Pour TAMARA, Notre Précieux Lapin de Pâques.
Kovka est un bébé lapin absolument magnifique. Sa maman et son papa sont fous d'elle. On la bichonne, on la caresse, on lui fredonne des petits airs rigolos ou tendres. Mais c'est une petite lapine très gourmande. Ça pose un problème à sa maman. Ce bébé n'est jamais rassasié. Docteur Chapitot, professeur véto-poupon, rassure en permanence la malheureuse maman.
- Vous savez, maman Lapine, votre bébé est en pleine forme. Elle est vigoureuse, elle pousse comme un beau plan de carottes. Elle a faim. Mais la faim est une excellente maladie. Et puis elle finira par se calmer. C'est comme ça les nourrissons. Il faut que passe ce premier âge de mise en place de tous les organes de ce petit corps. Des fois, c'est un peu compliqué, un peu plus long, mais ça s'arrange toujours.
Donc le papa et la maman émerveillés par leur bébé prennent leur mal en patience et rapidement les choses rentrent dans l'ordre. La petite lapine grandit. Plus elle grandit, plus ses parents la voient comme l'unique et plus fabuleuse merveille du monde.
C'est vrai qu'elle est mignonne avec son pelage doré. De magnifiques oreilles duveteuses en leur centre, ourlées d'une belle rangée de fourrure flamboyante. Comme de fières antennes, elles se dressent de chaque côté de son sympathique museau, lui aussi bordé de duvet clair. Mais ce qui séduit et vous attache à cette petite, ce sont ses grands yeux sombres. Bordés d'immenses cils recourbés, son regard s'attache sur vous telle une invitation à communiquer. C'est un regard qui vous interpelle, ne laisse personne indifférent. Quelle étonnante petite lapine. Ses parents, admirent cette petite sans modération. C'est leur fille, c'est la plus belle.
Devenue plus grande, elle se frotte à d'autres individus qui lui ressemblent ou pas. Elle se socialise. Elle rencontre ainsi un jeune lapin fort arrogant, genre celui qui se croit irrésistible et se la joue un max. Kovka est encore bien naïve. Ils font quelques tours ensemble, grignotent de concert leur bout de carotte, ils flirtent discrètement. Romo, son amoureux la regarde avec des yeux langoureux.
- Tu es si belle, tu m'intimides...
Ceci dit avec des mines, des sourires et des effleurements de pattes. Kovka se laisse séduire avec bonheur. C'est si beau d'être admirée par un garçon. Sa meilleure amie la met en garde.
- Méfie-toi, Romo, c'est un chaud lapin... C'est tout du semblant, juste pour t'attendrir, un beau jour, il va te larguer pour une autre et tu souffriras.
- Pourquoi ferait-il cela ?
- Oh c'est simple. Quand tu seras tombée dans ses pattes, tu ne l'intéresseras plus. Il arrêtera de jouer avec toi.
Kovka est révoltée.
- Mais c'est n'importe quoi ! Ce que je sais, c'est que je suis la plus belle, et que des personnes d'exception s'intéressent à moi. Romo est ainsi, beau, charmant, spirituel et tendre... C'est pas de ma faute si t'as pas les arguments qu'il faut, toi... pour lui plaire !. Jalouse va !
Excédée, son amie lui tourne le dos et retourne courir dans son carré de luzerne. Kovka s'en contrefiche. Elle reste une lapine comblée. Quelques semaines ....
Jusqu'au jour funeste où Romo vient la rejoindre avec une donzelle aux poils longs parfaitement lustrés. Quelle fourrure chatoyante ! Des yeux peints au charbon, des lèvres pulpeuses et gourmandes et des mines et des attitudes tout en grâce et en retenue. Kovka n'avait jamais vu de lapine fatale, elle est subjuguée. Hélas, elle n'est pas la seule et très vite Romo se met au service de la belle coquette. Bien entendu, il néglige Kovka, dont les plaintes incessantes commencent à le lasser...
La petite lapine ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle n'est donc plus intéressante. Ses parents se seraient trompés. Les adultes lui auraient menti. Il y aurait donc des tas de lapines "les plus belles, les plus merveilleuses" à travers le monde. Il faut qu'elle en ait le coeur net. Elle décide de quitter le doux foyer de sa famille. Elle ne prévient personne. Elle veut juste quitter ce monde injuste, le plus vite possible.
Un matin très tôt, elle jette un dernier regard sur son monde familier et lui tourne le dos en sanglotant. Sa souffrance, sa solitude sont immenses. Elle porte le poids d'une misère incommensurable. Elle traîne la patte, sa petite queue ne s'ébouriffe plus au souffle de la brise et son regard s'est éteint. Le soir tombe, elle continue d'avancer, à pas lents en poussant de gros soupirs. Elle se repose quelquefois, juste le temps de verser quelques larmes, et puis elle repart le coeur trop lourd. Ça s'appelle le mal à l'âme, c'est terrible. Ce mal vient de soi-même et on ne peut le guérir que par soi-même. Encore faut-il savoir comment s'y prendre, et Kovka qui n'a jamais souffert, est bien démunie pour trouver un remède.
