Jeudi 20 août 2020
Sur le coup de presque midi, départ comme d’hab, aux aurores. A partir de la 113, cap nord ouest, la route file sous nos pneus. Des foultitudes de voitures nordistes nous dépassent… Pas de doute, c’est la fin de la période estivale pour les aoûtiens, mais nous, enfin on s’échappe.
Notre première étape sera pour les grottes de Trabuc. Et là, les touristes qui s’attardent sont nombreux, un paquet de gamins qui risquent de rater la rentrée. Encore des attardés qui vont bouchonner les accès aux voies rapides. Que donc nous éviterons.
Trabuc est un circuit aménagé à travers les boyaux de la grotte. Des escaliers, des passerelles, se glissent entre des voûtes découpées, sculptées comme des dentelles de cathédrale sur 45 mètres de profondeur… pause magnifique sur une plate forme qui domine un lac vert. L’eau dormante y étale ses plis de soie mordorée. C’est un bel endroit où s’attarder mais pas en période estivale. Pas avec un masque permanent sur le nez et la bouche. Venez y, c’est grandiose !
Fin d’après-midi, nous redécouvrons la Corniche des Cévennes que nous avions déjà déroulée en moto et nous retrouvons le même enchantement. Falaises et sommets en enfilade, nous décidons de prendre de l’altitude. Nous dormirons à « Le Pompidou », 750 m, petite hauteur vivifiante . Nous sommes deux occupants dans le camping municipal très rustique. Les sanitaires sont fermés à cause de la crise covid. Pas grave, on a de l’autonomie.
Ma main gauche est hyper sensible et je la protège. Laurent assure toutes les corvées du quotidien. Je crois même que ça lui plaît.
Vendredi 21 août 2020
Dans la matinée, nous partons à l’assaut du col de Tararbisas, plaisir de se dérouiller les jambes sur un sentier puis sur une piste caillouteuse. Une sympathique grimpée, face aux sommets arrondis qui fuient vers l’horizon.
A la tombée de la nuit, le museau face au ciel, nos yeux se perdent dans une belle nuit étoilée. L’allumeur de réverbères se déchaîne.
Remise en question de Laurent :
- Tu tiens absolument à aller jusqu’au bout du pays ?
- C’est où le bout du pays ?
- On parlait du nord, de Cherbourg à Dunkerque par exemple.
Faut bien que je l’avoue, j’ai très envie de découvrir cette France extrême que je ne connais pas. C’était là, que je situais l’exotisme de mes vacances. Mais on peut faire ça plus tard… ou jamais.
Donc je triche un peu sur ma réponse.
- J’y tiens pas absolument du moment que je voyage et que je découvre des coins nouveaux et tranquilles… Vacances sereines, mari épanoui, telles sont mes priorités.
Grand sourire de Laurent.
- Y’a tant d’espaces. Moi j’ai envie de faire ici du tourisme de proximité.
- On tracerait des lignes à travers l’Aubrac et les monts du Cantal
- Et je serai ton pilote de ligne, sans compter que je me débrouille pas comme un manche.
- Non, mais tu vas tirer pas mal de bords.
- Dis trésor et si on tirait des bords carrés ?
Notre petit camion frise l’euphorie. C’est chouette d’être d’accord.
Samedi matin, la Corniche des Cévennes change d’aspect. La route est bordée de sorbiers flamboyants. Les milans en larges cercles traquent depuis le ciel, les chaumes desséchés. Nous ferons une courte pause café à Florac, petite ville sage et sans prétention.
Nuitée à Ispagnac sympathique village médiévale de granit clair, au bord du Tarn. Nous y déambulerons avec bonheur. Beaucoup de plages aménagées dans les galets, de rares familles s’y éclaboussent et pataugent. Un bonheur de vacances.
Lundi, Laurent nous pilote vers Mende. La cathédrale dresse son clocher pointu, magnifique flèche brandie vers le ciel. Mais la ville ne nous attire pas.
