et confortable.
- Laurent, regarde une éclaircie.
- T'es chiche ? Je sors les vélos et on file au Cap de la Hague et Goury, jusqu'au Nez de Jobourg ?
- Ça fait loin non ?
- Oui, faut pas traîner. Ponchos, pique nique, et vélos, pour la journée. Disons une petite quarantaine de kilomètres.
Hop là, c'est parti.
Laurent, nous a prévu un tour magnifique. Les facéties du Gps vont bien entendu nous détourner, allonger le circuit. On a l'habitude. Dans les descentes, Laurent s'envole littéralement. Moi, je reste mémère vélo et modérée, même dans les descentes. Donc il prend une sérieuse avance sur moi. À une vingtaine de kilomètres de notre départ, il oublie de m'attendre à un carrefour. Quoi faire, où aller ?
Pas d'info, pas de signal. Dois-je en conclure qu'il faut continuer tout droit. Je le fais d'autant plus volontiers que la route à gauche monte durement et qu'à droite, la direction ne m'inspire pas. Je traverse et pédale avec enthousiasme tout en braillant dans toutes les direction,
- Ouh, ouh, Laurent où es-tu ?
Vous avez compris que Laurent circule avec son smartphone et vous devez vous demander pourquoi je ne l'appelle pas avec le mien. Tout simplement parce que je suis une cloche et que deux fois sur trois, dont celle-ci, je l'oublie à bord... Il se passe au moins dix minutes. Crotazut ! Pourquoi il m'attend pas. Le doute s'insinue. Et si j'avais pris la mauvaise direction ? Je m'arrête pour réfléchir. Moment choisi pour le brouillard qui me tombe dessus en quelques instants. Vite, je m'emballe dans mon poncho, rouge, écarlate, brillant, visible... On sait jamais, si Laurent vient à ma rencontre, qu'on se croise et qu'il ne me voit pas à cause du brouillard, ce serait ballot...
Et puis zut pour Laurent, il avait qu'à m'attendre. Je retrouverai le chemin du retour, enfin, je crois. Je décide de rentrer à bord. Et de bouder quand il rentrera, longtemps, au moins cinq minutes... en plus il devra jeûner. C'est mon vélo qui porte le pique nique.
Une voiture arrive derrière moi, je la laisse passer avant de faire mon demi-tour. Elle s'arrête à mon niveau. Si cette personne est perdue, je ne lui serai pas d'une grande aide.
- Bonjour Madame,
- Bonjour,
- Vous appelez parce que vous roulez avec un monsieur blond sur un vélo noir.
- Oui, enfin je sais pas.
- Vous savez pas si votre compagnon est blond.
- Si, mais je ne sais pas si le vélo est bleu ou noir...
La dame me regarde d'un air désabusé.
- Si c'est lui, vous auriez dû tournez à gauche et monter la côte... Bonne chance.
- Oh merci Madame, bonne route.
Elle démarre doucement et quasi sous mon nez, fait demi-tour... Machinalement, je repère la voiture, je trouve ça louche.
Lorsque j'arrive au croisement fatal, la voiture est garée devant la maison qui fait l'angle. La dame est dans son jardin. Elle me fait un signe d'amitié et d'un geste, me montre la route que je dois prendre. Celle qui monte bien entendu.
J'en reviens pas. Cette dame extraordinaire m'a vu hésiter, filer tout droit devant sa maison. Elle a réalisé que je m'étais trompée. Après réflexion, elle a pris sa voiture pour venir me récupérer dans le brouillard.
Wouah, ça existe donc des gens comme ça ! Je suis tellement enthousiaste, je chante en pédalant et le vélo à assistance grimpe gentiment la côte. Un peu plus loin, j'aperçois Laurent qui vient à ma rencontre... Tiens, il a fini par se demander où j'avais bien pu passer. Je lui détaille la rencontre incroyable que je viens de faire.
Vraiment y'a du beau monde en Cotentin.
"Ben oui hein !"
Nous repartons tout joyeux. J'ai complètement oublié que je devais bouder... Quant au Nez de Jobourg et son paysage grandiose, il est resté noyé sous la brume... mais nous avons fait une sortie vélo riche en émotion... dont les plus de cinquante kilomètres nous ont éreintés.
Prochain épisode, cap est du Cotentin
6 juin 2022
Encore une chouette rando à pieds depuis le camping du Hable, chemin des douaniers à travers prairies et fermes en ruines. Les landes sont couvertes de fougères. La mer est belle, d'un bleu azur. Et le ciel fleuri de cumulus qui s'effilochent. Signe de beau temps ?
7 juin. Aussi belles que soient nos escapades vélo ou pédestres, deux nuits scotchés au Hâble, le petit camion a des fourmis dans les pneus. Donc un peu de mouvement lui fera du bien. Nous décidons de prendre la route des caps qui longe la mer, jusqu'à la pointe de Barfleur. Une bien belle route, qui sinue à travers le littoral et de belles ouvertures sur la mer, qui dévoile des caps fameux, Anse du Brick, Cap Lévi, pointe de Barfleur.
Gatteville, sympathique village tout en pierre. Des maisons pimpantes, très fleuries, parfaitement alignées.
Elles sont belles les maisons du Cotentin, chaque pierre de granit ocre ou rose est entourée d'un mortier clair qui en souligne l'éclat.
Le défi du jour c'est la montée du phare de Gatteville. Construction qui date des années 1774 (Louis XVI), pour le 1er phare jugé trop petit. En 1829, (Charles X) on élève un deuxième phare. Cet immense cierge se dresse à 75 mètres de hauteur. 349 marches, (sans la rampe extérieur du balcon supérieur) A chaque palier une fenêtre. C'est celui là qui nous fait transpirer malgré la froidure de l'air. Une montée au 7ème ciel normand...
Les guides qui ont le devoir de nous interpeller prétendent que :
- il y a autant de marches que de jours dans l'année,
- autant de fenêtres que de semaines,
- autant de niveaux que de mois.
Nous avons parlé avec le guide après notre descente, donc je n'ai pas pu vérifier.
Les maçons pour éviter les échafaudages ont construit simultanément une tour intérieure et une tour extérieure. L'escalier grimpe entre ces murs intérieurs.
Quelques marches de plus, permettent de prendre un peu plus d'altitude, mais Laurent craint le vertige. Et moi, j'aime les sensations fortes, comme vous savez. L'escalier métallique est étroit et le vent souffle en rafales. Vraiment violent et je ne m'y attendais pas. Appuyée à la rambarde, je jette un oeil à l'étage en dessous. Je n'y vois pas Laurent mais un joli monsieur, fort souriant, bien jeune aussi.. Il me fait un signe de la main, il semble qu'il hésite à rejoindre mon balcon. Le vent me turlupine aux oreilles, et je me sens d'humeur facétieuse. J'engage quelques mots ordinaires avec lui.
- Bonjour, vous êtes Roméo ?
- Pas du tout, pourquoi, vous êtes Juliette ?
- Non, je suis Jane.
Et là, il se marre franchement.
- Normal, moi, Tarzan.
Quel sympathique sauvage ce Tarzan.
- Vous montez à bord ?
- Oui,
- Super, moi je redescends.
On se croise dans l'escalier, on échange un joyeux sourire.... et je dévale les marches comme si j'avais 15 ans...
08 juin
Le petit camion en a marre de frissonner. Allons vers le soleil... cap sud, camping à la ferme, Réville... Le temps est couvert, mais doux... une vingtaine de degrés. Idéal pour la rando vélo qui doit nous mener à St Vaast la Hougue, départ de la navette pour l'île de Tatihou. Piste vélo, le Gps nous fait bondir sur des caillasses scélérates, écraser des taupinières et slalomer à travers les prés... Un raccourci de quelques trois kilomètres qui nous secouent avant d'atteindre la vraie piste cyclable. Ce qu'il y a de certain, c'est que je ne prendrai pas le raccourci au retour... vingt ou vingt-cinq kilomètres, ce n'est guère différent, confort de roulage avant tout. Laurent est d'accord.
A Saint Vaast, juste le temps d'acheter nos billets et un pique-nique. Nous embarquons à midi, à marée montante, et roulons sur le sable le long des élevages d'huîtres qui prennent leur bain de pieds. Cette barge amphibie étonnante roule sur le sable, au fur et à mesure que monte l'eau, elle passe en mode navigation. C'est assez rigolo. Lorsque nous arrivons à Tatihou, elle se remet en mode roulage.
Tatihou c'est à la fois une île lorsque la mer est haute, et une presqu'île lorsque la mer est basse. Il faut donc y rester assez longtemps pour bénéficier des différents reliefs et lumières proposés par la variation des marées... On flâne tranquillement jusque tard en soirée, entre les murs de l'imposant rempart Vauban (1694), les bunkers vestiges de 1944, le musée maritime, le pique plein air avant l'averse, le lazaret transformé en bar-resto... abri sûr pour l'heure café.
Belle éclaircie pour flâner dans la précieuse réserve ornithologique et le lazaret devenu l' Office de Tourisme de l'île, bourré d'infos utiles.
10 juin . Notre prochaine étape est à Sainte Mère l'Église, encore une biscuiterie pour faire le plein de délicatesses locales. Sympathique image, très normande pour signer cette fin de chapitre...
Non, je ne prévois pas de maigrir...! Laurent non plus. Et ça me réjouit.
9 juin.
Nous traversons Sainte Mère l'Église en pleine parade militaire. Scotchés par l'étonnement, nous décidons de nous installer là. Il me faut un terrain de camping qui dispose de sécheuses-laveuses dont j'ai grand besoin. Et nous en avons trouvé un très chouette.
Une jeune dame charmante nous accueille. Si belle, si fraîche. Plus rien de militaire dans ce bureau.
- Votre place est proche des sanitaires. Vous pouvez pas vous tromper. C'est en face d'un camion GMC dédié à la location.
- Vous louez des camions militaires ?
- Bien sûr, ils sont aménagés. C'est très spartiate, c'est un camion de guerre quand même.
- Y'a donc des clients pour ça ?
La demoiselle se marre.
- Bien sûr, des vacances dans un GMC , c'est authentique et exotique. Les touristes adorent.
Y'a des choix d'adultes qui m'épatent vraiment.
Nous nous engageons à petits pneus dans des allées incroyables. Immersion dans un camp militaire international. Aussi vastes que soient les emplacements, tout un monde, en kaki-bérets ou treillis s'affairent. Des blindés, des motocyclettes, des barnums militaires géants, des tentes collectives, des espaces "popote" extérieurs, et semés un peu partout, des pavillons, anglais, allemands, américains, canadiens et bien entendu français tremblent sous une brise pluvio-grincheuse. Ça papote et ça rigole dans toutes les langues confondues en un étonnant charabia.
- Dis, Laurent tu trouves que ça ressemble à un terrain de camping ?
- Non, tu vois bien qu'on est en pleine manoeuvre.
Nous sommes les seuls "civils" du camping, c'est une sensation un peu étrange. Avec mon short, ma chemisette et mes tongs, j'ai l'impression d'être déguisée. Mais à quoi jouent-t-ils, tous ces gens en uniforme ?
Notre voisin, en treillis, papy d'au moins 70 ans, répond joyeusement à nos questionnements.
- Vous avez de la chance d'avoir eu une place. Depuis trois jours, c'était bondé. Mais quelle ambiance !
- Un événement extraordinaire ?
- Ben, je veux. C'était l'anniversaire du D-day. Le premier débarquement des américains sur les côtes de Normandie, 6 juin 1944 à Utah beach. On fête ça tous les ans. Dommage vous arrivez un peu tard.
A Sainte Mère l'Église, à Saint Côme du Mont, à Grand Champ Maisy, partout les mêmes tenues, les mêmes attitudes. Des portraits géants installés sur chaque poteau rappellent un visage, un nom, le pays, la ville d'un homme mort au combat pour nous défendre. Ils jalonnent nos pas, nous précèdent et nous suivent. Dans la ville, des panonceaux racontent un événement qui s'est produit à cet endroit précis, souvent humoristique, quelquefois tragique. C'est une ambiance envoûtante.
Le plus renommé est le mannequin qui évoque l'atterrissage imprévu de l'américain John Steele, dont le parachute est resté prisonnier de la corniche de l'église pendant trois heures avant d'être décroché, la nuit des 5-6 juin. Pris par les allemands, il réussira à s'évader après quatre jours. Heureux survivant, il finira tranquillement ses jours chez lui, dans l'Illinois.
Cet épisode qui inspira très librement une séquence du film "le jour le plus long" (dans les années 1960) fera de lui un personnage mythique.
Mais non, les cloches de l'église ne l'ont pas rendu sourd !
Nous décidons de rester quelques jours et d'enfourcher les vélos pour une longue virée vers les plages du débarquement. Le ciel un peu gris, doit se dégager. Il fera bon sur la route du bord de mer. Nous aurons droit à l'une ou l'autre rincées familières du Cotentin, mais c'est de l'eau qui mouille pas... pas trop.
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Utah beach, c'est un musée extraordinaire à ciel ouvert qui offre un circuit à travers des scènes reconstituées de ce débarquement. Des escadrons impressionnants de jeunes américains, américaines déambulent et s'interpellent. Ils croisent souriants d'autres escadrons de jeunes allemands. Tout de même c'est chouette. Il y aussi beaucoup d'hommes et de femmes, des descendants de ces hommes héroïques, qui viennent là pour se recueillir, et retrouver un peu de leurs chers disparus. C'est terriblement émouvant.
Je pense à cet instant à cette autre guerre qui se déroule "sous nos yeux" en Ukraine. Quelque chose en moi se déchire.
Depuis le camping d'Isigny Sainte Mère, après avoir longé sur des kilomètres l'incroyable laiterie coopérative dont nous consommons tous les produits finis, nous ferons encore une belle virée vélo côté mer vers Grandcamp Maisy et la pointe du Hoc. Oui, nous avons zappé Omaha beach, que nous connaissions déjà.
Image toujours fascinante de Cotentines qui prennent les eaux... Pardon pour cette familiarité avec les vaches, Cotentine est une fantaisie que j'écris "pour du beurre"
.../...
14 juin 2022
Et si nous changions de monde... allons y en douceur. Cabourg, si chère à Marcel Proust, nous accueille dans son esprit 1920. Sympathique petite ville familiale où nous flânons joyeusement.
Alternance de rues commerçantes ordinaires et d'avenues qui les croisent bordées de parcs et de manoirs prestigieux.
- Dis laurent, ça te fait pas rêver tout ce luxe ?
- Non, c'est joli, mais ça me fait pas rêver.
- Tu serais d'accord pour pique niquer sur l'immense plage de Deauville, histoire de rêver en vrai.