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
La solitude finit par l'apaiser. Un soir, elle prend le temps de regarder le ciel rose du soir. Il vire au brun puis s'assombrit, devient noir. Kovka très étonnée découvre une campagne qu'elle n'avait jamais pris le temps d'observer. L'air est peuplé de mille froissements, bruissements, souffles et cris inconnus. De l'horizon montent les premières étoiles. Alors elle décide de se coucher au pied d'un cèdre, le regard perdu dans les lumières du ciel. En peu de temps, la voie lactée s'ouvre au dessus de sa tête et le ciel s'illumine. Sa coupole est trouée de mille bougies. La lune apparaît entre les nuages, se courbe humblement vers Kovka qui n'a jamais vu de spectacle plus intense, plus profond, plus vertigineux.
La nuit se colore. Les ombres sont grises ou bleutées selon que ce sont des arbres, des prairies, des champs fleuris. Des arômes humides montent de la terre, humus, champignons, mousses... Le fardeau si lourd sur les épaules de Kovka s'allègent. Un doux bien être l'envahit. Elle ne sait pas où elle va, elle ne sait pas de quoi demain sera fait. Mais la nuit lui promet un ailleurs, une autre vie, avec quelqu'un qui l'attend et qui ne le sait pas. Quelqu'un qui lui ressemblera ou pas, mais qui l'aimera telle qu'elle est. Tout simplement. C'est la promesse de sa première nuit étoilée.
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
Le jour se lève. Les bougies du ciel se sont éteintes. Derrière les dunes de prés et de champs, la ligne d'horizon devient rose. Puis la bordure s'élargit, couvre une large portion du ciel qui s'éclaircit. Et le soleil sort doucement des plis roses de l'horizon. Une araignée a tracé son chemin jusqu'aux moustaches de Kovka. Elle éternue, se réveille. Elle est vite sur pattes. Elle secoue son corps humide de rosée. Elle frissonne un peu, pas longtemps. Campée sur ses pattes arrière, elle observe. Elle est un peu dépaysée, impatiente aussi de gambader à travers les collines.
La petite lapine bondit, libre comme jamais. Elle court à travers les herbes. Un papillon facétieux se pose sur son museau... Elle louche pour le regarder, un autre se pose sur une oreille.... pfuuit.... ils sont déjà partis. Quelle bonheur d'appartenir à ce monde magnifique, de faire partie du paysage.
Un carré d'herbes odorantes lui offre une pause gourmande. Elle court après les insectes. Elle observe étonnée le convoi laborieux d'une colonne de fourmis. Elle flaire un beau scarabée d'or qui prend soudain son envol dans un lourd bruissement d'ailes. Il lui chatouille le museau en passant. Elle dérange un nuage de libellules. Elle les poursuit jusqu'à un immense champ de grandes fleurs jaunes la tête pieusement dressée vers le soleil. Elle fonce dans la forêt inextricable des tournesols, s'emprisonne dans le labyrinthe de leurs tiges. Elle ressort éblouie au bord d'une mare... Depuis combien de temps, joue t'elle avec la nature ? Elle est exténuée.
Elle se laisse choir, la tête entre les pattes avant. Elle s'endort aussitôt.
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
Pour les canards, c'est l'heure du bain, ils s'approchent curieux de la belle endormie.
- Coin, coin... chut les enfants, ne la réveillez pas !
- Coin, coin, chuchote le plus curieux des canetons en caressant son front du bout de l'aile, c'est coin ça ?
- Ch....uoin, Ch....oin .... c'est une lapine, elle doit être perdue. Pauvre petite !
- Mais alors faut la réveiller, s'énerve un caneton impatient, elle peut pas rester là.
- T'as raison, de quel coin-coin, peut-elle venir ? Attendez, réfléchissons.
Ainsi, s'interroge la tribu des canards. Ils discutent, ils s'interpellent, coicouinent tous en même temps, et de moins en moins discrètement.
Et réveille la lapine, qui n'apprécie guère. D'un coup, bondissant sur ses quatre pattes, prête à fuir, Kovka poussse de grands cris affolés.
- Où suis-je ? Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? Au secours ...
Papa canard s'avance les ailes tendues devant lui, le cou légèrement rejeté en arrière, allure pacifique par excellence.
- Coin, coin, nous sommes les canards. Ici, c'est notre mare. Mais toi, qui es-tu ?
A peine a-t-il fini sa question que tous les canetons parlent en même temps.
- Tu viens d'où ? Tu vas où ? T'as quel âge ? Pourquoi t'es toute seule ? Tu fais quoi dans la vie ? T'as faim ? T'as soif ? T'as une famille ?
Kovka s'est ressaisie. Elle s'installe tranquillement sur son arrière-train, secoue coquettement le désordre de sa fourrure. Elle baille longuement, une patte devant le museau, comm le lui a appris sa maman. Elle envoie un coup de patte arrière pour se gratter l'oreille gauche. Elle observe du coin de l'oeil la famille fort agitée des canards. Ils sont rigolos, tous pareils, tous très excités aussi.
