Coucounet n°10. Minorque, le retour. 2007
Samedi 8 septembre 2007.
Une météo acceptable s'annonce enfin. La mer s'est bien calmée et le vent annoncé sur Minorque Nord/Est 2/4, mollissant, virant Ouest en soirée, Nord Ouest la nuit. Lorsque nous entrerons dimanche dans la zone Lyon/Provence, il passera Nord- Nord/Ouest faible à modéré. Nous commencerons au moteur, un peu de voile en tirant de petits bords au milieu, nous finirons au moteur, mais globalement, ça devrait être relaxe. Les creux seront de moins de un mètre. Ça nous va, mais nous mettrons sûrement 48 heures...
Onze heures du matin, nous quittons notre sympathique bouée d'amarrage. En passant près de Patricia et Bernard sur "Mama Bê", nos récents amis de mouillage, nous envoyons un signal sonore. "Adios, on se casse !" Patricia sort du carré, nous fait de grands signes suivie de Bernard couvert de mousse à raser. Il a ainsi des allures de Père Noël en caleçon. Plaisante image que celle de ce départ de Minorque. Nous sommes euphoriques.
Nous longeons la côte Est de Minorque. Voile et moteur, au plus près du vent, doucettement. Nous tirons un léger bord vers l'Ouest.
La côte nous est familière et nous passons un heureux moment à retrouver nos sites favoris. Un peu plus de quatre heures de navigation, doucement l'île s'efface.
La houle nous arrive par le travers. Elle est douce. Elle caresse les flans de notre embarcation. Elle glisse sous sa coque, s'écrase contre la quille. Lune de Miel domine les vagues. Complaisant et joyeux de se mettre en route, il se laisse caresser. De belles retrouvailles entre lui et la mer. Les couleurs sont sombres, le soleil cuivre les creux de houle. Glissement, ronronnement, mouillures et léchages en tous genre. J'avais oublié combien la mer est belle. Béatitude totale.
En fin d'après-midi, Laurent me signale de jolies échappées de poissons qui sautent allégrement sur tribord. Ils sont bien gras, argentés et brillent dans le soleil. Dans leur sillage, une bande de dauphins jouent et cabriolent. Jouent-ils à "attrape" avec les poissons ? Moment ludique ou moment féroce ?
A 19h30, Monaco radio envoie l'annonce d'un BMS sur Provence pour lundi soir, et dès dimanche un vent de NW assez fort à fort.
Consternation à bord, car si nous comptons arriver avant le coup de vent, l'entrée dans le golfe du Lion risque de poser problème avec le vent dans le nez, et la houle qui sera formée.
Sérieux coup au moral. Que fait-on ? Le plus sage nous semble-t-il. Tirer un long bord vers l'Ouest pour avoir un vent portant lorsque nous entrerons en Provence et devrons remonter vers le Nord Est.
Première nuit. Le vent est constant. Nous avons pris un riz dans la grand voile, et nous ajusterons le génois selon les besoins de notre allure. Nos veilles s'alternent de deux heures chacun. Je trouve que ça passe très vite. Nuit sans lune. La voie lactée diffuse une lueur discrète. La mer est une ombre mouvante, trouble. L'écume qui se casse sur les bords de Lune de Miel explose de luminescences roses et vertes. Rien de rien à l'horizon. Que ce trou obscur vers lequel nous fonçons à environ 6 noeuds. Laurent dort dans la cabine arrière. Calée sous la capote, le nez au ciel, je chante dans les étoiles.
Je me sens merveilleusement bien. 6h15 du matin. C'est l'aube qui s'annonce, le ciel s'éclaircit, l'horizon se borde d'une large bande saumonée. Le soleil sort de ses draps. Je me couche.
Dimanche matin 9H30. Nouvelles infos météo. Ce n'est plus de la consternation, c'est une véritable dépression qui s'abat sur nous. Le BMS se développe plus vite que prévu, dès cette nuit, nous serons en plein dedans en quittant la zone Minorque. Que décider ?
Laurent consulte ses cartes PC. Quel dommage d'avoir fait tout ce chemin vers l'ouest. Car nous décidons de virer vers l'Est, pour profiter tout de suite du vent de NW encore sympa. Lorsque nous entrerons dans la Zone Provence nous serons déjà à l'est et nous échapperons au coup de vent. D'ailleurs, quoi de plus réjouissant que d'atterrir à Porquerolles quand on est en vacances ?
Nouveau virement de bord. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais nous avons 220 miles à faire depuis Maô et nous les faisons en tirant des bords. C'est beau d'aimer la voile à ce point-là !