Nous nous installerons dans le pré d’une fromagerie de Saint Gal, cernée de blocs de granit ; Ici les vaches sont beiges, le poil quasiment ras, une rassurante silhouette de nourrice opulente. De bien belles nounous pour notre petite Tamara.
En soirée, la laiterie est ouverte. Nous y dégustons un fromage local goûteux et pas cher, assez proche du saint nectaire en saveur. Nous renouvelons notre stock de laiterie, beurre et yaourts en produits frais, ni traités, ni pasteurisés. Un rappel nostalgique de nos paysans Charantillais. J’ai adoré… Et puis ces vaches de l’Aubrac, couleur claire de la roche sont très élégantes.
Mardi 25 août 2020
Quand on rêve d’aventure on ne résiste pas à la bête du Gévaudan. C’est donc dans le parc des loups que nous passerons la nuit ; dans ce parc clos, les loups vivent en liberté, des allées confortables permettent de déambuler en toute sécurité à travers cette immense forêt. Gros morceau de chance, les visiteurs s’éparpillent sans bousculade. C’est chouette. Le meilleur moment c’est le spectacle pédagogique de la fauconnerie « Griffondor » qui éduque hiboux, chouettes, aigles, buses et autres rapaces…
Depuis Harry Potter on connaît tous cette école prestigieuse. Les deux fauconniers aussi jeunes que passionnés, sont joyeux, taquins et très affectifs. Une heure émerveillée entre des rapaces éduqués et très sympathiques, un brin facétieux. Ils décollent et atterrissent au ras de nos cheveux, leurs ailes nous caressent les sourcils en passant. Les grands yeux jaunes d’un hibou nous dévisage à la portée de notre nez.
Dans la sécurité du petit camion, tard le soir, je guette sous ma couette les hurlements de loups de l’autre côté de la clôture. J’essaie d’entendre les différentes modulations, cris, appels, crainte, besoin, ou plaisir et complicité… Impossible à décrypter mais c’est un concert qui m’interpelle. Je me demande pourquoi on n’entend pas les loups le jour.
Pause café à Saint Chély d’Apcher, ville sinueuse et agitée. Elle ne convient pas au petit camion. Passons donc…
La découverte de l’Aubrac nous enchante. Les prairies sont plus vertes, plus grasses. Les sorbiers rouges illuminent des forêts brouillons, d’épicéas, de peupliers, et autres feuillus. Je me sens bien dans cet univers sauvage, qui cache de secrètes profondeurs.
Nous passerons la nuit à Le Malzieu, village du XIème siècle magnifique et peu fréquenté. Les maisons de granit clair sont très chics, parfaitement rénovées. Les fleurs s’épanouissent au bord des fenêtres, le long des trottoirs… La Truyère se déverse en bras ombragés à travers la ville.
Le petit camion part enthousiaste à l’assaut de la route des thermes. Pause réparatrice à Chaudes Aigues, pour ma main gauche toujours douloureuse et trop peu peu opérationnelle.
Dans la ville nous repérons la fontaine du Par, la source coule à 82° mais je préfère m’attarder dans le lavoir municipal dont les bassins sont à 65°.
J’y plonge ma main blessée, elle s’y épanouit comme une étoile à cinq branches. Les nuances de bleu qui teintaient ma paume, le dessus de la main et le poignet sont passées au jaune verdâtre, avec le fond du bassin de rinçage en fond d’écran, je trouve que ma main a de l’allure. Je la plonge, la remonte en quelques secondes, (c’est vraiment chaud cette source) puis replonge… Super, je suis en phase d’autoréparation.
Nous prenons la route des monts du Cantal sinueuse, très forestière, toujours brouillonne envahie de fougères. Nous passerons le pont de Lanau sur la Truyère, qui s’élargit en un bien joli lac où flânent mollement deux canots.