En tortillant du popotin, maman canard s'avance, poussant sa progéniture devant elle.
- Voici notre sizaine de canetons. Une belle famille n'est-ce pas ? Nous prenons un peu d'exercice avant la baignade. Ensuite, nous casserons une petite graine !
Kovka compte les canetons, ah oui, avec les deux qui se sont éparpillés dans les joncs, ça fait six canetons. Quelle sympathique famille. Conquise, elle se radoucit.
- Bonjour, ne vous inquiétez pas. Je ne suis pas perdue. Je suis juste de passage...
Elle se redresse, ébouriffe son poil, dresse les oreilles dans une pose avantageuse et reprend,
- Je m'appelle Kovka. Voyez-vous, je suis grande maintenant. Il est temps que je comprenne les choses de la vie.
- Fichtre, s'exclame Papa canard, t'auras besoin d'aide pour ça !
Il se tourne vers sa digne épouse
- Maman canard, crois-tu que nous puissions aider Kovka?
Maman canard ne doute jamais des qualités de son époux, ni de sa famille
- Coin-coin coiin, oui, bien sûr.
Soudain très confiante et plus humble aussi, Kovka reprend sur le ton de la confidence.
- Si je pouvais rencontrer d'autres lapins, cela me permettrait de savoir qui je suis, pouvez-vous m'aider ?
Le concert des coins-coins reprend allégrement. La grosse voix de Papa Canard clame par dessus les criaillements et coups de trompettes intempestives.
- Bon, ça suffit les jeunes. D'accord . Notre communauté rassemble des tas d'espères d'animaux...
Maman Canard intervient à son tour,
- Enfin... Pour les lapins, c'est délicat, nous ne les fréquentons pas. Mais ils vivent à proximité.
Le plus jeune des canetons se frotte depuis quelques minutes contre la fourrure de Kovka. Il passe doucement le bout de son aile sur l'ourlet fin de l'oreille de Kovka. Il lui chuchote
- Comme t'es belle et douce; t'es extraordinaire, j'avais jamais approché de lapine avant toi. C'est trop bon !
Et il se frotte contre elle, et il se vautre sous ses poils, et il la caresse avec émerveillement. Kovka le repousse d'un coup de patte rageur. Ses yeux deviennent tout rouges. Son poil se hérisse. Elle tourne sur elle-même comme une toupie. Elle crache, elle tousse... Elle est folle de rage. La tribu des canards recule effrayée. Les petits se sont tous réfugiés derrière Papa Canard, à l'abri de sa queue dressée, ils observent cette incroyable explosion de folie.
Mama Canard et Papa Canard n'en mènent pas large et se concertent à voix bassse.
- Qu'est-ce qui lui prend ? Elle est pas nette cette lapine. Elle paraît même dangereuse. On fait quoi ? On s'coin-ce ? Non on s'casse !
Maman Canard rassemble sa petite famille, leur montre la mare. Au signal de Papa Canard, avec beaucoup de classe, tous lui tournent le dos sur la pointe de leur pattes palmées. Toutefois, Papa Canard jette un oeil vers l'arrière pour s'assurer que la lapine ne fait pas un malaise. C'est un canard compatissant.
À sa grand surprise, il voit la petite lapine se calmer aussi soudainement qu'elle s'est mise à hurler. Elle se rassied sur son arrière-train la mine contrite. Elle les implore d'une voix timide.
- Pardonnez-moi, je vous en prie. Voulez-vous me guider chez vous, s'il vous plaît. je vous raconterai tout en route.
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
Ainsi cheminent-ils, l'une en gambadant, les autres se dandinant. Et puis, ils font une pause, et elle leur raconte, son enfance dorée, gâtée, du temps qu'elle était la reine des lapines. Elle raconte aussi son orgueil, tout le temps qu'elle a passé à se pavaner, à se bichonner, comme si cétait la chose la plus importante au monde. Elle raconte aussi Romo, le troublant personnage, qui s'est moqué d'elle, abusant de son innocence. Elle raconte aussi sa fuite. Elle raconte ses nuits à la belle étoile, toutes les merveilles qu'elle a rencontrées en route,. Elle raconte comme le monde est beau quand on ne lui demande rien, juste d'être là.
L'étonnante expérience de Kovka, son courage aussi a cloué le bec à tous les canards. Ils reprennent leur chemin en silence.
Quelques jours plus tard, ayant fait connaître son odeur, son sourire, sa bonne volonté, Kovka a trouvé sa place dans le quartier où vit la tribu canard. C'est maintenant une lapine joyeuse et généreuse aussi simple qu'élégante.
La voici qui déambule dans le quartier Chat.
- Coucou, cha va bien ?
- Oui, chuper, cha te dit de faire un tour avec nous ?
Le plus jeune, le plus gourmand aussi, lève son museau de sa gamelle. Il lèche avec application ses moustaches.
- Mi....aou... Mia...miam, fichtrement bon tout ça. Cha'dore, t'en veux ?
