Le jour se lève. Les bougies du ciel se sont éteintes. Derrière les dunes de prés et de champs, la ligne d'horizon devient rose. Puis la bordure s'élargit, couvre une large portion du ciel qui s'éclaircit. Et le soleil sort doucement des plis roses de l'horizon. Une araignée a tracé son chemin jusqu'aux moustaches de Kovka. Elle éternue, se réveille. Elle est vite sur pattes. Elle secoue son corps humide de rosée. Elle frissonne un peu, pas longtemps. Campée sur ses pattes arrière, elle observe. Elle est un peu dépaysée, impatiente aussi de gambader à travers les collines.
La petite lapine bondit, libre comme jamais. Elle court à travers les herbes. Un papillon facétieux se pose sur son museau... Elle louche pour le regarder, un autre se pose sur une oreille.... pfuuit.... ils sont déjà partis. Quelle bonheur d'appartenir à ce monde magnifique, de faire partie du paysage.
Un carré d'herbes odorantes lui offre une pause gourmande. Elle court après les insectes. Elle observe étonnée le convoi laborieux d'une colonne de fourmis. Elle flaire un beau scarabée d'or qui prend soudain son envol dans un lourd bruissement d'ailes. Il lui chatouille le museau en passant. Elle dérange un nuage de libellules. Elle les poursuit jusqu'à un immense champ de grandes fleurs jaunes la tête pieusement dressée vers le soleil. Elle fonce dans la forêt inextricable des tournesols, s'emprisonne dans le labyrinthe de leurs tiges. Elle ressort éblouie au bord d'une mare... Depuis combien de temps, joue t'elle avec la nature ? Elle est exténuée.
Elle se laisse choir, la tête entre les pattes avant. Elle s'endort aussitôt.
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Pour les canards, c'est l'heure du bain, ils s'approchent curieux de la belle endormie.
- Coin, coin... chut les enfants, ne la réveillez pas !
- Coin, coin, chuchote le plus curieux des canetons en caressant son front du bout de l'aile, c'est coin ça ?
- Ch....uoin, Ch....oin .... c'est une lapine, elle doit être perdue. Pauvre petite !
- Mais alors faut la réveiller, s'énerve un caneton impatient, elle peut pas rester là.
- T'as raison, de quel coin-coin, peut-elle venir ? Attendez, réfléchissons.
Ainsi, s'interroge la tribu des canards. Ils discutent, ils s'interpellent, coicouinent tous en même temps, et de moins en moins discrètement.
Et réveille la lapine, qui n'apprécie guère. D'un coup, bondissant sur ses quatre pattes, prête à fuir, Kovka poussse de grands cris affolés.
- Où suis-je ? Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? Au secours ...
Papa canard s'avance les ailes tendues devant lui, le cou légèrement rejeté en arrière, allure pacifique par excellence.
- Coin, coin, nous sommes les canards. Ici, c'est notre mare. Mais toi, qui es-tu ?
A peine a-t-il fini sa question que tous les canetons parlent en même temps.
- Tu viens d'où ? Tu vas où ? T'as quel âge ? Pourquoi t'es toute seule ? Tu fais quoi dans la vie ? T'as faim ? T'as soif ? T'as une famille ?
Kovka s'est ressaisie. Elle s'installe tranquillement sur son arrière-train, secoue coquettement le désordre de sa fourrure. Elle baille longuement, une patte devant le museau, comm le lui a appris sa maman. Elle envoie un coup de patte arrière pour se gratter l'oreille gauche. Elle observe du coin de l'oeil la famille fort agitée des canards. Ils sont rigolos, tous pareils, tous très excités aussi.
En tortillant du popotin, maman canard s'avance, poussant sa progéniture devant elle.
- Voici notre sizaine de canetons. Une belle famille n'est-ce pas ? Nous prenons un peu d'exercice avant la baignade. Ensuite, nous casserons une petite graine !
Kovka compte les canetons, ah oui, avec les deux qui se sont éparpillés dans les joncs, ça fait six canetons. Quelle sympathique famille. Conquise, elle se radoucit.
- Bonjour, ne vous inquiétez pas. Je ne suis pas perdue. Je suis juste de passage...
Elle se redresse, ébouriffe son poil, dresse les oreilles dans une pose avantageuse et reprend,
- Je m'appelle Kovka. Voyez-vous, je suis grande maintenant. Il est temps que je comprenne les choses de la vie.
- Fichtre, s'exclame Papa canard, t'auras besoin d'aide pour ça !
Il se tourne vers sa digne épouse
- Maman canard, crois-tu que nous puissions aider Kovka?
Maman canard ne doute jamais des qualités de son époux, ni de sa famille
- Coin-coin coiin, oui, bien sûr.
Soudain très confiante et plus humble aussi, Kovka reprend sur le ton de la confidence.
- Si je pouvais rencontrer d'autres lapins, cela me permettrait de savoir qui je suis, pouvez-vous m'aider ?
Le concert des coins-coins reprend allégrement. La grosse voix de Papa Canard clame par dessus les criaillements et coups de trompettes intempestives.
- Bon, ça suffit les jeunes. D'accord . Notre communauté rassemble des tas d'espères d'animaux...
Maman Canard intervient à son tour,
- Enfin... Pour les lapins, c'est délicat, nous ne les fréquentons pas. Mais ils vivent à proximité.
Le plus jeune des canetons se frotte depuis quelques minutes contre la fourrure de Kovka. Il passe doucement le bout de son aile sur l'ourlet fin de l'oreille de Kovka. Il lui chuchote
- Comme t'es belle et douce; t'es extraordinaire, j'avais jamais approché de lapine avant toi. C'est trop bon !
Et il se frotte contre elle, et il se vautre sous ses poils, et il la caresse avec émerveillement. Kovka le repousse d'un coup de patte rageur. Ses yeux deviennent tout rouges. Son poil se hérisse. Elle tourne sur elle-même comme une toupie. Elle crache, elle tousse... Elle est folle de rage. La tribu des canards recule effrayée. Les petits se sont tous réfugiés derrière Papa Canard, à l'abri de sa queue dressée, ils observent cette incroyable explosion de folie.
Mama Canard et Papa Canard n'en mènent pas large et se concertent à voix bassse.
- Qu'est-ce qui lui prend ? Elle est pas nette cette lapine. Elle paraît même dangereuse. On fait quoi ? On s'coin-ce ? Non on s'casse !
Maman Canard rassemble sa petite famille, leur montre la mare. Au signal de Papa Canard, avec beaucoup de classe, tous lui tournent le dos sur la pointe de leur pattes palmées. Toutefois, Papa Canard jette un oeil vers l'arrière pour s'assurer que la lapine ne fait pas un malaise. C'est un canard compatissant.
À sa grand surprise, il voit la petite lapine se calmer aussi soudainement qu'elle s'est mise à hurler. Elle se rassied sur son arrière-train la mine contrite. Elle les implore d'une voix timide.
- Pardonnez-moi, je vous en prie. Voulez-vous me guider chez vous, s'il vous plaît. je vous raconterai tout en route.
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