- Qu'est-ce que t'as en tête ?
- Je voudrais la jouer chicos pour une fois. On s'habillerait genre sortie, ton pantalon court tergal, une chemisette légère et pas encore froissée vu qu'elle n'a pas servi...
- Et puis quoi encore,
- Des mocassins légers et élégants, ceux en liège par exemple.
- D'acccord, mais toi aussi.
- Bien entendu. Moi j'ai une robe en réserve, des nu-pieds qui piétinent dans le coffre du petit camion, et tu vas pas le croire, de quoi me maquiller... un peu...
- Ben dis-donc.
- Nous jouerons aux vieux gros bourgeois repus qui pique-niquent dans le sable.
- Et nous irons tous les deux onduler du popotin à Deauville.
- Oui, mon ami, ce sera très chic, nos derrières en tissu fin, gratté par le sable de Deauville.
- Mais t'es complètement siphonnée, le vent est glacial, les nuages cachent le soleil.
- Non, regarde, le temps qu'on se change, le soleil sera revenu...
- Tu voudrais qu'on dévore nos sandwiches cabourgeais en se caillant sur la plage ?
- Je voudrais qu'on dévore nos sandwiches cabourgeais comme des cabourgeois, un peu déchus peut-être...
Et puis, il serait bon d'user désormais d'un langage un peu plus soutenu lorsque tu me parles, mon ami.
Deauville donc, ville quasi déserte.
Après ce pique-nique idiot, nos costumes retourneront dans la penderie. Tenue plus décontractée pour prendre la magnifique route du bord de mer jusqu'à Honfleur. Honfleur, c'est une petite ville très coquette, très précieuse, très rustique sous ses artifices... Les touristes ici sont agglutinés et les bars bondés. Nous y découvrirons de sympathiques ruelles, un petit port animé, une ambiance estivale. C'est un excellent endroit pour la pause café.
A quelques tours de pneus, longue virée pédestre à travers les marais, et coup d'oeil sur le pont de Normandie.
Dès demain, c'est la Normandie au coeur et le pays d'Auge qui nous attend.
15 juin 2022.
Le petit camion a posé ses pneus en bordure de pré, à l'ombre de grands arbres. Quelle aubaine, c'est une cidrerie magnifique, artisanale et familiale qui va nous accueillir au coeur du pays d'Auge. La météo est au beau fixe, température printanière. Aussi ambitieux que confiant dans son GPS, Laurent nous embarque pour une folle rando vélo jusqu'à Pont l'Evêque. Petite virée deviendra grande !
Il a oublié une donnée essentielle pour notre retour, c'est que ni lui, ni moi, ne nous souvenons du lieu-dit ou du nom de la cidrerie où se cache le petit camion. Quant aux GPS, il a la mémoire qui flanche. Il n'a pas enregistré notre circuit aller. Aucune initiative ce système de positionnement ! Les cartes proposées ne nous inspirent que des questions. Ce sont de toutes petites routes de campagne, peu ou pas fréquentées, qui distribuent une multitude de hameaux, tous plus verdoyants, plus parfumés, plus rustiques les uns que les autres. Et tous les noms se ressemblent, Champois, Champeaux, Champix, les Gautries, Gautraies, Gautrac... Les hurels, huries et hures...Un vrai bonheur de s'y fourvoyer, un vrai bonheur d'y tournicoter, un autre vrai bonheur de retrouver soudain un carrefour entre prés et bosquets qui nous signale "notre" cidrerie, le refuge verdoyant et enchanteur de ce séjour.
16 juin 2022
Petit matin joyeux entre tartine et tartine....
- Dis Laurent, te sens-tu l'âme mystique aujourd'hui ?
- Bien sûr, tous les jours je me sens l'âme mystique. Surtout le dimanche.
- On est jeudi mais c'est pas grave. Dis moi, à quoi ça te fait penser Lisieux ?
- Je sais pas, lisière, liseuse, lisette...euh ... liseresse, liesse...
- Oh, non, c'est pas possible. Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, ça te parle ?
- Ah, oui, bien sûr, ça me parle de Thérèse,
- De Thérèse ?
- Oui, ta soeur.
- Ok, donc serais-tu d'accord pour une étape à Lisieux.
- Si c'est pour ta soeur, avec plaisir.
Sainte Thérèse de l'enfant Jésus, s'appelait Thérèse Martin dans la vie civile (hé oui-je comprends mieux la sympathie de ma soeur pour Lisieux) Louis et Zélie Martin étaient très pieux et deux de leurs filles aînées étaient déjà entrées au carmel avant Thérèse. A 14 ans, elle se destine à la vie monacale, mais elle est trop jeune. Elle n'hésite pas à rencontrer le pape à Rome pour obtenir de lui une dérogation qui lui permette d'entrer à son tour au Carmel à l'âge de 15 ans... Ainsi avancent les caractères entiers et passionnés, rien ne leur résiste. Profondément pieuse et inspirée, elle sera la lumière des nonnes. Elle défend une foi simple du quotidien. La prière se dit dans les actes de tous les jours. Elle écrira beaucoup sur sa foi, ses doutes, avec la formidable puissance mystique qui l'habite.
Une bien jolie perle à méditer :
“La joie intérieure réside au plus intime de l'âme ; on peut aussi bien la posséder dans une obscure prison que dans un palais.” Conseils et souvenirs, 25
Elle avait de belles certitudes la petite sainte.
Se croire soi-même imparfaite et trouver les autres parfaits, voilà le bonheur Conseils et Souvenirs, 25
Mais aussi un dangereux idéal.
Aimer jusqu’à mourir d’amour – Manuscrit C, 7v
C'est une personne extraordinaire, attachante et fragile. Gravement illuminée aussi. Dévorée par la passion et la tuberculeuse, elle meurt à 24 ans, enterrée en toute simplicité, comme elle a vécu.
Elle sera élue Docteur de l'Eglise, en 1997, par Jean Paul II.
Comment la Curie romaine, "congrégation de la cause pour les saints" s'y retrouve pour valider ses miracles au bout de 15 ans. Total mystère. Elle sera bel et bien canonisée en 1925, par PIE XI. C'est à cette occasion que sera construite la basilique de Lisieux, aussi lumineuse que l'humble personne, à laquelle elle est dédiée.
16 juin 2022
Nous voici au coeur du pays fromager. Notre petit camion aime reposer ses pneus dans l'herbe fraîche. Ce sera encore un verger, encore une cidrerie. Une virée vélo s'impose du côté de Livarot....d'abord pour visiter la laiterie industrielle qui nous propose un parcours initiatique parfaitement tracé. Un large couloir vitré nous permet de longer les différents laboratoire et caves d'affinage et suivre ainsi toutes les étapes de transformation des fromages locaux. Ici on produit, le Livarot, c'est le roi des fromages, le Pont l'Evêque et l'incontournable Camembert. Un fromage plus discret aussi, le Neufchâtel. Dégustation, Sélection, Provisions....
Ça va fleurer bon dans le petit camion.
Cet apéritif gourmand nous a mis en appétit. Livarot ville nous accueille pour un pique nique champêtre au bord de La Vie. Je comprends l'attirance d'Alex pour cette petite ville. A la fois, charme et authenticité du pays d'Auge.
Mais n'oublions pas le village le plus réputé de France à travers le monde, grâce à son fromage, Camembert.
Un modeste musée pavoise à l'entrée du village, presque en face de l'église.
Nous flânons entre quelques fermes alignées sur la route principale. Pas âme qui vive, hors un tracteur qui ronronne dans le lointain. Camembert aujourd'hui compte 187 habitants pour une superficie de 10 km2.
Le camembert, fromage savoureux à la croûte fleurie doit son développement à Marie Harel et sa descendance. La légende dit (?) que cette digne femme aurait été conseillée par un prêtre Alençonnais qui fuyait la terreur dans les années 1796-1797. Elle l'aurait caché, il aurait bossé avec elle et lui aurait suggéré une manière différente de traiter ses fromages. Les paysans d'alors, auraient trouvé ce fromage exécrable et boudé son étal sur le marché.
Les anciens normands étaient-ils rebelles à la nouveauté. Ben oui, hein !
Cette réticence locale, a imposé à Marie Harel d'améliorer sa technique et de s'approprier un savoir faire tout personnel, si elle voulait continuer de vendre sa production et pas mourir de faim. Procédé toujours largement exploité aujourd'hui quoique pas mal industrialisé.
Des statues de cette dame remarquable trônent dans quelques villes du Pays d'Auge mais il a fallu attendre 2019 pour que son village s'honore de la sienne. Dans son écrin de verre, la somptueuse réalisation rouge et or (couleurs de Normandie) du sculpteur Nyl's nous éblouit. Cette Camembertoise élégante évoque peu une modeste paysanne des temps anciens mais plutôt un personnage chic prêt à défiler pour nous séduire. Magnifique !
18 juin 2022
Encore une belle étape sympathique d'une soixantaine de kilomètres, mollo, mollo, le petit camion. À quoi bon se précipiter, il fait si bon vivre en pays d'Auge. Nous nous arrêterons à proximité de Vimoutiers, dans une cidrerie, au bord des pommiers en compagnie comme souvent d'un âne affectueux. Je le soupçonne d'être tombé amoureux de Laurent. Mais ceci ne concerne que l'âne en question. Laissons-le à ses sentiments intimes.
L'accueil ici est très personnel. Didier, propriétaire jovial et communicatif vient tailler la bavette à bord, peu importe l'heure, apéro ou pas, il ne boit que l'eau. C'est le comble du cidrier.
- Attention nous dit-il, je suis à la fois pomiculteur et cidrier. Ben oui hein, je produis mes pommes et je fabrique mon cidre.
Jour de canicule normande. Lorsqu'il nous voit arriver, ruisselants de sueurs, d'une longue virée (60km), il nous offre de recharger nos batteries vélo. C'est un homme généreux et sage. Il nous considère un peu comme des illuminés. Vadrouiller sur un vélo, aujourd'hui, y'a que des touristes pour avoir envie de faire ça en pleine fournaise.
Cette exceptionnelle journée d'été, sera d'ailleurs la seule de notre séjour en Normandie. 26 ° de chaleur torride... 30 en début d'après-midi, mais, nous nous étions mis au frais à ce moment-là.
Cette sortie vélo est une voie royale. Elle est ombragée, elle longe des prairies, des champs de luzernes, des vergers. C'est vrai qu'il fait doucement chaud à 9 heures du matin. La brise normande caresse nos mollets.
Une odeur, qui évoque le monde équestre, invisible à travers les arbres, envahit la piste. Des hennissements implorants, des coups de sabots nerveux, qui s'enchaînent et se télescopent. Pas de doute, il s'agit d'un cheval très agité. Pour quelle souffrance ? J'aime pas trop. Je m'arrête et j'écoute. Je ne connais rien du monde chevalin. "Henni" soit qui mal y pense". Mais, ce n'est pas de la détresse que j'entends. Ce cheval module en mode mineur. Ses fins de phrase attendent une réponse. Serait-ce tout simplement l'impatience d'un étalon ? Aurait-il flairé la croupe ondulante d'une jument inaccessible ? Appel en forme de promesse ? Oui, c'est cela plus j'y crois, mieux je me sens. Elle est belle la musique du monde rural. Ben oui hein !
Nous avons roulé une trentaine de kilomètres, jusqu'à une auberge d'allure modeste, auberge de la Levrette à Saint Julien le Faucon. Ça c'est un restaurant extraordinaire. L'auberge est accueillante et fraîche. Nous sommes installés dans une salle à manger où s'exposent des puces, années 1900 à 1960... Orgues mécaniques ou pneumatiques, bastringues, pianos à rouleaux picots ou cartes perforées qui se déplient... une incroyable collection d'automatophones s'expose ici. Les sous-assiettes sont des 78 tours antiques, matériaux gomme-laque noire. Le vinyle n'a été commercialisé qu'après 1950. Nous sommes aussi surpris que charmés par cette ambiance surannée. Catherine, la patronne est à la fois discrète et taquine. Un bonheur de communiquer avec elle.
Lorsque nous avons bu l'apéritif, que nos commandes ont été prises, le silence de la salle à manger explose. Le bastringue et ses marionnettes envoient soudain leur musique rocailleuse. Ça joue magnifiquement faux. Nous restons subjugués, le regard tourné vers l'automate, l'oreille délicieusement grattée par des instruments barbares. Tiens donc, on appelle bien ça des orgues de barbarie pour certains d'entre eux... Ainsi à chaque étape de ce repas exquis, nous serons gratifiés d'une ritournelle ou l'autre d'un limonaire ou piano mécanique. La voix de son maître chevrote et grésille, et c'est délicieusement agaçant.
Plus tard, Michel, chef cuisinier aussi toqué que son chapeau nous fait visiter son antre, "La puce à l'oreille". On y découvre une immense salle de réception, encombrée d'autres instruments joliment restaurés, Quelle visite ! scopitones et limonaires, pianos mécaniques, tourne-disques antiques à pavillon immense, amoncellements de 78 tours, 33 tours ou 45. et autres babioles, dans un décor coloré, parfaitement entretenu. Nous croisons les portraits de célébrités oubliées. Qui se souvient de Lucienne Boyer, de Frehel, de Gaston Ouvrard, d'Enrico Caruso. Nous saluons des vedettes pas encore oubliées, Fernandel, Edith Piaf, Maurice Chevalier, Gainsbourg, Franck Sinatra, ... Marcel Âmont (comme on dit dans mon doux pays des Vosges) Tout un monde de chants et de music-hall. Un peu plus loin, nous retrouvons notre adolescence avec la fougue des rockeurs et des yéyés... C'est vraiment chouette.
Michel et Catherine, c'est un vieux couple incroyable. Aussi vieux que Laurent et moi. C'est vous dire !
Ils ont mis au point des soirées où tous les mécanismes se déchaînent.
- Pour animer les fiestas que nous organisons, j'arrive dans la salle sur un solex. J'ai troqué mon costume blanc de cuisinier contre la soutane noire et ma toque contre la barrette du curé. Ma femme, les instruments et moi nous assurons un spectacle loufoque et déchaîné.
Il coiffe son chapeau barrette, enjambe un tabouret. Il enclenche un piano mécanique dont l'engrenage discret nous échappe et fait semblant de jouer avec fougue et passion.... un air de Mozart grince e résonne dans les nombreux pavillons des phonographes qui nous entourent... Quel monde ! Clin d'oeil réjoui d'un boute-en-train fort divertissant. Nous avons passé avec lui, une bonne heure et demie très rigolote.
Michel nous a conseillé un détour par la Suisse Normande... que nous conseille aussi Didier le cidrier... Départ imminent....