Le voyage prend ici des allures de cauchemar.
Le vent devient beaucoup plus fort et complètement aléatoire, selon que notre progression passe plus à l'est ou plus à l 'ouest de la zone.
La nuit qui suit sera épouvantable. Les veilles éprouvantes. Pour la première, vers minuit, lorsque je m'installe sous la capote, le vent force 5/6 forme une mer qui se hérisse. On roule sur des caillasses. Ca tangue, ça roule. Je n'ai pas le temps de m'assoir pour enfiler cirés et chaussures, je suis propulsée contre la table du carré. Cramponnons-nous bien. C'est prometteur vraiment, comme ambiance ! Nous avançons au près le plus serré possible, et ça chahute terriblement. C'est long, c'est dur et c'est déprimant.
Une heure de veille, on ralentit, panne de vent ? Je surveille la girouette. Le vent refuse. Je ne veux pas réveiller Laurent, tant pis pour le cap. J'abats de quelques degrés. Lune de Miel se relance, 5/6 noeuds, ouf... Mais je suis contrainte à cette manoeuvre trois fois en deux heures. Peut-être qu'on passera par la Corse, finalement. Laurent se lève. La Corse, ça ne le séduit que mollement. Même pas y rigole. Il a les yeux plissés, je ne crois pas qu'il ait pu dormir. Nous décidons de changer de bord, et repartir plus vers le nord, tant pis pour Porquerolle. Demi tour pour se remettre dans le vent. Je me couche. Dans le carré l'agitation est terrible, vaisselle secouée, bouteilles qui tintinnabulent, cardans de gazinière qui grincent, et ce vent qui souffle comme un orgue déchaîné. Sans parler de la gîte qui m'écrase contre la bande anti-roulis de la couchette. Qui dormirait dans ces conditions ?
A 4 heures du matin. J'aperçois le feu du cap Cepet loin à l'horizon. La côte s'esquisse grâce aux lumières des villes. Nous avons viré de bord je ne sais combien de fois. Un moment d'inattention et hop, on se retrouvait à contre, rugissement du moteur à 2000 tours pour tourner et se remettre dans notre axe. Le noir est absolu, on perd nos marques. Dis Laurent, c'est où le nord. La Grande Ourse aurait-elle bouffé Polaris ? Et le compas, qu'est-ce qui dit le compas... Je ne sais pas, j'en ai marre... réduire la voilure, une demi-heure et puis renvoyer. Hisse petit ! J'en peux plus, si seulement le jour se levait. Nuit épouvantable. Lorsque le jour se lève, nous ne sommes pas frais Laurent et moi. La côte est à 30 miles, le GPS nous annonce que nous mettrons 12 heures pour arriver à Porquerolles. Encore ? Il est fou ce GPS. Nous décidons de réduire nos souffrances et d'aller vers Bandol, moins près du vent; nous avançons sur une mer dure, des vagues courtes qui déferlent sur le pont et nous inondent les cirés. Et ça me glace. A 20 milles de la côte, la mer s'assagit. Tout le monde se calme. Mais le temps nous paraît terriblement long. On est gelé. Finalement le vent de Nord Est (allez savoir pourquoi) qui sévit sur la Provence à ce moment là, nous posera lundi dans la matinée, dans la calanque de Morgiou, avant le déchaînement du coup de mistral attendu pour la prochaine nuit. . Pas si mal. Mais on est dégoûté de la vie.
La soirée à Morgiou nous requinque.
La veille Laurent a pêché un joli thon germon que je vais cuisiner avec des pommes de terre grillées. De quoi nous réconcilier avec la mer.
Le coup de vent est largement confirmé mais la calanque est super bien abritée. Mon seul souci c'est que les fonds sont invisibles et nous ne les connaissons pas. Sable ou algues ? Laurent a tiré comme un sauvage sur la chaîne avec le moteur. Ca n'a pas bronché. Nous sommes presque tranquilles. Début de soirée le vent promis se déchaîne, force 7... On tient bon; Pour la nuit on ajoute encore 10 mètres de longueur, ça nous fera 50 mètres. Si nous sommes dans les algues, est-ce que le poids de la chaîne va suffire à nous retenir. Plus on ne peut pas mettre car nous serions dans la falaise si le vent tourne. Il y a toute la nuit des accalmies et des reprises de violence. Nous nous levons plusieurs fois. Lune de Miel tire sauvagement sur sa chaîne mais reste prisonnier de son mouillage. Sécurité, sécurité, sécurité !