Deux chiens s'immobilisent à son approche. Ils ont toujours envie de faire la course avec Kovka, mais à elle, ça ne lui plaît pas trop. Un coup malheureux de leurs grosses pattes pourrait l'assommer... Elle ne veut pas prendre le risque. Eux ça les fait rigoler.
- Woua eux.... veux-tu faire la garde avec nous ce soir ?
- Non merci. J'aurais trop la trouille.
Un sympathique agneau, qui vient d'être puni, bêle encordé à un piquet. Maman Mouton est très fâchée.
- Bêêê...tise sur bêêê... tise, il fait celui-là. Pas moyen qu'il reste parmi nous. Faut toujours qu'il aille vadrouiller... Pendant des heures je le cherche quelquefois.
Kovka ne trouve pas ça très grave. Le pré est bien fermé, il ne peut pas aller bien loin et puis les chiens veillent.
Elle finit par attendrir Maman Mouton qui va libérer son petit... Et les gambades reprennent joyeusement.
Bien entendu, c'est dans la tribu lapin qu'elle se sent vraiment chez elle. Elle s'est rendu compte, qu'autour d'elle, il y a beaucoup de lapines, charmantes et mignonnes. Il y a aussi Youra, celle-là, elle est carrément canon. C'est sa meilleure amie. Donc tout va bien pour Kovka, réconciliée avec le monde dans lequel elle vit.
Jusqu'au jour où elle rencontre le timide Julius qui va bouleverser ses nouvelles certitudes.
♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦
Julius est un brave. Il adore les fleurs et quand on aime les fleurs on est forcément un brave. Il attendrit Kovka. Elle a l'impression qu'avec lui, elle est en sécurité. Il n'est pas très beau, et c'est pas un athlète. Mais son regard est doux. Il parle avec délicatesse. Il sait écouter, conseiller aussi. Il est très patient, ne se fâche jamais. Et pour la tumultueuse jeune lapine, c'est un total apaisement de se trouver près de lui. Ils passent de longs moments ensemble. Ça se fait comme ça, ils se retrouvent toujours, un peu par hasard mais pas toujours. Ils ont de longues conversations sur leurs attentes, leurs déceptions, sur le monde tel qu'il tourne autour d'eux. Ils sont d'accord sur presque tout. Leur amitié sans heurts fait son bonhomme de chemin amoureux.
Un jour Julius attire Kovka sous une cerisier de fleurs blanches. Un souffle de vent léger décoiffe l'arbre. Un nuage de pétales blancs les inonde. Des papillons s'éparpillent dans la fourrure de Kovka. C'est magnifique et romantique. Julius la prend natuellement dans ses bras; il est un peu maladroit. C'est la première fois qu'il prend une lapine contre lui. Il se penche vers l'oreille à demi dressée de Kovka, et chuchote dans le duvet si doux.
- Kovka, je rêve de toi, je me nourris de ta présence. Dès que je te quitte, ta voix continue de chanter dans mon âme. Tu es la plus formidable lapine du monde. Tu es l'étoile de mes nuits, tu es l'astre de mes jours....
A ces mots, Kovka repousse son ami avec violence. Elle éclate en sanglots.
- Voilà, ça recommence. T'es comme les autre, t'es nul. T'es un menteur. Je te déteste. Va-t-en, je ne veux plus te voir !
Elle se retourne et sanglote de plus belle.
L'amoureux complètement épaté se demande bien ce qu'il a dit ou fait de si dramatique. Il reste cloué sur ses quatres pattes, l'air parfaitement stupide. Il était sincère, il croyait que Kovka partageait ses sentiments. D'accord, c'est la première fois qu'une fille l'attire à ce point. Mais au cinéma, ce genre de déclaration, c'est imparable. Où est l'erreur ?
Il se rapproche avec prudence de Kovka, lui cueille une grande feuille à déguster, une délicatesse, c'est une patte d'ours. La patte d'ours, aucun lapin ne lui résiste, c'est le mets d'exception pour un lapin. Kovka regarde la plante. Il y a toute la détresse du monde dans ses yeux. Julius tente un sourire.
- C'est pas pour la manger, c'est pour essuyer tes larmes.
Kovka amorce un sourire et se remet à sangloter.
Avec des gestes très délicats, Julius essuie les larmes de son amie.
- Dis-moi, que se passe-t-il ? Qu'est ce que j'ai fait de si grave ?
Oh là, là, comme la vie est difficile quelquefois. Kovka ne sait plus où elle en est. C'est vrai, il a l'air vraiment désolé son ami. C'est vrai qu'il ne lui a jamais fait de mal. Il ne l'a jamais trahie. Ce doux frisson le long de son échine quand elle le voit apparaître au bout du pré, c'est extraordinaire, non ? Il est si mignon avec l'incontournable bouquet qu'il lui cueille à chacune de leur rencontre. Alors, elle redresse la tête, elle renifle un grand coup. Elle ne crie pas, elle ne tape pas du pied. Elle lui annonce juste, calmement avec un rien de désespoir.
