Samedi 25 septembre 2021
Nous voici au nord de Carcassonne. Là encore notre instinct nous guide vers un site d'une étonnante majesté. LASTOURS.
Nous poserons nos pneus et nos semelles dans un camping désert, face à Lastours, lieu-dit le Belvédère. La patronne qui ferme la saison accepte de nous garder deux nuits.... Plein prés, dominant deux vallées, l'Orbeil et le Grésillou. Ce village s'offre comme un secret dans le creux de ses deux vallées. Nous dominons un site exceptionnel, face aux impressionnantes ruines des quatre châteaux. C'est là que Laurent va installer une fois de plus son antenne radio portable. Faut dire qu'il profite d'un super espace pour tendre sa filaire en utilisant les espaces campings vides. Un ciel bien dégagé, pas de parasites urbains, ça marchera plutôt bien. Amis om, j'en profite pour vous saluer cordialement. Je communique peu, mais je vous écoute, juste une oreille dans le monde radio-amateur... Juste solidaire de Laurent qui s'y éclate si bien.
Sur la vitre, joli décor non, ! Promis, j'ouvrirai pas le hublot !
C'est là que je vais plonger dans l'histoire sanglante et révulsante des Cathares et de leur extermination par les Croisés. Simon de Montfort un bien triste sire mène le combat contre les hérétiques. Aussi cruel qu'illuminé, celui-là. Cousinage mystique avec les Vaudois ? Ça m'intéresse prodigieusement.
Donc quatre châteaux, Cabaret, Tour Régine, Surdespine, Querhineux... Cabaret, le bûcher le plus violent de cette période barbare. Les Seigneurs de Cabaret sont des "hommes purs-dits Cathares". Sur leur éperon rocheux, ils dominent Lastours et le monde qui les encercle. On ne peut pas s'empêcher de s'émerveiller. On se laisse bercer par l'esprit troubadour qui émane de ces tours survivantes à des siècles d'érosion naturelle. Le soleil couchant inonde les deux vallées et les ruines se dressent presque dorées dans le ciel qui devient sombre.
Nous prendrons le chemin qui descend le long de l'Orbiel pour atteindre le village de Lastours. Le même que les ouvriers utilisaient autrefois. Comme c'est émouvant de les imaginer. L'ancienne usine textile sert aujourd'hui d'entrée aux quatre châteaux. C'est aussi l'Office du Tourisme. Il faut compter quasiment trois heures pour crapahuter d'un château à l'autre. Y'a des merveilles qui se méritent. Nous retournerons à bord du petit camion par la route, tout aussi déserte, qui remonte vers le Belvédère, par Salsigne ; un parcours plus reposant et lumineux avec toujours en toile de fond, ce site exceptionnel.
mardi 28 septembre 2021
Nous revoilà calfeutrés à bord et je suis vraiment songeuse. Je chipote mon café du matin. Dans ma tête, tout plein d'images du monde ouvrier à son apogée. Ambiance chaleureuse et communautaire qui liait les travailleurs aussi bien ceux de la mine d'or de Salsigne que ceux de l'usine de filature de Lastours. J'imagine les va-et-vient dans les sentiers que nous avons empruntés. Les ouvriers qui peuvent encore en parler disent qu'ils avaient de bons salaires, liés aux risques du travail ; que le boulot était varié et que l'ambiance était bonne... On vivait en fraternité ouvrière. Un monde utopique en quelque sorte, le charme de la mémoire sélective. J'y crois que moyennement à ce monde ouvrier idéal.
- Ça va trésor ?
Je fais un bond formidable sur mon siège, pour un peu, le petit camion aurait sursauté aussi.
- Oui, ça va. Je pense à Lastours, au monde ouvrier de nos grands-parents et parents.
- Et les Cathares, ils ne t'intéressent plus ?
- Si bien sûr.
Laurent passe sa main sur mes cheveux, sympathique sourire du matin. Du genre de ceux qui font des promesses, vous voyez ce que je veux dire ?
- Trésor j'ai prévu de t'embarquer dans un lieu dont tu n'oses même pas rêver. Ensuite Montolieu.
- Tu connais les lieux dont je rêve toi ?
- Quelques uns, oui et celui-là est à quelques tours de roues. Nous dormirons sur place et ensuite nous irons à Montolieu.
- T'as une idée où on va dormir ?
- Oui, et ça te plaira.
- Aujourd'hui, à 10h le matin, on sait où on va poser nos pneus pour la nuit ?
- Oui, et je suis prêt à parier qu'on y sera les seuls.
- Wouha, alors là, il va neiger. Mais j'adopte et je regarde plus la carte.