Paroles de fromagers, richesses de Normandes laitières :
C'est un fromage à pâte molle et à croûte lavée, sableuse au toucher, d’un beau jaune-orangé. C’est un fromage de caractère à l’arôme prononcé et au goût puissant, évoquant la charcuterie fumée et des notes animales avec un affinage avancé. On le surnomme le Colonel en raison des cinq bandelettes qui l’entourent, originellement pour l’empêcher de s’affaisser durant son affinage. Ces bandelettes sont fabriquées à partir de laîches, des roseaux de marécage récoltés dans des lagunes, rassemblées en gerbe puis mises à sécher.
LE PONT L'EVÊQUE, un fromage qui a du piquant.
C’est un fromage de forme carré. Sa pâte est onctueuse, crémeuse, jaune, de consistance fine et lisse. Sa croûte est fine avec un léger duvet blanc sur une pâte très légèrement rougeâtre. Au fur et a mesure qu’il vieilli, il se corse et développe des arômes terreux et prononcé. Sa croûte rougit et devient collante.
LE CAMEMBERT, un symbole de la gastronomie française
Il est cyclindrique. Sa croûte fleurie de couleur blanche est couverte de moisissures superficielles. Sa pâte et ivoire à jaune clair, lisse, souple. ll présente des arômes légèrement salés de champignons et de moisissure, puis des arômes plus francs et fermiers avec davantage d’affinage, qui donnent par la suite des saveurs plus fruitées. En 1890, un ingénieur, dénommé Ridel, fils d'un ébénistre de Vimoutiers, invente une machine à fabriquer des boîtes rondes en peuplier, emballage toujours actuel.
LE NEUFCHÂTEL, un fromage qui a bon caractère.
Traditionnellement en forme de coeur. On peut aussi le trouver en carré ou en forme de bonde cylindrique. C'est un fromage légèrement salé à croûte fleurie recouverte d'un duvet blanc. Sa pâte est lisse et ferme mais elle reste souple, onctueuse et moelleuse. Encore jeune, le Neufchâtel se caractérise par un équilibre en bouche très frais établi à partir des saveurs acides et salées, des arômes de crème et de lait frais. La pâte est friable sous la langue. En prolongeant l'affinage, la croûte va se couvrir de taches des ferments du rouge, la texture va évoluer et devenir fondante. La fraîcheur va s’estomper pour laisser la place à des arômes plus prononcés, plus animaux.
La Suisse Normande, culmine à des sommets de 200 mètres d'altitude, moyenne plutôt à 170 mètres. C'est donc un environnement vallonné. Mais c'est surtout la vallée de l'Orne et de ses multiples ruisseaux qui ont ciselé les roches. C'est un paysage de dentelles enfouies dans les herbes et les branchages.. Les maisons posées dans cette verdure sont souvent en pierre claire, les jardins engazonnés parfaitement entretenus, pas une herbe folle. Belles demeures paysannes, manoirs à tourelles... C'est propre, c'est léché, une surprenante évocation de la Suisse. C'est le paradis du vélo.
18 JUIN 2022.
C'est par la ville de Falaise que nous entrons en Suisse Normande sous une pluie diluvienne. Choix d'un vaste camping municipal aux pieds des remparts, beaucoup de vide dans ce camping verdoyant. Le soleil tente une approche.
- Wouha, dis-donc, c'est pas la place qui manque ici. La saison touristique a du mal à démarrer on dirait. ?
Laurent avise un bel espace herbeux, fraîchement tondu, proche des sanitaires.
- Nous serons bien ici, en plus y'aura l'ombre des arbres l'après-midi...
- Tu crois qu'on aura besoin d'ombre, regarde le ciel.
- Si, si , si, encore un petit orage cette nuit mais demain il fera grand beau temps. C'est la météo agricole qui le dit.
- Oh, alors si la météo agricole le dit !
Manoeuvre facile, les espaces sont immenses. Je chausse ses sabots au petit camion. Laurent sort son antenne télé, qui ronronne et tournicote tout azimuts un long moment et... se replie. Bip, bip, bip dit-elle, pas de réception ici...Hé oui, les arbres font écran...et pas qu'au soleil. Laurent observe les espaces vides autour de nous, il se gratte les cheveux, attention il cogite dur.
- Faut qu'on déménage. C'est ballot de pas avoir la télé.
- Vraiment ! on la regarde si peu.
- On sait jamais. Et puis, si la pluie persiste, on a quelques films en réserve.
- Super, pourvu qu'il pleuve alors.
- Rigole, tu verras, c'est toi qui demanderas.
Nouvelles manoeuvres, nouvelle place. Malgré les cales, le petit camion donne de la bande à bâbord. C'est moche un camion qui gîte. On peut trouver mieux non ? Quelques tours de roues plus loin, zut nous sommes bien loin des sanitaires. Un p'tit tour dans les allées, voilà le lieu idéal. Il est quasi plat, sur une terrasse un peu en hauteur, sous un marronnier géant, vue imprenable sur le château... aucun voisin.
Très romantique notre soirée face aux flambeaux qui illuminent les remparts et les murs austères du château. Quoique, un peu fraîche, la soirée.
Au milieu de la nuit, la petite tempête annoncée se durcit. La météo agricole l'avait bien dit. Le vent ébouriffe les arbres. Les branches mènent la danse et la grêle sur le toit marque le tempo.
Super ambiance ! Ploc, ploc, ploc, cric, crac , ploc, ploc, ploc, cric boum....
- Laurent tu dors ?
- Comment veux-tu avec ce boucan ?
- Y'a pas que la pluie qui nous tombe dessus.
- T'as raison, je crois que notre toit fait sa récolte de bébés marrons.
- T'entends les branches basses qui récurent le toit ! Oh là, là, ça craint !
- Ouhais, j'aime pas ça du tout.
- On déménage ?
J'ai même pas posé le point d'interrogation que Laurent est déjà debout. En trois enjambées très lestes, il enfile un caleçon et se met au volant. Vite je me harnache anti-pluie. Je me jette dehors, dans les bourrasques. Le vent ronfle en puissantes rafales. Au loin, le tonnerre gronde. Très haut dans le ciel, les nuages qui se télescopent jettent quelques lueurs fugaces. Je suis nus-pieds, en pyjama, emballée dans un poncho dont la capuche ruisselle sur mon nez. La pluie me martèle le visage. Je suis complètement aveuglée par les phares. Laurent, le nez collé au pare-brise avance petitement, puis s'arrête. Il faut qu'il recule pour sortir de son emplacement. Je lui fais signe que je me range à son arrière tribord. Je dois repérer les branches trop basses et les éventuels obstacles, invisibles pour le pilote qui ne dispose pas de rétro intérieur... Ben oui hein ! Il faut avoir piloté cet engin pour réaliser que la vue arrière de la cabine est bouchée par l'habitacle. C'est un inconvénient majeur pour manoeuvrer. La caméra de recul ne montre que le sol et l'arrière du camion. Elle ne voit pas plus loin que le bas de son nez. Les risques d'accrochage sont hélas aussi en hauteur. Donc en reculade, c'est moi, le rétro. Je deviens sémaphore. J'adore ça. Laurent se plie sur son volant pour décrypter dans le rétro extérieur le bel alphabet que je lui dessine dans l'espace.
Vite au sec. Il est cinq heures et j'ai sommeil.
19 juin 2020
Nous prendrons notre petit déjeuner dehors sous le soleil du matin, emballés dans nos lainages.
À 10 heures, nous partons à l'assaut de Falaise. Longue montée vers la cité médiévale qui encercle le château forteresse (Xème siècle) de Guillaume le Conquérant, qui deviendra roi d'Angleterre. Une photo s'impose du fougueux roi sur son cheval armé. Il parade en face de la Mairie. Il ferait un peu peur.
Dimanche de Province. La ville est endormie, peu de monde dans les rues. Les boutiques sont désertes. Les portes sont closes. Seules des lampes discrètes éclairent les vitrines. Il n'y a pas un seul rideau de fer qui soit descendu. Les magasins ne sont pas barricadés. La ville n'est pas morte comme souvent ailleurs avec des rideaux de fer sinistres, qui bouchent les vitrines. Elles est juste endormie. Ambiance tranquille oubliée d'un dimanche urbain.
Nous flânons le long de l'Ante qui s'ouvre au bord du château de la Fresnaye, XVII-XVIIIème siècle. Ces immenses salles hébergent des expositions temporaires, des masters class, des artistes en résidence. En ce jour gris, Le grand parc est encombré de stands. Un vide-grenier géant s'y est installé. Peut-être pourrons-nous y boire un café... Entre les gouttes, nous déambulons dans les allées. Quelques chalands s'attardent au stand "café-grillades". Le bar ne fera guère d'affaires aujourd'hui. Il faut un certain talent et de la persévérance pour fouiner sous les bâches. Un soupçon d'éclaircie, vite on débâche. Nos cirés dégoulinent, et nous échangeons des banalités réjouissantes avec les exposants et les badauds. Les normands ne sont pas bêcheurs, ils ont l'âme rurale ou bien ouvrière, propre et honnête, un rien moqueuse. La pluie fait partie de leur quotidien, pas de quoi rendre la vie morose. Je me sens en confiance. Il y a en eux des ondes familières... Un peu de mon doux pays des Vosges, probablement.
20 juin 2022
Nouveau départ, vers le nord... plusieurs journées clémentes sont annoncées (par la météo agricole, bien entendu) Nous prévoyons de découvrir en vélo cette belle vallée de l'Orne, joyau de la Suisse Normande. A Saint Rémy, une aire municipale est ouverte au bord de la voie verte. Donc nous enfourchons nos bicyclettes.
Notre piste cyclable longe une ancienne voie ferrée qui serpente à travers la vallée. Nous devinons des ruines d'usines, briqueterie et métallurgie. D'immenses colonnes bouffées de rouille, des poutres explosées, des toits dévastés se disputent l'encombrement végétal. La bordure s'éclaircit. Une magnifique maison de maîtres, entourée d'un grand jardin à la française s'étale juste à côté de ce qui fut une usine... Et nous replongeons dans l'ombre des chênes, des hêtres, noisetiers et robiniers. De hautes fougères cachent la vie rurale qui nous entoure.
Un coq trompette au milieu de caquètements. Pour motiver la ponte des poules ? Les oiseaux en concert font silence dominés par les trilles vibrantes du rossignol. Une pause dans les trilles, le concert reprend.
Une sympathique odeur de laits fermentés nous fond dessus. Quelques tours de roues, le fond de l'air s'allège. C'est alors une fragrance acidulé de pommes, ... Laiteries, cidreries, cette vallée nous plonge dans des bouquets d'arômes. Je roule dans une totale ivresse.
Nous longeons l'Orne, autre ambiance. Ses rives ici sont dédiées à une multitude de loisirs aquatiques, rafting, canoying, navigations légère, pédalos, paddles, nages en eau vive, et bien entendu la pêche. Des bivouacs y sont matérialisés en grands nombres, pour les sportifs et les randonneurs. Solitaires ou en groupes, tous les accueil sont prévus, pour tous les goûts, toutes les bourses. C'est la première fois que je vois ça. Peu de touristes encore. C'est très tranquille. Un vrai paradis. C'est ballot, j'ai pas pensé à prendre un maillot de bain.
Notre boucle passe par Clécy, et son célèbre viaduc. Nous revenons Le Bô, le Pain de Sucre, Thury Harcourt... Détours et contours, un peu déroutants quelquefois. Entre Thury Harcourt et Grimbosq, un feu clignote au bord de la voie ferrée abandonnée... Ralentissement, arrêt... Un panneau annonce Tunnel du Hom. Nous n'avons pas le choix, notre voie deviens souterraine. Fichtre ! Il y fait complètement nuit, sur presque 200 mètres... J'en mène pas large, ma lumière n'éclaire que ma roue avant, la voie est caillouteuse. Je crains de frôler les rails et de me vautrer. Petitement, j'avance en serrant les fesses. Y'a belle lurette que Laurent a retrouvé la lumière du jour lorsque j'émerge enfin de ce cauchemar. Il m'attend tout sourire sous un panneau, que nous n'avons pas vu à l'entrée : "cyclistes mettez pied à terre pour passer le tunnel".
Tiens donc !
Mercredi 22 juin
Entre tartine et tartine, petit matin doucereux,
- Dis Laurent, ça fait plus d'un mois que nous sommes partis. Tu veux t'attarder ici ou tu préfères rentrer ?
- T'as pas envie de retrouver notre petite maison de Velaux ?
Ça c'est Laurent ! Il répond souvent à une question par une autre question. Je ne m'y ferai jamais. Question directe, légèrement orientée cependant.
- J'ai pas envie de rentrer. Et toi ?
- Je suis bien ici, mais je serai bien aussi à la maison.
Traduction, il a envie de rentrer. Je vais donc devoir quitter cette vie de vadrouille qui me convient si bien. Un jour ici, un autre là. Ne pas savoir l'après-midi où je dormirai le soir. Improviser des repas simples avec ce qu'on a, et souvent fort peu de choses. Le frigo n'est pas vaste. Rencontrer une brave personne, papoter quelques minutes et se quitter le sourire aux lèvres. Découvrir d'autres mondes, d'autres quotidiens. Et de longues virées vélo, ou pédestres. Lire ou écouter de la musique les jours de pluie. Qui sont finalement assez rares, même si le ciel est souvent gris. N'avoir que ça à faire... Peut-on rêver de meilleure vie ?
J'aime pas les retours, sentiment désolant de perte définitive.
Laurent me rassure.
- Oh, les vacances sont pas finies ! Y'a encore juillet qui est même pas commencé. Moi, j'ai envie de traîner en route. On va flâner en Touraine, dans le Cantal, dans les Cévennes...
Je négocie pour la forme.
- Maximum, 100 kilomètre entre deux étapes. Ça te va.
- Ça me va. Allez zou,
24 juin. Départ en douceur donc.
Notre première étape vers le sud sera à 40 km. Ça c'est de la distance !
Saint Christophe le Jojolet au sud d'Argentan. C'est la pause obligée des automobilistes, motards, vélocyclistes, des errants, et des "éperdus"... Saint Christophe étant le saint patron des voyageurs et des routards. Deux fois par an, un pèlerinage lui est dédié dans cette petite église nichée dans un vaste parc aujourd'hui désert. Laurent toujours attentif à mes petits bonheurs me propose un concert flûte, dans le choeur de l'église.