- Je suis déçue. Tu es comme les autres. Ceux qui flattent, ceux qui trompent pour mieux séduire. Je sais bien que je ne suis pas si magnifique que ça. C'est pas la peine de sortir ton grand jeu de séducteur. Ça ne marche pas avec moi. Notre amitié ne méritait pas ça. Tu me déçois, oh mais tu me déçois ...
Elle marque une pause, puis termine sur ce mot terrible :
- définitivement.
Elle se laisse tomber sur le ventre. Le museau entre ses pattes, elle recommence à sangloter.
Pauvre Julius, il ne sait pas comment ratttraper sa maladresse. Il lui explique qu'il était sincère, qu'il ne cherchait pas à la séduire, ni à la tromper. Il était si émerveillé, si heureux aussi. Il s'étale en face d'elle, la regarde d'un air espiègle.
- D'ailleurs, j'ai jamais eu besoin de te séduire, ça marche bien entre nous, non... Tu m'aimes bien un peu...
Elle pousse un gros soupir, reste un instant perdue dans ses pensées.
En rampant, Julius se blottit contre Kovka. Il dépose une tendre léchouille dans le creux de son oreille.
- Ça, c'est une p'tite bise pour les incomprises.
Elle redresse la tête et parvient à sourire.
- Tu te moques encore de moi ?
Alors, Julius se dresse sur ses pattes avant.
- Non je ne me moque pas de toi. Tu es le top du top des lapines du monde... Et je te veux pour moi tout seul, na !
Il pose sa patte sur le museau de Kovka prête à réagir encore; et termine avec un sourire irrésistible.
- Kovka, tu seras toujours la plus belle pour ceux qui te regardent avec les yeux de l'amour.
(de Dorine-Shana-Guillaume-2013)
(CRÉATION de Dorine-Shana-Guillaume)
Il était une fois un garçon qui s'appelait Arthur. Il avait une petite sœur qui s'appelait Diana. Arthur et Diana étaient très copains et jouaient toujours ensemble dans la campagne autour de leur maison. Un jour qu'ils cueillaient des fleurs dans la prairie, ils ont aperçu une forme bizarre, toute blanche étalée par terre. Ils se sont approchés. Quelle surprise! C'était un énorme chat blanc avec d'immenses moustaches noires, qui ronflait au lieu de ronronner ;
Diana s'est penchée pour le regarder de plus près et Arthur la tirait en arrière.
- T'approche pas, il est peut- être sauvage et dangereux.
- Pfuit, quel trouillard tu fais, dit Diana en posant la main sur la fourrure du chat.
Elle l'appelait doucement.
- Gros chat, d'où tu viens, qu'est ce que tu fais là ?
Le chat fort mécontent d'être réveillé a fait une grimace de vilain chat en redressant ses moustaches.
- hum, hum, qui me réveille ?
Voyant les deux enfants, il était très mécontent
- Vous êtes culottés, vous !
Puis il s'est redressé d'un coup, les quatre pattes prêtes à détaler
- Attends, attends, criaient Diana et Arthur.
Le chat s'immobilisa. Bien posé sur son derrière, il se léchait le museau tout en les observant d'un air méfiant. Il ronchonnait maintenant à défaut de ronronner.
- On peut jamais rêver tranquillement.
- ça alors ! Tu peux parler ? s'étonna Diana
Le chat haussa les épaules.
- Ben oui, je parle, et ce n'est guère intéressant. Personne ne prend le temps de m'écouter. Dès qu'ils me voient les paysans me chassent à coups de pieds. Ils me trouvent trop gros et les femmes disent que je laisse des poils partout.
Puis il se mit sur ses quatre pattes, avança prudemment vers les enfants.
- Vous avez l'air de gentils humains vous, voulez-vous m'aider ?
- Ben, je sais pas, hésitait Arthur,
- Oui, oui, oui, raconte-nous ce qui t'est arrivé, s'impatientait Diana en lançant une bourrade à son frère.
Ainsi, le gros chat blanc leur raconta ses mésaventures.
- Oh c'est tout simple. J'avais rendez-vous avec Clina, ma fiancée
- Une jolie chatte blanche aussi ?
- Non, non, (quelque peu agacé) ne m'interrompez pas, sinon je vais me perdre dans mon histoire.
- D'abord je ne suis pas un chat, je suis un humain, enfin j'étais un humain. Je m'appelle Couli et j'avais rendez-vous avec Clina au rocher de Château Virant. On aime bien monter en haut pour regarder l'étang de Berre. Les villages et les immenses étendues de rocailles et de rochers, c'est somptueux.
Couli fit une pause, et les enfants muets de surprise, ne le quittaient pas des yeux. Il lissa sa moustache d'un élégant coup de patte, puis il reprit.
- Hélas, un jour notre chemin a croisé celui de Joséfa la sorcière.
Il se perdit encore une fois dans ses souvenirs heureux et ses yeux verts se remplirent de larmes. Il poussa un soupir, et continua son histoire.
- Joséfa s'est approchée de nous avec le sourire et nous ne nous sommes pas méfiés. Elle tournait autour de Clina
- Oh, Les jolis cheveux que voilà !
Clina très flattée laissait la sorcière s'approcher, lui caresser les cheveux, toute en séduction.