Mardi. 7h30. Le vent paraît se calmer, mais nous savons qu'il va reprendre force 8 dans la matinée. Laurent prend la météo. Je profite de ce répit pour me lover dans les draps si doux. Ah que c'est bon. Une belle journée s'annonce, BMS d'accord mais notre mouillage a bien résisté. Nous sommes réveillés, nous aurons l'oeil, tout ira bien Il suffit de tromper cette attente en écrivant ce coucounet par exemple.
Je rêvasse... Une question de Laurent me réveille, une pointe d'angoisse.
- Dis-donc on est bien prêt des rochers.
Moi, relaxe et très confiante,
- Normal, on a rajouté dix mètres de chaîne, on doit être à une quinzaine...
Je ne finis pas ma phrase. Un hurlement
- Merde on dérape !
Ruée de Laurent vers le moteur. Moi en pyjama. Ça ne souffle même pas tellement fort. Coup d'oeil circulaire. Zut on se barre vers la falaise. Laurent est au moteur et s'énerve et tempête.
- Tu vas démarrer saleté.
Il ne faut jamais insulter un moteur quand on est pressé de partir... Voilà, il boude. Impossible à mettre en route. Lune Miel recule, inexorablement.
En 3 minutes, il suffit de tendre la gaffe pour toucher la falaise hérissée de pointes traitresses. Vite une défense ! On est à un mètre des rochers. Je me bagarre avec un pare-battage dérisoire pour protéger l'arrière. Une première projection contre la roche. Raclement affreux de la coque, oh que ça doit faire mal... J'ai l'air fine avec ma défense, c'est dessous qu'elle serait utile. Dès que le rocher est contre, elle roule sur la coque... Nouvelle projection contre la roche... nouveau défoncement de matière... Je vous jure que c'est insupportable. J'ai l'impression de me déchirer. Une rafale nous éloigne provisoirement de quelques mètres.
- Vite Laurent, s'il te plaît démarre...
Heureusement qu'il ne m'entend pas, ça l'énerverait.
D'un coup, le ronflement du démarrage, suivi d'un rugissement d'accélérateur. Vite, on dégage.
- Tu crois qu'on a une entrée d'eau ?
Visite du carré, pas de pompe qui ronfle. Coup d'oeil à ma fenêtre de fonds, sécheresse absolue dans le carré. Coup d'oreille à l'arrière, pas de ruissellements...
Il semble que tout aille bien et que nous ne coulerons pas tout de suite.
Sauvons-nous de ce néfaste endroit. Je cours relever le mouillage. On est pris de travers, on chasse, on recule, c'est folklorique mais bon nous sommes désormais au milieu de la calanque et nous pouvons prendre notre temps. Une fois l'ancre relevée, quelques brins d'herbe entre les dents, (le cure-dents, tu connais pas, stupide objet ?), nous décidons de fuir vers Sormiou,
que nous connaissons et que nous espérons plus sûr. Nous longeons les falaises à l'abri du vent, guère de houle, mais de violentes rafales avec les effets de relief par moments. Le moteur peine pour avancer. Une éternité. Pourtant nous y voilà.
Sormiou est un havre magnifique. Nous y étalerons une fois de plus nos 60 mètres de chaîne quelle que soit la profondeur parce que la météo s'aggrave. Et advienne que pourra.
Les dégâts à l'arrière de Lune de Miel sont mineurs malgré les bruits affreux. Mon pare-battage a eu le mérite semble-t-il de dévier l'arrière et il a touché sous la jupe dans l'angle. La partie la plus résistante finalement. Il faudra refaire un peu d'enduits et de peinture. On a l'habitude. Quelle bonne idée la coque aluminium.
Nous avons retrouvé notre enthousiasme. Le vent se déchaîne. Trois bateaux dans le mouillage. Comme les voisins, je reste dehors, encapuchonnée, à braver les rafales.
Laurent dans le carré, surveille au GPS la danse de Lune de Miel autour de son ancre. On relève des pointes de vent à plus de 40 noeuds au dessus du pont. Il ne doit pas faire bon en mer. Il paraît que nous nommes à l'abri ici. Restons joyeux. Panne de pain.
Laurent enfile son costume favori de boulanger.
En voilà un carré qui sent bon la vie terrestre.
- Dis Laurent, c'est quand qu'on arrive à la maison ?
- Mercredi la météo annonce Nord-est, c'est super pour rentrer.
- Super mais ce n'est que de la météo...
Bec de l'Aigle, La Ciotat, enfin, presque chez nous !
INTERMÈDE - Allo, c'est la Noiraude, je voudrais parler au vétérinaire. |