Image troublante, émouvante de Laurent qui entre dans l'église avec sa flûte à l'épaule, et les partitions en mains. J'entre derrière lui. Calée au fond de l'église, je me laisse porter par des lieux imprégnés de tant de prières. Laurent devant l'autel à trouvé un lutrin. Il feuillette son répertoire. ll ajuste sa flûte. Soudain, un son cristallin fuse à travers les pierres, puis les notes s'enchaînent sans hésitation. Je retiens mon souffle. Il va se lancer dans une impro. Dégringolade de notes qui cherchent à s'équilibrer. Le léger écho entre les voûtes (l'église n'est pas bien grande) donne de l'ampleur, de la profondeur aux aigus qui filent allègrement. Les graves reprennent, délicieusement feutrés, plus sages, et la montée reprend. Des mélopées nostalgiques, des hésitations comme s'il prenait son élan pour de tendres cascades. Quel heureux moment !
Ici s'achève joliment, notre tour de Normandie. Et un nouveau cap pour découvrir autrement, des régions déjà évoquées dans d'autres Coucounets, La Touraine, La Mayenne, Le Cantal, Les Cévennes.
Pendant ce long retour, Laurent investit d'autres églises ouvertes, souvent dans des petits villages. Il déniche d'autres campagnes, d'autres sympathiques accueils avec d'autres vélo-circuits ou pédestres. Pour le petit camion, d'heureux "mouillages" en forêts, en prairies, au bord d'un lac, le long d'une falaise... Autant d'aubaines, petits bonheurs semés sur cette route, qui nous ramènent mine de rien vers l'été provençal.
LE CAPITAINE ET SA SECONDE DOMINIQUE ET DANIELLE
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Laurent et moi, on se la coule bien douce ! |
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Lundi 6 mai 2013
Début d'après-midi sur la Petite Saône. Les pavés luisent encore de la dernière ondée, la base fluviale de "Locaboat", Scey sur Saône enfermée dans sa pluviosité.
Montons à bord. Petit tour extérieur. Notre embarcation, (11m*3,10m) ne me rassure pas. Les passe-avant, sont bien trop étroits, le passage arrière à peine de quoi poser une semelle. La secrétaire nous tend les clés : "Installez-vous en attendant que vos amis arrivent...!"
Entrons.
Hé, pas si mal, vaste poste de pilotage, (toit rigide et grande baies vitrées, incroyablement luxueux- on rigole parce qu'il y a des essuie-glace sur les "pare-brise")
Une petite marche descend à l'arrière, carré-cuisine, c'est vaste, propre. Par la coursive tribord, vers l'avant, on accède à un grand lit double, gentiment protégé par un beau rideau rouge, une alcôve en quelque sorte. Une porte sas, à tribord, le cabinet-toilette, wc marins, autre porte. La cabine avant nous paraît immense avec son lavabo, plein de placards, de grands hublots. Luxe d'une cabine de capitaine. Nous la destinons à Danielle et Dominique, respectivement second et capitaine de notre navire. Juste retour des choses. Ils ont bossé pour préparer ce voyage, ils en récoltent les avantages.
Et vive les moments d'alcove...
HALTE NATURE : On la trouve le long des prés et des champs ou en pleine forêt. Pas d'urbanisation à proximité. Juste les hérons, les canards, les oiseaux, quelques insectes téméraires, l'un ou l'autre papillon... Abords fraichement fauchés, juste un espace aménagé pour y planter nos piquets... Quelquefois un ponton, avec même tables-bancs rustiques. J'ai adoré ces pauses d'une nuit sereine et sage. |
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Corre sur Saône (Entrée du canal des Vosges |
A quelques pas de là, nous avons trouvé aussi l'un ou l'autre resto de campagne, une cuisine sympathique et bon marché. Le premier arrivé choisit le menu pour toute la soirée. C'est comme ça qu'on a eu droit à un menu chinois en plein milieu d'un bois rustique de haute saône dans un chalet incroyable de grumes de sapin brut. (Dominique veut pas que je dise grumeaux. Pourtant c'est joli des grumeaux dans la forêt, non ?)
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La Petite Saône
En sortant de la base de Scey sur Saône, première grande virée à droite, de grands espaces verdoyants nous accompagnent. Érables, chênes, hêtres, charmes et bien d'autres jolies variétés de bois, que Dominique très patient me détaille et que j'oublie aussitôt. Je suis en mode éponge et dans ce cas là, je ne suis capable d'aucun effort intellectuel. Je me perds dans l'arche ondoyante à la surface de l'eau. Nous approchons d'une porte, (elle permet de réguler les niveaux d'eaux en cas de crues). Ouvrage en pierre la plupart du temps, c'est un goulet qui s'annonce. Les arbres se rapprochent, les reflets dans l'eau s'étreignent. Étranglement de verdure prise à la gorge. La lumière s'assombrit. Ça me coupe le souffle. c'est notre première porte, c'est une porte bien étroite. Et pourtant.... |
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Notre pilote lentement nous y engouffre. On ressort aussi sec (si j'soe dire !) dans l'élargissement de la rivière. Accouchement sans douleur, même pas une contraction d'embarcation. |
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On n'entend pas le moteur alors le moindre bruissement nous alerte, les chants têtus des oiseaux dans les hautes branches, les feuillages qui se caressent. Le ciel se couvre ou s'éclaire... ombre et lumière... tout est magnifique. |
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Nous sommes au coeur d'une nature tranquille.Des ailes irrisent l'eau plate. Envolée soudaine d'un héron qui frôle les herbes de la rive pour se poser à peine plus loin et reprend sa pose minérale, jusqu'à notre nouvelle approche. |
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Couple idéal de Canard et Dame Cane qui palment à proximité, magnifique atterrissage en pleine eau... comme s'ils ouvraient la marche juste un peu plus en avant.
Ici la nature est onctueuse, pas très chaude mais enveloppante. Je me sens bien, mais bien... |
Elles sont vite repérables. A l'avant des portes, le pilote vise une perche souple qui pendouille au milieu de la rivière. Des fois, on oublie de ralentir, c'est juste pour le sport !1/4 de tour, un feu blanc clignote, le mécanisme est automatiquement enclenché. Y'a plus qu'à attendre, feux rouge-vert, mise en service, lorsque les portes sont ouvertes, feu vert, on s'engouffre dans l'écluse. |
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La hauteur des parois, peuvent varier de 1,50 m à 3,60 m. Lancer les "cordes" à quai devient un vrai défi. Il faut que la corde s'enroule autour du bolard, il faut pas que ça fasse de noeud, il faut pas lâcher les bouts... Danielle devient vite experte. |
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Nous voilà fermement cramponnés aux bolards, s'agit pas de mollir. Une tige le long du mur nous permet d'envoyer la bassinée. On monte lentement et les rives descendent vers nous. C'est marrant cette découverte de paysage à la verticale. On voit des toits, des clochers, puis des maisons montent de la terre, des têtes, et même des nains de jardins... Je ne m'en lasse pas. Les anciennes maisons d'éclusiers sont louées à des particuliers qui prennent grand soin des abords. |
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Au retour, on passe au niveau du quai, c'est moins rigolo de viser les bolards. La descente dans le fond de l'écluse nous cache le paysage de la même manière à la verticale. Fin de bassinée, On se retrouve le nez contre les parois ruisselantes, couvertes de lichens, de mousses, de boue, tout un monde qui grouille entre noyages et résurrections continuelles.
Pour passer une écluse il faut compter entre 8mn et 20 mn. Une seule fois nous sommes passés à deux embarcations. J'imagine qu'en pleine saison c'est moins décontracté.
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De l'aventure, que de l'aventure... Car y'a pas que les écluses, y'a un pont tournant à Selles, et la commande automatique des portes d' écluses. A la place de la perche, une télécommande (qu'un charmant garçont plein de grâce nous remet gracieusement), on repère un espèce de boitier sur les berges, faut pas le louper mais c'est pas un radar... y'a le tunnel Saint Albin à proximité de Rupt.
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Les villages que nous traversons, où quelquefois nous débarquons, un p'tit "tour'isme" de rues, un p'tit tour'nain de jardin, un p'tit tour à tour de commerces (enfin ça on aurait voulu mais la plupat du temps on ne commerce plus dans ces villages et les belles vitrines en bois poussiéreuses sont à l'abandon) De belles fermes sont rénovées, les immenses portes de granges arrondies deviennent de magnifique baies vitrées, les crépis et ciments gravement décrépis ont été gratés et beau grès rose local fait son apparition de plus en plus.
Entre ruines et opulence, les maisons affichent les mutations de villages paysans devenus dortoirs. |
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Lorsque nous débarquons à Fontenoy le Château, l'ambiance change. Là ça vit, ça s'adapte au tourisme local. Les rues, les vielles maisons, presques toutes restaurées dans le respect des vieilles pierres. Nous sommes tous les quatres enchantés et on ne se lasse pas d'y flâner. On y traîne, on y hume, on s'y émerveille. et c'est dans les Vosges à quelques écluses d'Epinal.
C'était là, le paradis à la portée de nos souliers. |
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à fouchécourt |
Nos escales : FOUCHECOURT-DEMANGEVELLE- CORRE- MONTUREUX -SELLESCONFLANDEY- LE MAGNY- FONTENOY LE CHATEAU 136 KM - 34 ÉCLUSES - 4h40 de navigation en moyenne par jour. Météo nuageo-pluvieuse avec de belles éclaircies. On n'a guère quitté les polaires, les cirés ont été utiles, à peine humides, c'était juste une précaution. Nous n'avons pas eu froid. On avait le chauffage dans notre maison flottante. |
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Rien à voir avec les conditions de vie en mer...Incroyable révision-révolution de notre langage, ici "on jette les cordes autour des bolards"... Vous imaginez, des cordes.... y'a que des cordes à bord ! Une fois adopté ce mode de vie, je me sentais tranquille, rarement aussi détachée des choses et des évènements. J'adore cette vie sans bousculade, sans informatique, sans téléphone, sans surprise avec juste un tour d'hélice après l'autre, les arbres qui nous caressent. Et puis, la plus étonnante surprise, c'est l'aspect merveilleux du portage, Totale confiance en Danielle et Dominique qui ont pris en charge toute l'organisation de cette sympathique échappée... De si beaux, si bons amis...
Nous avions à peine jeté un oeil sur les document qu'ils nous ont transmis. Surtout pas prendre le risque de n'être pas surpris. Pas savoir à quoi s'attendre, fastoche puisqu'on ne s'occupait de rien. Nous avions vaguement l'idée que nous visions la Bourgogne. J'ai d'ailleurs dit à tout plein d'entre vous que nous partions explorer la Bourgogne.... C'est quand nous avons pris la direction de Vesoul (guidé par le GPS qui ne voit pas plus loin que le bout de son écran) que nous avons réalisé que nous allions en Haute Saône....
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DÉPENSES GLOBALES : LOCATION PÉNICHETTE, ASSURANCE ANNULATION, FORFAIT SÉRÉNITÉ (Nous avons choisi le forfait par paresse et par commodité, toutes les procédures de retour du bateau sont simplifiées, (pas de nettoyage,forfait gaz'oil, parking gratuit 1 voiture, 1 vélo gratuit...etc) Dans le détail, nous sommes souvent perdants mais dans la globalité, quelle sérénité ! CARBURANTS + PÉAGES DE VELAUX À SCEY SUR SAÔNE AVITAILLEMENT ET RENOUVELLEMENT TOTAL POUR DEUX PERSONNES : 1172 € ou pour une personne : 586 € la semaine tout compris depuis Velaux |
Quatre semaines entre Dakar, Popenguine et Saint Louis
15 décembre 2009 - Dakar
Nous avons réussi notre arrivée à Dakar et dans de bonnes conditions, voire excellentes, malgré mon état de santé plutôt déficient. Toux persistante, épuisante, état fébrile. Une radio d'urgence 24h avant notre départ met en évidence une pneumopathie. C'était bien le moment. J'ai donc embarqué mes bagages avec les piqures, les seringues, la poudre blanche. Tout est passé comme une lettre à la poste en douane. Malgré mon extrême fatigue, je me sens vraiment euphorique. Et puis, je prends ainsi spontanément le rythme lent qui s'impose sous le ciel, tout en couleur locale, ça me va.
Allez une image saisissante de mon arrivée. Nous débarquons un peu sonnés de quelques heures de vol et d'une plombe d'attente à la bagagerie... D'un coup, nous voilà seuls au monde noyés dans une foultitude de couleurs et de mouvements... Vite de l'air ! Ouf.
Une horde de taxis jaunes et noirs s'impatiente le long du trottoir. On se dégage de la cohue qu'on laisse à babord, coup d'oeil à l'arrière, c'est tout bon. Laurent suit en tractant sa charrette...
Une immense place cadrée de barricades basses. Au milieu trois gros fourgons sanitaires isolés et incongrus. Et tout autour des centaines de familles agglutinées qui piétinent, s'interpellent en scrutant les portes de sortie de l'aéroport. Comment peut-on rassembler autant de personnes en attende de leurs immigrés ? Je passe en mode totale réception. Une grosse bouffée d'air estival. J'aime bien ce sentiment de plus savoir où je suis. Il faisait 25° à l'arrivée vers 10h du soir.
Hier découverte à pieds de Dakar... en même temps, monter dans un de ces magnifiques bus, ça nous démange.
On va, on zone, on s'imprègne. Si ce pays n'est pas neuf, il est parfaitement nouveau et ce pays nous plaît.
Popenguine, 19 décembre 2009
C'est avec enthousiasme que nous quittons dimanche après-midi la bousculade de Dakar. Déambuler à travers la ville relève du défi et notre position de toubab (porte monnaie sur deux jambes) n'est guère confortable.
"On est vraiment casse-couille Madame, mais on n'est pas méchant !" nous a déclaré un sympathique Dakarois.
Popenguine est un village formidable et la maison que nous louons est exactement ce qu'il nous fallait malgré son total dénuement.
Nous ne sommes pas surpris que la radio ne fonctionne pas, que les canisses sur la terrasse soient en ruine, que le portillon soit démantibulé, les volets déglingués par l'hivernage, que les dalles d'accès à la maison branlent allègrement, que les ampoules pètent quand on appuie sur l'interrupteur. Le pince fesse ici se joue dans les toilettes. Ainsi en va-t-il de la vie africaine ! Les coupures d'électricité sont quotidiennes et de préférence entre 19h et 23h. Dîner aux chandelles chaque soir, j'en connais de plus malheureux. C'est en général au moment délicat où tu retournes ton poisson dans l'huile chaude ou que tu veux te savonner sous la douche que la lumière s'éteint. J'adore !
Le moment béni est celui du petit déjeuner. Le soleil est encore dans les nuages et la température est très douce (25°) avec en prime l'air frais de la mer. Vue imprenable sur les pirogues qui partent en pêche. Ici le poisson est l'aliment de base et on en mange tous les jours.