- Exactement ce qu'il me faut pour ma perruque. Veux-tu venir dans ma cabane ? Je couperai juste une toute petite mèche et tu pourras rentrer chez toi.
- Oh, là, là, et vous l'avez crue ? s'exclama Diana paniquée
- Ben oui, reprit le chat. Clina avait des cheveux magnifiques et comme elle était gentille, elle était tout à fait d'accord pour en laisser une mèche à la sorcière. Moi, je trouvais ça imprudent d'aller dans cette cabane. Mais avant que j'aie pu réagir, elles avaient toutes les deux enfourché le balai magique et disparu dans le ciel.
Le pauvre Couli poussa un nouveau soupir malheureux, puis il poursuivit.
- Il m'a fallu beaucoup de temps pour trouver la cabane. J'ai vu se lever plusieurs lunes et se lever plusieurs soleils. Mais en suivant le vol des corneilles, je savais que j'arriverais au refuge de la sorcière.
- Oh là là, t'es rudement courageux. T'aurais fait ça toi ? interrogea Diana en filan un coup de coude à Arthur qui avait les yeux ouverts comme des soucoupes et la bouche ouverte d'étonnement.
- Quand je me suis approché, continuait Couli, un renard qui faisait le gué a alerté joséfa. Elle est arrivée, et je suis resté pétrifié. Incroyable ! Elle portait la chevelure de ma fiancée mais elle était tellement moche que les beaux cheveux de Clina pendaient lamentablement. Un ratage totale de coiffure. D'une voix éraillée, elle m'a tout de suite agressé.
- Tu es bien imprudent jeune homme de venir troubler la paix de Joséfa.
- Je veux savoir où est Clina. Qu'en avez-vous fait ?
- Ne t’inquiète pas, elle est en sécurité. Je ne lui veux pas de mal, mais je la garde car j'ai décidé de couper ses trop beaux cheveux au fur et à mesure qu'ils poussent pour me faire des coiffures exceptionnelles. Comme celle-ci par exemple ;
La sorcière d'un mouvement d'épaule a rejeté sa chevelure dans son dos et s'est penché pour que j'admire.
- C'est moche, vous n'avez pas la tête qui va avec les cheveux que vous avez volés. Ils sont mal nourris sur votre crâne. Ils tombent en ruine. Vous êtes laide, très laide !
- Oh la la, j'aurais mieux fait de me taire. Il ne faut jamais dire à une sorcière qu'elle est laide, ni qu'elle est méchante.
Elle s'est redressée, ses yeux envoyaient des éclairs. Elle bavait et trépignait en poussant des grognements terribles. Terrorisé, j'ai fait un pas en arrière et j'ai trébuché sur le balai magique. La sorcière s'est jetée sur moi.
- Ah c'est comme ça, je vais te régler ton compte. Tu ne reverras jamais ta petite fiancée. D'ailleurs, je déteste les amoureux.
Elle a empoigné son balai. Elle a crié une formule et le balai a fait trois tours au dessus de moi à toute vitesse puis il est retourné dans la main de la sorcière.
- J'ai voulu parler et j'avais une voix bizarre que je ne reconnaissais pas. Et puis j'ai entendu comme un miaulement, mince alors ! C'était moi ! Et puis je me suis rendu compte que j'étais sur quatre courtes pattes, couvertes de poils blancs. Elle m'avait transformé en chat.
Le pauvre chat a baissé les yeux, honteux et malheureux.
- J'ai voulu lui sauter dessus, toutes griffes dehors. Elle a pris son balai et m'a donné des grands coups sur le dos. Je n'avais pas d'autres solutions que de fuir pour lui échapper. J'ai tourné et tourné autour de la cabane, et puis j'ai marché jusqu'ici. Je suis épuisé. Et maintenant je ne sais plus quoi faire. Que peut faire un chat qui parle contre une sorcière et son balai magique ?
Les deux enfants étaient catastrophés. Diana était au bord des larmes. Elle s'est assise à coté du chat, elle le caressait doucement.
- T'inquiète pas ! Mon frère et moi, on va t'aider. Deux petits humains et un chat pas bête, c'est une amitié solide. Contre ça, joséfa elle peut rien, même avec un balai magique.
- D'accord, mais on fait quoi et comment, répliqua Arthur plus raisonnable.
Alors le chat releva sa tete et s'étira en baillant.
- On retourne tous les trois à la cabane. Il y a un abri à bois pas loin. J'y ai vu des cordages mais moi je ne peux rien en faire avec mes pattes. Vous, avec vos mains, vous pouvez vous débrouiller ! Je dois attirer la sorcière dehors. Mais vous, vous devrez rester cachés. Je lui sauterai dessus par surprise. Faut juste que je neutralise son balai magique. Pendant qu'elle essaiera de se débarrasser de moi, Arthur tu pourras l'immobiliser et l'emballer comme un gros saucisson. Pendant ce temps là, Diana tu rentres dans la cabane et tu libères Clina.
Le chat se lissa les moustaches très content de lui.
- Fastoche à nous trois !
Mais Diana est une enfant inquiète.