Vendredi 28 août 2020
Pluie annoncée. Camping municipal de Fridefont, quasi désert. Pause tranquille, sobre et économique. Demain le soleil revient, nous déciderons alors de notre prochaine étape.
Affectueuses pensées à nos petits qui vont reprendre l’école, nous penserons à eux lundi. Et puis je crois bien que Tamara va découvrir sa nouvelle vie chez la nounou…
SAMEDI 29-08-20 Camping municipal de Fridefont sous les averses…. Et les éclaircies
Après un tour sympathique dans un sentier balisé « peuches » (petites collines) à travers prairies et forêts touffues, nous méritons l’un des plus beaux moments de notre rituel de vacances. Dans les villages, nous repérons toujours une petite église, une petite chapelle à quelques pas de notre pause du jour. Laurent m’y offre un concert de flûte traversière. Remarquable parce que la profondeur de la nef, la hauteur des voûtes, l’épaisseur des murs, permettent dans ces édifices, une sonorité dont l’écho amplifie et feutre le timbre de la flûte. C’est magnifique. A Fridefont, église du XIIe, parfaitement entretenue, je m’installe à l’avant de l’église. Mais la résonance est telle que c’est une soupe de notes plutôt indigestes. Je propose donc à Laurent de venir près de l’autel. Un lutrin où reposent les pages du prochain office, pile à sa hauteur, lui fera un support idéal pour ses partitions. Le son ne résonnera pas entre les arrondis de la nef, et ce sera plus comestible pour moi, installée alors au fond de l’église. Car un peu de résonance enrichit le son, mais trop, c’est trop.
Au moment où Laurent s’installe au lutrin, une alarme stridente, assourdissante, épouvantable se déclenche. Tétanisés, les mains sur les oreilles, nous attendons d’interminables minutes que ce vacarme s’éteigne.
Au moment où le calme revient, une vieille dame un peu décoiffée et les vêtements en vrac déboule très fâchée, dans l’église Elle fonce vers Laurent toujours debout derrière le lutrin, sa flûte dans la main, l’air parfaitement idiot. Et moi qui me tasse sur mon banc à l’arrière de l’église.
- C’est vous qui avez déclenché l’alarme. Z’avez pas vu le panneau ?
Laurent tout penaud se gratte le front,
- Ben non, désolé, je voulais juste faire une sorte de prière musicale. C’est pas autorisé.
Toujours revêche, la vieille dame,
- Si, c’est autorisé mais vous n’aviez pas le droit de vous installer là.
Pendant que je m’approche, elle se radoucit,
- Bon, vous êtes quand même sympas de pas vous être sauvés lâchement. La plupart du temps quand j’arrive, y’a plus personne, et là, je suis vraiment en colère.
Puis elle me regarde,
- Vous avez l’intention d’assister à l ‘office de 17h ?
Pas trop courageuse, je n’ai guère envie d’affronter une nouvelle colère je réponds stupidement.
- Pourquoi pas ?
Comme nous savons tous, ce genre de réponse sous entend pour le questionneur une réponse en oui… La dame devient tout sourire, prend le temps de redresser une mèche qui lui tombe sur l’oeil.
- Vous pourriez accompagner nos chants, il n’y a jamais de musicien ici.
Là, je fais signe à Laurent que sur ce point je ne me sens absolument pas concernée.
Ils se mettent donc d’accord tous les deux, mais faut quand même l’autorisation du « Père » qui officie et qui arrive fort à propos.
C’est un géant noir, allure décontractée. Il porte une petite mallette, on dirait un représentant pour machines agricoles. Mais de loin seulement. De près il n‘est guère avenant. Requête formulée par son ouaille favorite. Il semble peut enthousiaste, mais ne veut pas contrarier la dame. Et là c’est rigolo car Laurent ne sait pas quoi jouer, et le prêtre pas plus que Laurent ;
- Faites comme vous voulez, c’est une messe ordinaire, vous pouvez jouer aux moments de l’élévation, il y en a deux, et moins d’une minute chacune de vos interventions.