Le vent pousse aux fesses du petit camion. Il ronronne gentiment. Nous grimpons à travers la Montagne Noire. Un manteau végétal déconcertant ombre la route. Alternance de hêtres, de sapins, de robiniers, chênes verts. Des autres aussi que je ne sais pas identifier. Vaguement familiers. Mais les fougères au pied, c'est sudiste ça ? Et puis, les châtaigniers, auraient-ils imigré des Cévennes ? Les sapins, les épicéas, c'est plutôt les forêts de mon enfance... J'aime bien ce mélange de bois, car tout m'est familier. Toutes les formes et toutes les couleurs me parlent. Bientôt s'affiche "Gouffre de Caprespine". Puis s'ouvre sur notre droite, une belle aire de repos, complètement isolée. Un pré, à fleur de vallée, au milieu des arbres, paisible et désert comme je les adore. Le petit camion et moi, on est d'accord. Laurent a fait un choix formidable en venant là.
A quelques pas de là, Caprespine. Ça n'a rien à voir avec une grotte, d'ailleurs ça s'appelle un gouffre, et quel gouffre. 250m de profondeur, qu'un balcon de verre surplombe, 200 mètres au dessus du vide. Cela permet une vue incroyable sur les voûtes de calcites ciselées par l'eau qui suinte. Des lustres, des statues aux postures invraisemblables, des cierges irisés, une chambre immense qui dégage une faible lueur rôsatre, jaunâtre, verdâtre, un lac enchanteur...Je suis fascinée par les lustres en cristal, si si, ! D'accord, ils sont un peu de travers, mais c'est de l'art "néogrottique" à l'état pur. Un choc visuel et moral. Où qu'on lève les yeux où qu'on baisse la tête, c'est immense et prodigieux.
Je me sens nettement mieux soudainement. Par contre Laurent semble un peu pris de la gorge et pâlot ; sont-ce les effets humides du gouffre ?
Lorsque nous sortons de cette ambiance fraîche (14°), il n'est vraiment pas en forme. Le café exécrable du bar local va juste le rendre encore plus malade. Les yeux larmoyants, il va ruiner notre stock de mouchoirs jetables. Quant à la nuit, ouille, ouille, ouille, éternuements, ronflements d'ogre, poussées de fièvre...
Petit déjeuner sombre malgré le soleil magnifique.
- Tu veux qu'on rentre à la maison ?
- Non, il faut qu'on aille à Montolieu.
- Je sais pas ce qu'il y a là-bas, mais c'est pas oblilgé qu'on y aille.
- Si, si, j'y tiens, on peut pas rater ça.
- Wouah, t'as organisé un rendez-vous secret ?
Il tente un sourire guère convaincant, dois-je m'en offusquer ?
- Oui, enfin non, c'est pour toi ce rendez-vous.
Il se lève soudainement impatient, prêt à débarrasser le p'tit déj.
- T'as fini, on y va ?
- Attends, pourquoi Montolieu ?
- Parce que mon trésor, Montolieu c'est la cité du livre.
- Tu veux dire comme à Fontenoy la Joute ?
- Oui, j'imagine, allez bouge-toi ! Je suis presque en forme. On fonce !
J'ai rarement quitté un pré avec autant d'impatience. Laurent reprend le volant. Il semble plus guilleret mais j'aime pas les ombres sous ses yeux, son regard larmoyant et ses éternuements en cascades... Je l'observe en douce. Je suis émue, vraiment, qu'il se coltine ce détour juste pour moi. Il aurait peut-être préféré rester un jour de plus à Caprespine pour se reposer, faire de la radio. Mais je n'ose pas le lui proposer, il risquerait de dire oui. Et moi maintenant je ne pense plus qu'à la cité du livre.
Un grand parking à l'entrée du village. Je sens bien que Laurent a du mal à grimper le parking extérieur alors je retiens mon impatience pour rester à son rythme. Donc nous y voici. C'est un village moins paysan que Fontenoy, plus médiéval aussi. Tout en pierres. Ça ne manque pas de charme. (Douce pensée pour Thérèse et Michel)
Je fuis rapidement la première librairie. L'odeur de poussière et de papier mal stocké m'étouffe aussitôt. Un vrai capharnaüm que certains qualifieraient de caverne d'Ali Baba... Peut-être mais c'est irrespirable pour moi. Aurais-je des goûts luxueux de vieille bourgeoise ? Savons-nous vraiment qui nous sommes ?
Les deux boutiques suivantes sont claires, bien organisées, inodores ou presque. Ça tombe bien, je trouverai là à coup sûr Le Livre qu'il me faut pour faire le parallèle entre Vaudois et Cathares... Si, si, si, ça existe et c'est Laurent qui me le dégotte dans la cinquième boutique.