Par l'arrière de la maison nous passons notre portillon un bel escalier privatif nous descend directement sur la plage.
De gros rochers cassent les vagues et lorsque la marée monte l'écume lèche les marches des escaliers. Nous sommes bercés en permanence par la rumeur sourde de la mer. Il m'arrive encore de me réveiller la nuit fort surprise que le lit ne bouge pas car je ne sais plus quelquefois si je suis en mer ou à terre. C'est un total apaisement et les nuits sont magnifiques.
Nous avons fait plusieurs visites au campement de Keur Kupan. Lundi matin nous allons revoir Oulimata pour envisager l'avenir. Ici les choses se mettent en place doucement et les décisions se prennent avec un flou très artistique. Entrer en action est une autre affaire. Ce n'est pas encore à l'ordre du jour.
Nous avons visité la réserve naturelle, en soirée au moment du coucher du soleil, petit coin de paradis à Popenguine.
Des nuées d'oiseaux noirs et bleus, jaunes et verts, rouges et verts, des gros becs noirs, des larges becs rouges, des plumages argentés. Ils peuvent être comme nos hérons ou échasses, mais ils sont aussi très exotiques avec des noms de rêve, roullier d'abyssinie, Kaloa bec rouge, merle bleu, merle argenté... et un dont j'ai oublié le nom qui fait semblant d'être un cygne.
Merle d'Abyssinie et Koala bec rouge
Nous rencontrons tout plein de monde et je prendrai le temps de vous en parler, un peu plus tard car c'est un enrichissement qu'il faut réfléchir et qui me remet en question.
Hier soir, une belle entrée d'air maritime a porté des nuées de papillons blancs sur la terrasse. Il en arrivait de partout par gros paquets. C'est bientôt Noël et à Popenguine il neige des papillons.
Popenguine, 24 décembre 2009,
Au moment où j'inscris la date, je réalise que c'est Noel pour vous tous. Je vous imagine dans vos boutiques, dans vos préparatifs de soirée festive, oh les pôvres, à vous cailler les miches sur les trottoirs encombrés. En même temps je suis au clavier, la chaleur est déjà de 30° et la mer gronde contre les rochers. Quel sentiment étrange que ce partage de sensations entre ici et là-bas.
Donc ici, les gens nous ont repérés. Les enfants ne nous interpellent plus, "bonjour Toubab !" Nous sommes en nette progression. Ils nous appellent par nos prénoms.
Ah l'incomparable réconfort d'être reconnus !
Nous avons fait une rando jusqu'à la lagune de la Somone. Nous avons choisi de traverser la réserve naturelle plûtot que par les rochers. Laurent souffre toujours de son genou et le crapahutage nous a paru formellement déconseillé. Deux heures de belles enjambées à travers la brousse c'était déjà un gros effort. Au sortir de la réserve on entre dans le village de Guéréo par le nord. Une dizaines de femme s'activent en plein soleil. Elles ont étalé à travers un vaste espace de rochers leur séchage de poisson. Les enfants sortent de l'école et nous interpellent joyeusement. Nous voilà régressés au rang de "toubabs". Le village est superbe, de belles petites échopes, des maisons proprement alignées. Une vie tranquille et laborieuse. Notre arrivée y apporte de l'exotisme.
Au bout du village nous trouvons une charrette qui va nous conduire à la Somone à travers les palétuviers.
Repas de lotte grillée et patates douces à l'abri d'une paillotte sur la plage.
Laurent et Brigitte qui ont adopté la Gazelle (bière locale plutôt douce) en guise d'apéro ont les jambes un peu molles au retour. Et puis le début de l'après-midi, ça cogne sec depuis le ciel. La brise d'Est qui souffle presque en permanence est un vent de terre. La sensation de frais n'est qu'illusoire. Il faut attendre la fin de l'après-midi et la renverse d'air maritime pour avoir un peu de frais au moins 5 minutes, juste le temps de prendre froid. Mais où sont nos petites laines ?
On évite en général de s'allonger sur le lit pour se détendre au moment le plus chaud de la journée. C'est étouffant. les draps et les matelas sont affreusement chauds. On en pique ici des suées, j'espère que c'est salutaire.
Nous sommes invités à droite et à gauche, pour un repas pour un thé local... Nous rendons la politesse. Du coup notre vie sociale s'enrichit en permanence.
Deux personnes partagent notre profonde sympathie. Sidi, le jeune Mauritanien bijoutier qui n'hésite pas à faire 20km à pied s'il sait qu'un charter de toubabs est annoncé dans les villages voisins.
Et puis, l'incontournable Hubert, notre futur tailleur... Je suis en affaire avec eux, mais nous n'avons encore rien défini de précis... J'aime cette promesse de négociations qui prend le temps de se réaliser et de parler d'autre chose.
Nous sommes allés à Thiès avec Birane, il nous a pilotés toute la matinée à travers l'immense marché. J'ai fait provision de légumes et de fruits. J'ai aussi acheté du beurre de karité pour Alex et Karine... Les garçons entraînez vous à l'art du massage tout en délicatesse. Vous aurez bientôt besoin de maîtriser cette technique pour vos dames.
Sur le marché, c'était curieux les négociations entre le vendeur, Birane et nous, toubabs qui payons le tarif toubab, bien entendu. Je précise à chaque fois que je suis toubab français, pas toubab américain, faut pas exagérer non plus. Les vendeurs trouvent ça très comiques...
Avec Oulimata et le campement des femmes nous avons réfléchi. Nous avons aussi rencontré le Principal du Collège. Nous avons beaucoup discuté avec Birane et sa femme. (ils viennent manger à la maison la semaine prochaine). Nous sommes Laurent et moi très dubitatifs quant aux grandes idées sur la manière de venir en aide à ces hommes et à ces femmes qui vivent de si peu. Telles que nous voyons les choses depuis notre opulente Europe, nous sommes vraiment à côté de la plaque. Dans l'immédiat après concertation avec les actifs du village, nous avons réorienté notre projet de partage avec le village.
Nous avons passé une matinée sur le travail des "pare feux"avec les jeunes du collèges. Débroussaillages des herbes sèches tout le long de la clôture qui protège la réserve. Nous avons des rendez-vous pris avec les adultes bénévoles de la Réserve et dans les villages voisins. Je vous en reparlerai plus tard.
Depuis quatre jours, (c'est aujourd'hui le dernier) Nous essayons Laurent et moi de comprendre le phénomène "n'deup". C'est un évènement rare, il concerne une femme du village "malade dans sa tête". Elle est en quelque sorte habitée par un esprit malfaisant qui la détruit. La communauté a décidé de la soigner collectivement. On fait venir un groupe de musiciens (sept tam-tams de formes et gabarits différents) on fait venir une guérisseuse qui prend les choses en mains. Une partie des cérémonies se passent dans la maison de la malade. C'est un rituel compliqué. On sacrifie une chèvre, des poulets blancs. On prépare de la nourriture pour les offrandes, lait caillé, fruit de Kola, et puis de l'eau "sacrée".
Il y a trois cérémonies par jour, une vers 11h le matin, une vers 17h le soir et une la nuit.
Les femmes et les enfants se rassemblent en cercle devant la maison de la femme "possédée". La plupart apporte chaise ou tabouret. Le guide de cérémonie matérialise un petit espace au milieu de ce cercle d'environ trois cents personnes. Il y verse de l'eau sacré, du lait caillé et un espèce de cône planté dans la terre. Les musiciens s'échauffe mollement. Ca démarre un peu dans la confusion. Les femmes installent leurs petits confortablement contre elles, les plus jeunes s'installent par terre, on échange les derniers potins. Une bonne heure pendant laquelle on prépare la malade dans sa maison. Puis d'un coup les tams-tams s'harmonisent, les sons giclent avec violence et le rythme s'accélère. Une femme puis deux, puis trois se lancent sur la piste. Elles se déplacent en tournant autour du cercle sacré, leurs pieds battent le sable, la danse devient frénétique. D'un coup l'une envoie sa tête dans tous les sens, ses yeux se révulsent. elle jette ses bras vers l'avant, vers l'arrière, vers le sol. Plus vite, toujours plus vite. Plus fort, toujours plus fort. Elle court en titubant à travers la piste. Elle s'affale. Tout son corps est agité de spasmes. On l'asperge d'eau sacré, on l'aide à se relever, elle repart sur la piste, plus violente encore. Visage vers le ciel, elle hurle des sons étranges. Le public rigole, elle doit dire des obsénités. Elle lève ses jupes, elle balance ses cuisses dans tous les sens. Elle est effrayante. Des 'meneuses" (je ne sais pas comment les appeler" gardent le contrôle de la situation. Elles arrosent les femmes qui dansent, elles les arrêtent si elles se jettent sur le public, elles rafistolent leurs tissus qui glissent et se dénouent. Un des musiciens harcèle l'une au l'autre avec un tam-tam au son très métallique... Elle se retourne vers lui et tout en gesticulant se rapproche et s'affale dans ses bras. Deux ou trois femmes essaient ainsi d'entrer en transe avec la malade. Pendant tout le temps de la danse, elles sont aspergées d'eau sacrée. La nourriture passe entre les chaises ainsi que la calebasse de lait caillé. Les tams-tams assourdissants sont soutenus par les mélopées des femmes qui facilitent par leurs incantations l'entrée en transe. C'est une démonstration magistrale de la puissance collective. C'est un vrai travail sur le mental. Nous n'avons pas compris tout le rituel, mais à un moment, la musique s'est arrêtée. En en quelques secondes la place s'est vidée. De toute évidence, personne ne souhaite s'attarder sur les lieux du rituel. Les visages familiers nous ont salué rapidement et se sont échappés. Nous nous sommes retrouvés tout seuls sur la place les oreilles vibrantes, à plus trop savoir quel était ce silence étouffant ni à quel monde nous avions échappé.
Germaine ton pays est magnifique,
Merci à toi et à Pierre de nous y avoir initiés.
Premier janvier 2010, c'est l'heure de la sieste pour les uns, l'heure courrier pour d'autres, pour moi l'heure de revivre en images quelques moments de notre bonne et belle vie autour de Popenguine.
D'abord une belle virée en vélo (loué gentiment à Birane, 2 euros par jour, deux vtt flambant neufs, version sénégalo-chinoise, option homme, option dame, plus de vitesses que je ne saurais en compter...) La route goudronnée qui sort de Popenguine, puis une piste qui longe la mer.La piste tantôt parfaitement damée, tantôt de sable fin que le vent a dispersé en vaguelettes très casse-binette... Et raide au pédalage. Une dizaine de kilomètres de suées fort sympathiques, (même sous le chapeau peul destiné à Olivier, un peu usagé mais authentique... L'homme qui me l'a vendu assis au bord de la piste, le portait sur la tête. Dures négociations dans un langage approximatif. Je le quitte fort joyeuse, la tête un peu lourde, mais enchantée par ma négociation. A voir le large sourire du berger, aucun doute je me suis fait avoir. Et ça me comble de joie !
La brousse est un vaste espace d'herbes sèches très hautes, d'acacias et de baobabs centenaires. Bientôt les baobabs auront perdu leurs feuilles de lourds fruits oblongs qui pendent tomberont au sol. Une fois bouclé ce cycle, ils seront prêts pour subir la saison sèche sans dommage.
Lorsqu'une voiture nous double ou nous croise on traverse un écran de poussière, ne restons pas sous son vent ! Les ânes très élégants avec leur encolure marquée d'une belle ligne sombre, broutent dans la poussière. Nous croisons des carrioles, des chars à bancs, tirés par des chevaux,qui ont la taille des ânes. On slalom d'un bord à l'autre de la piste en fonction du relief du sable et les charrettes aussi... Où croiser un véhicule est la question jusqu'au moment où on frôle la charrette. De grands saluts, que de la joyeuseté sur la route.
Cependant, à l'entrée du village le comité d'accueil me préoccupe : un gros troupeau de zébus blancs qui occupent toute la piste. De loin, ils ont l'air placide... De près je les trouve trop gros... J'en mène guère large et je descends du vélo avant de traverser le groupe. Pourvu qu'y en ai pas un, en manque d'affectif et qui voudrait m'enlacer avec ses jolies cornes si largement arrondies vers l'avant.
Au bout du troupeau alors que je remonte sur le vélo vraiment soulagée, c'était pas si terrible finalement, un coup de guidon intempestif me permet d'échapper au gardien qui fait des moulinets en l'air avec son coupe-coupe. Échapper aux vaches africaines et se faire pourfendre par un Sénégalais maladroit... ou rigolard !
Autre jour, Une virée avec Wulimata à la rencontre des villages de brousse. Qu'il y ait une éolienne pour tirer l'eau au robinet du puits ou que les femmes montent les seaux à la force des bras... C'est d'abord et avant tout du labeur joyeux et plein de couleurs. A proximité du puits un homme étrille son cheval. Qui ne se soucie que du seau dans lequel plongent ses naseaux. A notre approche il relève sa gueule ruisselante, le poil d'un beau brun soyeux... Encore un qui trouve la vie bien belle en cet instant.
L'un des hommes nous explique que l'éolienne c'est pas le Pérou, car s'il n'y a pas de vent, il faut aller chercher l'eau à pieds au village voisin.
Chez les voisins, ils ronchonnent contre l'éolienne qui les nargue, parce que ceux là quand y'a panne de vent, ils viennent prendre leur eau... Du coup, il peut arriver qu'il n'y ait d'eau pour personne car le puits n'est pas en réserve pour deux villages. Hé oui, à chacun ses parasites. Ici ce n'est pas le pain que l'étranger te prend dans la bouche, c'est l'eau ! Mais eux je les comprends, ils ne vivent pas dans l'opulence !
A la sortie du village sous les baobabs, d'énormes tas de mil ou de sorghos. Laurent s'essaie au battage comme un vrai de la brousse. Aïe mon dos ! C'est plus de son âge. Il est vrai que ce sont de jeunes hommes qui se relaient pour ce travail fastidieux et épuisant. Le long bâton épais qui sert de battoir n'est pas un outil de rêve. Plus loin, des femmes debout devant un mortier en bois pilent les graines pour les décortiquer. Elles se relaient au pilon. Dans un autre groupe elles sont assises en rond au sol, leurs bébés collés dans le dos. Elles vannent avec une grosse calebasse évidée.Des poussières de son volent comme de minuscules mouches et les enrobent de nuages gris.
Il est pas loin de midi, la chaleur est étouffante et ça bosse tranquillement mais sans répit sous la protection des baobabs.
Nous rencontrons des gens souriants, aimables qui ouvrent leurs portes. Nous reviendrons les voir la semaine prochaine, après les fêtes.