- Et si elle attrape son balai magique contre nous, on va tous se retrouver en chats ?
- Ou en crapauds ! ajouta Arthur guère plus confiant.
Couli baissa la tête et la rentra entre ces pattes. Il murmurait dans sa moustache, il était vraiment très triste.
- C'est certain, y'a un risque, et pour moi, c'est foutu, même si je libère Clina elle ne voudra pas d'un chat comme fiancé.
- Elle pourra t'adopter, et t'aura une vie de pa-chat.
Diana se releva et donna une petite tape sur l'arrière train de Couli ;
- Allez, on arrête de se plaindre et on passe à l'action et puis on verra bien.
- En route ! Nous n'avons pas le choix, déclara Couli en se levant d'un bond souple.
Les deux enfants et Couli arrivèrent près de la cabane. Les enfants se cachèrent près de l'abri à bois. Ils entendaient les sanglots de Clina à travers la fenêtre. Arthur enroula un gros morceau de cordage. Couli resté dehors s'avança en poussant des feulements terribles. La sorcière sortit avec son balai et ricana très méchamment dès qu'elle vit Couli. Elle brandit le balai sous le nez du chat.
- Tu veux encore goûter de mon bâton ?
Alors Couli bondit comme une tornade sur la sorcière. Il lui laboura le crâne avec ses griffes, la perruque tomba. Voilà joséfa toute chauve, ça ne lui a pas plu du tout. Elle gesticulait et donnait des coups de pieds dans le vide. Couli agrippé à son dos lui mordillait le cou.... Le balai magique tomba au sol.
Arthur révolté, d'un coup de poignet formidable, fit un lasso avec le cordage, l’envoya sur la sorcière qui se retrouva ficelée. Diana, courut dans la cabane pour libérer Clina. Elles eurent vite fait d'arriver en bondissant de joie.
Elle avait l'air minable la sorcière affalée par terre et lançant des injures terribles en gigotant, prisonnière du cordage. Couli ne résista pas au plaisir de lui mordiller les mollets. Il s'essuya aussitôt la bouche d'un revers de patte
- Beurk, elle est même pas comestible.
Le chat poussait des feulements bizarres en plissant les yeux. Il fut prit de hoquets, se tordait de rire en secouant sa queue. Arthur lui aussi se marrait bien. Pendant quelques instants ils ne firent plus attention à Joséfa. La sorcière en profita pour atteindre son balai magique en rampant. Mais le chat plus vif bondit sur le balai avant elle. Avec ses dents pointues, il en fit de la charpie.
Dès que le dernier morceau de balai fut tombé au sol, on entendit un grand fracas. D'un coup, le chat se transforma en beau jeune homme souriant qui recrachait une brindille du balai coincé dans ses dents. Il se pencha vers Clina, l'attira contre lui et déposa un tendre baiser dans ses cheveux si jolis que Josépha avait grandement maltraités.
Et alors une chose incroyable arriva. La vieille sorcière qui se roulait par terre pour essayer de se libérer, d'un coup se calma. Elle poussa un petit cri, se tassa sur elle-même... Et tout doucement, sans un bruit, son visage s'éclaira d'une étrange lumière. Son regard s'adoucit et un délicat sourire apparut sur ses lèvres. Ses vêtements se transformèrent. Le cordage s'agita comme soulevé par un souffle de vent et devint un châle d'or soyeux qui se posa délicatement sur les épaules de Joséfa devenue une charmante vieille dame toute étonnée de se trouver assise par terre.
Médusés, Arthur et Diana ne bougeaient plus. Clina et Couli aidèrent la vieille dame à se relever. Puis ils prirent leurs deux amis par la main et les entraînèrent dans une joyeuse ronde autour des morceaux du balai.
Prenons nous par la main,
Chantons sous les grands pins
Il n'y a plus de balai magique
Il n'y a plus de maléfice -
MAI 2015
Une nuit d'hiver en Cévennes
Je marche avec Laurent sur le sentier qui monte à Bonnevaux. Une paisible grimpée avec juste ce qu'il faut d'efforts à travers les châtaigniers. Un léger souffle me caresse le bout du nez. Fin d’après-midi avec une belle lumière dorée. Je me sens vraiment bien. Le sentier est carossable. Hors, quelques pierrailles ensevelies sous les feuilles mortes. Laurent me tend un bras secourable pour me stabiliser. Mon pied dévie, zut alors douleur fulgurante. Il me prend dans ses bras, rassurant, attentif et inquiet. Je suis bien et je suis mal à la fois. Et puis, d'un coup, je n'ai plus mal nulle part, et puis j'ai mal quand même. Le rêve dérape...
- Laurent y'a une odeur de sanglier autour de nous ?
- Mais non, c’est trop tôt, pas fous les sangliers.
Je sais très bien que c’est faux, pour les sangliers y’a pas d’heure. Je les ai souvent croisés sur l’une ou l’autre terrasse. Ils vaquent librement dans les sentiers. Y'a pas d’animal sauvage en vue mais l’odeur est désagréable. Et puis....
- T’entends ce grésillement ?