- D’accord, mais comment je saurai que c’est le moment ; vous me ferez signe ?
Haussement d’épaules agacés du curé,
- non, ce n’est pas possible pendant l’office je ne peux pas communiquer avec vous, et avec le masque en plus. Mais quand je finirai la prière,
(…..qu’il cite à toute vitesse et dont on ne repère aucun mot intelligible), je lève les mains au dessus de mon visage, pendant ce silence vous pouvez jouer… je le ferai deux fois…
Là dessus, il se dirige à pas lents vers la sacristie. Regards perplexes de Laurent qui épluche ses pages de notes sans conviction, puis se tourne vers moi.
- Tu me feras signe ? Et puis je joue quoi ?
Je lui suggère la gymnopédie de Satie, lent et douloureux, s’il le fait très lent, ça peut devenir très mystique. Et puis il connaît parfaitement, faudrait pas qu’il se vautre…
Les gens du village entrent en scène. Nous sommes surpris car c’est un tout petit village et l’assemblée compte une bonne trentaine de personnes. Aucun regard vers nous.
La messe se déroule avec tout son arsenal de prières, de chants, d’incitation au recueillement. De très jolis textes du nouveau testament sont proposés à notre réflexion. Quelques instants avant l’élévation, je touche le bras de Laurent et les notes de Satie montent et s’enchaînent avec douceur et majesté vers la voûte. C’est cristallin, enchanteur, magnifique. Les têtes se tournent vers le flûtiste, on oublie un instant que se déroule un office religieux. Quelques sourires heureux mais aussi quelques moues réprobatrices…
« car les braves gens n’aiment pas que…L’on suive une autre route qu’eux ! »
A la fin de l’office, lorsque lentement l’église se vide, Laurent décidément inspiré envoie une autre mélodie, « Ave Maria » … Moi, je suis enchantée, le public, je ne sais pas trop.
Lorsque nous sortons discrètement, les groupes qui papotent sur le parvis de l’église nous saluent presque timidement où nous ignorent. Quelle étrange expérience, presque onirique. D’ailleurs c’était un samedi, drôle de jour pour la messe du dimanche.
31-08 – viaduc de Garabit que nous devons comme vous savez à Monsieur Eiffel et qui permet au train de traverser la Truyère. Puis cap sur Saint Flour
Notre route laisse apparaître au détour d’un pont un magnifique château sur son éperon rocheux. A ses pieds un sympathique espace herbeux nous attend pour la nuit. Un sentier monte vers le château mais nous repérons plus loin un panneau tout miteux presque effacé « cascade »…. Et bien entendu nous ne résistons pas à cet invitation.
Quelle merveille, le sentier court à travers la forêt tantôt terreux, tantôt caillouteux, en descente un peu hasardeuses. On se rapproche, la cascade ronronne pas très loin. Et d’un coup nous sommes à quelques pas d’une plage de rochers. Une falaise nous fait face qui protège la grande vasque ou dégringole la cascade. Nous avons trouvé ce site formidable en fin de soirée et la lumière est étrange. Mais promis, juré, je reviens demain matin.
Mercredi 2 septembre.
Nous voulons tenter l’expérience d’un « buron ». Le buron ici, c’est une fromagerie d’estives. Autrement dit, en été, les paysans montent les vaches au pré et ces constructions de pierre un peu rudimentaire permettent de travailler sur place. La plupart de ces « burons » belles bâtisses de pierre noires sont aujourd’hui transformées en auberge de dégustation de l’aligot ou de ventes de fromages locaux. Notre Gps nous signale un « buron » qui fait de l’accueil pour les camping-caristes.