Notre vie sociales prend une belle envolée. Nous voilà invités à un mariage Serère. Je n'ai pas tout compris du rituel d "intronisation" de la mariée avec les femmes, ça prend un temps incroyable, ça mériterait un coucounet pour lui tout seul ce mariage.
Ensuite, un peu de tourisme dans l'île magnifique si bien préservée de Fadiouth, l'île aux coquillages. Le tourisme y est magistralement contrôlée.Visite guidée obligatoire. C'est la version africaine de Riquewhir ou les Baux de Provence. C'est magnifique. Une sorte de musée en plein air, greniers à mil des temps anciens qu'un conservateur entretien et protège sous l'oeil placide des oiseaux de la mangrove.
Nous sommes entrés en début de soirée en pirogue, soleil couchant sur la mangrove.
Dans le village harcèlement commercial inévitable. Nous avons perdu Laurent pendant une bonne dizaine de minutes. Il finit par nous rejoindre vraiment très content de lui. Il a troqué un magnifique (?) masque en bois et se pointe en traîne savates des tongs infâmes, couleur verte, aux pieds... Super Laurent se met au rythme local.
- C'est quoi cette horreur, t'es fou d'avoir acheté ça ?
- Je l'ai troqué
- Troqué ?
- Oui, j'ai filé mes chaussures contre l'objet d'art (?) et les tongs du vendeur. Je voulais pas acheter et mes chaussures lui plaisait tellement... Il les lui fallait absolument pour le 31 décembre. Il était certain qu'elles allaient lui assurer un énorme succès pour la soirée. Y'a pas d'mal à faire plaisir !
En voilà un beau souvenir de vacances ! Avec le lourd chapeau paysan, nos bagages vont s'alourdir considérablement.
Pourvu que Laurent ne troque pas sa flûte contre un balafon !
Salut les Hivernois,
Allez, zou, encore un excellent moment de vie à Popenguine pour vous réchauffer les zygomatiques et c'est au cinéma au coeur du village, sous l'arbre à palabres que ça se passe.
Hé oui, séance fin d'après-midi pour les petits avec "le livre de la jungle" ; séance en soirée pour les grands avec "tableau ferraille".
Dans l'après-midi, le réalisateur Moussa SENE (né dans la banlieue de Dakar en 1958) et son équipe très professionnelle, bien rodée aux techniques locales, (ils sont deux technos) ont installé un immense écran de tissu blanc tendu entre deux poteaux, au fond de la place du marché juste sous la pharmacie. Des bancs, des chaises ont été alignés en demi-cercle par un peu tout le monde. Ici on va au cinéma avec son tabouret sous le bras, une chaise pliante, voire un fauteuil et des coussins... Il faut savoir que la projection est gratuite ce qui autorise à chacun de placer le luxe de sa place comme il le souhaite. Moi, j'ai prévu de m'asseoir par terre pour être bien devant.... L'agitation est fort sympathique, vivement ce soir.
21h, nous guettons depuis la terrasse les bruits ambiants guère différents du quotidien, ânes, cris d'enfants, rares voitures, cloches du couvent... Nous décidons d'aller faire un tour (une centaine de mètres) jusque sur la place. Silence totale, chaises vides, pas âme qui vive, ni chat, ni chien, pas l'ombre d'une chèvre. L'écran est tout blanc, tout propre, stérile. Il ne se passe absolument rien ici. Peut-être que ce n'est pas la bonne heure, pas le bon jour. Retour à la maison. Nous gardons l'oreille aux aguets.
22h, nous croyons percevoir une sorte de rumeur, des grondements, des piaillements. Mais les vagues sur les rochers nous perturbent, nous doutons. Retour sur la place. En quelques enjambées impatientes nous déboulons sur une place noire de monde. Des enfants pour un bon tiers du public... Tous les sièges sont occupés, bien des gens debout. Nous nous approchons. Moussa est devant l'écran blanc, face au public. Il parle en wolof. On distingue à peine ce qu'il dit, d'ailleurs je n'ai pas tout de suite saisi qu'il ne parlait pas en français. Le bruit ambiant est énorme. Ça discute, ça crie, ça se bouscule, ça gesticule et ça s'interpelle. Quelqu'un nous fait signe d'avancer. Les enfants assis sur la dernière rangée de chaises sont vivement expédiés ailleurs.
- Allez ouste, c'est pas pour vous, la séance du soir, laissez la place aux grands (ça me fait plaisir d'être traitée de "grande")
Les gamins se faufilent entre les chaises, prestement casés au mieux. L'orateur commence à manifester de l'agacement. Il fait de grands gestes, de grands pas face au public, il essaie d'interpeller, de retenir l'attention.
... Bon, puisque personne n'écoute je continue en français.."
Super qu'on se dit Laurent et moi. On va savoir de quoi il cause. Mais vu le bruit ambiant et les sonorités particulières du sénégalo-français, on capte rien du tout à son discours. Il semble que l'ensemble du public se désintéresse aussi de ce monologue.
Mousssa lève les bras vers le ciel, "Et M... j'abandonne, envoyez le film !"
Le public se calme un peu, puis tout à fait. C'est presque incongru ce soudain silence, à peine le temps qu'on s'étonne. Des murmures reprennent, à droite, à gauche, un peu partout. Puis un éclat de rire, un autre, quelques autres... Mais bon, on peut suivre l'intrigue et très vite les images nous captivent. Enfin quand y'a pas de voiture qui passe. La route est juste derrière l'écran alors il arrive que des phares éblouissent et on ne voit plus rien du tout pendant quelques instants. Mais c'est hors écran que nous sommes le plus fascinés. Il y a maintenant des scènes un peu crues... On ne comprend toujours pas les dialogues en wolof vaguement sous-titrés en français très approximatif. Mais la gestuelle des acteurs, les mouvements, les expressions sont très explicites. Un mot, un geste, les gamins hurlent de rire, ils crient, ils se tapent sur les cuisses. Les hommes engueulent une actrice qui paraît être une vraie putasse.... elle malmène un brave ministre intègre... si si si ça existe au Sénégal, au cinéma. Les femmes poussent des petits cris et chuchotent. Le long de la route, les moutons poussent des bêlements réguliers, les chèvres donnent la réplique... qui ponctuent efficacement les dialogues. L'action se complique, les relations entre l'homme et ses deux femmes sont tendues. .. trois ânes passent derrière l'écran, leur silhouette est fantastique. L'un d'eux un peu plus curieux passe la tête sous le drap, pardon sous l'écran. Hilarité et adhésion totale du public.
Le bestiau nous brait un bon coup dans les yeux... Les deux potes de l'âne font le tour et passent devant l'écran. C'est du cinéma 3D mais La compréhension des images se compliquent. Un gamin assis par terre rampe un peu trop vite pour les chasser. Il s'emmêle les pieds, les mains, la tête dans les connexions du lecteur vidéo. ... Ecran noir. Mais où est la télécommande ? Moussa revient devant le public hilare.
"J'ai oublié la télécommande chez moi. Nous allons résoudre facilement cet incident. "
Il tergiverse avec les techniciens. On attend, on papote, on s'informe, on rigole. On en profite pour connaître les derniers potins. Quelqu'un fait passer des biscuits, des dattes. C'est l'entracte en quelque sorte. On est vraiment bien là au chaud sous le manguier.
Nouvelle intervention de Moussa "nous allons chercher la télécommande à la maison, on ne peut pas faire sans. Attendez nous quelques minutes, ce ne sera pas long". Puis il s'éloigne vers sa voiture avec les techniciens.
Alors, les spectateurs qui n'ont vraisemblablement pas tout compris quittent progressivement leur place. L'espace se vide dans la bonne humeur et comme chacun sait, la bonne humeur c'est contagieux. Donc l'espace se vide. Vraiment c'était un excellent film, nous aimerions voir la fin . Nous attendons stoïques. Lorsque Moussa revient après plus d'une demi-heure, (nous sommes trois sur les bancs) et il annule la séance.
Le soir suivant, "Madame Charrette" nouvelle projection, toujours avec Moussa qui est héroïque dans son genre. Au 1er tiers du film, coupure de courant, je m'étonnais aussi que ça ne soit pas arrivé la veille.
Quand Popenguine fait son cinéma, c'est dans la joie et l'insouciance. Le réalisme illumine la fiction, les acteurs hors écran sont époustouflants de naturels et les images 3D ne sont pas virtuelles. Quant au spectateur, il ne sait absolument pas ce qui l'attend. C'est du cinéma à haut risque.
Pour les jours prochains de nouvelles rencontres sont prévues dans les villages de brousse et une grosse journée avec les pêcheures de Guéréo. Et puis toujours notre intense vie sociale associée à de rares moments touristiques. Toutefois nous avons prévu une escale d'une journée à Saint Louis avec Birane et Diarhère.
Le temps se rafraîchit et les moustiques se planquent. 30/32 ° dans la journée et autour de 20 °le soir.
Les codes de fonctionnement, le rythme du quotidien, tout ce qui manque de superflu, tout ce qu'on gagne d'essentiel.... nous apprenons une autre vie et nous aimons cette vie là. Notre retour est imminent. Ce sera étrange l'opulence dans la petite maison de Velaux.... JanouB
Rencontres avec les artisans et artistes locaux du marché de Noel qui a retrouvé toute son authenticité.
Place Brogli Portail du marché aux sapins, aux décors, aux santons et aux friandises.... |
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Autour de la Cathédrale |
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En attendant Noël |
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dehors avec
le soleil
ou la nuit
d'hiver |
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février 2015
Fin février, relations familiales en berne pour Laurent, appel au secours de sa maman, nous décidons de répondre à son appel. Je l'accompagnerai. Mais ma volonté inébranlable est de demeurer hors de leur circuit familial. Ainsi fut fait. 25 février, 9h du matin, cap sur Strasbourg, face au mistral. Dommage qu'on puisse pas tirer des bords, on économiserait le carburant. |
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Pendant qu'on avale les monts et les vaux, il faut que je vous parle de Claudine, car elle sera le refuge de cette escapade. C'est une petite dame de la soixantaine. Nous avons été très intimes toutes les deux dans les années 1975... Nous avons vécu ensemble nos premières amours... Ma confiance en elle était totale. 15 ans, 16 ans, 17 ans, j'étais si jeune. Claudine m'embarquait avec ses "vieux" copains, (plus de 20 ans souvent) j'étais un peu la petite soeur dont on ballade l'innocence avec respect. Quelle chance pour moi d'avoir partagé avec eux ces beaux dimanches. Claudine était douce, compatissante. Elle n'a pas changé. Elle est toujours aussi généreuse, franche et honnête... Je ne lui connais aucun défaut pourtant je l'ai pratiquée de très près et dans maintes circonstances compliquées de mon adolescence. En face d'elle je me suis toujours sentie comme une sorte de bulldozer. |
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C'est donc elle qui met son appartement à notre disposition. La voilà prête à nous accueillir le mercredi soir. Demain elle partira vers le grand nord vosgien pour quelques jours. Elle a rempli le frigo pour nous avec ordre de ne rien laisser « car je ne sais pas quand je rentrerai et tous les aliments seront foutus ! » Enchantés Laurent et moi, qu'elle ait repoussé de 24 heures son départ pour nous accueillir. Enchantés Laurent et moi de nous sentir d'emblée si bien dans son intérieur chaleureux et coquet. Vous n'imaginez pas combien je suis émue de la voir trottiner de la cuisine à la salle à manger, tirée à quatre épingles, son tablier immaculé sanglé autour des reins. Quelle excellente soirée ! Du coup Laurent juque-là, sérieusement perturbé par les soucis internes à sa famille, s'est apaisé. Je n'insiste pas sur notre visite à Grand maman, casée dans un EHPAD de Koenigshoffen qui n'est rien moins qu'une sorte d'hôpital pour vieilles gens. D'autant que je passe un moment malgré tout sympathique avec la maman de Laurent, et nous voilà déjà jeudi soir. Vendredi, toute la journée, Laurent a prévu de « co-voiturer » Ses deux sœurs et sa maman pour un long moment à Gundershoffen pour une rencontre au sommet avec leur troisième soeur. |
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Une belle journée solitaire s'annonce pour moi. Solitaire est de la même racine que solitude... (solus-solo) Et ça n'a rien à voir. La solitude est un sentiment de perte, d'absence voire de souffrance. Solitaire est un adjectif qui ramène à un choix d'isolement et dans mon cas précis à un vrai bonheur !.... Rien que cette précision me précipite joyeusement sous la pluie. |
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9h30, je quitte l'appartement de Claudine, sous une espèce de crachin qui fait semblant de pas mouiller. Le ciel est gris, gris, gris... Le tram (qu'on appelle aussi le val à Strasbourg) me dépose à quelques pas de la bibliothèque Malraux que mon amie Danièle m'avait fait découvrir il y a quelques années. Je rêvais d'y retourner à mon rythme, 2000m2 de tourisme intérieur, imaginez qu'avec Laurent, c'est quasi mission impossible. Je m'émerveille sur la passerelle qui mène à la belle façade incrustée de maximes, je me vois déjà pousser la lourde porte. Mes bras ne sont pas assez grands pour tout ce dont je veux disposer... je musarde dans de vastes espaces, j'étale et j'empile... je flaire, je hume... Comme si j'y étais. Sauf que la porte me résiste parce que la médiathèque est fermée. Zut alors ! |
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Strasbourg m'attend, et mon désappointement est de courte durée. Au détour de la passerelle, je m'attarde, en léchant la pluie qui goutte au bout de mon nez. J'oserais jamais faire ça, si Laurent était près de moi. Dans le bassin Malraux, un escadron de cygnes s'est rassemblé, pas moins d'une soixantaine que je prends joyeusement le temps de dénombrer, comment font-ils pour pas se geler le croupion, |
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(question : les volailles peuvent-elles se geler les fesses ?) |
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Je traverse la Krutenau, quartier considéré comme « mal famé » dans ma jeunesse. Réhabilité dans les années 1980, c'est aujourd'hui un quartier artistes-bobos, très prisé des investisseurs. Mais il n'est pas si différent que ça et je me sens en terrain très familier. Bien entendu, le quai St Nicolas, puis le plus beau pont de ce monde (Corbeau), demi tour, j'ai failli rater le musée alsacien que j'avais visité dans les années 70... |