Vraiment étrange, pas de pylône, pas de site électrifié en vue.
- En plus ça sent le cramé ?
Laurent allonge son pas.
- Avec cette sécheresse. Faut pas s'éterniser.
Alors j’accélère à travers les roches et les feuilles mortes et je me rétame magistralement. Réveil violent et bascule dans le réel, dans la nuit absolue de la chambre d’ami. Laurent dort paisiblement. L’odeur de brûlé se précise et ça grésille au dessus de ma tête. Inquiétant non ?
J'allume ma lampe de chevet, me penche vers le bienheureux dormeur.
- Laurent, coucou, réveille, toi y’a un truc bizarre, ici.
Il émerge très vite.
- On n’a pas fait de feu dans le poêle pourquoi ça sent le brûlé ?
Bruit mat d'un truc lourd qui tombe sur le plancher. Laurent qui ronchonne, allume sa lampe de chevet. On a l'impression que le grésillement vient des poutres. Il se lève, va vers la porte, allume le plafond. La lumière inonde crûment la pièce. Instantanément le grésillement s’arrête. Laurent, un doigt sur l'interrupteur, debout contre le mur est perplexe. Il ramasse un livre écartelé sur le plancher. Il éteint la rampe du plafond, le grésillement reprend.
Nos sensations se réveillent.
- pour de bon, ça sent le cramé.
Pas une lueur, pas une flamme, c’est sûr y’a pas le feu... Enfin pas dans la chambre.
Laurent rallume le plafonnier. Le bruit s’arrête instantanément. Rien de suspect au plafond.
- On verra ça demain, il fera jour.
Il éteint de nouveau. Le grésillement reprend un peu plus fort.
- faudrait peut-être régler ça cette nuit, non ?
- J'ai rien sous la main pour bricoler, c'est guère le moment.
Je ne suis pas plus motivée que lui pour aller fouiller dans l'outillage de la cave extérieure par ce froid d'hiver en milieu de nuit. Il rallume. Le silence est magnifique, total, pas un pet de mouche.
Il revient vers le lit, s'assied hésitant.
- Va falloir dormir avec la lumière allumée jusqu'au matin ?
- A tous les coups, c'est un court circuit dans l'interrupteur.
- D'un coup au milieu de la nuit, quand tout le monde dort ?
- Le mur est froid, ya peut-'être eu de la condensation.
- Donc ?
- Donc, faut régler ça tout de suite. Je vais démonter l'interrupteur. il me faut juste un tournevis isolé. Je trouverai ça dans l’atelier de Claude.
Guère convaincue, tout en me réfugiant un peu plus sous la couette mais solidaire toujours, je tente un modeste,
- Tu veux que je descende avec toi ?
Et lui héroïque comme la plupart d'entre vous, s'habille déjà à l'arrache avec ce qui lui tombe sous la main.
- Non, j'en ai pour une minute,
Il sort de la chambre, je l'entends faire quelques pas, et presque aussitôt il revient,
- J'en avais un dans l'appareil photos.
Super mais je n'en mène pas large. Je ne suis pas tranquille mais pas du tout.
- Dis Laurent, si tu fais un court circuit malencontreux, y se passe quoi ?
Il me regarde d'un air désolé, ce genre de regard qu'on réserve aux incurables.
- Mais rien, t’inquiète pas, mon tournevis est isolé.
- Si tu l’dis. Fais gaffe quand même..
Je me lève, m’habille vite fait. Sous la couette on s’en rend pas compte, mais ça caille dans cette pièce. Je me rapproche de lui. Si jamais il explose, j'exploserai avec lui mais pas en pyjama. Ça ferait négligé.
- Attends Laurent, imaginons un malencontreux mélange de fils....
Il court-circuite ma question en même temps qu'il déloge l’interrupteur de sa niche.
- Y se passera rien. ça allumera juste la lumière.
J’ai même pas le temps de digérer l’info que le boîtier pendouille lamentablement le long du mur. Mais comment il a fait ça si vite. Le tournevis s’approche des fils, ça touille là-dedans. Je retiens mon souffle, me cramponne au mur...
Une pichenette de tournevis, un fil qui jaillit, Un p'tit éclair. C'est tout
D'un doigt expert Laurent évacue quelques poussières. Je respire un peu mieux. Va falloir explorer les entrailles de l’interrupteur, une opération à cœur ouvert. L'interrupteur ne souffrira pas, il n’est plus vivant. Ouf ! mais je tremble toujours, si ce n’est plus de trouille, c’est surement de froid.
- C’est fini ? Je peux me recoucher.
- Attends regarde ce truc
Je m’approche et je vois la chose... une espèce de larve brillante et visqueuse qui s'étale autour des cosses… Quelle étrange sarcophage !
Il est deux heures du matin. Y'a pas eu de gaz toxique, y'a pas eu de fumée, ya pas eu le feu. Ya pas eu de fumée sans feu non plus.
L'heure fatale est passée.
- Viens Laurent, je t'attends sous les chataigniers et la nuit va tomber.
Deux plongeons simultanés sous la couette.
NOV 2016