Faut que j'vous dise aussi que j'avais perdu de vue les Cathares. Scotchée au feuilletage, au humage, au palpage d'une collection de six livres "luxe", 60 ans d'âge, pas très vieux mais quel chic ! Voilà que je reste paralysée. Une folie mais à bas prix, que je trouve le moyen de négocier en y ajoutant l'ouvrage de Duvernoy sur les Cathares. Magnifique non. Si je peux négocier c'est que ces beaux livres ont deux défauts, ils ne sont pas assez vieux pour les collectionneurs .... et personne ne les achètera pour les lire. Alors, ils s'empoussièrent sur l'étagère "Je ne sais même pas depuis quand je les stocke..." dit le libraire. Il doit me trouver un peu zinzin, mais quelle importance. Et moi, je trouve que ça tombe rudement bien notre rencontre à eux et à moi. Leur couverture cuir est d'une douceur ferme et solide, les arabesques dorées à l'or fin ont un chic fou, la peau finement tannée est restée vive de couleur et d'aspect. Quelle douceur... et surtout la série est complète. De plus, dans un état qui frise la nouveauté. Leur contenu m'intéresse et je les lirai avidement. Ils ne remuglent pas l'odeur étouffante du vieux papier oublié. Le croirez-vous ? Vraisemblablement, ils n'ont jamais été ouverts. Rien que de les toucher je frémis... Alors les lire ! Je vais les ranger soigneusement au fond de mes habits pour pas les abîmer et me réjouir, me réjouir, me réjouir, à l'idée qu'à Velaux, je les sortirai du placard. Un moment de vie exceptionnel pour moi.
Montolieu est aussi le fief des artistes. Beaucoup de résidences destinées aux sculpteurs, aux peintres, aux illustrateurs et des tas d'annonces d'ateliers possibles... Mais rien concernant des ateliers d'écriture. Dommage hein Annette ! et ça me surprend vu le nombre de bouquinistes...
jeudi 30 septembre 2021
Nous longeons une rivière sympathique La Clamoux, route en lacets qui nous permet de franchir la Montagne Noire. J'avais envie de visiter Mazamet mais c'est une ville assez ordinaire. Beaucoup de boutiques fermées et à vendre. Et puis le musée du Catharisme nous a grandement déçus.
L'état de Laurent est stationnaire, il fait avec. Il ne se sent pas vraiment malade, mais il ne se sent pas bien non plus. Il se soigne au doliprane, ravinsara et un espèce de sirop homéopathique auquel nous ne croyons ni lui, ni moi... Mais j'ai que ça sous la main. Il propose d'aller jusqu'au bassin de Saint Ferréol, il a repéré un camping où il pourra se reposer.
Excellent choix. Nous reprenons donc les traces de Pierre Paul Riquet. C'est chouette la visite de ce bassin complètement artificiel. L'idée de Riquet c'était d'y concentrer toutes les eaux qui dégringolent de la Montagne Noire. De là, elles sont canalisées par "la rigole" jusqu'au point de partage des eaux d'où cette Rigole alimente le canal du midi dans les deux sens.
Vendredi 1er octobre 2021
Laurent se sent mieux. Nous quittons le bassin de Saint Ferréol pour plonger dans un monde rural qui nous est familier, prés, élevages, forêts. Les vaches rousses agglutinées les unes aux autres se protègent mutuellement du froid car il ne fait pas bien chaud aujourd'hui. Le regard 'une vache m'inspire toujours de profondes considérations.
Genre : Un regard vide n'est pas forcément un regard imbécile.
Nous ferons un dernier tour en compagnie de Monsieur Riquet jusqu'au partage des eaux et flânerons autour de l'obélisque dressé pour lui en 1825 sur le site de Naurouze, partage des eaux de Montferrand. Nous lui devons bien cette marque de respect, et puis la campagne est si belle autour du monument.
Nous n'avons pas raté le château de Saissac dont les fondations dateraient de l'an 900, légué en 960 au conte de Carcassonne.
Plus tard ce château deviendra la propriété familiale cathare de Bertrand de Saissac. Toutefois les seigneurs hérétiques du lieu se sont rendus à Simon de Montford, le triste sire, pour échapper aux représailles.
Le château est ensuite passé de mains en mains au gré des influences politiques puis laissé à l'abandon, jusqu'à ce que la ville l'achète pour le restaurer. En 1979, un trésor y a été découvert : 200 deniers, monnaie royale, datant de la fin du XIIIème siècle. Belle affaire cette ruine cathare.
Samedi 2 octobre 2021
Patrata ! Nous voilà tous les deux prisonniers de la rhinomachinchose... Laurent va nettement mieux et moi je patauge et ronchonne et toussote, et mouchote... Nous avons fait réserve de plusieurs cartouches de mouchoirs jetables, ouf... Et puis vous avez vu, le temps se couvre... Malforme, camping, pluie et tempêtes à l'horizon, le choix est vite fait.
Cap sur Velaux. Ma parole, le petit camion se sent pousser des ailes, l'odeur du foin peut-être.
Mais Laurent et moi, sommes bien déterminés à repartir au plus vite....