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Je pousse la porte, ça me permettra de respirer un peu au sec. Le musée s'est considérablement enrichi, mais je suis un peu mal à l'aise. Germain Muller y a pris ses quartiers, il y prend trop de place. Cet artiste politique mort en 1994 est une figure incontournable du monde alsacien. Ces gags en dialecte traduits me laissent en marge de son humour... et je ne trouve pas ça drôle. Dans son langage, il taille aux français de l'intérieur (que je suis et vosgienne en plus !) un costume qui coince aux entournures. Quelque peu poussiéreux tout ça. Je passerai cependant deux bonnes heures à travers les coursives et chambrettes joliment aménagées à la mode d'antan. C'est magnifique, un autre monde, et qui sent bon celui-là. |
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La belle Strasbourgeoise m'émeut et me fascine. Quel Chic ! Quel chapeau ! Quelle robe ! Vous l'imaginez qui avance pieusement dans l'allée centrale de la cathédrale, s'agenouille en relevant ses dentelles au pied de l'autel, penche son chapeau vers l'arrière, les yeux mi-clos pour recevoir l'ostie... Quelle classe ! Rien que pour voir ça, faudrait aller à la messe ! |
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Flâneries du coté de la cathédrale, je peux m'y sentir très seule. C'est pas un temps à mettre les touristes dehors. Mais c'est un temps idéal pour voyager dans l'intemporel. Je marche à la recherche de sensations anciennes que je retrouve avec émotion. J'avais 15/17 ans en ce temps là. La place de la cathédrale était mon fief, je logeais à deux pas, un foyer sympa, rue des échasses. La rue du Dôme que j'enfile avec impatience car je veux me perdre dans la librairie « Berger Levrault », qui est devenue la librairie Broglie... tiens donc. Je m'attarde dans le magasin de musique qui prolonge la librairie... dommage qu'Olivier soit pas là, on aurait eu des gammes à faire... C'est décidé au retour j'achète un piano neuf... si ça se trouve ce sera un numérique à marteaux... si, si, ça existe, faut juste envisager le budget... en souvenir de cette formidable journée qui me ramène à moi seule... |
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Me voilà place Kleber, d'autant plus immense qu'elle est quasi déserte. Trop tôt pour rentrer. Je repars sous les arcades, cap sur les quais... Guère raisonnable car ma cheville me taquine... Tant pis pour elle, j'aime trop ces précieux moments. Je repère une jeune fille grassouillette qui marche devant moi, et si c'était « la moi » d'un autre temps. Je me cale sur ses déplacements. Marche rapide, arrêt vitrine, départ, ralentissement, accélération... Elle se rend compte de rien. Je délire, j'ai 15 ans, j'ai 17 ans, je m'amuse follement. C'est rigolo de jouer à la « filateuse » surtout quand je décide de me filer moi-même. Zut, voilà qu' elle entre dans une boutique « colifichets », c'est pas possible, je ne me reconnais plus. Je n'ai jamais eu un centime de franc à gaspiller dans ce genre de commerce. finalement je quitte ce moi, qui ne me va pas si bien que ça. J'ai 65 ans et Strasbourg est magnifique. Je n'en finis pas de respirer, d'entendre et de voir, je m'imprègne, je me laisse engloutir, Le ciel aussi menace de m'engloutir. Voilà qu'il pleut des cordes. L'humidité m'imprègne, et je frissonne. |
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Cap sur le tram... Je meurs de faim, j'ai oublié le repas de midi, et c'est déjà l'après-midi. Vite, au sec, l'appartement de Claudine m'attend et si ça se trouve Laurent aussi ! |
La pandémie de Coronavirus fait parler d'elle en France
MARDI 10 MARS 2020- CAS RECENSÉS :
- en France : 1784
- en PACA : 90
- dans les Bouches du Rhone : 37
On aime entendre que ces malades viennent d'ailleurs, qu'ils ont été confrontés à d'autres malades, ailleurs toujours, et que si on a du pot, ça peut s'arrêter là. Y'a pas encore de règles sanitaires strictes, sauf les messages de l'OMS, (consignes d'hygiène élémentaires, comment se laver les mains, comment éternuer, comment tousser, comment se moucher...) |
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Presque midi. Nous voilà échappés. Ah le sympathique ronronnement du petit camion. Pour une fois, la maison n'a pas couiné au moment d'activer l'alarme. Si ça se trouve, la sirène est en panne. Honnêtement, je m'en fiche complètement. Et je crois bien que Laurent aussi, car il s'est à peine gratté le front avant de mettre le contact. Et moi, souveraine en ce monde minuscule, je m'installe, le museau proche du pare-brise, les fesses décollées du siège. J'ai envie de prendre la route en plein museau... Bon vous affolez pas. C'est juste le temps d'amorcer la descente de la colline et je me cale à bord. Position Matayou, mon assise yogi perso, les bras en appui sur les accoudoirs... Le dos bien calé au fond du siège; vue est imprenable.
Nous jasons Laurent et moi... de n'importe quoi, pour le plaisir de communiquer... Même pas de notre destination puisqu'on ne sait pas précisément où on va dormir ce soir. Un petit vent de liberté murmure à mes oreilles. Je rêve de navigation. Le cap global au compas du bord ce serait le mont Ventoux... Mais au compas comme vous savez, on tire des bords. Et Laurent toujours en phase avec moi, commence à se perdre à Salon de Provence. On tournicote dans la ville, vous l'avez compris, on tire des bords carrés. Saturés de hasard, on finit par suivre les flèches autoroute-cavaillon.
Après c'est toujours tout droit. Jusqu'à Malaucène. Le temps de traîner sur un vaste marché de producteurs locaux, boire notre premier café des vacances au soleil en terrasse "bar du marché"... On zone dans la ville, on monte au belvédère. Une bien jolie pause que Malaucène nous offre.
Nous voici à Bédouin et affamés. Pique nique champêtre avec les dentelles de Montmirail en sentinelles dans la brume de beau temps. Le village de Bédoin dispose d'une multitude de parkings, tous vides en ce moment, réservés aux voitures de tourisme. Je n'ose pas imaginer les queues et l'affluence d'été. Pour les camping-cars, face au camping, il y a une aire autorisée, payante par borne. Il y a aussi immense parking dédié avec services à la sortie de la ville. Celui-là est gratuit, sur macacam. Le camping sauvage n'est pas toléré. Nous choisirons pour la nuit notre formule favorite, chez l'exploitant, Le domaine Les Vaudrans Ste colombe. C'est un chouette espace aménagé sous les arbres, herbe tondue de peu, cinq beaux espaces matérialisés par tables et bancs "pique-nique". Nous y sommes seuls avec les chants d'oiseaux. Une ambiance champêtre comme je les aime. Un sympathique paysan nous accueille, qui fait du vin et du miel de lavande... Notre avitaillement de base s'enrichit. Bédouin est un magnifique village (y'a que l'églilse qui est un peu lourdaude et massive). Nous avons aimé nous perdre dans les venelles empierrées. Quelquefois ardues à monter. Bédouin, nous y reviendrons. |
MERCREDI 11 MARS 2020
Nous prendrons la route du Mont Ventoux, partiellement fermée. On se gare devant le chalet Reynard, d'une absolue mocheté. Le GR empierré monte derrière vers le sommet. Le vent souffle avec violence. C'est un monde de roches et le crâne pelé du Ventoux est tragique dans ce monde hostile. 1/2 heure de crapahutage en se tordant les pieds dans les caillasses... et ce maudit vent qui nous transperce. Laurent est un peu à la traîne.
- Laurent, ça va...
- Bof, tu trouves ça chouette ?
- Non, et pas agréable en plus. On redescend ?
- Si tu veux...
Le message est clair. On est en bas en quelques enjambées, où le désert du chalet nous accueille. Retour vers Bédoin-Malaucène. Puis cap vers Beaumes de Venise. Là, on a nos entrées. Le domaine Bouletin vraiment bien équipé nous attend. Toute cette route est dédiée au tour de France, de vastes espaces sont aménagés sur les bas-côtés, je crois bien que ça me tenterait de venir y poser nos roues pour quelques jours, cet été, si les champions passent par là. Laurent ne partage pas mon engouement. Bof, pas grave, on fera autre chose.
JEUDI 12 MARS 2020- cas recensés en France : 2876
- en PACA : 151
- dans les Bouches du Rhone : 67
- dans le Vaucluse : 4
C'est comme si notre espace de vacanciers étaient isolés du monde. Nos voisins sont souriants et décontractés. On ne s'évite pas, on se communique les bons plans. Laurent et moi optons pour un départ découverte du plateau des Courens.
Au départ du domaine viticole c'est un vrai plaisir de se lancer dans les collines qui dominent Beaumes de Venise. Des terrasses maraîchères ou viticoles s'offrent au soleil et c'est dans une ambiance très printanière que nous partons à l'assaut de ce sentier. La piste confortable monte à travers une belle forêt méditerranéenne. En hauteur la vue se dégage et nous offre la ville sous toutes les coutures. La descente par l'autre versant est plus acrobatique. C'est un chemin de ravine creusé directement dans la roche, des pas hasardeux. C'est pas terrible pour mon dos, mais j'adore cette descente. |
SAMEDI 14 MARS 2020- cas recensés en France : 4500
- en PACA : 279
- dans les Bouches du Rhone : 131
Le danger se rapproche, le virus est entrain de prendre le dessus. Faut peut-être pas traîner dehors. Nous écourterons nos vacances. Décision immédiate. Nous serons chez nous en fin de matinée. Juste le temps de faire quelques courses... et de se rapatrier à la maison, sans passer par la case Olivier, dont nous frôlerons quasiment la maison. Guère de regrets, à cette heure, ils sont tous au boutot scolaires ou professionnels.
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VENDREDI 20 MARS 2020- cas recensés en France : 10995
Il y a maintenant une semaine que nous sommes rentrés. Le coronavirus fait des ravages. Tout le monde s'accorde à dire que le pire est à venir. Nous avons bien entendu suivi les interventions de nos chefs d'état. En conséquence, nous avons organisé notre vie à l'intérieur de notre monde qui se résume aujourdh'ui à deux personnes.
J'aime bien cet isolement obligé. Seuls à bord. Comme sur Lune de Miel, c'est aussi une occasion inespérée de retrouver notre mode de vie simplifiée, au jour le jour, comme d'une traversée transatlantique. C'est l'occasion rêvée de se débarrasser de toutes les contraintes superflues. C'est l'occasion rêvée de ne faire que ce que nous avons envie de faire. Comme sur Lune de Miel, je concocte avec trois fois rien, des pâtes, du riz, des pommes de terre pour en faire des mets de luxe. Comme sur Lune de Miel, nous reprenons l'habitude de faire notre pain. Comme sur Lune de Miel nous disposons de l'essentiel et nous nous passerons avec légèreté de tout le reste. Nous sommes moins actifs que sur le voilier, c'est vrai, mais il y a le jardin qui nous attend avec un sympathique programme d'entretien (physique pour nous, esthétique pour lui). J'ai aussi sous la main, et c'est une aubaine, la gym d'entretien à laquelle Annette m'a initiée. Comme sur le voilier, notre destination reste hasardeuse... les délais imprécis.
Ce qu'il y a de mieux sur terre, c'est vous. Où que vous soyez, nous ne sommes pas loin de vous. Nos pensées voyagent et se rencontrent. Elles s'en moquent du virus. On n'est jamais aussi seuls qu'on croit.
A vous toutes et à vous tous, cordialement. La main droite sur le coeur.
4 juin 2021
Top départ, casi en temps et en heures... Pas de souci d'alarme, pas de serrure qui coince. Quant aux dérapages incontrôlés sur carrelage mouillé... J'ai résolu ce dernier risque. Pour la première fois de ma vie, je me suis contentée de passer l'aspirateur avant le départ. Et hop là, que la crasse reste où elle est, je ne veux pas le savoir... Je m'en fiche d'autant plus que je ne serai pas là pour la voir... Le retour sera un autre monde. En attendant, que vivent les vacances !
En tirant des bords, notre cap vers le nord-Est, passe par les Cévennes. Un court et agréable détour le temps d'embarquer ma soeur Annette à bord du petit camion. Annette est une passagère remarquable, discrète, détendue, et pas compliquée pour deux sous. Notre séjour dans les Vosges s'annonce fort bien
Nous y retrouverons notre grande soeur Thérèse, et ce sera un séjour d'une petite semaine intense de contacts familiaux, mais aussi quelques retrouvailles. Bien du bonheur avec mes amis d'enfance. Laurent prisonnier des trois soeurs s'accomode avec sa décontraction légendaire à nos improvisations, à nos discussions, à nos échanges quelque peu hermétiques. Tout ça avec le sourire...
Si vous ne connaissez pas les Vosges, faut que j'vous dise. C'est un petit pays extraordinaire.
Les prairies couvertes de fleurs, les immenses forêts d'épicéas aux branches étalées, aux troncs parfaitement droits, les champs de blés encore verts. Les fermes au milieu des prairies... et les vaches. c'est une nature paysanne profonde et généreuse. Tel est le pays, tels sont les Vosgiens. C'est le seul endroit au monde où lorsque vous êtes invité, vous repartez avec un p'tit kek chose, à vous seul destiné. Pratique qui se conçoit entre intimes pour chacun de nous, mais dans le doux pays des Vosges, quel que soit votre niveau de relation, quand bien même vous ne seriez que de passage, vous ne pouvez pas repartir les mains vides.
Je suis aujourd'hui émerveillée de penser aux petits trésors déposés dans la soute du petit camion. Josiane, que je connais trop peu, m'a touchée plein coeur, en m'offrant sur le seuil de notre départ une chouette peinture réalisée à partir d'une photo coucounet, image de mer, de voilier, de traversée... Ce beau tableau va rejoindre à Velaux celui de Richarde; oh qu'ils vont bien s'entendre ces deux là. Rien que d'y penser, j'en pleure encore d'émotion. Lune de Miel ne quittera jamais mon coeur, et mes amies y veillent.
10 juin 2021
Notre première étape en Alsace sera à Fellering. Nous y retrouverons la chaleur et la joie de vivre de Fabienne, la douce ambiance de sa maison. Le parc de Wesserling, c'est toujours le même enchantement. Un univers paysager fort ludique toujours fortement imprégné de cette époque laborieuse des ateliers textile qui ont fait la gloire et la richesse de la vallée. Nous y découvirons aussi l'étonnant jardin de Paulette, un amour de jardin d'un amour de jardinière. Y'a des personnes comme ça, aussi rares que discrètes qui s'enchantent de créer du magnifique avec la nature, les arbres, les herbes et les fleurs. Un incroyable espace dont il est difficile de s'extraire. Départ de Fellering, la soute du petit camion va s'enrichir d'un p'tit kek chose...