Nous ne sommes pas d’accord Laurent et moi, car la route que je vois sur la carte me paraît précaire, mais Laurent se fie d’abord à son gps… La dessus on n’est vraiment pas d’accord. Et nous voilà engagés dans une route à une seule voie mais praticable… on peut même envisager de croiser un vélo peut-être ? Croisons les poings, croisons les fesses…
Ça évolue, la route étroite devient une piste caillouteuse à ornières… Le top… Pourvu qu’on croise personne (quand je pense que par l’autre côté on arrivait par la route...d’accord c’était un peu plus long…) Bingo, un tracteur à remorque déboule d’un virage… Je propose à Laurent la stratégie d’Annette à La Rouvière, « tu t’arrêtes et t’attends qu’il bouge ». Ce que Laurent fait. Nous n’en revenons pas, le tracteur continue d’avancer, à quelques mètres il monte sur le bord de la piste avec sa remorque qui prend une inclinaison fort inquiétante… Et le paysan avec un grand sourire confiant nous fait signe de passer… On frôle le côté descendant du passage, mais ça passe… Rien que d’y penser, je tremble encore.
Quand on arrive au buron, c’est un espace paysan encombré d’engins agricoles, dans les caillasses où il sera difficile de caler le petit camion. Nous décidons donc de reprendre la route, « dans le bon sens »…
- Laurent tu veux bien couper la chique au Gps s’il te plaît?
Nos journées se poursuivent avec de belles découvertes. Après le dure montée au Puy Mary, ouvert sur le vaste horizon des monts du Cantal, nous partons à la découverte de villes rustiques et belles. La campagne toujours verte, de vastes prairies, des forêts aussi sauvages qu’enchantées. Les fermes sont opulentes et majestueuses. De belles bâtisses en grès noir, chaque pierre bordée de blanc, flanquée souvent d’une ou deux tours au toits de Lauze qui pointent vers le ciel. Quel beau pays.
Après Salers,nous passons en Corrèze. Un bien beau département. Tout aussi champêtre, tout aussi rustique, tout aussi rurale. On adore.
Mais avant je dois vous dire que j’ai rencontré au Cantal, la vache la plus sublime de toutes mes rencontres de vaches. Les troupeaux de Salers inondent les prés d’animaux au poil ras brillant, couleur rouille ou acajou. Ces reflets leur donnent une silhouette harmonieuse pas du tout massive. Elle ruminent tranquillement avec majesté. Les cornes en forme de lyre se teintent de brun ou de noir à la pointe. Oh là, là, que ces vaches sont belles. Quelle classe !
Dimanche 6 septembre 2020
Marcillac la Croisille. Il faut que je me préoccupe de la lessive. Nous décidons de prendre nos aises et le confort d’un lave-linge et d’une sécheuse au camping du lac de Lavalette. Pas grand monde et nous bénéficions d’un grand espace sous un chêne plusieurs fois centenaires… qui pleut des glands… Ça nous fait rire… enfin moi surtout, quand ça tombe dans le pastis de Laurent.
C'EST QUI LA PLUS BELLE ?
Lundi 7 septembre 2020
Nous quittons le confort de Marcillac la Croisille sous un soleil voilé et température fraîche. 18° à midi. Pause déconcertante à Gimmel les Cascades. La chapelle est ornée d’un retable aux couleurs lumineuses, qui date du XVème siècle rouge-or-vert. rénové il y a une dizaine d’années, ce qui explique sa fraîcheur. Dans une petite alcôve, secrètement fermée, protégé par une vitre anti-choc, un reliquaire de St Étienne. Cet espèce de sarcophage est de la taille d’une grosse boîte à bijoux, en fine orfèvrerie cerclée d’or.
- Dis Laurent y’a quoi à ton avis dans ce reliquaire.
- C’est quoi un reliquaire ?
- Disons, c’est une sorte de boîte à bijoux. On y garde ce qui reste d’un personnage vénéré, d’un martyr.
- Il est mort quand Saint Étienne ?
- Ouh là là, vers l’an 37, je crois. Même que c’est le premier martyr chrétien… au moins l’un des premiers.
- Et tu crois qui reste quoi de lui aujourd’hui ? Pour moi, c’est plutôt un vieux truc à valeur sentimentale.
