Une nuit d'hiver en Cévennes
Je marche avec Laurent sur le sentier qui monte à Bonnevaux. Une paisible grimpée avec juste ce qu'il faut d'efforts à travers les châtaigniers. Un léger souffle me caresse le bout du nez. Fin d’après-midi avec une belle lumière dorée. Je me sens vraiment bien. Le sentier est carossable. Hors, quelques pierrailles ensevelies sous les feuilles mortes. Laurent me tend un bras secourable pour me stabiliser. Mon pied dévie, zut alors douleur fulgurante. Il me prend dans ses bras, rassurant, attentif et inquiet. Je suis bien et je suis mal à la fois. Et puis, d'un coup, je n'ai plus mal nulle part, et puis j'ai mal quand même. Le rêve dérape...
- Laurent y'a une odeur de sanglier autour de nous ?
- Mais non, c’est trop tôt, pas fous les sangliers.
Je sais très bien que c’est faux, pour les sangliers y’a pas d’heure. Je les ai souvent croisés sur l’une ou l’autre terrasse. Ils vaquent librement dans les sentiers. Y'a pas d’animal sauvage en vue mais l’odeur est désagréable. Et puis....
- T’entends ce grésillement ?
Vraiment étrange, pas de pylône, pas de site électrifié en vue.
- En plus ça sent le cramé ?
Laurent allonge son pas.
- Avec cette sécheresse. Faut pas s'éterniser.
Alors j’accélère à travers les roches et les feuilles mortes et je me rétame magistralement. Réveil violent et bascule dans le réel, dans la nuit absolue de la chambre d’ami. Laurent dort paisiblement. L’odeur de brûlé se précise et ça grésille au dessus de ma tête. Inquiétant non ?
J'allume ma lampe de chevet, me penche vers le bienheureux dormeur.
- Laurent, coucou, réveille, toi y’a un truc bizarre, ici.
Il émerge très vite.
- On n’a pas fait de feu dans le poêle pourquoi ça sent le brûlé ?
Bruit mat d'un truc lourd qui tombe sur le plancher. Laurent qui ronchonne, allume sa lampe de chevet. On a l'impression que le grésillement vient des poutres. Il se lève, va vers la porte, allume le plafond. La lumière inonde crûment la pièce. Instantanément le grésillement s’arrête. Laurent, un doigt sur l'interrupteur, debout contre le mur est perplexe. Il ramasse un livre écartelé sur le plancher. Il éteint la rampe du plafond, le grésillement reprend.
Nos sensations se réveillent.
- pour de bon, ça sent le cramé.
Pas une lueur, pas une flamme, c’est sûr y’a pas le feu... Enfin pas dans la chambre.
Laurent rallume le plafonnier. Le bruit s’arrête instantanément. Rien de suspect au plafond.
- On verra ça demain, il fera jour.
Il éteint de nouveau. Le grésillement reprend un peu plus fort.
- faudrait peut-être régler ça cette nuit, non ?
- J'ai rien sous la main pour bricoler, c'est guère le moment.
Je ne suis pas plus motivée que lui pour aller fouiller dans l'outillage de la cave extérieure par ce froid d'hiver en milieu de nuit. Il rallume. Le silence est magnifique, total, pas un pet de mouche.
Il revient vers le lit, s'assied hésitant.
- Va falloir dormir avec la lumière allumée jusqu'au matin ?
- A tous les coups, c'est un court circuit dans l'interrupteur.
- D'un coup au milieu de la nuit, quand tout le monde dort ?
- Le mur est froid, ya peut-'être eu de la condensation.
- Donc ?
- Donc, faut régler ça tout de suite. Je vais démonter l'interrupteur. il me faut juste un tournevis isolé. Je trouverai ça dans l’atelier de Claude.
Guère convaincue, tout en me réfugiant un peu plus sous la couette mais solidaire toujours, je tente un modeste,
- Tu veux que je descende avec toi ?
Et lui héroïque comme la plupart d'entre vous, s'habille déjà à l'arrache avec ce qui lui tombe sous la main.
- Non, j'en ai pour une minute,
Il sort de la chambre, je l'entends faire quelques pas, et presque aussitôt il revient,
- J'en avais un dans l'appareil photos.
Super mais je n'en mène pas large. Je ne suis pas tranquille mais pas du tout.
- Dis Laurent, si tu fais un court circuit malencontreux, y se passe quoi ?
Il me regarde d'un air désolé, ce genre de regard qu'on réserve aux incurables.
- Mais rien, t’inquiète pas, mon tournevis est isolé.
- Si tu l’dis. Fais gaffe quand même..
Je me lève, m’habille vite fait. Sous la couette on s’en rend pas compte, mais ça caille dans cette pièce. Je me rapproche de lui. Si jamais il explose, j'exploserai avec lui mais pas en pyjama. Ça ferait négligé.
- Attends Laurent, imaginons un malencontreux mélange de fils....
Il court-circuite ma question en même temps qu'il déloge l’interrupteur de sa niche.
- Y se passera rien. ça allumera juste la lumière.
J’ai même pas le temps de digérer l’info que le boîtier pendouille lamentablement le long du mur. Mais comment il a fait ça si vite. Le tournevis s’approche des fils, ça touille là-dedans. Je retiens mon souffle, me cramponne au mur...
Une pichenette de tournevis, un fil qui jaillit, Un p'tit éclair. C'est tout
D'un doigt expert Laurent évacue quelques poussières. Je respire un peu mieux. Va falloir explorer les entrailles de l’interrupteur, une opération à cœur ouvert. L'interrupteur ne souffrira pas, il n’est plus vivant. Ouf ! mais je tremble toujours, si ce n’est plus de trouille, c’est surement de froid.
- C’est fini ? Je peux me recoucher.
- Attends regarde ce truc
Je m’approche et je vois la chose... une espèce de larve brillante et visqueuse qui s'étale autour des cosses… Quelle étrange sarcophage !
Il est deux heures du matin. Y'a pas eu de gaz toxique, y'a pas eu de fumée, ya pas eu le feu. Ya pas eu de fumée sans feu non plus.
L'heure fatale est passée.
- Viens Laurent, je t'attends sous les chataigniers et la nuit va tomber.
Deux plongeons simultanés sous la couette.
NOV 2016