Nous avalerons goulument la route des crêtes pour une pause isolée, (carré d'herbe, protection des arbres) à quelques pas du Grand Ballon. Mes escarpins de marche (ça tient à la fois de la chaussure orthopédique et du chausson de danse-pointes souples, talons moelleux) s'adapteront parfaitement aux sentiers de rando caillouteux ou herbacés du club vosgien. Mes articulations arthorosiques vont même pas se rendre compte à quel point je les sollicite. Une pause dominante, vue imprenable sur les sommets.
- Dis Laurent, la crête toute blanche, au dessus des nuages, c'est les Alpes ?
- Oui, Madame, répond, un marcheur qui prend à peine le temps de ralentir propulsé par ses batons de marche.
C'est le pays des merveilles.
La route des crêtes nous rappelle l'urbanisation lointaine, des escadrons de motos grimpent. On perçoit à peine leurs rugissements, couverts par le grelots des troupeaux. Le gazon d'altitude s'éclaire du jaune tendre des pensées sauvages.
Nous descendons vers l'Alsace par le Markstein, mais ce col ne nous convient pas. Trop organisé pour les skieurs, trop articificiel. Bitume et macadam, squelettes de remontées skis...
Notre délice sera sur une portion de la route des crêtes presque déserte hors quelques vélos courageux ou un peu fous.
Nous ferons une halte de deux nuits au lac de Longemer. Version camping ce coup-là. Presque personne, de grands espaces dans l'herbe, des sanitaires irréprochables et un tarif vraiment économique. Y'a pas de doute, dans les Vosges, on sait vivre. C'est sûr, tourner autour d'un lac, c'est moins épuisant que de crapahuter dans les Hautes Vosges, c'est un autre charme, idéal pour le vélo.
Nous pousserons vers le nord de l'Alsace, par la vallée de la Bruche jusqu'à Stutzheim.
Encore une belle histoire d'amitié. La pause café chez Patrick et Arlette. Quel plaisir de passer ce moment inattendu avec eux, puis les retrouvailles avec Danièle et Lucien. Un accueil cinq étoiles, pour des relations détendues, une véritable ambiance de vacances. L'occasion aussi de découvrir un village discret de l'Alsace qui mérite le détour. Dans le petit camion nous reparlerons de ce court séjour à Stutzheim avec émotion Laurent et moi. Nous évoquerons la passion de Lucien pour les avions, leur incroyable disponibilité pour leurs petits. Leur gentillesse et leur courtoisie nous inspirent une profonde admiration.
Retour vers le sud, cap vers le vignoble alsacien par la route du vin. Quel incroyable et magnifique pays. Cependant, nous avons fait une courte pause à Riquewihr, qui n'est vraiment plus le sympathique village que nous avons connu dans les années 1970. Rien que le parking pour le petit camion, 8,00 euros pour 3 heures, parcmètre obligé. Quant au village, boutiques touristiques et restaurants plus ou moins prestigieux aussi colorés qu'artificiels. Nous avons été fort déconcertés et très déçus. Arrêtez vous plutôt à l'un ou l'autre de ces charmants villages qui jalonneront votre route à quelques tours de roues. Souvenez-vous de Kaysesberg. Patrie d'Albert Schweizer, ça se rate pas ça. Il y a là un sympathique camping, peu coûteux et la ville est un authentique petit bourg, accueillant, fleuri, aussi reposant qu'alsacien dans l'âme. J'ai adoré retrouver cette belle ambiance toute proche de celle que j'ai connue ado quand je faisais les vendanges dans les côteaux qui dominent la ville; Pour rappel à Thérèse, c'est la famille de Geneviève Bohn qui m'invitait à ces moments inoubliables de récoltes et de dégustation " vins nouveaux"
La transition entre Alsace et Touraine, se fera en douceur par le Jura.
Dôle, la capitale est une ville déconcertante posée entre le Doubs et la Loue.
Les flâneries le long des quais nous mènent obligatoirement à la maison natale de Louis Pasteur.
Mais nous ne manquerons pas la magnifique Collégiale Notre Dame (qui date du XVème) qui domine toute la ville. Quel beau pays, et que de bonnes gens. Une pause sensationnelle.
Voici venir les avenantes morvandaises. Imposantes, insouciantes, couleur caramel clair, elles paturent dans d'immenses prés. Les jeunes mères couchées sur le flanc ;
des jeunes veaux qui gambadent ; belles images de maternité apaisée.
Le petit camion se trouve lui aussi des envies de paturages, nous lui offrirons donc cette pause champêtre.
D'un village à l'autre des rubans de route complètement déserts. Prétextes à de jolis tours vélos d'une forêt à une prairie, d'une prairie à une forêt, en pentes douces.
Parfums de fougères humides, de fruits rouges et de sous-bois. C'est le lait qui doit sentir bon.
Balzac a beaucoup écrit sur le jardin de la France. Il clame la douceur du climat et l'art de vivre des Tourangeaux. Il se moque d'eux aussi très gentiment, en reprenant le célèbre dicton , et s'interroge :
" -Tourangeaux veux-tu de la soupe ? -- Oui. -- Apporte ton écuelle ! -- Je n'ai plus faim.
Est-ce la joie du vignoble, est-ce la douceur harmonieuse des plus beaux paysages de la Francce, est-ce la tranquillité d'un pays où jamais ne pénétrèrent les armes de l'étranger qu'est dû le mol abandon de ces faciles et douces moeurs ? À ces questions, nulles réponses. Allez dans cette Turquie de la France, vous y resterez paresseux, oisifs, heureux"
Ainsi va la Touraine...
A Villandry, c'est la force de la nature domestiquée, un peu, beaucoup, passionnément... on ne peut pas louper les jardins de l'amour.
Quatre carrés symboliques :
l'amour tendre (coeurs séparés par des petites flammes,
l'amour passionné (coeurs brisés qui dansent la farandole),
l'amour volage (ailes de papillons en billets doux pour la légèreté des sentiments mais aussi les cornes de l'amour trompé,
l'amour tragique (lames d'épée qui évoquent les duels et fleurs rouges du sang répandu.
Nous y voici donc, Laurent et moi, "paresseux, oisifs et heureux", au milieu de nos amis Tourangeaux.
- Dis Laurent, t'as remarqué que nos amis de Touraine, ils ne changent pas d'un poil...
- Bof, un peu quand même... non ?
- D'accord, quelques rides, quelques affaissements malheureux, quelques poils blancs. Mais ça, ce n'est pas important.
- Ah, bon, alors là, tu me rassures. Mais alors, c'est quoi qui change pas ?
- L'amitié forte, exprimée par la vivacité du regard, le sourire désarmant, et les mains tendues et le partage du temps et de l'espace. Et se retrouver toujours au fil des ans, avec le même enthousiasme. Tout ça quoi, qui fait la force de nos liens avec la Touraine.
La Touraine, c'est aussi une sympathique escale à Chinon, quel bonheur de déambuler encore dans cette ville idéalement aménagée pour le tourisme. Vous vous garez en haut du château et une navette gratuite vous dépose en ville.
Mais Chinon c'est aussi le Domaine de la Dozonnerie, les vallées basses.
Nous y rencontrerons la famille exceptionnelle de Jean François et nathalie DELALAY. Au bord de leur vignoble, ils mettent à notre disposition un bout de pré qui domine la ville de Chinon, espace dédié au camping-car fort bien aménagé. Ce sera une soirée barbecue inespérée. Quelle soirée extraordinaire.
Dans l'après-midi, nous avions goûté le vin de Jean François dans une joyeuse convivialité. Plus tard, il rejoindra le petit camion avec sa compagne, et une bouteille de rouge pour l'apéro... Partager du rire avec des inconnus sympas, ça se fait aussi en Touraine.
Allez rendre visiste à ces vignerons peu ordinaires. Leur vin est excellent et votre cave vous en remerciera.
- Dis Laurent, tu trouves pas qu'on devrait revenir vivre en Touraine ?
- Si, je crois que ça me plairait...
- Wouhaou ! Tu laisserais la petite maison de Velaux ?
- Bof, on peut trouver mieux pour moins cher au bord de l'Indre, du Cher ou de la Loire. Et on aurait plus de place...
- Oui, mais ça sert à rien de voir grand si les enfants et leurs petits sont à des années lumière de chez nous...
- Tu sais, je suis pas sûre que ce soit idéal. Nous avons des souvenirs heureux de Touraine, peut-être que ce serait mieux de pas y toucher.
- Ouhais, ??? ??? ???
Ambiance romantique, ambiance nostalgique, ambiance un peu feutrée à bord du petit camion. Chacun de nous deux rêve dans son quant à soi.... Un peu d'exotisme nous ferait du bien. L'idée de tirer un bord vers le marais poitevin nous séduit tous les deux. Un léger bord vers l'Ouest, cap Magné... Faut pas traîner, le temps devient maussade.
Ce sont les maraîchines aux belles robes fauves qui nous accueillent. Ici elles ne regardent pas passer les trains. Leur monde est aquatique, elles arrivent là, déposées par des barques... vous imaginez le transfert, d'une île à l'autre à travers les méandres des canaux.
L'averse prévue vers 14h, s'est déchaînée à 11h, mais notre enthousiasme reste intact. Et puis nos ponchos tout temps sont épatants. Même l'appareil photo de Laurent s'y lovera. Il est vrai que la faune du marais s'est planquée et se fait fort discrète. Cependant, le marais poitevin pour un tour de deux heures en barque avec batelier pour nous deux, c'est un luxe formidable, surtout sous la pluie. Nous avons adoré.
DÉJÀ DÉBUT JUILLET, CIEL NUAGEO-PLUVIEUX,
Nous quitterons la douceur du Marais Poitevin et de ses divines maraîchines sous la pluie... Mais c'est pas grave on fait route vers le sud. Ça devrait s'améliorer. Le Monsieur Météo du bord y croit, alors moi aussi.
Notre première pause sera très mystique. Le site inattendu et magnifique de Charroux (Vienne) et de son abbaye Saint Sauveur, qui date de 784 donc de Charlemagne dont subsiste la tour érigée en son honneur et reconnaissance.
Brive la Gaillarde nous offrira une pause touristique appréciable.
- Dis Laurent si on campait au bord d'un lac pour changer ?
- T'en vois un sur la carte ?
- Oui pas loin, un petit bord à tirer d'une vingtaine de kilomètres, le lac de Causse. On y va
- On y va...
Un espace sympa au dessus du lac, dans l'herbe. Raisonnablement fréquenté, finalement on s'y trouve bien malgré les averses qui nous tombent dessus. Fin d'après-midi, Monsieur météo a dit que le soleil revenait. Top-là, avec les ponchos dans le sac à dos, sait-on jamais avec la météo. Une belle virée d'un peu moins de 10 km, tout plat. Ça me va super bien. A quelques minutes de notre campement, la pluie se remet à dégringoler. On arrive au pas de course à bord. Mais notre espace de vie n'est pas adapté pour nos ponchos dégoulinants, nos chaussures et chaussettes à essorer... on fait comme on peut. On se déshumidifie, on s'étrille, on se douche... et d'un coup :
- Dis Laurent, ça fait longtemps que t'as cette marque rouge à l'arrière de la cheville.
Il se contorsionne, n'y voit rien. Je récupère le miroir... et l'image le laisse perplexe. Mais pas longtemps, une Miss Tique (oh la vilaine) s'est incrustée sous la peau. Heureusement nous disposons de l'outil hightech de lutte contre ce parasite et j'ai vite fait de l'extraire. La blessure de Laurent est rouge mais pas trop, et puis c'est dimanche. Je désinfecte tout ça à l'alccol et on verra demain.
Demain, au saut du lit, mon premier regard est pour la cheville de Laurent. Quelle horreur. La rougeur est devenue violette et s'est étalée sur tout le mollet, jusqu'au milieu de la jambe. Elle s'enrichit de très jolis dégradés de roses-mauves, mais bon, ça veut dire quoi ? Laurent appelle un médecin local, secrétaire d'accueil :
- lequel est votre médecin traitant ?
- Je suis en vacances, il est à Velaux mon médecin traitant.
- Désolée, personne ne peut vous recevoir. Vous devez aller aux urgences de l'hôpital.
- Les urgences pour une morsure de tique ?
- Oui Monsieur, allez y dès ce matin...
Hop là, on y fonce. Une dure matinée s'annnonce pour Brive la Gaillarde où donc nous retournons. Après une heure trente d'attente, le médecin de garde, un vieux barbichu pas commode, n'a pas pris trois minutes pour regarder la cheville de son patient. Aucun doute, c'est une super réaction avec risque d'infection. Donc 15 jours d'antibiotiques et tout ira bien... au revoir Monsieur.
Pendant cet épisode médical, le soleil est revenu en grand. On peut pas avoir tous les malheurs en même temps, semble-t-il. Changeons d'ambiance.
- Dis Laurent, si on suivait les conseils de ma soeur et qu'on se déroute vers Collonge la Rouge.
- Bof, pour y faire quoi ?
- Du tourisme pardi. Thérèse m'a dit que c'était un village paisible et original, juste ce qu'il nous faut . En plus sous le soleil... Peut-on rêver mieux.
- Si tu veux. Faut juste trouver un endroit pour poser le petit camion;
Et j'ai ce qu'il faut. Un pré mis à notre disposition par des éleveurs de canards à 2 km de Collonge... le rêve. Et nous ne regretterons pas cette étape. le village est à la fois, très original avec ses pierres rouge-sang, son aspect tranquille, un peu touristique mais pas trop. Les deux kilomètres qui nous y mènent à travers la forêt sont joyeux et décontractés. De l'apaisement, ça nous fait vraiment du bien. Nous revoilà en vacances...
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Fichier attaché | Taille |
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toits | 160.81 Ko |
rue | 135.68 Ko |
chapeaux | 157.02 Ko |
070721PLUIE ANNONCE.jpg | 78.28 Ko |
decouverte de Marcillac le Vallon et de ses maisons de pierre rose. Pâle rappel de Collonges mais un charme réel.
Courte pause à Céré
Puis une pause sportive à Salles la Cascade, parce que la Cascade faut se la grimper et c'est raidasse pour nous. Vous noterez en passant le charmant sourire de Laurent.
le vert en lutte contre le minéral et c'est spectaculaire
Encore une étonnante échappée "CHAOS DE NIMES LE VIEUX". Ces ruines ont été façonnées depuis des millénaires par l'érosion, le vent, l'eau, l'air...On y retrouve au gré de notre fantaisie des marmites géantes, des monstres effrayants et de petits elfes qui courent à travers les éboulis, un peu comme nous, pendant plus d'une heure, quel régal.
Notre dernière étape sera à Florac Trois rivière. Une ville d'eaux comme on les aime. Un camping quasi familial, pour une dernière soirée d'esprit vacances.