- T’as raison surtout que ce coffret ne date que de quelques centaines d’années. Il ne devait déjà plus rester grand-chose du Saint Etienne.
Hé oui, nous autres mécréants, ne pouvons nous émouvoir que de richesses extérieures.
Encore une image de puits et l'autre versant change. Des fougères immenses, qui dépassent le petit camion, bordent les forêts. Elles deviennent infranchissables. Et débouchent sur le plateau des mille vaches, coeur du Cantal.
- T’es contente, c’est un pays pour toi ça, les mille vaches…
- Super tu me feras tout plein de portraits. C’est la Noiraude qui sera contente.
Sauf que, mille vaches ça vient d’un vieux mot local « vaca » qui signifie sources…
Les campagnes du cantal sont riches. Les fermes immenses et coquettes, avec de beaux toits en ardoises. C’est un monde rural apaisant. Les troupeaux de vaches (si elles ne sont pas mille) restent impressionnants. Les vaches ressemblent beaucoup au type Aubrac. Couleur caramel blond, jusqu’au presque blanc quelquefois. Leurs cornes sont courtes, légèrement incurvées. Mais surtout, leur museau et leurs yeux sont cerclés de blanc. Ce qui donne à leur regard une profondeur magnifique. Les plus coquettes aux yeux charbonneux sont craquantes. Ce sont de grosses bêtes bien lourdes et opulentes. De bonnes laitières.
Mais une nouvelle mode sévit dans le pays des vaches. La tendance, c’est de sélectionner des vaches sans cornes. Je les aime bien aussi, les embryons de cornes couverts de duvets clairs leur font comme un bonnet arrondi de chaque côté du crâne. Elles ont un p’tit air de première communiante… très douces, filles modèles en quelque sorte.
A Egleton nous entrons au pays des myrtilles. Seulement en rêve, ce n’est plus la saison. Avec toujours les burons d'estive.
Au niveau de Meymac, les forêts de pins douglas se socialisent. Des remparts de grumes s’alignent le long de la route et les engins travaillent activement. C’est une forêt qui a quelque chose d’urbanisé. Nous décidons de prendre la route des gorges de la Dordogne et ses multiples barrages. Ici celui de Chastaing avant celui de Bort les Orgues.
mardi 8 septembre- Journiac
Nous trouverons un site extraordinaire pour pauser notre petit camion au milieu des forêts de pins dans une propriété privée… Aventures hasardeuses toujours, heureuses presque toujours.
Notre marche quotidienne nous entraîne vers le lac (retenue des barrages sur la Dordogne). Une virée exténuante d’environ 2h. Nous traversons l’immense forêt. Son silence nous saisit. Nous avons le sentiment d’être seuls au fond d’un monde aussi rustique que propre et accueillant. Sauf qu’au détour d’un virage, je m’immobilise sidérée…
Deux jeunes biches fusent à travers la piste… presque sous mon nez… Et moi, qui nous croyais isolés du monde. Mon Dieu, qu’elles étaient belles…
Nous sommes toujours en altitude (environ 1000m) . Le Tour de France nous poursuit… Pourvu qu’il nous rattrape pas. On commence à croiser bien du monde. Nous décidons de nous réfugier au camping de la Tour d’Auvergne. Nous n’aurons de place qu’une nuit… Faut dire que les champions du tour traverseront le village demain pour foncer vers le Puits Mary et tous les lieux sont pris d’assaut… Nous connaissons les cols qu’ils vont affronter. Quel courage ils ont ces hommes là.
A la Bourboule, avant de rejoindre le petit camion, nous jetons un œil vers la montée du téléphérique. Et nous distinguons à cette altitude, d’un bord à l’autre de la vallée un long câble tendu. Et sur ce câble une silhouette en contre-jour qui traverse lentement le ciel… Pourquoi sommes-nous les seuls, Laurent et moi, le nez en l'air, le regard scotché sur ce fou qui défie les nuages. (Peut-être le distinguerez-vous sur la photo, et pourrez me dire si c’est une homme ou une femme, ou une hallucination)
Espinchal -Aveyron
A Espinchal, il n'y a rien, aucun commerce mais quantité de randonneurs pour explorer de belles pistes parfaitement aménagées. On nous informe qu'à 18h le marchand ambulant qui vend absolument de tout (pain, épicerie, plats préparés, boissons, viennoiserie... )passe sur la grande place du village après son tour dans le village. Epatant on va refaire le plein de frais.
Lundi 14 septembre 2020. Thérondels
Quelques pauses plein champs. Si vous venez dans le coin, je vous conseille le sympathique village de Thérondels dans l'Aveyron. La commune met à notre disposition d’immenses prés au bord du village que nous partageons avec les vaches. Juste un fil nous sépare de ces dames. Laurent nous a trouvés un sentier extraordinaire qui domine les monts de l’Aubrac. Varié, sauvage mais parfaitement tracé, des prairies, des sommets au ras des nuages… des forêts… Et une sorte de vilain « maringoin » qui m’a dévoré la jambe… Les charmes de la campagne, version comment survivre aux sauvages locaux !
Au fond des prés, un étang abrite quelques oies sauvages. Nous avons eu de bonnes compagnies dans nos campements isolés, des ânes, des loups, des vaches. Mais ici on découvre une autre ambiance. En soirée, les oies s’envolent. Elles tournent et virent en longs cercles en poussant de drôles de cris… Ça dure une petite demie-heure puis tout rentre dans l’ordre. Mais ça recommencera dans la nuit.
jeudi 17 septembre – La météo s’annonce catastrophique pour la fin de semaine et la semaine suivante. Nous décidons d’aller faire un saut à Laguiole, capitale du couteau… visite du musée, déambulation à travers la ville hyper touristique même à cette saison. Ne nous attardons pas.
Vendredi 18 septembre.
Nous nous plaisons vraiment bien en Aubrac, nous choisissons de nous arrêter au village du même nom. Nous ferons un tour au musée local dédié à l’histoire rurale de l’Aubrac et à la gloire de leurs vaches sympathiques.
Une autre pause à Bozouls, village très étonnant. La petite rivière Bordou, (à peine une cascade) si petite qu’elle soit, a creusé en quelques millénaires une immense falaise sur laquelle est construit le village. La corniche qui domine ces falaises est remarquable.
Samedi 19 septembre 2020. Nous trouvons un camping municipal à Campagnac. Le régisseur est en hivernage depuis le 15 septembre. La commune laisse le terrain et les sanitaires en libre accès pendant l'hiver. C'est génial. On y est les seuls campeurs dans un site magnifique. Une grande marche hier comme on les aime, entre sentiers muletiers, forêts et prés... De quoi nous ressourcer en attendant la pluie. Encore un endroit fort accueillant pour qui aime l'isolement. Laurent attend une éclaircie pour aller ramasser les noix qui tapissent les sentiers.
Je suis en mode rêverie au bord de la prairie… Hé puis, je reconnais le timbre baryton d'un Laurent des grands jours. Alors forcément ça m’interpelle. Vu que nous sommes seuls, à qui s’adresse-t-il. si tendrement. Comme s’il se forçait à parler doux…
- Oh, t’en as des beaux yeux, approche un peu, allez, doucement….
…
La voix de Laurent se veloute. Mince alors, pour qui tous ces efforts de séduction?
- Allez approche regarde moi…
….
Maintenant, il parle comme s’il s’adressait à un bébé.
- Bonjour ma toute belle. Oh, elle est jolie la « vavache »…
Je m’approche doucement. Et bien entendu, je pousse un cri en glissant.
- Bouse !
Je me rétablis de justesse. Laurent se retourne vers moi, l'appareil photo sur le museau. Il est tout réjoui.
- C’est le pied gauche, chanceuse va !
C’est « la vache qui rit »